Un temps de Toussaint

Je suis là à regarder les chiffres.
Ce n’est pas encore l’hiver mais c’est déjà un très mauvais automne.

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8 réponses à “Un temps de Toussaint”

  1. Avatar de gdronni
    gdronni

    moi j’aurais plutot ca comme chanson d’illustration 🙂
    il en existe une tres belle version par Yves Montand.

    Quand nous en serons au temps des cerises
    Et gai rossignol et merle moqueur
    Seront tous en fête
    Les belles auront la folie en tête
    Et les amoureux du soleil au cœur.
    Quand nous en serons au temps des cerises
    Sifflera bien mieux le merle moqueur.

    Mais il est bien court le temps des cerises
    Où l’on s’en va deux cueillir en rêvant
    Des pendants d’oreilles
    Cerises d’amour aux robes pareilles
    Tombant sous la feuille en gouttes de sang.
    Mais il est bien court le temps des cerises
    Pendants de corail qu’on cueille en rêvant.

    Quand vous en serez au temps des cerises
    Si vous avez peur des chagrins d’amour
    Evitez les belles
    Moi qui ne crains pas les peines cruelles
    Je ne vivrai pas sans souffrir un jour.
    Quand vous en serez au temps des cerises
    Vous aurez aussi des chagrins d’amour.

    J’aimerai toujours le temps des cerises
    C’est de ce temps là que je garde au cœur
    Une plaie ouverte
    Et dame Fortune en m’étant offerte
    Ne saura jamais calmer ma douleur.
    J’aimerai toujours le temps des cerises
    Et le souvenir que je garde au coeur

  2. Avatar de Christophe Franchini
    Christophe Franchini

    Etre dans le système n’empêche en aucune manière de le combattre, de l’améliorer, de l’orienter. Chacun a sa part à assumer dans le système social… Mêle si cette influence est ténue, elle existe, un peu comme sauter en l’air fait reculer la terre lorsque l’on retombre… oh pas de beaucoup, mais c’est mesurable…

    Se sortir du domaine social, c’est s’exclure de toute influence possible…

    Bon courage !

  3. Avatar de jo-vial
    jo-vial

    Faut-il être mélancolique ?

    En 1934 Albert Préjean chantait « la crise est finie »
    voir l’affiche :
    http://www.chanson.udenap.org/photos/petits_formats/prejean_albert/prejean_albert_repertoire_03.jpg

    pour écouter la chanson :
    http://www.deezer.com/track/278482

    Deux ans auparavant le second cartel des gauches avait remporté les élections, voir :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Cartel_des_gauches

    Et pour tout savoir sur la crise du 6 février 1934 lire :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/6_f%C3%A9vrier_1934

    Aujourd’hui en France nous avons une politique de réduction des dépenses de l’état avec en arrière plan la crise financière mondiale.

    Risquons-nous des émeutes cet automne ou pendant l’hiver comme celles de 1934 ?

    Les plans proposés ont pour objectif d’endiguer la crise de liquidité, or les ignorants comme moi voient plutôt dans cette crise un genre d’éponge qui aspire les liquidités. A chaque fois que les banques en reçoivent les taux des prêts interbancaires augmentent ce qui a pour effet de créer un volant financier qui ne cesse d’augmenter sans pouvoir servir à autre chose qu’à financer les intérêts des taux interbancaires. La spirale est potentiellement infinie, car il est toujours possible d’invoquer le manque de confiance. Cela ressemble à une tornade. On est en droit de se demander si le plan ne risque pas d’alimenter le coeur du tourbillon et donc de le renforcer.
    Pour l’arrêter ne faudrait-il pas plutôt précipiter la crise en affectant les sommes à des banques d’état ne rachetant que les prêts solvables en laissant aux banques les crédits toxiques.
    Si la crise est basée sur un problème de confiance donc sur des sentiments humains inopportuns dans les places financières, il devrait suffire de changer les hommes chargés de gérer les prêts interbancaires en les remplaçant par des personnages de confiance.

    Vu de la pointe ouest de la France le plan Paulson ressemble au manège d’un joueur de poker qui ferait semblant de n’avoir qu’un tirage nul entre les mains et qui poserait néanmoins sur la table une somme considérable prise dans la poche de ses subalternes. Bluff ou réalité ?

    La période novembre 2000 à aujourd’hui a vu d’autres bluffs impressionnants, en commençant par l’élection présidentielle contestée de fin 2000, les armes irakiennes de destruction massive en 2003, etc.

    Ne serait-ce pas une manoeuvre pour rafler un tapis énorme aux derniers moments de l’administration sortante ?

    Bonne soirée.
    JV

  4. Avatar de Paul Jorion

    Mon père était haut fonctionnaire et professeur d’université. Quand un événement le révoltait, il ne disait rien. Il allait chercher son harmonica, il le retirait de sa boîte, et il jouait, avec rage et tendresse, Le temps des cerises.

  5. Avatar de Jean Michel

    La Toussaint… christianisation du Samonios des Gaulois, du Samain des Gaëls… la plus grande fête celtique, qui marquait le début de la saison froide et sombre tout en constituant ce temps unique de l’année ou le monde des vivants communiquait avec l’au-delà (le sid). Je suis persuadé que nous vivons un autre passage. Je ne sais évidemment combien de temps cela prendra. Mais la civilisation marchande qui avait succédé à la civilisation médiévale aux alentours du XVIe siècle et qui fut théorisée à partir du XVIIIe par ceux que l’on va appeler les « économistes » touche à sa fin. D’une manière ou d’une autre, l’humanité devra franchir un nouveau palier de civilisation, qui sera accompagnée d’une mutation scientifique comparable à la révolution astronomique des Copernic et Galilée (dont l’économie, qui est restée au fond une « physique sociale », fut l’un des avatars). Je pense pour ma part que la naissance d’une véritable anthropologie accompagnera cette mutation (nous n’y sommes pas encore, malgré le travail de quelques précurseurs tout au long du XXe siècle, les Freud, les Mauss, les de Saussure, les Lévi-Strauss…). Tout le problème de ces périodes de mutation est de distinguer l’ancien du nouveau : qui sont les « prophètes » de l’avenir et qui sont les défenseurs du monde qui finit… sans se laisser écraser sous les ruines. Les beaux travaux de Marrou ou de Peter Brown sur l’Antiquité tardive nous le montrent aussi. Bref, le mauvais automne annonce sans doute déjà, certes dans un avenir très incertain et peut être encore lointain, un très bel été.

  6. Avatar de Reinsley
    Reinsley

    Un couplet écrit par Charles Trenet dans « la java du diable »

    Au-delà des mers ce fut bien pire
    Le mal gagna, c’est trop affreux
    Il lui fallait pour son empire
    Jusqu’au pôle Nord et la Terre de Feu
    Mais le plus terrible ravage
    Fut dans le monde des banquiers
    Où la grande java sauvage
    Fit des victimes par milliers
    « Un, deux, trois, quatre
    Un, deux, trois, quatre »
    Hurlaient New York et Chicago
    L’or se vendit au prix du plâtre
    Et le cigare au prix du mégot

    Cordialement

  7. Avatar de Daniel Dresse
    Daniel Dresse

    @ Catherine

    Il m’est difficile d’écrire quoi que ce soit sans faire référence à des anecdotes personnelles. Je fais cela sans complexe puisque j’estime être assez représentatif d’une certaine frange de la population. C’est uniquement sous cet angle que j’analyse tant mon cas personnel -sinon il y a longtemps que je serais parti. Je vais donc vous parler de ma seule expérience en milieu psychiatrique, dont certains éléments, je pense, vous donneront matière à réconfort ?

    J’ai fait une « sévère » dépression il y a environ 25 ans, sur les causes de laquelle je ne vais pas trop m’étendre. Disons que, comme tous les adolescents prolongés, j’avais certaines difficultés à rentrer dans l’âge adulte, alors que monde occidental toute entier faisait le chemin inverse en se débarrassant des « vieux schémas » pour retourner de plein pied dans sa tendre et ludique enfance. Ce hiatus a permis à la science psychiatrique de forger de nouveaux concepts (la pathologie « borderline » entre autre) et a contribué à l’accroissement du PIB en donnant beaucoup de boulot à la profession.

    J’habitais Lyon à ce moment là, dans une rue adjacente à la rue Victor Hugo –Notez qu’à cette époque il était encore possible de se loger pour pas trop cher au cœur d’une grande ville. Je sortais d’une formation de secrétaire export, dans laquelle un conseiller de l’ANPE m’avait parachuté au vu de mon bon niveau en anglais.

    « L’entreprise FRANCE doit vendre ». Tel était à l’époque le 11ème commandement en vigueur au QG central du Maréchal Offre, le Caporal Demande ayant été fusillé dans un fossé pour lâcheté et compromission face à l’ennemi.

    Je m’étais donc retrouvé au beau milieu d’une quinzaine de jolies nanas sympas –je faisais carrément verrue- la plupart licenciée en anglais et tout aussi incertaines que je l’étais quant à leur devenir professionnel.

    Le but de cette formation, comme toutes les formations –un Seguin fait aujourd’hui semblant de s’en indigner- était bien sûr de gérer le volant de chômage tout en maintenant intact le moral des troupes avant l’assaut ultime.

    Ce dernier objectif était arrivé trop tard dans mon cas, puisque je trimballais une noire dépression sur mes épaules depuis déjà plusieurs mois au moment de mon entrée en formation, et que les contraintes liées à celle-ci n’avaient pas arrangé les choses par la suite.

    Pendant cette période de latence, j’avais décidé de consulter un psychiatre du coin. J’ai fait ainsi connaissance avec la toxicomanie légale -Halopéridol plus divers tricycliques et anxiolytiques- bien des années après avoir tiré un trait définitif sur la toxicomanie illégale, douce et moins douce, de ma jeunesse folle.

    Les soins « ambulatoires » -dans le jargon du psychiatre en question- comportaient aussi une séquence « relationnelle ». Il s’agissait d’un pensum hebdomadaire, qui ne faisait qu’exacerber l’antipathie foncière que j’éprouvais pour le personnage social qui me faisait face -un cas de transfert complètement foiré.

    Coïncidence ou pas, Les digues ont cédé peu avant Noël, suite à une séance mémorable, au cours de laquelle mon psy s’était « lâché » sur les problèmes économiques du pays. Il s’était d’abord lamenté sur ses difficultés à recruter une assistance ménagère « même en la payant bien au noir ». Avait suivi une diatribe sur les « assistés » qui « foutaient en l’air la protection sociale » puis, dans la foulée et pour le coup de grâce, une conclusion forte : « Moi, je ne crois PLUS au chômage. Et pourtant, j’ai CRU en Mai 68 ».

    J’ai regagné ma mansarde, poursuivi par une nuée de corbeaux noirs au vol lourd, impression singulière au beau milieu de la place Bellecour, et qui a empiré les jours suivants.

    La séance d’après, face à mon état, le toubib sortit son joker et me proposa de faire une « coupure » de quelques semaines, ou quelques mois, en intégrant un établissement spécialisé.

    « Cela n’est pas l’enfer psychiatrique tant décrié. Vous serez même en pleine nature » avait-il dit pour me rassurer, et il avait sorti d’un tiroir une sorte de prospectus sur lequel s’étalait la photo d’un bâtiment anonyme qui ressemblait à une résidence urbaine égarée dans la montagne à vache.

    C’est donc devant cette blanche bâtisse que je me présentais quelques jours plus tard, ma petite valise à la main, alors que sur le Massif Central, comme sur tout le reste du pays, soufflait un vent du nord glacial, qui allait marquer l’un des hivers les plus rigoureux des quarante dernières années.

    Je fus reçu par le médecin chef des lieux -une sorte de Denis Kessler à sa période restaurant bio- qui annonça d’emblée la couleur locale. « Ici mon vieux on ne fait pas du relationnel. On fait de la chimio. Vous reprendrez donc votre psychothérapie en sortant ». Il me proposa ensuite « un contrat », ce terme répugnant qui commençait à envahir tous les étages de notre société en balançant toute obligation morale par ses fenêtres, avec une période probatoire ( ?) et plusieurs étapes au terme desquelles –environ trois mois plus tard- « nous ferions le point ».

    J’acceptai le contrat et dans l’heure me retrouvait en position d’entamer la première étape du programme : au lit, dans une chambre spartiate aux murs peints en blanc cassé, avec une perfusion dans le bras. Le cocktail injecté, un puissant mélange, je l’appris plus tard, de Tranxène, Laroxyl et Nozinan, fit rapidement son effet, et je sombrai dans ce que je considère aujourd’hui comme LA cure de sommeil de mon existence.

    Allègement des doses ou tolérance de mon organisme à celles-ci, je repris réellement conscience TROIS SEMAINES plus tard, en regardant éberlué le gros calendrier à feuilles qui trônait sur ma table de chevet. Par la fenêtre, je vis que les prairies alentour avaient fait place à des champs de neige qui évoquaient la Sibérie (en fait le premier dégel de l’hiver intervint le lendemain). Une infirmière vint m’apporter une collation et me demanda si j’étais bien conscient MAINTENANT. « Qu’est-ce que vous avez pu dormir ! » dit-elle en sortant.

    J’entrai donc dans la deuxième phase du contrat, celle ou je fis mes premiers pas au-delà de mon lit sans l’aide de personne, puis mes premières excursions en dehors de ma chambre. Une semaine plus tard, je prenais en zombie mes premiers repas au réfectoire de la clinique et allais chercher moi-même mes médicaments aux heures prévues.

    Le traitement m’apparaissait remarquablement chargé en regard de ce que j’avalais déjà avant de venir ici. Tous les jours je devais engloutir 200 mg de Laroxyl, à peu près autant d’Haldol (qui était revenu prendre avantageusement la place du Nozinan), 4 barrettes complète de Lexomyl, plus un Rohypnol et un Noctadiol (une sorte de barbiturique) le soir au coucher.

    Les doses diminuèrent progressivement par la suite et vers le dix février –cela faisait six semaines que j’avais intégré les lieux- je fus autorisé à sortir dans les environs immédiats de la clinique.

    Une vague de douceur relative avait succédé au terrible mois de janvier et des vaches avaient refait leur apparition dans les champs au-dessus. J’allais une première fois leur rendre visite et je m’aperçus seulement à cette occasion combien les drogues m’avaient fracassé.

    Je réalisai soudain en effet que j’essayai d’entrer en conversation avec des vaches !!!

    Je renouvelai ma visite les jours qui suivirent, toujours aussi disert avec les ruminantes, et donnai à celles-ci des noms de vedettes de rock féminines. Elles étaient toutes là, Janis Jopin, Cher, Grace Slick, Marianne Faithful, Nico, Patti Smith (ma préférée, la grande maigre au meuglement grave et glaçant, avec ses cornes échevelées et ses pis suggestifs) et ces étranges confrontations m’aidèrent en fait à remettre les pieds sur terre, parmi mes semblables.

    Je fis un jour la connaissance du paysan qui s’occupait des vaches. L’air d’un brave type, plutôt inquiet par ce spectre qui restait plus d’une heure planté devant ses bêtes.
    – Dites mon gars, qu’est-ce que vous leur voulez à mes vaches ?
    – Rien, cela m’aide à récupérer. Je suis soigné chez les dingues, en bas de chez vous.

    Il avait levé les bras à l’horizontale, comme soulagé, et s’était éloigné en rigolant. Je n’étais peut-être pas le premier à avoir essayé de participer au forum « Salut les Copines ».

    Mes rapports avec les autres malades étaient succints, rien n’étant fait pour les favoriser dans ce quartier de haute infantilité.

    Il y avait beaucoup de personnes âgées, murées dans leur marasme, et des gens plus jeunes regroupés par clans suivant des affinités de loisirs : les joueurs de belotes, les amateurs de sport à la TV, les causeurs d’histoires de fesses, les turfistes etc. Je m’aperçus aussi qu’il y avait des habitués de cette clinique, comme d’autres sont des habitués d’un centre particulier de vacances. Le personnel était sympathique et distant, et je pris moi aussi l’habitude d’être machinalement sympathique, c’est-à-dire distant.

    Je faisais régulièrement le point avec Denis Kessler, et nous échangions des propos oiseux sur la nourriture, la qualité de mon sommeil et l’air froid de la campagne.

    Je découvris un coin livres dans un recoin de la clinique et je me remis à lire avec satisfaction, car j’en avais été encore incapable deux semaines plus tôt. Je ne sais pas qui avait rassemblé ces livres mais y figuraient la plupart des reportages du grand journaliste Albert Londres, dont je me délectai. Son écriture facile convenait parfaitement à une sortie de camisole chimique, sans parler du sujet de l’un de ses reportages les plus célèbres, « Chez les fous ».

    J’appris aussi qu’il y avait une petite salle pourvue d’un matériel de sport et je pris l’habitude d’y passer une heure le matin. J’étais tout seul, et tout le monde ici semblait avoir oublié l’existence de cet endroit.

    C’est dans cette salle que je fis la connaissance de Catherine, infirmière, intriguée par la présence d’un malade en ce lieu perdu. C’était une grande brune mince d’une cinquantaine d’années, avec des yeux très pâles, qui avaient du faire des ravages dans sa jeunesse. Elle n’avait pas le côté formel que j’exécrais chez les autres soignants et elle devint rapidement mon interlocutrice privilégiée dans la clinique, celle avec qui je pouvais bavarder de longs moments comme une amie normale.

    Le mois de mars était déjà bien entamé et le froid vif était revenu, faisant à nouveau disparaître mes vedettes de rock à cornes. Cela n’avait guère d’importance désormais, car ces créatures n’avaient plus pour moi qu’un intérêt strictement zoologique. J’avais maintenant la permission de sortir entre 13h00 et 18h00, et mes ballades m’emmenaient toujours plus loin dans la cambrousse vallonnée environnante, une très belle région en fait.

    Je crois que l’exercice physique m’aidait beaucoup à surmonter les effets délétères des drogues. Les jours rallongeaient et malgré l’obstination de l’hiver, je ressentais l’arrivée prochaine du renouveau printanier, cette période miraculeuse propice aux convalescences.

    Un matin que je parlais à Catherine d’un village situé à environ huit kilomètres de la clinique, elle me regarda, ébahie, et souffla : « Avec tout ce qu’on te refile, tu fais quinze bornes à pied par les chemins en allant là-bas ? Alors là tu m’épates ! ».

    Elle habitait précisément à la lisière de ce village et elle me proposa de passer boire quelque chose de chaud chez elle la prochaine fois que je m’y rendrai. « Moi ou mon ami on te ramènera en voiture » avait-elle ajouté.

    Je pris ainsi l’habitude d’aller sonner chez eux en milieu d’après midi. Catherine n’avait pas d’enfant et vivait avec un homme beaucoup plus jeune qu’elle. C’était un beau type, moniteur de sport de son état, avec qui je sympathisai tout de suite car c’était un amoureux éperdu de pop musique. Je passai aussi mes derniers dimanche dans la région en leur compagnie. On discutait beaucoup de son travail à elle, de ses rapports avec les malades, de ses collègues, de Kessler : « Un sale c.. » avait-elle signifié, catégorique.

    On écoutait beaucoup de musique avec son ami, pendant qu’elle, s’adonnait à sa marotte favorite, la peinture de ses « paysages intérieurs ». Le seul critère de jugement d’un tableau qui m’importe étant l’émotion qu’il procure, je crois pouvoir dire que cette femme savait peindre comme elle savait parler avec ses malades.

    L’avant-veille de mon départ, la veille du mois d’avril, elle m’avait pris à part pour me dire : « Il faut que tu t’en ailles de cette clinique. Tu vas beaucoup mieux et tu risques de replonger si tu restes ici. Coupe le cordon maintenant ». Le lendemain, un lundi, Kessler me fit appeler justement dans son bureau et m’accueillit avec une mine sévère :
    – Il parait (les murs avaient donc des oreilles) que vous partez en excursion jusque V… alors qu’il fait encore froid. Même si vous semblez aller beaucoup mieux, ce n’est pas une très bonne idée en regard des médicaments que vous prenez. Je pense qu’il est temps de mettre un terme à notre contrat.

    Je lui déclarai que c’était également mon avis, et que j’étais donc prêt à reprendre le train pour Lyon l’après midi même. Il me fit une ordonnance à renouveler une fois : « Vous reprendrez rapidement contact avec le docteur Machin Truc » et je le remerciai poliment pour toute l’aide thérapeutique qu’il m’avait apporté.

    Je passai voir Catherine dans son couloir et lui expliquai la situation :
    – j’ai l’impression que Kessler n’apprécie pas trop la relation particulière que j’entretiens avec l’une de ses soignantes.
    – Je t’avais bien dit que c’était un sale c..

    Pour me permettre de repartir tranquillement, elle me proposa de passer la nuit à venir chez eux, son compagnon m’emmènerait à la gare en allant à son travail le matin. J’acceptai volontiers.

    Nous eûmes ainsi une ultime soirée charmante, qui ressemblait à un pot de départ, car des amis à eux étaient venus nous rejoindre. J’essayai de trouver les mots pour leur dire à tous à quel point j’avais aimé notre rencontre, mais, effets conjugués de l’émotion et des médicaments, je me mis à bafouiller comme un débile. Catherine m’embrassa chaleureusement avant de monter se coucher –étant de matinée de service, elle devait se lever très tôt- et c’est la dernière fois que je la vis.

    Ces gens sont sortis de ma vie pour rentrer dans mes souvenirs quelques années plus tard.

    Nous avions auparavant eu des échanges épisodiques par téléphone et par courrier. La dernière lettre que je reçus d’elle était pour me dire qu’elle en avait trop marre du sale c.. et qu’elle allait quitter la région, ayant trouvé « quelque chose » de plus intéressant dans l’extrême Sud Ouest, le pays d’origine de son ami.

    J’ose espérer -j’ai toujours peur de trouver autre chose- qu’aujourd’hui elle jouit d’une retraite artistique paisible et méritée.

    Je ne restai pas à Lyon très longtemps, car à peine rentré dans ma mansarde, je pris connaissance du courrier d’un ancien employeur. Il dirigeait une entreprise sociale dans une grande ville voisine et me proposait un nouveau CDD (avec lui j’en ai aligné douze en dix ans) de 6 mois pour remplacer du personnel en formation. Parallèlement, c’est à cette époque que je me mis à faire des remplacements dans des hôtels.

    Je ne repris jamais contact avec le psychiatre Machin Truc, laissant entier son problème de cohabitation avec « les assistés ». Par contre, j’eus par la suite recours aux services d’un généraliste pour me sevrer des médicaments, car j’étais devenu un véritable toxico des psychotropes. Je fis plusieurs tentatives de psychothérapie, qui m’apparurent toutes rapidement comme des impasses, mais l’on rentre ici dans un autre débat…

    Rien n’est devenu tout rose dans mon humeur, les noirs corbeaux reviennent périodiquement s’aligner sur ma corde à linge, mais n’est pas Van Gogh qui veut, et je me dis que pour l’instant, cela tiendra bien comme cela.

    Chaque jour qui passe en ce moment, m’apporte justement son cortège de fascinantes mauvaises nouvelles qui valent le coup d’être reçues.

    C’est inéluctable, la lie de la société sur la frange de laquelle j’évolue, va bientôt être en position de faire à nouveau trembler le bourgeois. Cela d’autant plus que les complexes intellectuels sont en train de tomber. J’ai même entendu récemment une tenancière de WC publics parler de la crise financière en des termes à peu près cohérents.

    Si la théorie du « trickling down » chère aux libéraux, ne marche peut-être pas pour l’argent, elle fonctionne en revanche très bien pour les idées. Il faut au passage ne jamais se lasser de remercier les gens comme Paul, qui par leur travail facilitent (malgré eux ?) ce ruissellement là.

    Nous allons vivre l’un de ces moments historiques privilégiés où l’aveuglement des élites va réussir à souder le reste du corps social contre l’idéologie qu’elles professent. Cela ne durera pas, et il faut rappeler que l’installation du système qui explose actuellement sous nos yeux n’aura été possible que par l’adhésion presque sans réserve des classes moyennes dans les années quatre vingt.

    Gageons que nos bons maîtres sauront trouver d’autres carottes pour rallier à nouveau celles-ci. En attendant, il sera au moins permis à mes pareils de faire un peu de mauvais esprit.

    J’en reviens à vous, Catherine, pour vous préciser en quoi ce texte peut vous apporter à mon sens du réconfort. Quand je me remémore l’épisode qu’il rapporte, j’ai bizarrement l’impression que ce moment pénible de ma vie aura été aussi un moment heureux. Cela n’a été possible que par la grâce d’UNE personne, qui fait qu’aujourd’hui encore toutes les infirmières s’appellent pour moi Catherine (la preuve).

  8. Avatar de catherine
    catherine

    En général vos textes me touchent beaucoup Daniel, et celui-là bien évidemment un peu plus que les autres, on y sent souffler la fibre d’une belle âme, même si je le devine, le dire en ces mots vous déplaira, mais je ne sais pas le dire autrement, excusez-moi.

    Ce blog est un cadeau décidément, entre autre par la possibilité qu’il offre de créer de belles rencontres messagères qui agissent sur nos vies par exemple en re-donnant sens à des activités qui semblaient l’avoir perdu.

    Savoir que quelqu’un comme vous existe quelque part me fait du bien et m’aide à accepter la rudesse de certaines situations, ça me fait me sentir moins seule et un peu moins perdue, merci.

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