Le leurre de la conscience

Comme notre débat sur la mécanique quantique se déplace en ce moment vers la conscience, je vous signale que j’ai publié en 1999, dans la revue L’Homme, un texte consacré à la conscience : Le secret de la chambre chinoise. On peut le trouver ici.

En gros, comme vous le verrez, la conscience est pour moi un mécanisme en réalité très accessoire qui nous informe après-coup de ce qui nous arrive et dont l’intérêt principal réside dans l’illusion de libre-arbitre qu’il nous laisse (la caverne de Platon). Si la chose vous intéresse, j’y reviendrai plus longuement. Voici en tout cas la conclusion de cet article :

Pourquoi deux mille cinq cents ans de réflexion se sont-ils révélés impuissants à remettre en cause le pouvoir décisionnel de la conscience ? Il me semble qu’il y a, sur cette question, quelque chose de l’ordre du préjugé, de ce qui ne se modifie qu’en tout dernier recours dans l’organisation conceptuelle (ce que j’ai appelé ailleurs noyau de croyance), quelque chose de l’ordre d’un tabou.

L’histoire des sciences nous est peut-être ici d’un certain secours. Lorsque Max Planck pose les jalons de la mécanique quantique, il nous est aisément loisible d’énumérer ses prédécesseurs : il bâtit sur les fondations posées par Clausius, Maxwell et Boltzmann. Lorsque Darwin met au point sa théorie de l’évolution des espèces ou lorsque Freud développe la métapsychologie freudienne, on aurait au contraire bien du mal à déterminer leurs prédécesseurs (l’œuvre parallèle de Wallace est contemporaine de celle de Darwin). On peut toutefois leur trouver ici et là dans l’histoire (et parfois quelques années auparavant seulement), des précurseurs, des penseurs qui exprimèrent des vues où l’on retrouve en germe, sous forme ébauchée et le plus souvent d’idée isolée, ce qui ne prendra tout son sens que dans la théorie complète que Darwin ou Freud développèrent ensuite. Lorsque des prédécesseurs existent, comme c’est le cas pour Planck, la quête de précurseurs apparaîtrait bien vaine puisqu’une ligne continue de prédécesseurs conduirait jusqu’à eux.

Qu’est-ce qui distingue alors les découvertes de Darwin ou de Freud, sinon leur réelle nouveauté ? « Qu’elles ne constituent pas des théories à proprement parler » disent aujourd’hui certains, « du fait qu’elles ne sont pas falsifiables, qu’elles ne se prêtent pas à la contrépreuve ». L’argument est sans mérite : leurs théories sont falsifiables, au même titre que le Big bangpar exemple, même si cela exigerait davantage d’argumentation discursive que de recours à la vérification expérimentale pure. Ce qui distingue leurs constructions, c’est qu’il est difficile, au sens de « dur » psychologiquement, pour un auteur de les formuler. Il existe ici, comme je l’ai dit, un tabou à surmonter, quelque chose qui provoque la crainte ou la colère si l’on y touche : il y a aussi une conversion à réaliser, en premier lieu pour son auteur, au moment où il formule sa théorie, en second lieu pour son lecteur au moment où celui-ci doit se laisser convaincre, au moment où certains remparts dressés par son affect doivent s’effondrer pour faire place à la conception nouvelle.

Ce qui caractérise le darwinisme ou le freudisme, c’est que s’ils sont vrais, le mérite de Darwin et de Freud, en tant qu’ils en sont les auteurs en est automatiquement diminué. Si nous ne sommes que les descendants de grands singes, alors le darwinisme lui-même a pour auteur le descendant d’un grand singe (les caricaturistes de l’époque s’en sont d’ailleurs donné à cœur joie), de même, si toute œuvre humaine est un moyen détourné de satisfaire une pulsion d’ordre sexuel, alors la métapsychologie freudienne elle-même est un moyen détourné pour son auteur de satisfaire une telle pulsion.

La théorie de l’évolution de Darwin ainsi que la psychanalyse – on l’a écrit – impliquent une dévaluation, un rabaissement de l’image que se fait la race humaine d’elle-même. La vanité de l’espèce en prend un mauvais coup, car il s’agit de bien plus que d’une théorie nouvelle, il s’agit aussi d’une leçon d’humilité. Copernic en avait fait autant lorsqu’il déplaça la terre du centre vers la périphérie ou lorsque Linné le premier classa l’homme au rang des mammifères.

Alors qu’est-ce qui nous empêchait de comprendre la distribution réelle des responsabilités entre le corps et l’âme ? Probablement un mécanisme psychologique du même ordre que celui que je viens d’évoquer à propos de Darwin et de Freud : si tel est bien le cas, alors composer la Neuvième Symphonie ou peindre La ronde de nuit, sont sans aucun doute des réalisations personnelles ayant leur fondement dans un être biologique modelé par une histoire, mais qui ne sont pas davantage liées à un sujet humain maître de ses actions, que le fait pour quiconque d’entre nous d’ouvrir une fenêtre machinalement. Quant à celui qui attacherait son nom à la découverte que les fonctions de l’âme et du corps doivent être simplement inversées, il rabaisserait d’autant sa propre découverte : elle aurait été tout aussi machinale, selon l’automatisme qu’il aurait mis en évidence. Il serait l’auteur de sa découverte par un mécanisme dont – il l’aurait prouvé – sa personne n’est le support que pour des raisons parfaitement fortuites au regard de l’histoire. Tout ce qu’il pourrait affirmer quant au fait qu’elle ne pouvait avoir lieu que par lui se trouverait automatiquement disqualifié : ce ne pouvait être que lui sans doute mais sans pour autant que la paternité en revienne à ce « moi, je » dont il aime ponctuer son discours.

Voilà en quelques mots ce qui expliquerait pourquoi les penseurs qui se sont penchés sur le mystère de la chambre chinoise se sont arrêtés au bord de son élucidation, puisque ce qu’il s’agissait de découvrir les aurait privés de la satisfaction de mettre en avant leur propre personne – satisfaction qui guide de tout temps le processus de la découverte.

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100 réponses à “Le leurre de la conscience”

  1. Avatar de quentin

    Sauf que les conceptions mécanistes, le déterminisme, le machinisme, la belle idée qu’on finira par trouver « des causes en toute choses » (y compris donc le déroulement de nos pensées) car « tout a une cause » appartient irrévocablement au passé depuis le développement de la science du chaos et de la complexité au cours du XXème siècle. Partant de là, pourquoi chercher à réduire notre conscience à un mécanisme, ce qui au passage n’explique pas le moins du monde son mystère ?

    Qu’est ce qui nous empêche de comprendre le rapport de l’esprit au corps si ce n’est les conceptions mécanistes qui ont dominé la pensée scientifiques de ces derniers siècles ?

    Par ailleurs évacuer toute possibilité de décision dans le déroulement de l’univers pour la reléguer intégralement aux conditions initiales, infiniment bien réglées pour aboutir à toutes ces choses structurées que nous observons quand bien même des milliards d’années se sont écoulées, et non pas à un chaos innommable, me parait un peu dur à avaler. Disons qu’il faut une foi religieuse…

    Pour moi la conscience est première. Etre conscient est la seule chose que je sais vrai. Le monde pourrait bien n’être qu’une illusion. Bien sûr je crois que le monde existe… La physique classique modélise le monde de manière entièrement déterministe, et ça fonctionne pas mal, mais comment peut-on avoir une telle foi en ce beau modèle déterministe (pourtant dépassé), l’appliquer à notre cerveau et prendre le modèle pour la réalité au point de nier jusqu’à la possibilité même de sa propre existence ? C’est se mordre la queue.

    La vision mécaniste est scientifiquement inexacte. Elle est incapable de rendre compte de la conscience (et mène tout droit au dualisme). Elle est contre-intuitive (je n’ai pas du tout l’impression d’assister à un film quand je vis). Sachant ça je ne vois aucune raison de persister dans cette impasse.

    Par ailleurs je ne vois pas en quoi faire partie de la famille des grands singes nous rabaissent en quoi que ce soit, ni nous ni nos oeuvres.

  2. Avatar de Sophie LEROY
    Sophie LEROY

     » Il serait l’auteur de sa découverte par un mécanisme dont – il l’aurait prouvé – sa personne n’est le support que pour des raisons parfaitement fortuites au regard de l’histoire »
    Oui c’est une chance (ou un hasard génétique) de naître avec une intelligence au dessus de la moyenne, cependant j’imagine que les grandes découvertes scientifiques ou les créations de chefs d’oeuvres sont le résultat d’un travail long, difficile et laborieux et que la fiérté vient en mesurant les obstacles franchis pour arriver au résultat final. A moins que la « passion » pour la matière étudiée fasse que le travail ne soit pour ces personnes d’aucune pénibilité. Dans ce cas effectivement il n’y a plus beaucoup de mérite.

  3. Avatar de B. Samson
    B. Samson

    Avez-vous conscience d’avoir été piraté ce jour par Marianne2?
    http://www.marianne2.fr/Incroyable-Obama-fait-de-l-oeil-aux-hedge-funds_a175491.html
    Attention les commentaires!

  4. Avatar de Paul Jorion

    @ B. Samson

    Non : on ne me prévient pas !

  5. Avatar de Alain A
    Alain A

    A moins que je ne sois que le rêve d’un rêveur endormi, je partage votre façon de voir Paul. Souvent, quand je me dis que j’ai un corps, je me corrige (trop tard!) et rectifie mentalement: je suis un corps. Peut-être que les femmes peuvent plus aisément réaliser cela car les évolutions de leur corps sur 28 jours, leur démontre mens(tr)uellement que leur (état d’)esprit est une émanation de leur corps.
    Les états modifiés de consciences, que nous atteignons tous peu ou prou (pas besoin d’Ayahuasca, l’alcool est une porte d’entrée moins difficile à trouver), devraient nous le démontrer aussi. Et les antidépresseurs que, paraît-il, un tiers d’entrre nous utilisent aujourd’hui, tout autant.
    Et pourtant, j’avoue: balloté tel un bouchon sur la mer déchaînée de mes états mentaux, je ne peux m’empêcher de croire qu’il y a en moi une petite étincelle de lucidité qui n’est certainement pas la liberté de diriger mes actes mais au moins la possibilité momentanée de comprendre en partie de quels équilibres ils résultent. C’est la seule « conscience » que je m’autorise mais sans cette étincelle de liberté, je trouverais que le scénario manque décidément de sens…

  6. Avatar de iGor milhit

    Ah, et bien MOI JE trouve qu’on touche là quelque chose d’essentiel! Il n’y a pas de scénario, comment pourrait-il avoir un sens? Il y a bien des décision dans les animaux que nous sommes, seulement elles ne sont peut-être pas prises comme l’on croit au niveau de la conscience.
    Ne dit-on pas que l’on « prend » conscience? On peut même s’exercer un peu à se mettre à prendre conscience de ce que c’est que de prendre conscience, et ainsi de suite…

    Je ne suis pas sûr que les femmes avec leurs menstrues soient forcément plus au conscientes que leur conscience ne vient qu’après, et tout cas j’en connais quelques-unes qui résistent fort bien à ce genre d’idées (et pourtant elles me font tourner la tête, je vous jure)…

    Et il me semble que c’est bien en effet là la difficulté et l’intérêt des pensées qu’on range derrière les noms Darwin et Freud. Soit dit en passant ça permet entre autre de s’écarter des théories conspirationnistes, théories qui jugent qu’il est des êtres à la conscience parfaite, capables de tout maîtriser. De même ça permet de s’écarter de la recherche du bouc émissaire, de comprendre l’importance de la tolérance…
    Personnellement, ce sont des pensées qui m’ont concrètement aidé à avancer, à me défaire d’illusions, plus que les antidépresseurs ou n’importe quel autre psychotrope. (Comme psychotrope efficace et réjouissant, je conseil l’inaltérable Jimi Hendrix, pas de contre-indication à ma connaissance!)
    C’est une bonne raison de vouloir écrire des constitutions, de faire imparfaitement notre imparfait boulot d’animal qu’on dit humain.
    Quel inconscient que cet inconscient!
    Bien que je pense qu’il faille le prendre avec prudence, il me semble que l’ami Nietzsche fait partie de ces penseurs convaincu que l’impulsion, la pulsion est ailleurs. Et cela ne nous empêche pas (nous, humains) d’avoir l’histoire que nous avons, les incohérences, les folies et les choses si raisonnables qui la consituent…

    Mais, bien que ce soit écrit dans la genèse, quels sont les humains qui ont décidés, planifiés, de faire passer l’humanité d’à peine 1 milliards à 6,7,8 milliards en un siècle? Du coup, je me dis qu’il est important que je suive mes illusions de petit individu, c’est mon échelle: fais ta révolution toi-même! Et avec le sourire si possible.

    J’aime bien (pas tous les jours) ma vie de grand singe! Un peu turbulents comme singes, d’accord, c’est un peu triste, c’est vrai… Peut-être qu’en assumant plus notre côté simiesque, on sera moins néfaste, il faut bien rêver!

  7. Avatar de Jonathan Livingston

    Je ne sais pas pour vous. Je sais, par auto observation, que je suis souvent sans conscience ou de conscience fluctuante. Je vais écrire non pas ce que ma conscience contient, mais ce qu’elle pourra capter dans les profondeurs de mes mémoires qu’elle laboure en quête d’un réponse à cette question en opérant cette synthèse de compréhension que je relirais 15 fois pour bien comprendre ce que je viens de me révéler…

    Mon mérite, oser faire ce chemin d’apprentissage, ne pas toujours prendre ce qu’on me dit pour vrai, être curieux, garder l’habitude de la contradiction sans en faire une systémique, etc. Et encore, je perpétue un regard, une morale, une attitude qui un jour me fut suggéré et que j’ai peut-être en partie choisi. Et encore, en moi, plusieurs regards concurrents se disputent souvent le crachoir et au milieu comme un arbitre et un diplomate qui essaient de tempérer l’intérieur et l’extérieur. Belle illusion nécessaire ce Moi, pour contrer la schizophrénie des multiples voix des autres que nous avons écouté, reconnu ou rejeté qui tranquillement au fond de nous tisse la toile psychique identitaire avec ses différentes couches, nos loyautés et nos trahisons.

    Mes amis me renvoient souvent que j’agis alors que je ne m’en rends plus ou moins compte, un langage non verbal. J’ai un corps qui agit, il dort, il a faim, j’obéis bien souvent à ses ordres pour savoir qu’il est là, bien présent, obligeant… Ma conscience peut nier un temps, faire taire, mais le bruit augmente si je ne me plie pas à l’impératif vital… Ma conscience prend acte et je dirige les gestes…. Je n’ai pas besoin d’être une femme pour sentir les exigences du corps qui s’opposent à l’occasion à l’emballement de la raison ou de l’intellectuel ou de l’activité qui m’absorbe, car un homme un peu attentif sait très bien qu’il a aussi un cycle circadien lui aussi, certes moins bruyant… Mais évidemment, si on ne vit que dans sa tête, certaines choses peuvent échapper ou par une opération de protection psychique (conserver l’illusion de sa valeur, par exemple) peut être dévalué, même nié… Souvent mes émotions me montrent une présence en moi qui a saisi quelque chose que ma conscience n’a pas aperçu ou a tenté d’atténuer sans que je m’en apercoive, sans succès… De l’inconscient, des choix secrets, pas toujours muri, des réactions, des réflexes, de la spontanéité…

    La qualité de conscience est tellement fluctuante… surtout en situation d’actions, au milieu des autres. Quand je suis enseignant avec une trentaine d’ados, je n’ai pas le temps de réfléchir, je décide d’instinct, d’instant en instant… Une chance que j’ai des réflexes et que j’intègre les erreurs et que je crée parfois de rien ( en apparence) et je m’étonne… Le flot des stimulis tant submergeants, la qualité des filtres si nécessaires, informations, déformations, fatigue, délire, ???? Actions, réactions…

    Bref, réfléchir la conscience sans prendre en compte le système nerveux autonome parasympathique (désactivant, réparateur) et sympathique (excitant, activant, performant), sans tenir compte des différents niveaux du cerveau (reptilien, limbique, cortex), de la neuroscience donc, et sans tenir compte des enseignements de éthologie mammifère, grégaire et hiérarchique, et de la psychologie cognitive (la mémoire de travail, c’est environ 7 +/- 2 éléments à la fois, bref fort limité, qui peut être augmenté par l’organisation interne des éléments) me semble un exercice de style assez vain. Ne pas oublier les conditionnements, les habitudes du mammifère qui dans un territoire survit. Toutes ses choses que la routine, l’apprentissage, permet d’oublier pour se concentrer sur ce détail, ce problème à résoudre, à ce stress à rééquilibrer, là, maintenant.

    Enfin, on découvre de plus en plus que dès que nous sommes dans une dynamyque à 2 ou en groupe, nous ne sommes plus cette conscience de la même façon, nous entrons dans l’esprit de couple, d’équipe ou de groupe, dont les nécessités vitales requièrent notre conscience dans une qualité inattendue: la survie collective, le but commun, la fonction, le rôle, la répartie…

    On découvre à la lumière de toutes ces lumières que la conscience est bien un recul fort limité, temporaire et malléable qu’on peut prendre sur un processus fort complexe qu’on assimile à un «moi,je», sa personnalité, préfiguration de réponses déjà perceptibles chez le nouveau-né, inclue dans un système humain qui le dépasse. Bref, soyons modestes!

    Curieusement, à penser tous les aspects de la conscience que j’ai navigué à la recherche de qui j’étais, je me prends à voir naître, de façon inattendue, l’image du Magicien d’Oz et de découvrir que le Grand magicien n’est en fait qu’un ridicule homme ordinaire qu’un rideau ridicule cache de l’observateur mystifié et qui stresse avec mille manettes à manier pour faire naître l’illusion de dragon ou de monstre fabuleux qu’il est sensé être…

    Et voilà pourquoi, quand on se découvre nu, modestement en contrôle, on apprend à faire ultimement confiance en ce que Carl Jung a appelé le Soi qui semble une instance psychique intégratrice sur laquelle il faut apprendre à tabler, à reconnaître, écouter et avec qui interagir pour développer les alliés de la conscience limitée que sont l’intuition, la patience, l’optimisme, la confiance, une attention flottante (écoute de soi) et ces vertus que la sagesse ou l’âge nous enseigne…

  8. Avatar de fnur
    fnur

    Bon ben, je connais ce problème de l’invention et des droits qui s’y rattachent,en fait quasiment nuls selon l’évidence des pratiques en France.

    De fait l’inventeur ou le découvreur, quand on veut bien lui reconnaitre ce qu’il a apporté, est considéré comme celui qui a fait son boulot, ni plus et plutôt moins. Donc je sors et je rentre dans le rang.

  9. Avatar de fnur
    fnur

    Gros boulot Livingston, de Kipling, actions et réactions, à Jung, le chemin est long. Ne m’en voulez pas, je suis une peau de vache et j’essaie de me corriger.

  10. Avatar de quentin

    Je souhaite reprendre mon commentaire de manière un peu moins tranchée qu’hier…

    Beaucoup de gens pensent que notre conscience est uniquement spectatrice du monde, bien que ce soit vraiment contre-intuitif.

    Il est des moments dans ma vie où mes émotions prennent le dessus. Dans ces moments je ne contrôle plus mon comportement, voué à mes pulsions, et je pourrais presque me regarder agir sans intervention possible. Alors j’ai l’impression d’être spectateur de mon existence. Mais c’est un cas particulier et la plupart du temps je considère (à tort ou à raison) qu’être conscient, c’est être acteur, en permanence, immergé dans le monde et fabriquant le futur. Jamais cette impression d’être acteur ne peut être restituée par le fait de regarder un film par exemple, quel que soit mon degré d’identification avec le personnage…

    Pourquoi donc sommes nous si nombreux à croire que ce n’est qu’une illusion en dépit de cette intuition ? J’y vois personnellement deux idées reçues, héritage de la pensée rationaliste de ces derniers siècles.

    La première c’est de penser que si on part du principe qu’il n’y a pas d’âme immatérielle, que le corps EST notre âme, comme les drogues semblent l’attester, alors il ne peut pas y avoir de libre arbitre parce que seul existe la matière et ses lois.
    En fait c’est exactement l’inverse qui est vrai : si je pense qu’il n’y a pas de libre arbitre parce que seul existe la matière et ses lois, je suis incapable d’expliquer le phénomène de la conscience. En aucun cas une matière obéissant à des lois ne peut rendre compte du fait d’être conscient. Pourtant la conscience existe. S’ensuit que je suis obligé de postuler une âme immatérielle pour expliquer la conscience. Il est donc trompeur de croire que refuser le dualisme rime avec refuser le libre arbitre, ce serait plutôt l’inverse.

    Si au contraire je pense qu’il n’y a pas d’âme immatérielle, je dois postuler que la matière puisse posséder en elle même les attributs de la conscience. Ces attributs ne peuvent se trouver que dans le hasard quantique. Cette démarche réhabilite donc d’emblée le libre arbitre au niveau le plus fondamentale de la conscience.

    La deuxième idée reçue c’est de croire que puisqu’il existe de choses déterminées, des facteurs sociaux et des facteurs psychologiques, il ne reste aucune marge pour la conscience. Cet argument peut se répéter à n’importe quel niveau d’organisation : puisque la société est déterminée par des actions individuelles, etc…
    Ce n’est pas parceque les choses sont déterminées en partie, parce qu’il existe des propensions plus ou moins importantes, qu’il ne reste plus de place pour la liberté. Pour comprendre ceci on peut prendre l’image des systèmes chaotiques (comme le climat) : si on connait bien l’état d’un système, on peut prédire son évolution à court terme et elle semble déterministe. Elle est plus aléatoire à moyen terme et franchement imprévisible à long terme. On retrouve des systèmes chaotiques partout dans le vivant. Sans minimiser la complexité de notre cerveau, il est donc raisonnable de penser qu’il en va de même pour un organisme comme le notre : prévisible à court terme et semblant donc totalement déterminé par différents facteurs, comme les émotions et les facteurs sociaux, mais dont l’évolution à moyen terme est réellement indéterminée… Ce qui laisse une marge de manoeuvre tout a fait acceptable à notre liberté sans pour autant nier les facteurs qui nous détermine.

    D’après moi l’idée d’une conscience spectatrice est lié à l’idée profondément ancré dans notre culture que chaque chose qui se produit doit avoir une cause. Or la physique quantique nous apprend que la causalité est une illusion des grands nombres…

    La réalité correspondrait plutôt à une dialectique subtile entre les déterminismes (la loi des grands nombre) et la liberté (chaque cas individuel est une exception à la règle).

    http://ungraindesable.blogspot.com/2009/02/lhypothese-du-libre-arbitre-reedition.html

    1. Avatar de Pascal B
      Pascal B

      Le problème fondamental semble provenir justement de la nature même de la matière, comme en témoigne les dernières publications scientifiques, on ne connait pas tout sur la matière, on élabore des théories etc…la question ne serait-elle pas plutôt de savoir s’il n’y a pas « quelque chose de spirituel » dans la matière plutôt que d’envisager la dualité matière/esprit.
      Tout comme l’avait expliqué Paul Jorion dans une intervention video sur la complexité de la science économique, ne prenant en compte que quelque paramètres dans des modèles mathematiques, pour ne finalement que rendre compte d’un certain pourcentage -faible- de la réalité, il semblerait qu’avec la matière nous soyons dans la même problématique. Notons cependant que la plupart des experts en économie affirment en savoir beaucoup (Jorion dit qu’ils bluffent, de bonne fois ou pas, sur un ton rassurrant) alors que les grands scientifiques en savent plus dans leur domaine tout en affirmant qu’ils ont conscience de ne pas tout savoir (encore que sur ce point j’espère ne pas me montrer trop naif). On le constate ou on le devine : la matière n’est pas si simple, ou du moins pas si simplifiable que celà.

  11. Avatar de TARTAR
    TARTAR

    Comprendre le réel et s’en tirer tant bien que mal dans le monde mal perçu par nos sens jusqu’à notre disparition, voilà le boulot dévolu à la conscience.
    En tant qu’ humain nous n’avons accès quà un réel amputé.
    Mais c’est assez pour « valider » un vie .
    Une étincelle.
    A quoi çà « sert » ?
    Peut-être à rien mais c’est un sujet pour métaphysicien nihiliste.

    Ce qui autorise le raisonnement logique (lequel nous permet de naviguer entre les obstacles existenciels) c’est la chaine causale, déterministe.
    Le résultat est apparemment la conséquence temporelle de la cause.
    La chaine causale est tendue c’est la flèche du temps.
    Qui est réprésentée mentalement comme un vecteur orienté.
    Un vecteur, une seule dimension.
    C’est coincé.

    Envisager que le temps ait plusieurs dimensions permettrait de « modéliser » les phénomènes étranges du quantique et du Planckien.
    Ubiquité, inséparabilité, résolution de paquets…etc

    Il faut tenter d’envisager qu’il n’y ait pas de « temps »..
    J’en remets un cuillérée, ce n’est pas hors sujet à propos de la conscience .
    ..
    et
    des « modèles » monétaires qui ne prennent pas en compte la femtoseconde de transaction à l’intérieur des disques durs des ordis des chambres de compensation.

    A propos si on REparlait de Clearstream après tout..?

  12. Avatar de Fab
    Fab

    Le leurre du leurre………… du leurre de la conscience.

    Le leurre du leurre……………..de la comparaison……

    La voie c’est le chemin…et réciproquement.

    L’homme dont il est question ici a un cerveau mais ne sais pas quoi en faire. Tel le lemming, il repousse sans cesse les limites de l’exploration de son propre cerveau, de sa propre existence, de sa conscience. Mais, toujours pour l’homme dont il est question ici, ses instincts bestiaux ressortiront tant qu’il ne se contentera pas de sublimer son propre éveil : aller au-delà du connu, analyser, critiquer, se comparer, sans jamais considérer l’autre comme il le ferait d’un arbre ou d’une fleur…simplement. La simplicité effraie, la complexité rassure. De la nature même de l’existence jusqu’aux constructions humaines, économie comprise ! Ca donne l’illusion qu’on peut comprendre ! Pourquoi pas…On peut aussi se dire que la compréhension, l’ultime explication, résistera à toute analyse et apparaîtra d’elle-même.
    Ou toute autre explication !

    Bonne journée.

  13. Avatar de Michel MARTIN

    Connaissez-vous la philosophie « à l’ancienne » (dans le sens où c’est une philosophie pratique), et pourtant révolutionnaire, de Jiddu Krishnamurti?
    http://www.jkrishnamurti.org/
    Il décrit assez finement et assez radicalement les interactions entre nos croyances et nos observations et il propose de se libérer du connu.
    C’est un auteur qui m’a fait découvrir mes propres mécanismes d’aliénation à mes croyances.

  14. Avatar de iGor milhit

    Une petite référence de livre en passant… : Les Matérialismes et leurs détracteurs.

    Quel est le point commun entre Benoît #16, le Dalaï Lama, Sarkozy, etc…? Ils accusent le matérialisme de tous les maux…

    Mais pourquoi je parle de ça?

  15. Avatar de Michel Dumontet
    Michel Dumontet

    Ceci me rappelleun limerick qu’utilisait Alan Watts.
    Il y avait un jeune homme qui disait:
    « Bien qu’il semble que je sache que je sais;
    ce que j’aimerais voir,c’est le je qui me connaît
    quand je sais que je sais que je sais. »-

  16. Avatar de Phil Osof
    Phil Osof

    Ce billet me fait penser à une idée de je-ne-sais-plus-qui pour expliquer les conflits en antériorité sur les brevets des inventions. L’hypothèse serait que les éléments nécessaires à l’élaboration d’une nouvelle invention apparaîtraient peu à peu dans la société. Ils seraient dans « l’air du temps ». Chacun dans son coin, des individus disposant de plus ou moins d’informations se mettraient, indépendamment les uns des autres, à réfléchir pour parvenir à la même invention. Ensuite, il y aurait toujours un individu pour réunir les pièces du puzzle avant les autres. Mais d’une certaine manière, l’invention aurait été « inévitable » et dans l’air du temps. En est-il de même pour Freud et Darwin ?
    Suivant cette idée, le droit de propriété intellectuelle me semble un frein à la création en faisant tout rafler à l’inventeur final. Les intermédiaires n’ont pas intérêt à collaborer.
    J’ai parfois l’impression que nous commençons à peine à sortir d’une période de « pensées uniques » au pluriel où le « There Is No Alternative » de Thatcher n’aurait pas touché que l’économie, mais aussi la science et la culture.

    @ Quentin : Peut-on à la fois être acteur et observateur ? C’est quantique.

  17. Avatar de quentin

    @iGor milhit

    Je ne sais pas pourquoi vous dites ça, mais il me semble que le matérialisme ne mène pas nécessairement à l’idée que le libre arbitre est une illusion.

    Sarkozy voit des déterminismes dans la pédophilie, par exemple, ce qui n’a rien d’étonnant. Il faudrait poser la question à Benoit XVI et au dalai lama…

    Le fatalisme est clairement anti-matérialiste et se rapproche des manières de voir des religions monothéistes, du dualisme, avec un Dieu créateur réglant les conditions initiales du monde à la perfection une foi pour toute et le regardant se dérouler sous ses yeux. L’idée que la conscience ne possède aucun pouvoir décisionnel (donc que l’on nait pédophile…) est selon moi une forme de fatalisme.

    A l’inverse l’idée du libre arbitre peut être matérialiste (comme elle peut ne pas l’être par ailleurs…).

  18. Avatar de Paul Jorion

    @ quentin

    En aucun cas une matière obéissant à des lois ne peut rendre compte du fait d’être conscient.

    C’est pourtant précisément ce que je démontre dans mon article. Le moins que vous puissiez faire alors serait de réfuter mes arguments.

    1. Avatar de bernard laget
      bernard laget

      Paul, cette question de la conscience fait débat; alors mème que je serais volontiers attaché à ce concept peut étre pollué par des miasmes religieux voire Freudiens ; l’idée qu’elle puisse s’insinuer inutilement en sciences me convient et je fais l’éffort ici de vous entendre.

      Je vous soumet le paradoxe de l’atome solitaire, dont je sais déja que Marc P. va le traiter de solipsisme !

      Imaginons, et qui d’autre que nous pourrait le faire, un atome d’hydrogéne solitaire constitué de son proton et d’un pauvre électron orbitant inlassablement. rien ne nous interdit de nous placer par la pensée en observation soit à la place de l’un ou de l’autre. Depis le proton nous verrons le manège de l’électron, depuis l’électron nous vérrons le proton orbiter autour de l’électron, modulo le spin, que je ne crois pas utile d’introduire ici, sauf pour rappeller que le couplage spin orbite est justifié par les physiciens en modélisant un moment magnétique crée par la rotation du proton si l’on se place sur l’électron. On peut donc conduire deux calculs atomiques quantifiés depuis les deux observatoires; me gardant de les qualifier de référentiels au sens relativiste..Ce sont cependant des stricts référentiels de pensée.

      Les bilans énergétiques sont différents eu égard à la masse du proton 1836 fois supérieures à celle de l’électron, c’est l’objet du paradoxe: qui donc introduit cette divergence au niveau de la matiere sinon un procéssus mental ?

      L’on m’objectera pour lever le paradoxe qu’un atome solitaire d’hydrogene ne puisse ce concevoir, conformément aux réflexions de Macch, au principe de Macch. Je pose alors la question suivante démontrez le donc, sans recourir à un principe; je renoncerai alors à introduire de la conscience dans la matière.

  19. Avatar de iGor milhit

    @ quentin

    Sarkozy voit une détermination particulière à la pédophilie: la génétique. On pourrait en voir d’autres.

    Je ne sais pas trop ce que c’est que le libre arbitre. Et je ne pense pas que si celui-ci est une illusion que nécessairement il faille s’en remettre à la fatalité. Et pourquoi pas à la Providence?

    Dans le livre dont j’ai mis en lien les références (épuisé, oui, mais il doit se trouver en bibliothèque), j’ai appris que les pensées matérialistes, non pas les données établies par la science dont le présupposé méthodologique est matérialiste, mais bien les philosophies, ont singulièrement évolués récemment. Et on peut dire que le libre arbitre est une illusion sans pour autant professer un fatalisme déprimant.

    De ce même livre, j’ai pris quelques bonnes notes de lectures, voir dactylographié l’un ou l’autre article. Je vous les communiquerai avec plaisir, il vous suffit de m’envoyer un message à l’adresse e-mail que vous trouverez sur mon blog…

  20. Avatar de iGor milhit

    J’ajoute que je n’ai pas encore terminé de lire Le secret de la chambre chinoise qu’on trouve en lien dans le billet que l’on commente ici, et qui est passionnant…

  21. Avatar de quentin

    @Paul Jorion

    je ne veux pas dire que c’est incompatible, on peut concevoir comme vous le faites que la matière obéisse simplement à des lois et que la conscience existe par ailleurs.

    Ce que je veux dire c’est que la simple description de la matière obéissant à des lois ne permet pas à elle seule d’expliquer la conscience. Elle est incomplète.

  22. Avatar de quentin

    @iGor milhit

    Qu’elle peut être la voie entre le libre arbitre et le fatalisme ?
    Il me semble que si nous ne possédons pas de pouvoir décisionnel sur le monde, ceci signifie que le cours des événements est indépendant de nous. Nous nous contentons simplement de le regarder comme un spectateur. Peut être dans un cas s’agit-il du hasard et dans l’autre du déterminisme pur, cependant je ne vois pas de différence fondamentale avec le fatalisme, ni en quoi c’est moins désespérant…

    J’admet que prendre en compte le hasard, donc quitter le déterminisme pur, permet de coller à nos connaissances scientifiques actuelles. Cependant il manque toujours l’explication de la conscience, et on se retrouve bien forcé de la poser ad-hoc, donc de quitter le matérialisme pour le dualisme…

    Je ne vois pas d’autre solution au vrai matérialisme que de postuler que la matière possède en elle même les propriétés de la conscience – que ces propriétés comprennent le libre arbitre ou non.

  23. Avatar de Moi
    Moi

    @quentin: « Ce que je veux dire c’est que la simple description de la matière obéissant à des lois ne permet pas à elle seule d’expliquer la conscience. Elle est incomplète. »

    Oui, mais… et les arguments?

  24. Avatar de Marc Peltier
    Marc Peltier

    @Paul Jorion,

    Merci de mettre ce texte très stimulant en ligne.

    Il est passé du courant dans les I.R.M. depuis les travaux de Libet que vous citez, et vous trouveriez sans doute à conforter vos prémisses dans des travaux plus récents qui mettent très finement en évidence les délais entre un stimulus et l’activation successive de différentes populations de neurones, dont celles qui signent la présence de la conscience.

    Je pense que vous aurez toujours raison sur ce point : la conscience est toujours la dernière informée de ce que fait « le cerveau » !

    A partir de là, le raisonnement qui soutient qu’elle ne prend donc aucune part à la volonté, sauf à remonter le temps, semble imparable. Je le suis d’ailleurs en partie, et j’avoue que cette idée très paradoxale m’a surpris et passionné (car en dépit de ce que vous suggérez en conclusion, on peut trouver passionnant d’être confronté à une idée qui vous retourne intellectuellement!).

    Je vous propose néanmoins un point de vue qui peut en diminuer la portée.

    Je suis frappé de l’aspect monolithique et impénétrable de la conscience que votre présentation suppose.

    Certes, la conscience est la condition de l’existence d’un sujet, qui est, lui, tout à fait irréductible et impénétrable. JE pense, JE suis. Comme c’est le sujet qui manifeste la conscience, il est bien difficile de départir les deux notions. Elles sont pourtant distinctes.

    Je risque la formulation : « Le sujet n’a pas de structure, mais la conscience en a une. »

    Je me réfère à Douglas Hofstadter (« Gödel, Escher, Bach », et « Je suis une boucle étrange »), que vous devez connaitre, et qui nous propose de voir la conscience comme une profonde récurrence, basées sur des autoréférences qu’il appelle « étranges », à très grand nombre de niveaux, permettant autant d’émergences.

    J’aime bien présenter la notion d’émergence en montrant des tourbillons dans l’eau, c’est un exemple très clair. Il faut un grand nombre de molécules d’eau pour que des tourbillons y apparaissent. Ils ont une réalité, on peut les compter, les voir naitre, évoluer, et disparaitre. Sont-ils de l’eau? Non, il y a aussi des tourbillons semblables dans l’air, et dans d’autres choses. Peut-on les extraire de l’eau, et ne garder que les tourbillons? Non, c’est impossible, ils n’existent que sur un substrat matériel.

    Ils constituent une émergence, quelque chose de radicalement nouveau qui survient quand un grand nombre d’entités physiques dissipent collectivement de l’énergie ou de l’information.

    Entrons un instant dans la conception d’Hofstadter (et d’autres, sans doute, je suis bien ignorant!..).

    Les processus cognitifs existent à différents niveaux, depuis le neurone sensoriel qui est directement connecté au milieu, et y répond mécaniquement, jusqu’aux populations de neurones qui sont associés aux traitements symboliques les plus abstraits. Des émergences peuvent se manifester à ces différents niveaux, sur ces états mentaux qui dissipent l’information. Des émergences pourraient aussi (c’est moi qui risque l’hypothèse), concerner des processus qui ne sont déjà plus directement liés à l’activité neuronale, et qui sont eux-mêmes des émergences…

    La conscience serait l’émergence terminale, fédératrice. Il y a sans doute moins de niveaux chez mon chat que chez moi, mais cela ne change pas le problème. Dans tous les cas, on ne peut pas extraire la conscience et la considérer « en soi », c’est aussi vain que de chercher à obtenir des tourbillons « en soi ».

    Imaginer que « le cerveau » ou « le corps », produit selon sa « pente naturelle » des décisions que la conscience ne peut que constater en bout de chaine de traitement, c’est opérer en fait une telle séparation.

    Et d’ailleurs, pour agir ainsi, en amont de la conscience, songez à ce que « le cerveau » doit produire : Extraction des données sensorielles, abstraction, confrontation aux évocations mnésiques, construction d’un modèle du réel, d’un modèle de soi, évaluation de stratégies, simulations, prise en compte des affects, etc… Mais c’est de la conscience « canada dry »! Qu’est ce qui l’empêche d’être de la conscience? Une seule et unique chose : il y a une émergence au dessus, qui est la conscience.

    Dans cette conception des émergences, on peut éplucher l’oignon en retirant des couches, ça ne change pas le problème : Ce qu’il y a autour, en dernière couche, s’appelle toujours la conscience. Mon chat est conscient. La théorie synthétique de l’évolution pourrait expliquer l’apparition de nouvelles émergences sur un substrat neuronal plus développé, mais qui ne change pas de nature…

    L’émergence terminale, a quelque niveau qu’elle se produise, intègre tous les niveaux sous-jacents, y compris ceux qui ont produit les schémas d’action que l’on peut assimiler à la volonté. Elle est peut-être caractérisée comme venant après dans le temps, en effet, car les émergences ne sont pas instantanées, mais elle est « co-émergente » (je suis obligé de créer le terme) avec les processus sous-jacents, dont elle ne peut être séparée.

    Là est donc le petit bémol que je voulais vous suggérer: La volonté n’émane pas de la conscience, merci de me l’avoir montré, mais la volonté et la conscience ne sont pas séparables, ce qui peut changer certaines de vos conclusions.

    Tout cela dans la conception où la conscience résulterait d’une série d’émergences, évidemment…

  25. Avatar de quentin

    @Moi

    Je ne pense pas que Paul Jorion dise le contraire dans cet article ?

    Il dit simplement que le libre arbitre n’est pas nécessaire, et selon lui un « noyau de croyance » nous empêcherait de l’admettre. Je n’ai rien à redire à ça, si ce n’est que je ne partage pas le postulat de départ.

    Dans l’article complet il part du point de vue que la conscience est spectatrice du monde et explique ainsi différentes manifestations qui s’offrent à notre esprit. Mais il ne prétend pas pour autant expliquer le phénomène de la conscience en lui même, tel qu’on le vit en tant que sujet, à partir de la matière. Il y a une nuance.
    Il explique ce que l’on perçoit consciemment mais ne prétend pas expliquer la conscience elle même.

    A moins que quelque chose m’ait échappé ? Dans ce cas n’hésitez pas à me reprendre en me citant les passages.

  26. Avatar de Moi
    Moi

    @quentin: « Mais il ne prétend pas pour autant expliquer le phénomène de la conscience en lui même, tel qu’on le vit en tant que sujet, à partir de la matière. »

    Ce que j’ai compris, c’est que la conscience n’est qu’un phénomène matériel, non subjectif en soi (« ne sont pas davantage liées à un sujet humain maître de ses actions, que le fait pour quiconque d’entre nous d’ouvrir une fenêtre machinalement »).
    Qu’on le vive comme subjectif est une illusion toute naturelle dûe au fait que c’est forcément un individu biologique qui est porteur de cette conscience (« sont sans aucun doute des réalisations personnelles ayant leur fondement dans un être biologique modelé par une histoire »).
    Que la réflexion ne nous ait pas jusqu’il y a peu révélé ce caractère impersonnel de la conscience est dû à l’orgueil (« ce « moi, je » dont il aime ponctuer son discours »).
    Pour une théorie du caractère matériel et causal de la conscience, s’en référer à Darwin et Freud.

    Le seul point où je suis en léger désaccord avec le texte de Paul Jorion c’est lorsqu’il dit ne pas trouver de précurseur (en dehors d’idées isolées) aux théories darwiniennes et freudiennes. Sur la question du « moi », je pense qu’ils ne font que rejoindre le bouddhisme et la plupart des enseignements ésotériques des religions (mystique catholique, chamanisme, kabbale, soufisme, etc). Mais il est vrai que l’exposition de ces enseignements, bien que fortement structurée, n’avait pas la forme argumentée, scientifique, claire, des théories de Darwin et Freud. Par contre, ils avaient ainsi l’avantage de ne pas s’adresser qu’à la conscience.

  27. Avatar de iGor milhit

    @ quentin

    Il y a la notion de propriété émergente. La vie est une propriété émergente de la matière inanimée. La pensée est de même une propriété émergente de la vie.
    C’est un des éléments intéressants que j’ai appris dans le livre Les matérialismes et leurs détracteurs.

  28. Avatar de Mikael EON
    Mikael EON

    Cet article de Dennis OVERBYE résume assez bien le débat:
    http://www.nytimes.com/2007/01/02/science/02free.html?_r=1
    J’aime particulièrement la citation d’Einstein paraphrasant Schopenhauer:
    “a human can very well do what he wants, but cannot will what he wants.”

  29. Avatar de François78
    François78

    @ Paul Jorion, Alain A et à tous, bonjour.

    J’adore l’image du « bouchon sur la mer déchaînée de mes états mentaux » proposée par Alain A et suggérée par le texte de Paul « le secret de la chambre chinoise ». Dans la description mécaniste, argumentée et convaincante, ce n’est pas tant la vanité qui est touchée (pour qui a été élevé sous Darwin et Freud), que la notion de libre arbitre.

    A ce propos, et aussi pour faire un clin d’œil aux fils relatifs à la « relation d’incertitude » et « monde multiple et conscience », je me suis toujours demandé, lorsqu’une alternative échoit et que les critères objectifs semblent s’équilibrer, quelle était la cause du choix d’une option : une action très faible, une bifurcation créée par une toute petite bosse improbable dans la configuration du gradient des affects en jeu ? Je croyais n’avoir jamais pris de décision en tirant à pile ou face (je laisse les dés à qui de droit).

    Ce n’est pas la conscience (au sens non rectifié) qui influerait le résultat d’une mesure, mais l’inverse.

    A propos de Darwin et Freud, les deux théories (je préfère « thèse » concernant Freud) exigent moins aujourd’hui une « argumentation discursive » et sont de plus en plus du domaine de la science (expérimentale, dite dure), avec pour l’un les avancées de la (phylo)génétique (moléculaire), et pour l’autre les progrès dans les instruments et les utilisations de l’imagerie cérébrale.

    En conclusion, je comprends un peu mieux la poésie, Rimbaud (et « Voyelles »), l’art abstrait, l’école surréaliste et finalement Dali m’apparait tout à coup un peu trop conscient (mais je l’aime tellemement..).

  30. Avatar de quentin

    @iGor milhit

    La notion de propriété émergente est effectivement intéressante.
    La page wikipedia sur le sujet (http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mergence) explique bien qu’on peut y voir deux chose : l’émergence faible selon laquelle on peut toujours idéalement réduire le tout à l’ensemble de ses parties mais que les propriétés descriptives globales sont simplement plus pertinentes pour décrire le système, et l’émergence forte selon laquelle apparait réellement quelque chose de nouveau à partir d’un certain niveau qu’il est impossible de déduire du simple agencement des parties en un tout. L’émergence forte me parait assez discutable…

    Je pense que la notion d’émergence peut effectivement éclairer le débat sur l’origine de la conscience. Mais j’ai tendance à croire, à moins d’adopter l’émergence forte, qu’on doit pouvoir retrouver certaines propriétés « pré-conscientes » au sein même de la matière pour l’expliquer réellement dans une perspective matérialiste.

    @Moi

    Tout le texte est basé sur la supposition que le libre arbitre est une illusion. Ce postulat est justifié par les expériences de Libet, qui consistent à réussir à prédire la prise de décision avant même qu’elle ne soit consciente en observant le champ électrique du cerveau. Le sujet repère la position d’un oscilloscope au moment où il estime que sa décision d’appuyer sur un bouton plutôt qu’un autre est consciente. On observe une activité cérébrale jusqu’à 7 secondes avant la décision permettant de déduire celle-ci avant même que le sujet en ait conscience : http://www.mutageneses.com/2008/04/7-secondes-dinconscience-le-libre.html .

    J’aurais des arguments à apporter sur ce sujet, car je ne partage pas l’enthousiasme de Paul Jorion sur les conséquences à tirer de ces expériences.

    Premièrement si j’en crois wikipedia, Benjamin Libet lui même pense que la conscience peut modifier le champs électrique cérébral et a proposé à la fin de sa vie des expériences pour le montrer… http://en.wikipedia.org/wiki/Benjamin_Libet

    Ensuite le fait qu’une décision arbitraire du type d’appuyer sur un bouton prenne naissance dans l’inconscient avant d’être consciente n’est pas incompatible avec le vécu que l’on en a, quand à la naissance de sa possibilité, puis son actualisation effective. Rappelons que la prédiction par l’observation du cerveau n’est pas fiable à 100%. Sur 7 secondes, elle l’est à 60% seulement, un peu plus que les 50% du hasard. Rien n’exclut donc que le sujet soit libre de changer d’avis au dernier moment. C’est un détail qui a son importance !

    On le voit le taux d’erreur est déjà assez important sur une prise de décision binaire. Que dire alors d’une décision plus complexe mêlant un nombre important de paramètres, c’est à dire dans un contexte ou on estime que le libre arbitre s’exprime pleinement ?

    D’autre part, j’avoue que personnellement cette expérience me semble très intuitive. J’ai l’impression de ressentir la possibilité de mes décisions avant qu’elles soient effectivement prises, d’abord perdues dans l’inconscient puis émergeant petit à petit dans la conscience comme des potentialités, de plus en plus certaines… D’ailleurs le moment où j’estime qu’une décision est consciemment prise me parait assez flou, lui même arbitraire. Surtout s’il s’agit d’appuyer sur un bouton. L’expérience, loin de l’assimiler à une illusion, est au contraire pour moi en totale cohérence avec l’idée intuitive que je me fais de mon libre arbitre, avec mon ressenti intérieur de la prise de décision.

    Finalement cette expérience nous montre qu’il existe des déterminismes à nos décisions qu’il est possible d’observer par l’expérience. Je n’ai jamais nié de tels déterminismes. Je suis d’ailleurs assez d’accord avec l’article sur l’humilité que doit nous apporter la connaissance de nous même…. Mais pas jusqu’à la négation de nous même.
    Évidemment, nous sommes conditionnés par nos émotions, par notre inconscient, par notre environnement, par notre passé, notre éducation et nos gènes. Evidemment nos pensées ne suivent pas un cours totalement libre et il existe toujours un fil conducteur… Il n’est donc pas étonnant que le cerveau soit prévisible à court terme, et d’autant plus que la période est courte (On en revient à la notion de système chaotique…).
    Mais tous ces éléments ne sont jamais que des « propensions », la science de la complexité nous garantit qu’il est impossible de prédire entièrement le fonctionnement du cerveau, à plus forte raison sur une période longue, et il ne faut donc pas en conclure hâtivement que le libre arbitre est forcément inexistant.

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