Haneke, Mad Max, et la guerre de tous contre tous, par Isabelle Joly

Billet invité.

Je n’aime pas les films de Haneke. Ou plutôt, je n’ai jamais vu de film de Haneke, mais je crois que si j’en voyais, je ne les aimerais pas. Je me suis fait une idée de son œuvre à travers les critiques que j’ai lues. Et c’est vrai que ce n’est pas très objectif.

Ah si, maintenant que j’en parle, je me souviens que j’ai vu « Le ruban blanc », et que j’ai beaucoup aimé. En quelques lignes je viens de me contredire. Ce n’est pas grave. J’ai donc vu « Le ruban blanc », un film dérangeant sur l’enfance. J’aimerais pouvoir me dire que l’enfance reste l’âge de l’innocence, que les enfants sont toujours les victimes, jamais les bourreaux.

Que même quand ils font des bêtises, ils ne sont jamais coupables. Que les châtiments corporels et les engueulades, ça ne sert à rien, parce qu’ils sont trop petits pour être coupables. Que quand ils disent, les mains dans le pot de confiture, « C’est pas moi! », ils ne mentent pas.

En ce qui me concerne, je pense réellement que ce n’est pas eux qui ont décidé, pris la chaise, monté dessus et fouillé dans le placard. C’est pas eux, c’est leur corps.

C’est peut-être l’illustration de ce que Paul Jorion dit sur la chronologie de la décision dans l’être humain : d’abord le corps, puis la décision consciente. « La conscience est assise à côté du conducteur », et on ne sait pas qui pilote la voiture. Dans le cas d’un enfant, ce serait plutôt qui pédale sur le vélo, et qui est assis sur le porte-bagages.

Le corps, la matière, sait-il tout du passé, du présent, de l’avenir? N’est-il que le support d’une âme, d’où dualité du corps et de l’esprit, ou fait-il un, et quand il disparaît plus rien n’existe ?

« C’est pas moi » qui ai écrit tous les textes que j’ai écrits, c’est mon corps. En général, je ne sais absolument pas d’où me sont venus les mots, ils se sont alignés, rien n’était prémédité. Je ne sais pas d’où me viennent les textes, les poèmes, que je commets. La minute précédant l’écriture, ils n’existent pas dans ma tête. Des fois, un sentiment d’étrangeté me vient quand je relis ce que j’ai écrit.

D’autres fois, par contre, certaines images ou certaines sensations, je les expérimente physiquement ou visuellement.

Par exemple, un jour, j’ai écrit :

La mort, ce passage de l’ombre à la lumière
Mon corps se paysage, se fond dans l’univers
Le temps me dévisage, moi qui tombe en poussière,
Et reprend l’avantage, de tombes en cimetières

Lorsque j’ai écrit ces mots, je me suis littéralement sentie tomber en poussière sous le regard d’un être étrange que je savais représenter le temps. Je me suis dit, c’est la théorie de la relativité d’Einstein, l’espace-temps s’abolit à la mort, et on est libéré de la chronologie des événements. Je n’avais rien fumé, je vous rassure. Ou alors, c’est plutôt inquiétant, au contraire, de se dire qu’on vit ce genre d’expérience quand on n’a rien cherché à provoquer. Je pense que le jeûne peut provoquer ça, et j’ai un bon coup de fourchette. Donc, je n’ai pas d’explication à ce qui m’est arrivé.

Je me rappelle que je n’avais pas peur, c’était juste un passage, une logique qui advient, naturelle.  Tout ça pour vous dire, que l’œuvre de Haneke, je pense qu’elle vient peut-être de la façon dont il conçoit les choses. Il fait des films terrifiants comme « Funny games » ou « Le temps du loup », où les gens sont d’une extrême sauvagerie les uns avec les autres. Où comme dans « Mad Max », les gens s’entre-tuent pour survivre dans un monde dévasté.

Personnellement, je n’arrive pas à concevoir les choses comme ça. Je sais de façon intellectuelle, à travers mes lectures, notamment sur les camps de concentration, de quelle barbarie les gens sont capables. Mais je me dis que si, maintenant, je cultive en moi-même le meilleur de ce que je peux donner, la solidarité, le don, la joie de vivre, je penserai que tout le monde est comme ça, qu’un sourire est aussi contagieux que la peste, et qu’il permet de lutter contre tous les maux.

C’est pour ça que si la fin du monde advient, je n’ai pas vraiment peur.

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