Pourquoi il n’y a pas de « création monétaire » par les banques commerciales, par Helmut Creutz

J’ai écrit hier que cela me prendrait cinq ans de mettre au point une théorie de la monnaie qui me satisfasse. Je n’avais envisagé qu’un seul cas : celui où nous serions seuls, vous et moi, travaillant ensemble. Or, j’ai reçu du renfort, par courrier. Ute Höft me fait parvenir un exemplaire de Le syndrome de la monnaie de Helmut Creutz, originellement paru en 1993 et traduit de l’allemand par Economica en 2008.

Je vais pouvoir gagner du temps parce que l’auteur analyse de nombreux aspects de la monnaie auxquels je n’ai pas encore l’occasion de réfléchir, et que sur ceux dont j’ai débattu ici, nous disons lui et moi strictement la même chose.

Donc si mes explications pourquoi les banques commerciales ne créent pas de monnaie ex nihilo vous ont convaincu, vous n’apprendrez peut–être pas grand-chose en lisant les pages du livre que je reproduis ci-dessous (169 à 171) mais si vous croyez toujours à la création monétaire par les banques commerciales, un autre auteur réussira peut-être là où j’ai échoué jusqu’ici.

(Vous reconnaîtrez au passage dans le texte de Creutz mon « principe de conservation des quantités », mon explication des masses monétaires en termes de double emploi, ma « reconnaissance de dette », ainsi que la distinction que je fais entre flux monétaires et opérations comptables).

La « surmultiplication de la création monétaire »

La plupart des livres d’enseignement affirment que les possibilités de création monétaire des banques sont en principe illimitées. Elles ne sont restreintes que par des ratios d’encaisse ou de réserves bancaires qu’elles doivent maintenir auprès des banques centrales ou d’émission, soit de plein gré, soit parce qu’elles y sont obligées. Et cette relation entre le montant des réserves et l’accroissement monétaire est même calculée par les théoriciens de la surmultiplication de la création monétaire avec une grande exactitude mathématique. Si les réserves se montent en tout à 5 % du portefeuille des dépôts, les banques peuvent, à partir de chaque dépôt bancaire effectué créer un montant de crédit dix-neuf fois supérieur, neuf fois supérieur en cas de réserves de 10 % et quatre fois supérieur en cas de réserve de 20 %. Le résultat de la création monétaire est donc inversement proportionnel au montant des réserves retenues.

[Prenons l’exemple de 100 millions provenant d’une banque d’émission, soumis à des réserves fractionnaires de 10 %, et qui créeraient ainsi des « fonds de crédit » de 900 millions.]

En additionnant les crédits accordés en chaîne on arrive dès la troisième étape à un montant de 244 millions. En continuant ainsi la série infinie où les valeurs diminuent d’étape en étape, effectivement on arrive arithmétiquement à une somme de 900 millions, soit neuf fois plus que l’apport initial de 100 millions.

Mais si l’on reprend les opérations, pas à pas, en laissant la théorie de côté, on constate :

1) que lors de chaque réutilisation du premier dépôt supposé de 100 millions, suite au crédit qu’il a permis d’accorder, il se produit à chaque fois un nouveau dépôt d’un client quelconque de la banque, dépôt qui, bien entendu, peut être de nouveau prêté ;

2) que l’enchaînement des octrois de crédits et des constitutions de réserves par les banques tel qu’il est décrit ne peut se faire qu’aussi longtemps qu’aucun des déposants ne dispose de son avoir en effectuant un retrait ou un virement ;

3) qu’en réalité, au fil du processus, on n’assiste nullement à un accroissement de la masse monétaire mise en circulation, de quelque manière que ce soit, mais toujours à une réutilisation, tandis que, à chaque étape, la masse monétaire réellement existante est inéluctablement le résultat de l’addition des réserves constituées jusque-là et du crédit accordé en dernier, et équivaut au montant initial de 100 millions ;

4) que non seulement il ne se produit pas d’accroissement de la masse monétaire mais, qu’en fait, en ce qui concerne la masse monétaire active et axée sur la demande, elle diminue même constamment, étant donné que sur les 100 millions initiaux, des montants de plus en plus élevés sont gelés dans les réserves des banques jusqu’à être totalement absorbés ;

5) que l’utilisation répétée de la monnaie, que ce soit pour procéder à des achats, la prêter ou en faire cadeau, n’accroît jamais sa masse mais uniquement les opérations d’achats, de prêts ou de dons ainsi effectués, qui, bien entendu, additionnées, donnent des montants de plus en plus élevés.

Les faits énumérés ci-dessus sont encore plus clairs lorsqu’on se représente cet enchaînement, non pas au niveau de banques, mais au niveau d’opérations commerciales, et qu’il s’agit non plus de prêts à répétition mais de ventes à répétition. Là aussi, on peut supposer que chaque commerçant met dix pourcent de sa recette de côté et qu’il dépense le reste directement ou indirectement dans un autre magasin pour faire des achats. Là encore, l’addition des opérations d’achat donnerait le même résultat que celles des opérations de crédit dans le cas de la « surmultiplication de la création monétaire ». Et pourtant personne n’irait prétendre que la masse monétaire a été multipliée par neuf ou que les commerçants ont créé 900 millions [ex nihilo].

Où est donc l’erreur de raisonnement de certains théoriciens ?

L’erreur de la théorie classique de la création monétaire réside dans le fait qu’on additionne des avoirs ou des crédits se reconstituant au fil du temps, ou des postes de crédit, aux montants reçus au départ et qu’on déduit de cette addition qu’il y a une création monétaire ou une création de crédit. En d’autres termes : cette théorie assimile l’utilisation multiple de l’argent à un accroissement, elle confond moyen de transport et opération de transport. Mais, pas plus que l’utilisation répétée de wagons ou de camions pour des transports n’entraîne un accroissement du nombre de wagons ou de camions, l’utilisation répétée d’argent pour des achats ou des prêts n’entraîne un accroissement de son montant.

L’erreur de raisonnement et d’interprétation des théoriciens de la création monétaire est sans aucun doute due en grande partie au fait que l’on continue à considérer les avoirs et les portefeuilles de crédit comme du numéraire. Or, en fait, il ne s’agit que de postes de comptabilisation qui documentent le montant des prêts d’argent et les obligations de remboursement qui en résultent, sans que ceux-ci fassent augmenter la masse monétaire en circulation. C’est pourquoi tous les regroupements de numéraires et de dépôts sous la rubrique « masse monétaire » sont si discutables. Ceci vaut surtout pour l’addition des M1 et M3.

Helmut Creutz, Le syndrome de la monnaie, Economica, Paris (2008) : 169-171.

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272 réponses à “Pourquoi il n’y a pas de « création monétaire » par les banques commerciales, par Helmut Creutz”

  1. Avatar de Patrick Barret
    Patrick Barret

    @ Shiva & tigue

    http://fr.wikisource.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Rabelais

    Voir « Le Tiers Livre » (arrêté malheureusement d’être mis en page le 4 août 2007 à 11:01)

  2. Avatar de Shiva
    Shiva

    @Brieuc Le Fèvre

    Point 2: je l’avais interprété comme le retrait d’un dépôt par un déposant (spontané) ayant permis un crédit par la banque (crédité).

  3. Avatar de fab
    fab

    @ Brieuc Le Fèvre

    « C’est pourquoi le système bancaire actuel est souvent considéré par ses détracteurs comme un “aspirateur à richesses réelles”, au bénéfice des acteurs de ce système, et au détriment du bien commun. Ce qui, à mon sens, n’est pas faux, et amène à une réflexion POLITIQUE sur les rôles de la finance, de la banque, et de la monnaie au sein de nos sociétés qui se disent “démocratiques”. »

    A vous l’honneur, s’il vous plaît.

  4. Avatar de Patrick Barret
    Patrick Barret

    @ fab

    Brieuc Le Fèvre a dit le 7 décembre 2008 à 18:01 sur « Notre débat sur la monnaie : et si c’était à refaire ? »

    La monnaie doit représenter une réalité matérielle, parce que son rôle premier est de permettre l’échange du travail.

    L’équivalence monnaie-production dépend du temps et du lieu de l’échange. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai l’habitude de dire que la monnaie est une représentation symbolique et conventionnelle de la valeur du travail.

    Et en mixant les deux, je me trouve aussi d’accord avec moi-même (ouf! J’échappe à la schizophrénie cette fois encore! 😉 ), à savoir que la monnaie est une pure création humaine, sans réalité objective, et qui doit donc, pour avoir un sens, se rattacher à une production réelle. Ceci me permet de penser que le fondement même du capitalisme financier (créer de l’argent à partir de l’argent) est une aberration, de même que l’idée qu’une “croissance” bénéficiant à l’humanité puisse se dégager de la spéculation, des produits dérivés, des paradis fiscaux, etc.

    La monnaie doit être créée par la production, et éventuellement pour la production, c’est à dire par anticipation (crédit), et sans intérêt.

    Ce qui, pour nous ramener au sujet principal de ce fil, implique de retirer aux banques privées le privilège de créer la monnaie (pour ceux qui croient à cette version, et j’en suis), ou à leur reprendre le privilège d’être seules à décider de l’allocation de la monnaie aux initiatives humaines (pour ceux qui pensent que la monnaie préexiste à son prêt par une banque privée). Dans les deux cas, il sera nécessaire, pour le bien commun, de repenser sérieusement le fonctionnement du circuit monétaire.

  5. Avatar de Étienne Chouard

    @ Nadine :

    Vous me dites :

    « @ Étienne Chouard

    Vous dites : “Si j’ai bien compris, quand une banque prête de l’argent (quand elle reconnaît une nouvelle dette contre elle), il n’est pas question de réutiliser de la monnaie existante : LA BANQUE N’A PAS LE DROIT DE PRÊTER L’ARGENT QUI M’APPARTIENT, elle n’a pas le droit de céder la créance que j’ai contre elle, je suis le seul, en droit, à pouvoir faire ça.

    Êtes-vous si sûr de ce que vous avancez ? Car ce que vous dites est CAPITAL.

    Retrouvez le texte de loi qui l’interdit et vous aurez gagné “la bataille” de la création ex nihilo ; si vous avez tort ou que vous ne puissiez pas le prouver, alors c’est Paul Jorion qui a raison. »

    Je suis en train d’en préparer une démonstration comptable avec Jean Bayard (la comptabilité des banques laisse peu de place à la fantaisie et permet de « voir » la création monétaire en pleine lumière), mais Eminence Thénar a déjà correctement étayé mon affirmation en s’appuyant, lui, sur un texte de la Réserve Fédérale américaine de Chicago (à vérifier peut-être ?).

    Je rappelle ce passage de l’explication d’Eminence Thénar que je trouve important :

    @ Paul Jorion : J’ai déjà précisé les pages importantes : 6 à 11.

    La différence entre l’explication de Modern Money Mechanics (MMM) et votre théorie :

    – vous dites que si une banque reçoit 1000 en dépôt d’un individu A, elle en garde 100 et en prête 900 lors d’un crédit à un individu B. Il y a conservation des quantités. Si B ne rembourse pas, et que la banque n’y pallie pas (par l’ensemble de ses fonds), A a perdu son dépôt. Cela signifie que A et B ne peuvent utiliser leurs comptes en même temps (s’ils représentent tous les clients de la banque).

    MMM explique que si une banque commerciale reçoit 1000 en dépôt de A, elle en garde la totalité (1000) et crée 900 lors d’un crédit pour les prêter à B. LES INDIVIDUS A ET B PEUVENT TOUS LES DEUX UTILISER LEUR SOMME POUR LA DÉPENSER, PERSONNE NE PERD SON POUVOIR D’ACHAT.

    The important fact is that these deposits do not disappear. They are in some deposit accounts at all times. All banks together have $10,000 of deposits and reserves that they did not have before. However, they are not required to keep $10,000 of reserves against the $10,000 of deposits. All they need to retain, under a 10 percent reserve requirement, is $1000. The remaining $9,000 is “excess reserves.” This amount can be loaned or invested. See illustration 2.

    If business is active, the banks with excess reserves probably will have opportunities to loan the $9,000. Of course, they do not really pay out loans from the money they receive as deposits. If they did this, no additional money would be created. What they do when they make loans is to accept promissory notes in exchange for credits to the borrowers’ transaction accounts. Loans (assets) and deposits (liabilities) both rise by $9,000. Reserves are unchanged by the loan transactions. But the deposit credits constitute new additions to the total deposits of the banking system.

    Il me semble que cette explication de la Réserve Fédérale colle parfaitement avec la formulation que je proposais hier, quand je disais :

    Nous devrions d’abord correctement DÉFINIR le mot MONNAIE, en terme simples.
    Une bonne formulation, je trouve, est de se représenter la monnaie comme
    UN SIGNE DOTÉ D’UN POUVOIR D’ACHAT.

    Un signe MATÉRIALISÉ (pièce ou billet) ou DÉMATÉRIALISÉ (solde d’un compte bancaire).

    Aujourd’hui, il semble que TOUS ces signes soient des RECONNAISSANCES DE DETTES :
    – soit des DETTES DE L’ÉTAT (billets et pièces),
    – soit des DETTES DES BANQUES (provision des DAV, dépôts à vue).

    Des reconnaissances de dettes suffisamment FIABLES, émises par des débiteurs suffisamment indestructibles, pour inspirer CONFIANCE à tout le monde et servir de MOYEN D’ÉCHANGE.

    L’échange a lieu en faisant CIRCULER LE TITRE de la dette (titre éventuellement dématérialisé, peu importe), un peu comme on fait circuler une traite ou un chèque par endossement (sauf qu’il n’y a pas toujours besoin d’endos : pour la monnaie fiduciaire –billets et pièces–, on n’a pas besoin de signer au dos du titre pour céder la créance).

    Les mécanismes de la CIRCULATION MONÉTAIRE s’apparentent donc à la CESSION DE CRÉANCE.

    (…)

    • LA MONNAIE SCRIPTURALE (les soldes créditeurs sur les comptes bancaires, la provision de ces comptes) sont la reconnaissance d’une DETTE D’UNE BANQUE au bénéfice du PORTEUR, reconnaissance de dette si fiable, si peu suspecte d’être jamais trahie, que tout le monde l’accepte généralement.

    Le porteur de cette créance contre la banque (le titulaire du compte en banque) dispose donc d’un POUVOIR D’ACHAT, un moyen d’accéder tout de suite à des richesses réelles.

    Si la banque (en échange des CONTREPARTIES qui lui conviennent, PEU IMPORTE LESQUELLES, ceci est un point décisif) crée (accepte de reconnaître) de NOUVELLES DETTES (de nouvelles provisions dans ses comptes), ELLE CRÉE DU POUVOIR D’ACHAT en proportion.

    ELLE PEUT le faire parce que tout le monde lui fait CONFIANCE.

    (…)

    Si j’ai bien compris, quand une banque prête de l’argent (quand elle reconnaît une nouvelle dette contre elle), il n’est pas question de réutiliser de la monnaie existante : LA BANQUE N’A PAS LE DROIT DE PRÊTER L’ARGENT QUI M’APPARTIENT, elle n’a pas le droit de céder la créance que j’ai contre elle, je suis le seul, en droit, à pouvoir faire ça.

    Elle peut CRÉER (prêter) une somme CORRESPONDANTE, mais PAS prêter CETTE SOMME-LÀ.

    Par contre, –probablement parce que les dépôts qu’elle détient dans ses livres sont une sorte de signe de la confiance que de nombreux acteurs lui portent–, le fait que j’ai 100 de provision en DAV chez elle (100 de créance contre elle) lui permet (légalement, mais est-ce bien légitime ?) de CRÉER DE LA MONNAIE SUPPLÉMENTAIRE EN PROPORTION, POUR LA PRÊTER À D’AUTRES, ce qui, indubitablement, crée du pouvoir d’achat, puisque je n’ai rien perdu de mon propre pouvoir d’achat, moi dont la provision sert de « réserve prudentielle ».

    _________________________

    => Donc, à mon avis, Helmut Creutz se trompe dès le départ quand il dit :

    Mais si l’on reprend les opérations, pas à pas, en laissant la théorie de côté, on constate :

    1) que lors de chaque réutilisation du premier dépôt supposé de 100 millions, suite au crédit qu’il a permis d’accorder (…)

    Son erreur (l’erreur de Paul ?), c’est que le crédit bancaire ne RÉUTILISE PAS les dépôts, il CRÉE la monnaie nécessaire au prêt en quantité PROPORTIONNELLE aux dépôts, sans toucher aux dépôts, ce qui est très différent.

    IL N’Y A PAS « CONSERVATION DES QUANTITÉS ».
    ____________________

    Par ailleurs, l’image des BALLONS (celle de Boris) ne me paraît pas pertinente, car elle introduit une CONFUSION entre la richesse réelle (les biens que la monnaie permet d’acquérir, comme les ballons) et la monnaie elle-même qui ne doit pas être perçue autrement, je pense, que comme UNE CRÉANCE contre la banque ou contre l’État, créance transférée quand la monnaie circule et détruite quand la créance est remboursée.

    Tous les livres universitaires qui expliquent la création monétaire que j’ai à la maison décrivent la création monétaire par les banques privées. Je m’étonne qu’on en soit encore ici à contester ce mécanisme de base.

    Et je ne vois pas pourquoi la pensée (passionnante par ailleurs, semble-t-il) de ce « technicien, puis entrepreneur et enfin architecte indépendant, mais aussi moniteur d’aviation, inventeur et auteur » qu’est Helmut Creutz recueille auprès de Paul autant de crédit alors qu’il n’est, finalement, pas beaucoup plus expert que nous tous ici (mais je peux me tromper) 😉

    __________________

    Si on cherche, on retrouve la création monétaire par les banques privées « à tous les coins de rue », au détour de tous les documents les plus officiels et les plus sérieux.

    Par exemple, dans ce bulletin de la Banque de France n°73, page 61, intitulé « Sources et mécanismes de la création de monnaie dans le cadre de l’Eurosystème », on peut lire :

    « L’accroissement de la masse monétaire peut alors procéder du circuit traditionnel crédit-dépôt : le crédit accordé par une banque se traduit par une mise à disposition de l’emprunteur d’une quantité de monnaie, elle-même enregistrée sous forme de dépôt à vue, le bilan global des IFM s’accroissant ainsi de manière égale à l’actif et au passif. Les établissements de crédit peuvent également créer de la monnaie lorsqu’ils achètent des titres au secteur détenteur de monnaie. »

    Autre exemple, sous la plume de Monsieur Trichet (page 4), qui ne passe pas pour un farfelu dans ce domaine, on peut lire :

    « Naturellement, nous suivons également attentivement l’évolution des contreparties de M3, c’est-à-dire les sources de la création monétaire, et plus particulièrement les crédits à l’économie, (…) »

    Encore un exemple, assez gratiné : dans un document intitulé « les contreparties de la masse monétaire M3 et leur évolution en 1994… », la Banque de France nous explique :

    (…) l’accroissement des créances nettes des institutions financières SUR L’ÉTAT a constitué une source TRÈS SIGNIFICATIVE de création monétaire.

    C’est-à-dire que les crédits consentis par les banques aux États sont bien, eux aussi, à base de création monétaire (et, je le rappelle au passage, moyennant un intérêt non nécessaire que je considère –jusqu’à ce qu’on m’ait démontré sa légitimité– comme scandaleux).

    Dans ce même document de la Banque de France, on peut lire (mais faut-il encore des preuves ?!) :

    Les différentes opérations à l’origine de la création monétaire et de la variation du stock de monnaie sont directement retracées, ou trouvent leur image, au sein des bilans des institutions financières qui créent et gèrent la monnaie. Ces éléments des bilans des institutions financières sont regroupés dans les statistiques monétaires sous le terme de contreparties de la masse monétaire.

    Les contreparties, comme l’agrégat de monnaie M3, sont établies à partir des bilans agrégés de la Banque de France, des établissements de crédit et assimilés, ainsi que des OPCVM, auxquels sont ajoutés les éléments de l’activité monétaire du Trésor et de La Poste.

    Alors que M3 correspond à la fraction monétaire du passif du bilan de ces organismes, les contreparties de M3 regroupent l’ensemble des autres éléments de ce bilan, c’est-à-dire l’actif et les postes non monétaires du passif. Elles fournissent ainsi une information précieuse sur les modalités de la création monétaire.

    La création monétaire se réalise de deux façons principales :

    – lorsque les institutions financières mettent de la monnaie à la disposition d’un agent non financier résident en contrepartie d’acquisition de créances sur l’étranger ;

    – lorsqu’elles consentent aux agents non financiers résidents des financements nouveaux.

    Les principales contreparties concernent donc respectivement la création monétaire d’origine externe, les créances nettes sur l’extérieur, et celle qui est d’origine interne, le crédit interne, subdivisé en créances nettes sur l’État et créances sur l’économie.

    En fait, TOUTES les pages de la Banque de France consultables sur le sujet de la création monétaire confirment que ce sont les banques privées qui créent la monnaie, chaque fois qu’elle accordent un crédit, que ce soit aux entreprises, aux particuliers ou à l’État.

    Cher Paul, est-ce que ces sources ne sont pas « sérieuses » ?

    Est-ce que la Banque de France ne publie pas des documents d’« experts de la finance » ?

    Cher Paul, je vous renouvelle ma requête, pressante : donnez-nous, s’il vous plaît, les noms de ces auteurs et les titres de ces ouvrages que vous évoquiez il y a peu comme des références expertes nombreuses prouvant cette évidence selon vous que les banques ne créent pas la monnaie qu’elles prêtent, donnez-nous des indications précises de pages à lire, des citations… des références indiscutables en un mot.

    Merci pour votre patience et pour tout ce que vous faites.

    Amicalement.

    Étienne.

  6. Avatar de nuknuk66
    nuknuk66

    Tiens : je tombe par hasard sur un excellent article de François Grua paru dans le Recueil Dalloz 1998 qui devrait pouvoir alimenter votre (passionnante) réflexion :

    Le dépôt de monnaie en banque

    1 – La pratique du dépôt de monnaie en banque est la plus simple qui soit. Pourtant son analyse juridique a toujours laissé une impression d’embarras.

    D’où la tentation d’imaginer qu’elle aurait pu se fourvoyer dans ses prémices et qu’en éliminant les fausses pistes le droit lui aussi saurait être simple.

    D’où les quelques antithèses qui suivent.

    1. La garde de la chose n’est pas essentielle

    2 – Si on a pris l’habitude de déposer son argent en banque, ce n’est pas tellement pour le conserver à l’abri des voleurs ou du feu. C’est à cause d’une limite naturelle des espèces monétaires : elles se prêtent mal aux paiements importants et à distance. Les hommes n’ont jamais trouvé mieux qu’elles pour résoudre leurs échanges, mais leur remise implique des déplacements ennuyeux et risqués. Il est bien commode de se décharger du transit sur un banquier, qui met l’argent là où on veut qu’il aille.

    Le principal dessein du déposant est donc d’utiliser plus aisément son argent, au moyen d’ordres qu’il adressera à sa banque (chèques, virements, etc.). Telle est au départ l’originalité majeure de ce contrat : une manière de se dessaisir d’une chose pour la rendre mieux apte à son emploi.

    3 – Cette considération porte à laisser de côté la discussion classique, qui s’enlise vite, de savoir si le contrat tient du dépôt proprement dit (quoique irrégulier) ou plutôt du prêt. Ni l’un ni l’autre n’ont été conçus pour permettre au remettant de mieux utiliser lui-même la chose.

    La garde peut être mise hors sujet, d’autant qu’elle n’a franchement guère de sens, appliquée à une chose qui n’a pas vocation à dormir. Le sujet véritable réside dans ce tour de prestidigitation juridique grâce auquel on parvient à conserver pour soi ce qu’on donne.

    2. Le dépôt de monnaie ne transfère aucun droit de propriété

    4 – Une idée communément admise, même par la Cour de cassation, est que le dépôt transfère au banquier la propriété des espèces sur lesquelles il porte. La jurisprudence évite de qualifier le contrat, mais ses effets principaux seraient ceux du dépôt irrégulier : les espèces étant choses de genre, le déposant en perd la propriété dès leur remise et ne dispose plus que d’un droit de créance(1).

    Mais cette idée de transfert de propriété est une fiction, car en réalité les espèces ne semblent pas des choses dont on soit propriétaire. Elles ne sont pas des biens.

    5 – La monnaie est la seule chose qui soit faite uniquement pour être due. Sa seule fonction est d’être objet d’obligation. Cela donne un rapport singulier entre l’obligation monétaire et son objet. A la différence des autres sortes d’obligations, qui vont chercher leur objet parmi les choses qui ont par elles-mêmes une utilité, des choses qui existent autrement que par le fait qu’elles sont dues, qui sont des biens, les obligations monétaires se fabriquent un objet rien que pour elles. La monnaie accède ainsi à l’état d’objet de l’obligation sans avoir eu besoin de passer préalablement par l’état de bien.

    Devient-elle alors un bien parce qu’elle est objet d’obligation ? Tel est probablement le cheminement de ceux qui croient en sa propriété. Mais il ne suit pas l’ordre logique des facteurs. C’est la qualité de bien qui permet normalement à une chose de devenir objet d’obligation, pas l’inverse. Une chose est ou n’est pas un bien ; elle ne le devient pas par la fonction juridique qu’on lui fait remplir.

    6 – Si malgré tout l’idée de propriété des espèces conserve quelque vraisemblance, c’est à cause d’une certaine propension de l’esprit à leur prêter une valeur. Quoique dans la réalité elles ne vaillent rien, pas même leur coût de fabrication, on s’imagine volontiers qu’elles portent cependant une valeur, vu qu’elles permettent d’acquérir des choses qui elles-mêmes en ont une. Un billet de banque serait, somme toute, comme un petit tableau de maître, ou sa reproduction, qu’on aurait artificiellement doté d’une valeur de convenance afin qu’il puisse s’échanger avec n’importe quoi. Les espèces seraient donc au moins des biens artificiels.

    Mais cette fiction n’apporte à la monnaie rien dont elle ait besoin. Ce n’est pas elle qui explique les vertus de la monnaie et la convoitise qu’elle suscite. Un marteau est recherché pour la force de frappe qu’il contient ; un litre de lait, pour ses lipides. Au contraire les espèces sont des choses faites uniquement pour être remises, donc détenues. Elles sont recherchées pour leur seule détention, qui est une fin en soi, parce qu’elle est la condition nécessaire et suffisante de leur utilisation. Peu importe donc ce qu’elles contiennent. Ce n’est pas dans la chose, mais dans le fait de sa détention que réside la capacité d’achat.

    Ce n’est pas non plus en prêtant de la valeur aux espèces qu’on expliquera le phénomène du paiement, c’est-à-dire de l’extinction de la dette par leur remise. Un paiement avec de la monnaie n’est pas un échange entre deux choses regardées comme portant en elles, chacune de son côté, une égale quantité de valeur. Ce n’est pas l’équivalence avec ce qu’on acquiert qui fait le paiement. La monnaie n’est équivalente à rien, car il faut qu’elle soit rien pour être tout, contrairement aux autres choses, qui parviennent à être quelque chose en étant juste ce qu’elles sont. La monnaie n’éteint pas la dette par voie d’égalité, mais par voie d’autorité.

    7 – A s’en tenir à la réalité, les espèces parviennent à remplir leur fonction en étant rien, rien que des signes, sans avoir à singer les biens. Monnaie et obligation monétaire n’existent que l’une par l’autre et échappent au néant en s’accrochant l’une à l’autre, en marge du droit des biens(2). Mieux vaut donc alléger l’analyse du dépôt de monnaie de cette idée de propriété qui l’encombre(3). Ce contrat est une remise volontaire d’espèces, un transfert de détention, ni plus ni moins.

    3. L’argent n’est pas déposé pour être restitué

    8 – Il y a deux manières d’utiliser la monnaie. Remise en paiement, elle éteint une dette. Remise sans dette, elle fait naître une créance.

    Certains contrats sur l’argent ont précisément pour fonction d’exploiter cette seconde virtualité de leur objet. Ainsi le prêt à intérêt. Si le prêteur abandonne ses espèces, ce n’est pas pour rendre service à l’emprunteur, mais parce qu’il préfère une créance à des espèces. Il remet l’objet d’une créance qui n’existe pas pour devenir titulaire d’une créance ayant cet objet. Il troque, pour ainsi dire, ses espèces contre une créance. C’est que les espèces ne produisent pas directement de fruits. Seules les créances ont cette vertu, seules elles produisent intérêts.

    Le principe du dépôt en banque est le même. Lui aussi n’est qu’un paiement à l’envers. Lui aussi a pour but de fabriquer une créance avec de la monnaie.

    En soi ce but n’a rien d’original : tous les contrats sont conclus pour faire naître des créances. Mais d’ordinaire, ce qui intéresse un créancier n’est pas vraiment la créance, c’est son paiement. De lui viendra sa véritable satisfaction. Au contraire, dans le dépôt de monnaie en banque, le déposant n’attend pas sa satisfaction de l’exécution par le banquier de l’obligation de restitution qui naît, car seul un fou déposerait son argent pour le plaisir qu’on le lui rende. Ce que désire le déposant est simplement l’état de créancier. Cela lui suffit. Dans l’immédiat, il est satisfait sans paiement, parce qu’il trouve dans sa créance exactement ce qu’il cherche : l’origine de cette prérogative qui va lui permettre de disposer des espèces du banquier, comme si c’était les siennes, pour régler les tiers.

    9 – Cette prérogative tient à un mécanisme général du droit des obligations : toute créance de somme d’argent, pas seulement sur un banquier, est une réserve d’espèces à la disposition du créancier, car un créancier peut demander à son débiteur de porter les espèces à un tiers qu’il lui indique. Cette figure juridique, connue sous le nom d’indication de paiement, est prévue par le code civil dans ses art. 1277, al. 2, et 1937.

    Elle suppose le consentement du débiteur, le créancier n’étant sûrement pas en droit de lui imposer contre son gré le surcroît de charge qu’implique le transport des fonds au tiers indiqué. Dans le cas du dépôt en banque ordinaire, le consentement du banquier est normalement acquis d’avance, par l’ouverture du compte, qui contient ce service particulier. Mais c’est dire que l’accord des volontés se situe hors du dépôt. Le dépôt a bien pour but de placer des fonds à la disposition du déposant, mais à lui seul il n’y parvient pas. Il ne fait que créer une situation : rendre le déposant créancier. Un autre contrat est nécessaire pour exploiter cette situation. Le dépôt n’est qu’une étape dans la production des effets qui en sont attendus, mais qui ne sont pas produits par lui.

    Il y a d’ailleurs des dépôts qui n’ouvrent pas la possibilité de disposer des espèces du banquier en ordonnant à celui-ci de payer des tiers. C’est le cas de ce qu’on appelle le gage-espèces. Sa différence essentielle avec le dépôt en banque ordinaire est qu’il engendre une créance nue, non assortie du droit de disposer des espèces du banquier.

    10 – Ce qui précède conduit à distinguer deux manières pour le déposant d’utiliser sa créance pour payer les tiers. Il peut d’abord la céder. Alors c’est une créance qui change de titulaire. Le tiers cessionnaire est investi du droit de réclamer paiement au banquier. Mais le déposant peut aussi demander au banquier de transférer des espèces à un tiers qu’il lui indique. Alors ce sont des fonds qui changent de mains. Le tiers n’est investi d’aucun droit sur le banquier dépositaire. Son rôle se borne à recevoir les fonds qui lui sont adressés.

    La pratique bancaire utilise les deux procédés. Ainsi un chèque est de par la loi un mode de transfert de créance, la provision. Au contraire, le virement est un mode de transfert d’espèces, non d’une créance, puisque ce n’est pas le bénéficiaire, mais le déposant, qui donne l’ordre de payer.

    11 – Ces vues divergent de celles qui sont communément admises en doctrine aujourd’hui. L’analyse habituelle part aussi de la constatation que le déposant est titulaire d’une créance, mais elle considère qu’un droit de cette nature ne répond pas aux exigences de la pratique, car les transmissions de créances sont des opérations compliquées (cf. art. 1690 c. civ.) et peu sûres (cf. opposabilité des exceptions). La pratique aurait besoin que ces créances nées de dépôts se transmettent aussi simplement et aussi sûrement que les espèces. Elle cherche donc à assimiler ces créances à des espèces. Elle découvre la solution dans une fiction, encore une : celle que les créances nées de dépôts s’incorporent dans les écritures en compte, comme elles s’incorporent dans les effets de commerce, de sorte qu’elles se transmettraient par simple jeu d’écritures. Ainsi s’expliquerait le virement.

    La doctrine monétaire recourt volontiers aux fictions, quoique l’utilisation de la monnaie paraisse bien naturelle à tout le monde et qu’on n’explique pas les phénomènes naturels à coup de fictions. Elles permettent évidemment à la pratique de retomber sur ses pieds, mais sans souplesse. Et l’ennui, avec elles, c’est le risque que le profane ne se laisse gagner par l’impression qu’il est en face d’un rideau de fumée derrière lequel seuls les initiés ont accès et qu’ils s’y taillent à leur aise leur petit empire dans le savoir. Mieux vaut se passer d’elles quand on le peut.

    Or aucune fiction n’est nécessaire pour expliquer la simplicité du virement. C’est très naturellement qu’il est un transfert d’espèces, non de créance. Il suffit de voir qu’il est une forme d’indication de paiement. Ce n’est pas parce que les dépôts engendrent des créances que les virements sont a priori des transferts de créances. C’est au contraire ce qui leur permet d’être des transferts d’espèces, des espèces détenues par le banquier débiteur.

    Cette fiction que les écritures en banque sont comme des espèces est à la rigueur acceptable quand elle ne fait que décrire la réalité, c’est-à-dire quand, derrière la créance du déposant, on trouve en effet des espèces mises à disposition par le banquier. Mais quand ce n’est pas le cas, elle fausse l’analyse. Ainsi dans le gage-espèces, on ne saurait assimiler la créance qu’il fait naître à des espèces, à moins de donner à fond dans cette fiction que toute écriture en banque est comme des espèces et tomber dans le piège qu’on s’est soi-même tendu.

    4. Les avoirs en banque ou « monnaie scripturale » ne sont pas assimilables aux espèces monétaires
    12 – Les économistes ont sûrement les meilleures raisons d’assimiler les avoirs en banque à des espèces et de parler de « monnaie scripturale ». Mais pour les juristes subsisteront toujours des différences irréductibles.

    13 – Les avoirs en banque ne sont pas des instruments de paiement aussi complets que les espèces, parce qu’ils n’apportent pas au créancier une satisfaction égale, quelle que soit la manière dont ils sont utilisés.

    Quand un créancier reçoit l’avoir de son débiteur à l’état de créance par exemple dans un chèque, il n’est pas payé, car une remise de créance ne vaut pas paiement. Seul l’encaissement de cette créance vaut paiement(4). Donc, dans cette hypothèse, l’avoir reste ce qu’il est : une créance.

    Et quand le créancier reçoit l’avoir par virement, alors il reçoit bien des espèces(5) et il est payé. Mais ces espèces passent aussitôt pour lui à l’état de créance, sous forme d’avoir dans son propre compte. Or cette forme ne lui convient pas nécessairement, car une créance est une chose vulnérable. Elle se compense sans qu’on y puisse rien, elle se saisit, elle se prescrit, elle se bloque, elle est exposée au contentieux, serait-il infondé. C’est pourquoi cette forme de paiement est subordonnée en principe au bon vouloir du créancier. Hors quelques exceptions d’inspiration fiscale, on n’est pas obligé de recevoir son dû sous forme d’avoir en banque. Autrement dit, à la différence des espèces, la « monnaie scripturale » n’a pas cours légal, et c’est là un attribut monétaire fondamental qui lui manque. La monnaie ne valant que par sa capacité de réutilisation, le cours légal est la garantie juridique, pour celui qui la reçoit, qu’il pourra l’utiliser à son tour en l’imposant en paiement à ses propres créanciers. Sans cette garantie, la satisfaction du créancier prend en droit un caractère aléatoire. C’est donc seulement en fait que les avoirs en banque jouent le rôle de monnaie ; et même en fait ils n’y parviendraient pas si, derrière eux, il n’y avait les espèces(6).

    14 – De manière plus générale, ce n’est pas en baptisant monnaie ce qui est un droit qu’on fera oublier au créancier qu’on ne paye pas avec un droit. Ni un droit de créance ni un droit de propriété. Aucun créancier ne sera d’accord si son débiteur lui dit : « J’ai oublié chez moi sur le manteau de la cheminée les espèces que je devais vous remettre. Elles y sont parfaitement individualisées. Je vous en transfère la propriété. Vous voilà payé ». Le droit peut préparer la satisfaction du créancier, il peut l’entourer de garantie, mais il ne peut pas la créer. Ce qu’il faut au créancier, ce n’est pas un droit à la chose ou sur la chose, mais la chose elle-même(7).

    15 – Les rapports des espèces et des avoirs en banque avec le droit privé sont foncièrement différents.

    Les espèces, face au droit, sont comme l’amour ou l’enfant de Bohème : la répulsion est immédiate et réciproque. Dostoïevski a dit que l’argent, c’est la liberté frappée. Donc le non-droit. Les espèces s’y réfugient d’autant mieux qu’elles ne sont pas des biens, qu’elles ne sont rien. La régularité et la moralité n’y trouvent pas toujours leur compte, mais c’est pareil pour toutes les libertés, et après tout celle-là en vaut d’autres qui sont homologuées comme publiques dans les ouvrages spécialisés(8).

    Les avoirs en banque n’ont pas ce charme anarchique. Ils sont du droit, puisqu’ils sont créances. Contrairement aux espèces, qui ne sont pas faites pour être individualisées, et même faites pour ne pas l’être, les avoirs le sont nécessairement sous leur forme d’écritures. On le suit à la trace dans le dédale des comptes. On décèle leur origine et leur destination. L’oeil des autres, et leur nez, s’y insinue aisément(9). Ils sont congénitalement sujets aux contrôles étatiques. Ils obligent à rendre des comptes. Bref, la liberté de Dostoïevski se laisse mal déposer en banque(10).

    Il y a là un paradoxe. Le droit ne peut pas vraiment tenir la « monnaie scripturale » pour de la monnaie, précisément parce qu’elle est du droit, seulement du droit.

    Conclusion

    16 – Si les analyses qui précèdent sont exactes, le dépôt de monnaie en banque est le contrat le plus simple de tout le droit des obligations. Sa seule finalité, son unique effet, est la naissance d’une créance monétaire. Cette créance permet de déplacer de la monnaie, mais elle ne se métamorphose pas elle-même en monnaie. Créance elle est, créance elle reste.

    Notes

    (1) Ainsi Cass. 1re civ., 7 févr. 1984, Bull. civ. I, n° 49 ; Defrénois 1984, art. 33427, note Larroumet. L’idée d’un transfert de propriété de la monnaie par le dépôt conduit aussi à analyser le gage-espèces comme une aliénation fiduciaire à titre de garantie. Cf. Cass. com., 3 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 165 ; JCP 1997, II, n° 22891, rapp. Rémery ; D. 1998, Jur. p. 61, note François ; D. 1998, Somm. p. 104, obs. Piedelièvre.

    (2) Le code civil considère manifestement les espèces comme des biens, comme des choses susceptibles de propriété. Voir notamment l’art. 1238. C’est qu’en 1804 les espèces étaient réellement des biens, car elles étaient ou représentaient une créance d’or ou d’argent. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Voilà plus de vingt ans qu’aucune monnaie n’est plus rattachée à un métal, ni directement ni indirectement. Cela a coupé les espèces du monde des biens pour les réduire au seul état d’objet d’obligation.

    (3) Dans le contentieux, l’idée de propriété de la monnaie ne paraît jamais avoir servi à rien. A admettre le principe de la revendication des espèces en cas de vol (cf. Cass. req., 25 nov. 1929, DH 1930, p. 3 ; RTD civ. 1934, p. 184, obs. Solus) ? Mais, en pratique, la revendication butte contre l’impossibilité d’individualiser les espèces dans le patrimoine du voleur. De même la question du moment du transfert de propriété de la monnaie ne se pose jamais. C’est qu’on ne paye pas avec un droit de propriété. Cf. infra, n° 14.

    (4) Cass. com., 23 juin 1992, Bull. civ. IV, n° 245. V. aussi l’abondante jurisprudence énonçant que la remise d’un chèque ne vaut pas paiement.

    La fiction de l’incorporation de la créance dans les effets de commerce n’a donc jamais suffi pour que la remise d’un effet de commerce vaille paiement, pour que l’effet soit assimilable à de la monnaie. Comment, dès lors, dans le dépôt en banque, la fiction de l’incorporation de la créance dans les écritures pourrait-elle suffire à transformer cette créance en monnaie ? Le paiement est une épreuve de vérité. Il n’a que faire des fictions.

    (5) Cf. supra, n° 10.

    (6) Pour un juriste, l’euro ne sera donc pas une véritable monnaie tant qu’il sera dépourvu du cours légal et n’existera que sous forme d’avoirs.

    (7) C’est une autre raison qui, en droit privé, empêchera l’euro d’être une monnaie véritable, distincte des monnaies nationales, tant qu’il n’aura pas ses propres espèces.

    C’est aussi une autre raison pour laquelle l’idée de propriété de la monnaie ne sert à rien.

    (8) L’art. 221 c. civ. aurait dû aller sans dire.

    (9) Le secret bancaire procéda visiblement, à l’origine de sa pratique, de l’idée de rendre les comptes en banque aussi opaques que les portefeuilles et réduire ainsi, autant qu’il était possible, cet écart naturel entre les espèces et les avoirs en banque. C’est ce qui lui donnait sa particularité par rapport aux autres secrets professionnels. Mais le droit positif y a apporté tant de limites qu’il semble en avoir fait un secret professionnel comme un autre.

    (10) C’est une raison de plus qui empêchera l’euro d’être une monnaie véritable tant qu’il n’existera que sous forme d’écritures dans les comptes. Allez payer un dessous-de-table en euros…

  7. Avatar de Archimondain
    Archimondain

    @Patrick Barret

    Je suppose que la toute la force de votre argument provient du fait qu’il y ait écrit ‘Prix Nobel’ en bas de cette citation 🙂
    (déjà maintes et maintes fois répliquée sur ce blog). Évidement, le titre de prix Nobel m’impose un grand respect. Cependant, ça reste un titre prestigieux et non un argument. Moi j’ai expliqué en quoi la ‘création d’argent’ par les banques commerciales et celle par les faux-monnayeurs était différente. Votre citation ne fait que l’affirmer sans donner aucune explication.

    @ Brieuc Le Fèvre
    Merci pour cette réfection que je trouve personnellement très intéressante. La question des intérêts et évidement cruciale. Et au fond peut-être qu’anti et pro ex-nihilo sont d’accord sur l’essentiel. Ce qui bloque n’est peut-être qu’une dispute autours d’un terme. (Je pourrais bien finir par céder à force…). Mais avant de développer dessus d’avantage, je voudrais lever une ambiguïté. dans votre deuxième tableau, vous semblez dire que la banque peut créer un crédit de 10.000 à partir de réserves fractionnaires de 1111,11. Entendez-vous que la banque n’a réellement pas d’autre argent que ces 1111,11 au moment ou elle contracte le crédit de 10000 ?

  8. Avatar de Étienne Chouard

    @ nuknuk66,

    merci pour cette formidable trouvaille (dont la numérotation est un peu baroque, au premier abord, cependant 😉 ) : chaque relecture de cette riche analyse donne de nouveaux éclaircissements.

    ================================

    Il me semble pourtant qu’il y manque un aspect essentiel de la monnaie-dette, celui de la dette sous-jacente à la monnaie fiduciaire :

    Quand le Dalloz écrit (point 10, al.2) : « Au contraire, le virement est un mode de transfert d’espèces, non d’une créance », ou encore (point 11, al. 3) : « Or aucune fiction n’est nécessaire pour expliquer la simplicité du virement. C’est très naturellement qu’il est un transfert d’espèces, non de créance. », l’auteur oublie que les billets et les pièces (la monnaie fiduciaire), les espèces, sont aussi des créances, des créances contre l’État cette fois –et jamais remboursables, c’est vrai, depuis la non convertibilité en or–, mais des créances quand même.

    Quand un paiement a lieu par transfert d’ESPÈCES, c’est donc, encore et toujours, un TRANSFERT DE CRÉANCE, mais une créance contre un autre débiteur qu’une banque, une créance contre l’État.

    L’auteur sent bien que le débat n’est pas clos, d’ailleurs, quand il souligne la différence d’approche entre les juristes et les économistes (point 12).

    Au point 14, l’auteur en vient même à confondre lui-même la monnaie fiduciaire à une chose, c’est amusant : même les plus fins analystes s’y perdent, décidément 😉

    « 14 – De manière plus générale, ce n’est pas en baptisant monnaie ce qui est un droit qu’on fera oublier au créancier qu’on ne paye pas avec un droit. Ni un droit de créance ni un droit de propriété. Aucun créancier ne sera d’accord si son débiteur lui dit : « J’ai oublié chez moi sur le manteau de la cheminée les espèces que je devais vous remettre. Elles y sont parfaitement individualisées. Je vous en transfère la propriété. Vous voilà payé ». Le droit peut préparer la satisfaction du créancier, il peut l’entourer de garantie, mais il ne peut pas la créer. Ce qu’il faut au créancier, ce n’est pas un droit à la chose ou sur la chose, mais la chose elle-même (7). »

    Sa distinction se fonde sur ce point, important mais dont il exagère la portée (point 13, al. 3), je trouve :

    « (…) à la différence des espèces, LA « MONNAIE SCRIPTURALE » N’A PAS COURS LÉGAL, et c’est là un attribut monétaire fondamental qui lui manque. La monnaie ne valant que par sa capacité de réutilisation, le cours légal est la GARANTIE juridique, pour celui qui la reçoit, qu’il pourra l’utiliser à son tour en l’imposant en paiement à ses propres créanciers. Sans cette garantie, la satisfaction du créancier prend en droit un caractère aléatoire. C’est donc seulement en fait que les avoirs en banque jouent le rôle de monnaie ; et même en fait ils n’y parviendraient pas si, derrière eux, il n’y avait les espèces. »

    Il me semble qu’insister sur cet aspect aléatoire de la créance contre les banques (que constitue la provision des DAV) est un peu « un juridisme » ; d’un point de vue économique, c’est quasi négligeable : la solvabilité des banques (garanties par l’État jusque dans les pires tempêtes comme on peut le constater en ce moment) est quasi parfaite.

    À mon sens, LE POUVOIR D’ACHAT DES DEUX MONNAIES, FIDUCIAIRE ET SCRIPTURALE, EST LE MÊME.

    Et le fait (pour revenir à notre débat, ici) que les banques privées puissent créer du pouvoir d’achat (moyennant un intérêt ruineux) n’est pas envisagé par l’auteur.

    La distinction de l’auteur est donc compréhensible (passionnante même), mais discutable :

    L’enjeu de cet oubli (l’oubli que les espèces sont aussi une dette, une dette contre l’État), c’est d’oublier ce fait POLITIQUE majeur que l’État est, lui aussi, tout à fait capable de créer la monnaie –précieux TITRE DE DETTE FIABLE qui facilite tant nos échanges et QU’ON PEUT CRÉER À VOLONTÉ.

    On risque alors d’oublier de se battre pour que l’État conserve cette fonction régalienne, en oubliant que ce mode de création monétaire-là, L’ÉMISSION MONÉTAIRE PAR L’ÉTAT, EST INFINIMENT MOINS COÛTEUSE POUR LA COLLECTIVITÉ (pas de charge d’intérêt, et même pas forcément de charge de remboursement, pas toujours).

    ================================

    Décidément, la pertinence de la parabole des ballons est vraiment très contestable, et la confusion règne, apparemment, en matière de création monétaire, même chez de nombreux professionnels de l’argent.

    Utile débat, donc.

    Comme d’habitude, de la discussion jaillit la lumière.

    Ne pas avoir peur de se tromper : en réalisant qu’on se trompait, on progresse, c’est à la fois banal et positif.

    Étienne.

  9. Avatar de pariste
    pariste

    Merci Etienne pour ta dernière conclusion.
    Je conseille, avec le peu de tact d’un scientifique, à la plupart des intervenants ici de travailler un cours d’analyse en mathématiques niveau 2ème année de Licence (notamment bien comprendre la notion de séries numériques).
    Ca peut prendre du temps, mais franchement, au lieu de lire et écrire autant de trucs pseudo-philosophiques assurément absurdes, vous finiriez peut-être par gagner du temps. AMHA
    Cordialement
    Pariste

  10. Avatar de nadine
    nadine

    @Etienne Chouard

    Je viens de lire l’article de « nuknuk66 » qui est exceptionnel. En se plaçant sous l’angle JURIDIQUE et non comptable (on peut faire dire ce qu’on veut à un bilan) les banques privées ne créent pas la monnaie ex nihilo, seule la BCE a le pouvoir de le faire (monnaie fiduciare). Le terme « monnaie scripturale » est un abus de langage et n’est pas de la monnaie au sens juridique.
    Les banques n’ont que le pouvoir de créer des créances mais à la limite moi aussi…
    Je crois que Jean Jaurion grâce à l’article de nuknuk66 a pris une sacrée longueur d’avance !
    Qu’en penses tu Etienne ?

  11. Avatar de Patrick Barret
    Patrick Barret

    @ Archimondain

    Je n’ai fait que contre-argumenter votre « tout le monde » avec une citation prestigieuse !

    Indépendamment du fait que j’ai raison ou pas quand j’affirme que les banques commerciales ne créé pas d’argent. Quand bien même ce serait le cas, tout le monde s’accorde alors pour dire que cet argent est détruit une fois remboursé. Si la personne ne rembourse pas, la banque doit le faire à sa place.

    Les faux-monnayeurs ne s’encombre pas d’une telle contrainte.

    Ayant beaucoup de mal à m’exprimer sur ce blog sans me faire « modérer », je n’ai pas toute la lattitude souhaitée pour argumenter plus en avant, où lorsque je le fais, mes propos ne sont pas toujours publié !
    Mais il semble néanmoins que depuis que je m’exprime sans pseudonyme sous ma véritable identité (et sans lien de site), les choses s’améliorent ; les préjugés et les à priori latents sur ma personne évoluent semble-t-il également progressivement.
    Je tenterais donc à l’avenir de développer davantage mes explications.

  12. Avatar de Archimondain
    Archimondain

    @ Patrick Barret
    Effectivement, vu comme ça. Mon ‘tout le monde’ est bien contredit par votre citation 🙂
    Seriez-vous l’ex-surhumain ? (qui avait coutume de parler par citation). J’ai cru pendant un moment que ce dernier s’était métamorphosé en Transmutateur. Mais peut-être est-ce vous aussi ?

    @ Pariste
    Ca c’est pas très sympa.

  13. Avatar de pariste
    pariste

    @archimondain
    Oui c’est vrai que ma remarque peut paraître assez brutale, mais je pense qu’il ne faut
    pas essayer de parler d’économie si on ne maîtrise pas un tantinet les chiffres
    et les raisonnements.
    Quand je dis apprendre des mathématiques, je veux aussi dire apprendre à
    parler d’un problème en se demandant de quoi on parle (les mathématiques
    sont basées avant tout sur des définitions précises, pui sur des règles
    de logique assez élémentaires). Je ne suis pas expert
    en économie, loin de là, mais de ce que je lis, je suis sûr que la plupart
    ici ne savent pas prendre un problème par le bon bout. C’est-à-dire par les définitions.
    Ce ne serait qu’un début, car après ça, des concepts mathématiques relativement peu
    évolués rendent les choses limpides.

  14. Avatar de Dav

    @Fred L. et aux autres.

    Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse du débat. Le point d’achoppement porte très exactement sur la définition de la monnaie.
    Par ailleurs, l’extrait d’Hayek que vous proposez me semble en l’espèce tout à fait pertinent sur le thème, non pas en tant que remède mais en tant qu’outil d’analyse.
    Surtout si on y ajoute une analyse de la spéculation, en tant que facteur aggravant de l’expansion démesurée du crédit.
    Pourquoi diable s’acharnerait-on, par pure convention, à ne pas regrouper sous une même appellation, une chose qui fonctionne très exactement selon la même logique de base ?
    Pourquoi diable s’acharnerait-on, par pure convention, à différencier la monnaie fiduciaire et la monnaie scripturale, alors qu’il s’agit très exactement d’un seul et même mécanisme : la reconnaissance de dettes ?

    A ce petit jeu-là, il y a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre, Paul.
    Comment se fait-il que nous ne soyons pas tous d’accord pour dire que la monnaie, ce que vous appelez « l’argent », c’est forcément/nécessairement/essentiellement de la « reconnaissance de dettes » ?

    Puisque la monnaie est un média de l’échange qui se justifie lorsque le troc est impossible.
    Puisqu’on peut en déduire que le principal atout de la monnaie est d’inscrire l’échange dans une temporalité.
    Alors, par définition, la monnaie est une reconnaissance de dettes.
    Sinon, le troc fait parfaitement l’affaire, et il n’est nul besoin de monnaie.

    Je crois qu’il y a une sorte d’aveuglement épistémologique à VOULOIR considérer les différentes fonctions de la monnaie comme étant de natures différentes.

    Comprendre le mécanisme du crédit, c’est une chose; mais dire que le crédit, c’est autre chose que de la monnaie, ça relève du biais cognitif, à mon avis.
    Ainsi, la notion pré-systématique de chacun, c’est la définition de la monnaie.
    Et à ce titre, il me semble simple de vous démontrer, à vous, à Boris, ou à Helmut que l’argent est, quoiqu’il arrive, une reconnaissance de dettes.

  15. Avatar de Patrick Barret
    Patrick Barret

    @ Archimondain

    Vous êtres très perspicace, mais Transmuteur serait plus exact !

    Pour ne pas nous faire mentir, voici donc une citation inédite celle-là (enfin je l’espère) et très à propos :

    « La finance islamique présente bien des avantages, en ce qu’elle condamne la spéculation et en ce qu’elle condamne le hasard. »
    Christine Lagarde, ministre française des Finances

    http://www.lexpressiondz.com/article/8/2008-12-01/58397.html

  16. Avatar de Laurent S
    Laurent S

    Même si je suis d’accord avec l’extrait de H Creutz et l’article du 4 décembre sur l’argent, fortune et reconnaissance de dettes, ces raisonnements n’invalident pas l’expression de création monétaire ex nihilo.

    A mon tour donc de présenter une histoire pour expliciter ma perception du débat. Soit Pierre qui possède 10 billets de 100 euros avec lesquels il ouvre un compte à la banque Patrinomia, dont il est le seul client. Jean contracte alors auprès de cette banque un prêt de 900 euros et achète avec ces billets un bel ordinateur à Paul. Paul dépose ces 9 billets de 100 à la banque Fortunat. Arrive la saison des fraises dont nos trois personnages raffolent. Jean contracte alors un nouveau prêt de 810 euros à la banque Fortunat. Pierre, Jean et Paul se rendent sur le marché aux fraises munis de leur chéquier, et chacun achète autant de fraises à la fermière prénommée Catherine qu’il a d’argent, c’est à dire respectivement pour 1000, 810 et 900 euros.

    On est donc bien d’accord pour dire qu’il n’existe jamais que 10 billets de 100 euros. Pourtant Catherine a bien 2710 euros sur son compte. Donc bien qu’il n’y ait pas création de monnaie le marché voit 2710 euros et non 1000. Et ce sont ces 2710 euros qui influent sur les prix : si Catherine n’avait pas eu assez de fraises elle aurait pu augmenter ses prix. Mais comme en général l’offre est supérieure à la solvabilité de la demande, le marché est en sous-régime et Catherine regrette que les banques n’aient pas pu prêter plus d’argent car elle va devoir jeter les fraises non achetées. On retrouve là un des axiomes de la théorie du major Douglas : la quantité d’argent doit être à tout moment égale à la quantité de biens et services échangée : trop c’est l’inflation, pas assez c’est le gaspillage ou la pauvreté « artificielle ». Ce qui suppose aussi d’aborder le problème de l’argent comme unité de réserve : l’épargne n’est pas et ne peut pas être un droit absolu sur les biens et services futurs…

    Donc si du point de vue d’un physicien il n’y a pas de création, car tout crédit génère une dette, le crédit ex nihilo permet d’ajuster commodément la quantité monnaie à celle nécessaire pour échanger les biens et services disponibles ou demandés sur le marché. Pour le dire autrement, il n’y a pas création mais les effets à court et moyen terme (à long terme il faudra rembourser et c’est dès fois très très problématique comme on le voit aujourd’hui) du crédit imitent d’une manière absolument indétectable les effets d’une véritable création ex nihilo par la planche à billets. Donc comme la cause est indiscernable et les conséquences strictement identiques on peut dire que le crédit est une création ex nihilo d’argent. Et ceux qui parlent d’abus de langage commencent par dire quel est dans leurs comptes le montant d’argent physique et le montant d’argent dette. S’ils y arrivent alors ils pourront aussi déterminer le montant des créances pourries dans la finance mondiale ce qu’aucune banque n’est capable de faire actuellement même pour elle-même.

  17. Avatar de Rumbo
    Rumbo

    Étienne Chouard dit : 7 décembre 2008 à 23:39

    Étienne ne fait ici que confirmer avec le soin et le scrupule qu’on lui connaît , preuves à l’appui, ce que j’avais retenu
    (sans déifier personne évidemment) d’auteurs fiables par leur investigations tel que (dans le désordre): Maurice Allais,
    Jacques Duboin, Louis Even, dont le major Douglas (sans doute moins bon théoricien que Keynes, mais meilleur praticien)
    disait de lui que L. Even était celui qui avait le mieux saisi ses investigations et leur portée, et quelques autres encore.
    D’ailleurs, si l’augmentation des masses monétaires n’accompagnent pas, selon un même « graphique », de l’augmentation
    de la richesse générale, donc sociale, c’est là l’indice majeur de l’erreur, de la fausseté, de la toxicité, appelons ça comme
    on veut, c’est qu’il y a une « fuite », ou une « congélation définitive » ou de nombreux « by-pass », etc, dans ce circuit plus
    que suspect.

    Je m’avance un peu (je peux me tromper) en supposant que les livres que Paul a cité et a utilisé pour son travail
    d’ingénieur financier dont son témoignage, ne l’oublions jamais, est irremplaçable pour les lecteurs, se situent sans doute
    – en aval – de la question de la – création monétaire ex-nihilo ou non -.

    Et on peut souligner que – jusqu’à 2007 – si la « moyenne » d’enrichissement a augmentée dans le monde, exemple: quoique numériquement faible, le nombre de milliardaires dans le monde a augmenté statistiquement d’année en année depuis le « raz de marée libéral » sur le monde des années 1980, témoignant ainsi d’un enrichisement, car s’il y a plus de milliardaires, il devrait y avoir aussi davantage de couche de population plus riches qu’avant, cela aussi est vrai, mais, les faits sont là, dans une mesure moindre qu’on l’a dit.
    Ainsi la moyenne qui nous trompe ressemble à une moyenne générale de véhicules allant de quelques formule-1, en passant par des voitures courantes et vieillissantes de classes moyennes, et une foule de mobylettes obsolètes et poussives et même des vélos déglingués. Oui, la moyenne a augmenté avec quelques formules-1 dont les « performances » masquent la baisse généralisées des possibilités des autres véhicules « en course »… On pourrait pousser l’exemple plus loin. Maintenant que 9/10 (tient! Ça me dit quelque chose cette proportion…) des formule-1 sont HS et la 10ème en réparation hasardeuse, la moyenne plonge vertigineusement.

    La réalité conclut toujours les polémiques

  18. Avatar de Zolko

    pariste dit :

    [quote]Je conseille, avec le peu de tact d’un scientifique, à la plupart des intervenants ici de travailler un cours d’analyse en mathématiques niveau 2ème année de Licence (notamment bien comprendre la notion de séries numériques).[/quote]

    Je rebondirais sur cette suggestion en demandant aux créateurs de monnaie de tous bords de remplir un tableau (prenons les 10 dernières années, voulez-vous) mentionnant la masse monétaire en circulation, sa nature (M1, … fiduciaire, scripturale…) et son origine, la quantité de billets imprimés, le taux de croissance (du PIB ?) le volume des intérêts et toute quantité monétaire en relation.

    Pour être franc, je serai bien incapable de remplir un tel tableau, et pourtant l’information est de première importance. Les journaux nous abreuvent des changements de taux d’intérêts de la BCE et des dixièmes de % de croissance, des hausses et baisses de la bourse avec analyse de telle ou telle entreprise avec ses perspectives de développement, mais JAMAIS, JAMAIS, il n’y a la moindre question sur l’origine de l’argent que 100% de la population utilise 100% du temps. Et cette absence d’information est déjà un problème. Donc, vu la quantité d’énergie mise en jeu pour faire semblant de parler d’économie SANS JAMAIS mentionner l’éléphant blanc de l’origine de l’argent, et vu la quantité d’analyses sur des sujets baroques comme la blessure de Makelelé et les frasques sexuelles de la princesse de Monaco, il est difficile, scientifiquement, de conclure à autre chose qu’une conspiration des banquiers.

    Avec ceci, je vous mets au défi de prouver le contraire. Donnez-moi les références des cours universitaires où la création de monnaie est enseignée, avec les livres qui s’y rapportent, et ce sera une contre-preuve suffisante.

  19. Avatar de antoine
    antoine

    Moi je me souviens de Deleuze: « Quand quelqu’un dit « en tant que » dans une phrase il parle en philosophe ».
    C’est ainsi qu’Aristote condamnait nombre des conclusions de Platon, que des définitions floues conduisaient à des paralogismes. « Excis » se dit en plusieurs sens…
    La rigueur commence par la précision conceptuelle.

    L’argent est l’argent. Une reconnaissance de dettes est une reconnaissance de dettes.
    Dire que l’un « se ramène » à l’autre en tant que nous considérons la question sous tel angle déterminé et non pas tel autre, c’est une chose.
    Dire que PARCE QUE l’un se ramène à l autre sous tel angle déterminé nous devrions les traiter de la même manière, en les appelant également « monnaie » en est une autre.
    Car il faut déjà avoir montré en amont que cet angle déterminé est, parmi tous les autres angles possibles ou à découvrir, l’angle le plus pertinent.
    Si « se ramène » signifie « ont la même fonction/ sont interchangeables », alors il y a de fortes chances pour que je ne sois pas d’accord. Ce n’est pas suffisant. Car avoir de l’argent et avoir une reconnaissance de dette c’est, du point de vue de la structure de la relation qui unit/sépare les agents TRES différent. Si nous cherchons à fixer les termes de la coopération sociale en la matière, ce dernier point de vue, anthropologique/sociologique (ce que vous voulez) constitue pour moi la SEULE base pertinente. En tout cas cette question de la selection du point de vue légitime vient avant toutes les autres.
    Et pour ma part je préfèrerais qu on reconstruise le système en se passant du terme « monnaie », si possible. La monnaie n’est pas une définition DE DEPART. Ce n’est qu’un paquet qu’on fait A L ARRIVEE.

    Notez que le point de vue doctrinal (juridique) ne constitue pas non plus un point de vue pertinent. Par définition le droit est pris en étau entre la philosophie/théologie et la sociologie. De plus l’article sus-cité montre bien comment le juriste, placé devant un problème normatif (au sens politique et moral) QUI N EST PAS DE SA COMPETENCE mais qui a des implications pour sa pratique (cohérence des décisions rendues par les tribunaux et requisit – politique- de l’égalité des citoyen EN TANT QUE JUSTICIABLES – et non pas en tant que citoyens- devant la loi), tend à traiter une question politique en adoptant systématiquement le point de vue du professionnel du droit. Il s’agit de « mettre de l’ordre », de la « cohérence » là ou il n’y en a pas (évidemment ce que je dis ne vaut pas de la même manière pour le droit de la common law; le problème est particulièrement sensible là ou le droit prend la forme de « codes » qui sont autant de « grammaires politiques », voire de métaphysiques implicites tout court). L’angle du professionnel du droit nous renseigne sur le point de vue… du droit. Le droit en décrit pas la réalité. Il est toujours déjà une mise en forme de cette réalité. Une mise en forme du type de celle qui est attaquée ici.
    Tout ce sur quoi nous renseigne la doctrine c’est sur le « point de vue publiquement accepté/ institutionnellement reconnu » quant à ce qui se passe. Mais bien sûr, dans son effort de rationalisation juridique stricto sensu, le juriste peut mettre le doigt sur des distinctions potentiellement pertinentes.
    Bref ne cherchez aucune aide dans le droit… Vous allez vous perdre. Retenons juste que du point de vue du droit – comme c’est étonnant!- notre problème pose problème…

  20. Avatar de Fred L.
    Fred L.

    @Zolko

    « Avec ceci, je vous mets au défi de prouver le contraire. Donnez-moi les références des cours universitaires où la création de monnaie est enseignée, avec les livres qui s’y rapportent, et ce sera une contre-preuve suffisante. »

    Commencez par la page wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Money_supply (et toutes les références qu’elle cite), puis prenez le manuel de F.S. Mishkin, The economics of money, banking and financial markets (le chapitre 14 est tout entier consacré à la création monétaire), pour obtenir la version traditionnelle de la création monétaire (ou du reste n’importe quel autre manuel équivalent, mais vous vouliez une référence), pour le reste, c’est-à-dire toutes les questions plus profondes concernant la monnaie eh bien, il n’y a pas d’autre solution que de lire les grands économistes.

  21. Avatar de Dav

    @Antoine

    Vous dites : « L’argent est l’argent. Une reconnaissance de dettes est une reconnaissance de dettes. »

    Pour moi, c’est un parti pris normatif que vous prenez, sans le démontrer.
    Qu’est-ce qui justifie cette distinction, sinon une convention ? Quelle est la légitimité de cette convention ?
    Il me semble assez simple de démontrer que derrière le mot « argent » et derrière le mot « reconnaissance de dettes » se cache exactement la même chose. Un support d’échange permettant de dépasser l’immédiateté du principe de l’échange.

    Par ailleurs, vous dites : »la monnaie est un paquet qu’on fait à l’arrivée », c’est quand même en partie faux.
    Il y a des déterminants de la « monnaie » qui sont invariables du fait de ce qu’elle est, un outil abstrait. Quand bien même cet outil est largement modifiable, là, je suis d’accord.

    Ce qu’il vous faudrait reconstruire, si je comprends bien votre approche, c’est davantage la relation de l’homme à la question de l’échange.
    A ce titre, la monnaie est un outil qui a ses limites; en ce sens, que, par définition, elle n’est pas du tout utile dans un système d’échange basé sur le don, par exemple.

  22. Avatar de Dav

    @Antoine

    « Car avoir de l’argent et avoir une reconnaissance de dette c’est, du point de vue de la structure de la relation qui unit/sépare les agents TRES différent. Si nous cherchons à fixer les termes de la coopération sociale en la matière, ce dernier point de vue, anthropologique/sociologique (ce que vous voulez) constitue pour moi la SEULE base pertinente. En tout cas cette question de la selection du point de vue légitime vient avant toutes les autres. »

    Je n’avais pas accordé assez d’importance à ce passage, qui me permet de comprendre votre opposition « de principe » à une définition simple de la monnaie regroupant « reconnaissance de dettes » et « argent ».
    Mais, vous noterez qu’il s’agit également d’une preuve que vous choisissez ce système de définition, en raison de ce qu’il permet bien décrire un contexte tout à fait spécifique.
    Il est tout à fait vrai que socialement ce qui est reconnu comme « argent » et ce qui est reconnu comme « reconnaissance de dettes » catégorise diablement les tenants de l’un et les tenants de l’autre.
    Mais il me semble que vous mêlez causes et conséquences, car, à mon avis, c’est bien parce que nous avons déconnecté l’argent de son principe moteur (à savoir être une dette représentant un service rendu) que nous sommes aujourd’hui incapable d’en évaluer sa juste mesure (salaires absolument disproportionnés, patrimoines démesurés…) et que nous considérons l’argent comme un bien, en lui-même.

    C’est bien parce que « l’argent » est en soi une « reconnaissance de dettes » qu’il devrait être légitime d’interroger sa transmission en tant que patrimoine, la facilité avec laquelle on l’accumule, la perception d’intérêts… etc, etc.

  23. Avatar de Dav

    J’aurais mieux fait de dire : « la facilité avec laquelle certains l’accumulent, tandis que d’autres non »

  24. Avatar de MICHAUD
    MICHAUD

    L’observation de la masse monétaire à un instant T ne montre aucun accroissement .C’est l’observation « en bloc » « hors du temps « de toutes les transactions rendues possibles par Bâle qui amène de façon illusoire à additionner les actes de prêt passés et à venir semblant accroitre la masse monétaire.

  25. Avatar de sylba
    sylba

    Ce n’est qu’à présent que j’ai pu lire les divers apports depuis 24h, et en particulier le long commentaire d’Etienne et l’article très éclairant de François Grua (merci nuknuk66). J’apprécie le souci d’Etienne d’alimenter le débat, mais l’accumulation de citations provenant de mêmes milieux et employant les mêmes termes (en particulier « création ») pour décrire ce qui est l’objet de la réflexion collective de ce blog ne me parait pas probant, en ce qu’elle révèle plutôt un discours dominant, avec des mots convenus, qu’une réelle analyse permettant une véritable compréhension.
    Cela me fait penser à l’emploi quasi universel de cet archaïsme que sont les pourcentages pour décrire des évolutions en « plus » ou en « moins » en induisant une interprétation additive, alors qu’il s’agit de relations multiplicatives. Exemple : parler d’une augmentation de 50% suivie d’une diminution de 50% amène à croire qu’il y a retour à l’état antérieur (+50-50=0), alors qu’il y a en réalité diminution de 25% (il s’agit de multiplier par 1,5 puis par 0,5 ce qui donne 0,75 soit 75% du montant initial).
    L’article de François Grua montre très bien à cet égard comment un corpus de notions et un vocabulaire partagé permet d’étayer la pensée, mais contribue aussi à l’entraver lorsqu’il s’agit de dégager et d’intégrer des aspects jusqu’ici inaperçus ou considérés comme subsidiaires alors qu’ils se révèlent (ou deviennent) centraux.
    Parmi les usages langagiers qui me paraissent à interroger : le fait de se concentrer sur l’aspect « dette » alors qu’il s’agit d’interrelation, qu’il faut examiner dans les deux sens ; parmi les aspects qui émergent mais n’ont pas encore leur vraie place : la vitesse et la multiplicité des modes de diffusion, avec quasi instantanéité et ubiquité.

  26. Avatar de Dav

    Je veux reprendre car j’aimerais qu’il n’y ait pas de confusion dans l’approche que je développe plus haut :

    Je souscrits à la remarque de Paul Jorion sur l’illusion de la création monétaire par les banques commerciales, via le système du crédit. Le principe est très bien décrit par la distinction reconnaissance de dettes/argent/fortune, voire par l’explication d’Helmut.
    Il n’y a pas de création, il y a circulation. C’est très clair dans l’exemple que donne Paul.

    En revanche, ça ne remet pas en cause deux effets pervers du système de crédit via les banques commerciales :
    – Une incitation à la création monétaire par les banques centrales, via le système des intérêts du crédit par les banques commerciales. Ce qui est un peu différent, mais qui a pour conséquence au final une augmentation nécessaire de la masse monétaire totale.
    – Une incitation à la création monétaire par les banques centrales, quand l’objet du crédit des banques commerciales se porte sur des pratiques spéculatives, et non pas productives ou de consommation.

    Ensuite, il y a malgré tout un gros problème : nous ne considérons pas l’argent que nous mettons en dépôt à la banque comme étant une reconnaissance de dettes de la part des banques, mais nous revendiquons sa capacité à circuler dans l’instant (ballons). A ce titre, nous ne considérons pas qu’il s’agit d’une reconnaissance de dettes, en raison même du fait que cet argent déposé est censément liquide. Du coup, pour que la distinction fonctionne, il faudrait que le principe soit clairement établi qu’il s’agit d’une reconnaissance de dettes et non plus d’argent. Nous ne dirions plus : j’ai 100 euros sur mon compte, mais, j’ai prêté 100 euros à ma banque, ce qui est ra-di-ca-le-ment différent.

    Enfin, je remarque que nous considérons beaucoup de « reconnaissances de dettes » comme de « l’argent », alors qu’il nous faudrait considérer tout notre argent comme étant des reconnaissances de dettes.
    Mais on est encore loin d’être arrivé au bout de ce chemin qui mène vers la connaissance vraie de la nature de la monnaie. Donc, ne brûlons pas les étapes.

    Désolé d’avoir embrouillé un débat qui n’a pas besoin de ça.

  27. Avatar de Julien Alexandre
    Julien Alexandre

    @ TOUS : … le problème n’était donc pas où nous le pensions. Les derniers « rebondissements » (encore l’histoire des ballons?) de notre hagiographie de la « sainte monnaie » ont enfin permis de mettre les mots adéquats sur la pierre d’achoppement. Il ne s’agissait pas de savoir ce qu’est la monnaie d’un point de vue pratique, philosophique, économique ou même quantique comme nous nous sommes efforcés de le faire. Non, le problème était simplement de savoir : est-ce que les banques prêtent les dépôts de leurs clients?

    2 écoles :

    Paul Jorion – Helmut Creutz (et quelques autres) ==> oui, et c’est bien pour cela qu’il n’y a pas de création monétaire (j’omets volontairement « ex nihilo » pour ne pas raviver les blessures de certains…), qu’il y a conservation des quantités, et que le « scandale » des banques qui créent de l’argent n’en est pas un.

    Jean Bayard, Etienne Chouard (et quelques autres) ==> non, les banques ne prêtent pas les dépôts. Chaque crédit accordé est donc source de création monétaire. La Banque perçoit des intérêts sur les sommes qu’elle prête de façon indue. C’est l’Etat qui doit user de son droit régalien de création monétaire et réinvestir les intérêts perçus (si tant est qu’on conserve le principe des intérêts). C’est donc un scandale.

    J’inaugure modestement une 3ème école (qui est en fait celle de Paul Jorion, avec 1 petite précision destinée à réconcilier tout le monde) :

    – oui, les banques prêtent les dépôts , à concurrence de 92 % de la valeur de ceux-ci. Mais elles ne s’arrêtent pas là. Car oui, elles prêtent aussi de l’argent qu’elles n’ont pas, mais elles ne « créent » pas cet argent : ELLES L’EMPRUNTENT! Par refinancement : soit à long terme par l’émission d’obligations, soit à court terme en empruntant sur le marché interbancaire ou auprès de la Banque Centrale.

    Si les banques ne prêtaient pas les dépôts comme certains le suggèrent, et qu’à partir d’un dépôt de 100, elles soient capables de créer 900, alors les ratios « Loans to deposits » ne seraient pas de 130% ou 140% comme c’est le cas de beaucoup de banques aujourd’hui, mais de 900%. CQFD.

  28. Avatar de antoine
    antoine

    Ce que j’ai dit plus haut n’est pas directement en rapport avec le billet de Paul Jorion. Mais il faut bien trancher la question du « point de départ ».

    Il y a deux questions me semble t-il (ceci est évident pour tout le monde je pense):
    1/ Que FONT les banques?, qui implique également aussi de savoir ce que nous faisons exactement quand nous « plaçons » de l’argent sur un compte ou quand nous contractons un emprunt.
    2/ Que DEVRAIENT faire les banques?, qui implique la question plus radicale de la manière dont on devrait organiser l’entreprise de coopération sociale en la matière (par exemple, « faire une loi constitutionnelle de la Finance », « Instituer un système de souble/triple monnaies », « Nationaliser les banques », « Abolir le système bancaire »…)

    Je ne vois pas pourquoi nous avons besoin de plus d’une seule notion pour répondre à la question 1. A priori celle d’ »argent », au sens défini par Paul Jorion devrait suffire. Le reste, ce sont des compte-rendu d’opérations des différents agents, qui impliquent des verbes d’action. « L’employeur fait ceci ». ‘Le salarié fait cela ». « La banque fait ceci et cela »… etc etc…

    A un certain moment nous en viendrons à : « Mais il n’est pas normal que tel agent puisse faire ceci/ cela ».
    Certains diront: « Pourquoi pas? Si vous pensez que c’est anormal et nous normal, c’est parce qu’une distinction moralement signifiante pour vous n’est pas moralement signifiante pou nous (au hasard: parce que nous considérons que l argent et la dette peuvent légitimement être considérés de la même manière. D’ailleurs c’est cela que nous disons quand nous affirmons que tout ceci c’est de la monnaie. En disant cela nous affirmons en effet EN MEME TEMPS que ce qui les différencie sous un certain rapport n’est pas POUR NOUS moralement pertinent). »
    Et les premiers répondront: « Il n’empêche. L’argent c’est l’argent. La dette c’est la dette. Vous pouvez bien dire que tout argent est une reconnaisance de dette. Mais alors rebelotte il y a « reconnaissance de dette » et « reconnaissance de dette ». Car ici « reconnaissance » (voire peut être même « dette ») ne désignent pas la même chose (c’est évident dans votre exemple). Et c’est pourquoi le premier type de reconnaissance de dette qu’on appelera « argent » ne devrait être produit et circuler que de telle ou telle manière. Et c’est pourquoi le second type de reconnaissance de dette qu’on appelera « dette » ne devrait circuler lui que de telle ou telle manière. Ce qui implique telles institutions, telles règles de droit et telles règles de comptabilité.
    (Bien sûr il est possible d’être d accord sur l’idée de monnaie comme argent+dette et être en désaccord avec le système en place, mais pour d’autres raisons). C’est pourquoi tout ceci est un travail de longue haleine. Et 5 ans ne me paraissent pas de trop…

    Il y a donc peut-être deux manières non pas de décrire mais d’interpréter ce que font exactement les agents, chacune reposant sur une interprétation préalable de ce que se doivent mutuellement les agents d’une communauté politique lorsqu’ils n’accordent pas de signification morale déterminante aux mêmes faits.
    Par ailleurs si la monnaie (l’argent) est un instrument d’échange en tant que tel absolument neutre, il est aussi un « moyen » de réaliser telle ou telle conception particulière de la justice sociale (cf. l’idée des « billets qui rouillent » à l’opposé de la conception traditionnelle de la monnaie qui implique au contraire un metal inaltérable, ou l’idée de double monnaie chère à certains fédéralistes).

    (Notez que le choix de partir de la signification sociale plutôt que de la fonction impliquerait une lecture plus fine du rapport entre confiance et monnaie, d’une part parce que le concept de confiance est l’un des plus discutés qui soit (c’est une pomme de discorde sévère entre l’approche linguistique de la philosophie analytique anglo-saxonne et l’approche plus « phénoménologique » de la philosophie continentale: faire confiance, est ce toujours déjà un « pari »?), ensuite parce-qu’il s’en faut de beaucoup que la « confiance » soit réductible à la « reconnaissance » pure et simple (différents types de rapport de confiance = différents modes de la reconnaissance mutuelle), enfin parce que parler de « confiance » comme s’il s’agissait d’une décision individuelle de l’accorder ou de ne pas l’accorder c’est oublier qu’il y a avant la confiance des circuits, des structures, par lesquelles celle-ci circule). Au mieux la façon dont les économistes traitent de la confiance est incomplète. Au pire elle est confuse, et conduit comme pour la question de la monnaie à des approximations problématiques.

    Pour parler de « salaires disproportionnés » il faut déjà s’appuyer sur une idée de ce que serait une juste proportion, ce qui implique une certaine conception de la justice sociale. Si écart il y a selon vous entre « avoirs » et « services rendus » c’est surtout parce que vous ne partagez pas la conception de la justice sociale qui la sous-tend (quant à ce qui constitue une juste répartition des bénéfices et des charges de la coopération sociale). Je ne vois pas le rapport avec l’idée de l’argent-dette. On peut très bien soutenir cette idée et en même temps partager la conception de la justice que vous jugez, vous, disproportionnée. En fait c’est le « C’est bien parce-que » que je ne comprend pas.

  29. Avatar de Dav

    Oui mais non, Antoine.

    Je ne cherche pas à faire exercice de ma morale afin de choisir la définition qui lui convient.
    Je cherche à faire exercice de ma raison, pour choisir la définition qui lui convient, au-delà de toute approche morale.

    Et il se trouve que cette dernière rend plus difficile les démarches de légitimation de la transmission de patrimoine ou d’accumulation de patrimoine, et éclaire la notion de proportion. Pourquoi ?

    Parce qu’en raccrochant le concept global de la monnaie au concept de dette, en remarquant que ce qu’on appelle « argent » est équivalent de fait à ce qu’on appelle « reconnaissance de dettes », on la remet à sa place : celle d’être un outil conceptuel et mathématique. On lui vole une partie de sa capacité à se faire passer pour un bien.

    Une reconnaissance de dettes, on comprend plus facilement que ce n’est pas une richesse en soi, mais seulement une promesse de services, et on essaie de se garder d’en accumuler à ne plus savoir quoi en faire et on fait en sorte de s’en faire rembourser de temps en temps; et puis on questionne plus facilement sa transmissibilité… par exemple, dans le cadre d’une SARL; ce qui est rarement le cas de ce qu’on appelle… « l’argent ». Et puis, on ne prétend pas recouvrir les reconnaissances de dettes qui datent de 1480, ou datant du temps des pharaons.

    Donc, pour moi, découvrir et accepter que le principe même de toute monnaie, c’est d’être de la reconnaissance de dettes, c’est non seulement un raisonnement logique, mais également un grand pas vers la rationalisation de l’outil. J’irais même plus loin, c’est en admettant que la monnaie est un outil conceptuel et mathématique qu’on peut le plus facilement arriver à défendre la réduction des écarts de richesse, non pas en s’appuyant sur des arguments moraux, mais en s’appuyant sur ce qui est aujourd’hui l’ennemi : la modélisation mathématique. A ce titre, par exemple, la démarche permet de donner corps au principe de monnaie fondante, en se passant tout à fait de préalable moral.

    Donc, Antoine, tant que vous ne vous serez pas attaqué à une explication justifiant l’existence d’un machin qu’on appellerait « l’argent » et qui ne serait pas une forme de reconnaissance de dettes, je n’y adhérerai pas.
    En somme, il va falloir que vous m’expliquiez quel est cet « argent » immanent qui n’aurait pas la caractéristique d’être au fond très exactement un petit papier comme un autre…

    Par contre, cet échange contribue à brouiller la tentative d’explication du principe du crédit développée par ailleurs et notamment le principe de conservation des quantités, que la distinction ballons/papiers (argent/reconnaissance de dettes) permet de bien comprendre dans un cadre conceptuel traditionnel.

  30. Avatar de antoine
    antoine

    En fait je ne comprends pas non plus en quoi « tout argent est une reconnaissance de dette ». Je ne suis pas d’accord avec ça.
    La question est:
    En quoi « l’argent qui est dû en remboursement d’un prêt » doit-il/ peut-il être traité de la même manière que « l’argent possédé qui est le produit du paiement d’un salaire »? On peut bien sûr appeler « dette » les deux sommes d’argent en ce qu’elles correspondent toutes deux à « une somme d’argent qui au départ était dûe (quoique pour des raisons différentes), mais alors on a substitué au concept « juridico-legal » de la dette un concept anthropologique -du même type que celui du « don »- et on a escamoté le problème de départ.

    Pour ce qui est de la circulation d’argent.
    Je fais donc un prêt à la banque. L argent étant toujours disponible pour moi, faut-il dire que la banque me fait également un prêt simultané de la même somme dont je peux librement disposer (même si dans les faits je choisis de ne pas en disposer)? Cet argent elle le tire d’où? Des autres épargnants? Mais ce qui vaut pour moi vaut également pour tous les autres épargnants. N’y a t-il pas là déjà doublement de la quantité d’argent DISPONIBLE ? Et bien en fait non parce que si c’était le cas il resterait exactement autant d’argent à la banque qu’il y a dans la poche de tous les épargnants réunis si chacun de ces derniers retirait ses billes. Ce qui n’est pas le cas. La banque coulerait. La seule solution concevable c’est qu’effectivement tout le monde n’utilise pas tout l’argent en même temps. Qu’il « circule ». Mais alors quelle est la nature du contrat passé avec la banque? Qu’est ce que j’attends de ce contrat ? (si c’est un prêt fait à la banque j’y gagne que dalle! Et je paie pour ça en plus…). Ceci implique déjà, ce me semble, que seule une banque de dépôt devrait avoir le droit d’exiger des frais de dossier. Je note que la solution retenue par le juriste pose le problème de la légitimité de l’existence même de banques commerciales privées, en tant que le genre de créance qu’il retient est associée par lui à une fonction d’intérêt public.

    Ce qui me semble clair c’est que les banques font plusieurs choses en même temps. Et que comme l’argent n a pas d’odeur on mélange ces différents trucs. Il n’y a qu’une seule manière de clarifier tout ça. Soit certaines opérations de transfert sont prohibées. Soit un même établissement ne peut pas en même temps être une entreprise de protection des dépôts (je paie pour le service), être une entreprise qui fait du crédit (je prête à la banque et la banque ne peut se servir de cet argent pour faire crédit à des entrepreneurs ou des particuliers… et elle me rembourse avec un échéancier fixé par avance, avec les intérêts… entre temps cet argent n’est plus disponible pour moi… et c’est intéressant pour moi car ça m évite d’avoir à chercher un emprunteur auquel je ferais signer une reconnaissance de dette de plus la banque par sa taille est solvable…), et être un établissement financier chargé de faire fructifier les avoirs de X/Y/ qui spécule sur le marché des actions/obligations etc…)
    J ai la vague intuition qu’un parallèle avec les banques d’organe, et les polémiques récentes qui y sont associées quand à la question de savoir qui doit quoi à qui serait peut être éclairant (Qui est client de qui?).

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