Saint Louis l’Evêque

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

J’ai eu l’occasion hier, dans l’un de mes propres commentaires, de dire tout le bien que je pensais de saint Martin. Aujourd’hui, un autre saint sympathique : saint Louis l’Evêque, extrait de mes notes prises en 2003, lors d’un séjour sur la Côte Centrale de Californie.

Je demande où est la mission. Elle est dans le centre-ville et je l’ai aperçue en fait chaque fois que je me suis arrêté à San Luis Obispo, sans deviner qu’il s’agissait bien d’elle, sans doute parce que son extérieur n’est pas très voyant : des murs blanchis à la chaux, recouvrant probablement, vu leur angle fuyant, de l’adobe. Je pénètre, et je suis d’emblée dans l’église de la mission, consacrée à Saint Louis « Obispo », évêque de Toulouse, et au moment de passer le porche je me dis « Il faudra brûler un cierge… peut-être même deux ». C’est très joli, très sobre, très lumineux : les murs sont blancs, avec simplement, à hauteur d’homme, des tableaux de taille moyenne représentant les douze Stations de la Croix et un peu plus bas sur le mur, une frise de fleurs stylisées aux couleurs élémentaires. La nef s’ouvre devant vous, et quand on approche de l’autel, on découvre un transept, mais à droite uniquement, et arrivé à sa hauteur, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas en réalité d’un transept, mais d’une autre nef, à angle droit avec la première. L’église est disposée en « L », avec le curé dans l’angle de la lettre, qui voit les deux nefs en enfilade, et est privé du réconfort d’un chœur derrière lui. Sans doute une façon originale de séparer les hommes et les femmes. Je suis à la recherche d’une chapelle ardente, j’en trouve une mais il n’y a pas de cierges à vendre. Comme c’est le plus souvent le cas aux États-Unis, il faut découvrir ailleurs dans l’église l’endroit où l’on peut se procurer un cierge, en général une boutique qui vend la panoplie habituelle des bondieuseries. Mais partir à sa recherche serait peine perdue : on est en pays à dominante mexicaine, et ça brille de partout : parmi les dizaines d’emplacements, il n’y en a pas un seul qui soit libre où je pourrais planter mon cierge. La chaleur qui se dégage de ce brasier est intense, et je reste là un moment, immobile. Et les larmes me viennent aux yeux : l’orphelin pleure la mort de ses parents. Il lui est maintenant loisible de reconstruire le monde, puisqu’il dispose désormais de la liberté de le faire exactement de la manière qui lui convient.

Jeff McMahon, un habitant de la ville, s’est posé la même question que vous et moi : qui est Saint-Louis « Obispo », l’Evêque, de Toulouse ? Et je me mets à lire la page qu’il a postée sur la toile, et c’est là l’une de ces choses que l’on découvre toujours avec étonnement : des liens préexistants entre une histoire que l’on ignorait et la sienne propre. C’est là la conséquence du fait que l’on vit un certain nombre d’années qui va en s’accumulant, mais essentiellement aussi parce que l’on vit sur une toute petite planète, ne faisant pas plus de 40 000 kilomètres de circonférence : le huitième de la distance que la lumière parcourt en une seconde, une paille !

Saint-Louis l’Evêque est Louis d’Anjou, fils de Charles II d’Anjou, petit-neveu de Louis IX, Saint-Louis, qui mourut de la peste, rendit la justice sous un chêne, et laissa son nom à un lycée et à une grande ville du Missouri. Louis voulut être moine et fut obligé par le Pape Boniface, en raison de son sang royal, d’être évêque à Toulouse. Il remplaça la vaisselle en vermeil de l’évêché par une autre de bois et d’étain. Il mendiait le jour dans les rues de Toulouse, et invitait chaque soir à sa table, les plus pauvres de ses habitants. Il est né et il est mort (à l’âge de vingt-trois ans) à Brignoles, la ville où petit enfant et dans ma propre petite histoire, j’ai découvert, car pour la première fois craint, la mort : un incident que je rapporte dans Le moment du verbe (1998).

La mort soudain rencontrée à l’âge de quatre ans, assis à une terrasse, sur la place de Brignoles : des cris que l’on perçoit, tout proches, « Il est mort ! », et l’on détourne aussitôt les yeux du motocycliste renversé pour fixer dans son assiette les radis et le beurre. Mais bien des années plus tard on s’écrie un jour sur le divan de l’analyste, « Et toutes ces choses que l’on n’arrive pas à comprendre ! … comme les radis ! … », à la suite de quoi, sidéré par ses propres paroles, on s’entend enchaîner aussitôt, « Allons bon ! … oui, oui, c’est bien moi qui ait dit ça… il va falloir maintenant trouver ce que ça peut bien vouloir dire ! ».

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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