Retranscription de Brèves britanniques de comptoir, le 29 janvier 2020.
Bonjour, nous sommes le mercredi 29 janvier 2020 et, pour ne pas me laisser piéger par la SNCF, vous avez compris que je me suis rendu à Lille, cette fois-ci, avec ma voiture, en faisant des étapes quand même parce que, voilà… c’est quand même assez loin de Vannes à Lille.
Et donc, hier soir, je me trouvais à… je cherche des endroits, des Bed and Breakfast sympathiques où m’arrêter en route et donc, hier, j’étais, comme je vous l’ai signalé ce matin, à Vimoutiers, dans l’Orne. Et avant d’aller me rendre dans un endroit pour dîner, je m’arrête au café L’Equerre et au café l’Equerre, à côté de moi, viennent s’installer deux Britanniques et c’est pour ça que je vais appeler cette petite vidéo : « Brèves britanniques de comptoir », en faisant allusion à une célèbre œuvre littéraire que vous connaissez certainement si vous lisez ce type de littérature.
Et donc, ces deux personnes s’installent à côté de moi et elles ont parlé l’un après l’autre, des sujets suivants : du coronavirus, du Brexit et de M. Donald Trump.
J’entendais ce qu’ils disaient : ils étaient vraiment à 30 cm de moi. Ils savaient que j’entendais ce qu’ils disaient parce que je me suis mêlé très rapidement à leur conversation quand ils ont commencé à parler du coronarivus et à se poser certaines questions sur les chiffres, et vous, chers amis lecteurs du blog, m’aviez fourni dans la journée d’hier en particulier, et depuis 2 ou 3 jours, pas mal d’informations et j’ai pu leur montrer ce site qui montre en temps réel le nombre de cas par pays, etc., ce qui les a beaucoup intéressés.
L’autre chose dont ils parlaient, dont ils ont parlé, c’est bien entendu du Brexit. J’avais compris à leur conversation que ce sont des personnes qui habitent à Vimoutiers ou dans les environs : ils n’avaient pas l’air de venir de très loin, mais je dirais, à vue de nez, au pifomètre, au moins depuis 10 ans. Ils connaissaient bien la région. Ils connaissaient bien le patron. Ils connaissaient tout le monde et, ils se sont mis à parler du Brexit de manière un petit peu inquiète, en montrant, en comparant les preuves dont ils disposaient qu’ils sont bien depuis longtemps en France. Et ils étaient surpris de voir que leur permis de résident, enfin les attestations dont ils disposaient, n’étaient pas les mêmes l’un et l’autre, d’où une certaine inquiétude.
Alors, cette inquiétude, vous la voyez tous les jours maintenant. Le Brexit officiellement sera déclaré dans 2 jours et tout le monde s’inquiète. Vous avez peut-être un article – je crois que c’était dans Le Monde – de l’Université d’Oxford qui ne pourra pas faire venir des gens aussi facilement que c’était autrefois et que beaucoup de gens, en fait, qui sont là, à l’Université d’Oxford… Et quand vous regardez les noms des gens qui sont à la tête des départements à Oxford, ce n’est pas du tout comme à l’époque où moi j’étais à Cambridge ou à Oxford (j’étais à Cambridge mais enfin, c’est le même système), le nom des chefs de département, à cette époque-là (d’abord c’était surtout des hommes), c’est-à-dire dans les années… c’est quoi ? j’étais là de 1975 à 1984 : 10 ans. Et tous ces noms étaient des noms extrêmement britanniques. Il n’y avait pas beaucoup de noms étrangers. Mais si vous regardez maintenant, c’est une autre affaire. Et donc, à l’Université d’Oxford en particulier, à mon sens, ça doit être pareil à Cambridge, on s’inquiète du fait qu’on va… la situation des Européens qui sont là va devenir extrêmement compliquée et il y aura une perte de qualité de la même manière qu’il y a une perte de qualité…
Vous savez, vous connaissez mon opinion sur le monde de la finance mais la City de Londres, c’est un endroit où j’ai travaillé, en particulier, moi, dans les années 1994-95-96. Voilà, on voyait la fumée, la grosse fumée qui sortait des usines à la City de Londres. Ça carburait et là, les gens se préparent à partir pour Paris, pour Francfort, pour Amsterdam, pour les endroits plus sympathiques à la finance de type européen. Alors, est-ce que c’est une catastrophe ? J’en sais rien mais les choses vont devenir très compliquées.
Et alors, cet après-midi : panique sur Erasmus ! Que va devenir Erasmus ? Tous les Britanniques qui sont dans Erasmus, tous les gens qui vont de manière sympathique – comme j’avais fait moi, à mon époque – aller travailler, étudier en Angleterre. Tout ça est en danger.
Est-ce que ça veut dire que tout ça va disparaître ? Vous connaissez mon opinion. Deux possibilités : on ne déclare pas le Brexit mais alors, là, on est quand même à 2 jours, on va le déclarer et, autre option, on va déclarer le Brexit de manière tonitruante et puis on va s’arranger pour qu’Erasmus continue quand même, pour que les Britanniques qui vivent en France, en Espagne, au Portugal, etc., en Italie, pour qu’ils puissent quand même y rester sans être persécutés, poursuivis par la police, de même pour les Européens qui vivent en Grande-Bretagne, si bien que – vous connaissez mon opinion – la marche arrière sera, sinon impossible, quasiment impossible. Et la deuxième option que je vous avais signalée en juin 2016, à la suite du référendum, c’est-à-dire soit le Brexit n’a pas lieu, mais là, je risque de perdre, soit on dit que le Brexit a eu lieu et puis il ne s’est absolument rien passé.
On voit déjà… M. Johnson était du type enthousiaste pour remplacer tous les accords avec l’Europe, avec l’Union européenne pour les remplacer par des accords avec les Etats-Unis. Vu la situation dans laquelle se trouve M. Trump, qui n’est pas vraiment en situation de négocier quoi que ce soit en ce moment, on ne sait pas ce qu’il va se passer + les choses que je vous ai signalées depuis longtemps : l’Irlande, le statut de l’Irlande qui est pratiquement inchangeable par rapport à ce qu’il est maintenant, sauf au prix de relancer la guerre civile là-bas, l’Ecosse qui dit : « Il n’est pas question », qui a voté de manière quasi-unanime à dire : « On ne veut pas du Brexit. On ne sortira pas de l’Union Européenne » et ainsi de suite.
Et troisième sujet dont ces braves messieurs qui ont été rejoints ensuite par un troisième sujet britannique qui semblait, d’après ce que je comprenais, de la manière dont la dame parlait… La dame parlait, elle, français sans accent et parlait l’anglais avec un accent. Ce monsieur a dû trouver une compagne localement, en Normandie, ce qui est relativement normal puisque vous savez que c’est le duc de Normandie, Guillaume Le Conquérant, qui a conquis l’Angleterre à une époque.
Alors, là, on parlait de Trump. On parlait de M. John Bolton. M. John Bolton, j’ai déjà parlé pas mal de lui. Ce que je vous ai dit, et qui est le plus pertinent maintenant, je vous ai dit : Il y a eu un épisode qui s’est passé au Congrès, à la Chambre des Députés, aux Etats-Unis, où il y a une majorité Démocrate. Les Démocrates ont gagné. Ils ont passé le dossier au Sénat et, là, je vous l’ai expliqué, le problème maintenant c’est de savoir ce que vont faire exactement les Républicains qui sont en majorité au Sénat. Et là, je vous l’ai dit et je vous l’ai expliqué depuis des années. Il y a un courant parmi les Républicains, un courant pro-Russe et un courant anti-Russe. Le courant anti-Russe, c’est le courant historique. C’est le courant de la guerre froide, à l’époque où personne vraiment aux Etats-Unis n’était particulièrement enthousiaste pour l’URSS, sauf les membres du Parti communiste et sympathisants, les compagnons de route américains et il y en a eu un certain nombre. Et il y a un certain nombre de gens qui ont travaillé activement dans une perspective essentiellement pacifiste je dois bien le dire, le souligner, de sympathie envers l’URSS. Il y a un certain nombre de gens qui ont joué un rôle d’espions. Il y a des affaires extrêmement compliquées, extrêmement tragiques qui ont eu lieu. C’est pas le moment maintenant pour moi d’en parler.
Le Parti républicain était un parti traditionnellement extrêmement anti-Russe : antisoviétique et anti-Russe de manière générale et est apparu plus récemment, par l’intermédiaire de la NRA, National Rifle Association, le lobby des détenteurs d’armes qui défendent le droit pour les citoyens ordinaires de posséder des armes et éventuellement même de les promener en public, un courant pro-Russe, ce courant pro-Russe représenté de manière tout à fait emblématique par M. Trump lui-même, le président.
Et je vous ai rappelé récemment, comment dire ? la scission qui existe au sein du Parti républicain entre les gens qui sont encore de la tradition massivement anti-Russe que représentait M. John McCain, la personne qui, aussitôt qu’il avait entendu parler du fait que M. Trump était éventuellement compromis du côté Russe avait contacté le FBI, ayant en sa possession le fameux rapport Steele, et, en face, le camp dominant en ce moment, dont on imagine qu’il pourrait éventuellement l’emporter au Sénat [ce qui fut le cas le 21 janvier : par 51 voix contre 49] : le camp pro-Russe, plus ou moins infiltré, ou bien tout simplement des gens qui sont, comment dire ? sympathisants de régimes autoritaires dont le régime démocratique est plus ou moins abimé d’une manière ou d’une autre, ce qui ne veut pas dire que nos régimes à nous ne soient pas abimés d’une manière ou d’une autre du point de vue démocratique mais ce n’est pas exactement de la même manière, d’où des critiques qui doivent porter de manière distincte si on veut critiquer les dérives de la démocratie, soit du côté, je dirais, de la Russie et d’autres systèmes autoritaires, soit du côté de chez nous qui sont plutôt des dérives de type oligarchique, encore qu’il y ait des oligarques en Russie, bien entendu, etc., etc.
Alors, M. John Bolton, qui donc avait freiné des 4 fers quand on lui avait demandé s’il était disposé à venir déposer dans la commission qui avait lieu à ce moment-là au Congrès, à la Chambre des Députés, et dont on avait dit, je l’ai rappelé… Je l’avais signalé en novembre, je l’ai rappelé hier ou avant-hier, ce monsieur, manifestement, il avait prévu une sorte d’autobiographie et il ne voulait pas perdre des sous en venant parler de ça de manière prématurée. Il s’est fait qu’il y a 2-3 jours, certaines personnes ont fait fuiter les documents qui viennent du manuscrit, du fameux livre pour lequel il se battait pour obtenir des droits d’auteur très importants et il apparaît non seulement qu’il confirme de manière tout à fait massive ce qu’ont dit les Démocrates mais aussi qu’il implique un certain nombre d’autres personnes dans le camp Républicain.
Alors, ce M. John Bolton, je le précise, je l’ai déjà dit, ce n’est pas du tout un sympathisant Démocrate. Personne ne le confondra avec un sympathisant Démocrate. C’est de la droite, de la droite dure. C’est de la droite tout à fait anti-Russe. C’est de la droite de « faucons », comme on dit, d’un point de vue militaire : ce sont les néo-conservateurs.
Ce monsieur avait laissé dans la gauche américaine un très très mauvais souvenir au moment où il représentait les Etats-Unis sous Bush auprès des Nations Unies. Ce n’est pas du tout quelqu’un vis-à-vis de qui les Démocrates ou les gens de gauche de manière générale auraient beaucoup de sympathie. Mais, il fait partie du camp violemment anti-Russe.
Alors, qu’est-ce qu’il va se passer ? Qu’est-ce qu’il va se passer ? On entend parler de ces différentes choses qui sont dans son livre, qui provoquent une sorte de résistance du côté de l’autre camp, celui qui est contre le fait que M. John Bolton viendrait parler mais il apparaît… Au début, on a parlé essentiellement de fuites de son livre pour des choses qui concernaient l’Ukraine, le deal que lui avait appelé un deal, un truc de dealers, un truc de drogue, en disant qu’il ne voulait absolument pas se mêler à ça, mais sont sorties hier d’autres informations de son manuscrit, des choses qui parlent d’autres choses et là, il y a peut-être des arguments qui vont encore pousser davantage à la scission à l’intérieur du camp Républicain. Pourquoi ? Parce qu’il dit des choses relativement aimables vis-à-vis d’autres personnes qui trempent jusqu’ici jusqu’au cou dans les magouilles de M. Trump. En particulier, il signale que M. Mike Pompeo, le ministre des Affaires étrangères, et M. William Barr, le Ministre de la Justice, il signale que ces personnes ont traîné les pieds quand il s’agissait de soutenir M. Trump.
Alors, pourquoi est-ce que c’est important du point de vue des Démocrates ? Je vous ai dit, ils ont joué leur partie. Ils n’ont plus de rôle véritablement à jouer mais c’est important pour eux parce qu’on peut se dire que des gens comme M. William Barr, ministre de la Justice, comme M. Mike Pompeo, ministre des Affaires étrangères, s’ils ont l’impression que la partie est perdue – comme je vous l’ai déjà signalé, c’est le cas de l’Ukraine qui a maintenant manifestement pris parti contre M. Trump, c’est le cas de M. Lev Parnas qui, manifestement, a pris parti contre M. Trump en vidant son sac – si ces gens imaginent qu’ils courent un véritable risque d’être inculpés et de se retrouver éventuellement en prison, ils ont besoin du témoignage relativement favorable à eux de la part de M. Bolton, M. Bolton soulignant que c’est à contrecœur qu’ils sont allés dans le sens de M. Trump.
De la même manière que je vous avais dit que je n’ai pas l’impression que la partie est jouée entre pro-Russes et anti-Russes à l’intérieur du Parti républicain, il faudra maintenant regarder ces gens comme M. Mike Pompeo et M. William Barr, et voir ce qu’ils vont dire dans les jours qui viennent pour savoir où ils se situent et s’ils considèrent eux aussi que la partie est perdue du côté Trump et qu’il est intéressant de leur point de vue de se montrer sympathisants des vues de M. Bolton, quelle que soit la coïncidence ou non entre leurs vues politiques et celle de M. Bolton, et pourraient encourager M. John Bolton à venir témoigner devant la commission du Sénat parce qu’il pourrait dire des choses qui pourraient les disculper, au moins partiellement [cette option a cessé d’exister le 31 janvier].
Voilà un petit point sur l’actualité. Ça s’appelle : « Brèves britanniques de comptoir ». A bientôt !

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