L’actualité de la crise: montée d’impératifs contradictoires, par François Leclerc

Billet invité.

MONTEE D’IMPERATIFS CONTRADICTOIRES

Les gouvernements occidentaux, qui n’ignorent pas que la crise est installée et chronique, sont toujours à la recherche d’une ligne de conduite, sans avoir évacué la crainte d’une possible rechute aiguë. Ils font face à deux dilemmes, plus faciles à identifier qu’à trancher. L’un concerne la réduction des déficits publics, l’autre le renforcement des fonds propres des banques, tous deux apparemment contradictoires avec la reprise économique.

A propos du premier d’entre eux, les gardiens du temple – BCE en tête, qui mène une campagne acharnée – martèlent tous le même discours: les déficits publics doivent être impérativement réduits. Mais ils ne disent pas comment s’y prendre, car – admettent-ils – il ne faut pas casser la reprise économique. Le dernier communiqué du FMI illustre parfaitement ce choix impossible entre des impératifs contradictoires, justifiant d’être abondamment cité.

L’organisation internationale vient de relever ses prévisions de croissance pour 2010, tout en reconnaissant que celle-ci restait dépendante du soutien des Etats dans les pays développés. Ce qui implique, selon elle, « de soutenir la reprise là où elle n’est pas encore fermement enclenchée » (dans les pays occidentaux). Utilisant une formule qui ne manque pas de saveur : « On ne discerne encore guère de signes de solidité de la demande privée autonome, tout au moins dans les économies avancées ».

Mais, une fois de plus, le FMI souligne que « les pays où la viabilité des finances publiques est de plus en plus préoccupante doivent avancer dans la conception et la communication de stratégies de sortie crédibles ». Avec pour objectif de « concevoir des stratégies crédibles qui permettront de s’affranchir du soutien de la politique monétaire, et de les communiquer». En vue de diminuer « les craintes d’inflation ou de nouvelle instabilité financière ». Remarquant également que « l’inquiétude croissante concernant la dégradation des situations budgétaires et la viabilité des finances publiques pourrait déstabiliser les marchés financiers et enrayer la reprise, en rehaussant le coût de l’emprunt pour les ménages et les entreprises ». Mais aussi que d’autres facteurs pourraient « freiner la reprise dans les économies avancées », comme « le niveau élevé du chômage » ou bien « l’existence de systèmes financiers qui ne sont pas encore complètement rétablis et, dans certains pays, la fragilité des bilans des ménages ».

Un tel constat global, balancé et formulé dans des termes si choisis, laisse au final dans la plus profonde expectative quiconque se demande ce qu’il convient d’en conclure et de faire. C’est d’ailleurs ce qui se passe actuellement dans les pays occidentaux, dont les gouvernements – chacun de leur côté – se penchent sur la question, sans décider à se relever. Cherchant timidement, en Europe, des formules de coopération afin d’affronter le problème à plusieurs et reporter la responsabilité de ce qu’ils vont devoir entreprendre sur les autres. A ce titre, Jean-Claude Juncker, chef de file des ministres des finances de la zone euro, propose vaguement de renforcer le pilotage des politiques économiques, après que le projet Espagnol d’instauration d’un gouvernement Européen économique ait fait long feu, devant le refus Allemand d’entrer dans ce jeu. Ces mêmes Espagnols, en charge de la présidence de l’Union européenne, se replient sur une plus modeste « coordination » dans le domaine fiscal, au moins pour tous les nouveaux impôts qui pourraient être décidés, précisent-ils. Ne mentionnant que la taxe sur les transactions financières et une taxe carbone, pour ne pas effaroucher les Allemands et les Français, qui conservent l’intention de diminuer les impôts, ou de ne pas les augmenter.

En France, une conférence se réunira jeudi à l’Elysée, afin de faire un point sur la dépense publique (c’est la formule employée pour minimiser son importance), sans prendre de décision sur la manière de la réduire, car celles-ci ne seront annoncées qu’après les prochaines élections régionales. Elle se tient toutefois juste avant que ne soient transmises à la Commission européenne les prévisions de déficit et de dette jusqu’en 2013. L’enveloppe va donc être annoncée avant que son contenu ait été examiné. En Allemagne, la coalition au pouvoir négocie péniblement la réduction de la baisse des impôts prévu à son programme, sans avoir encore abordé, tout du moins publiquement, le chapitre de la réduction des dépenses, où elle est attendue par les syndicats.

Hors zone euro, Alistair Darling, le ministre britannique des finances, fait preuve d’une grande prudence en commentant la publication de chiffres, très attendus, montrant que le Royaume-Uni est le dernier de la classe sorti de la récession au quatrième trimestre 2009, avec un +0,1% de croissance très modeste. Il y a « beaucoup d’incertitude dans le monde » et l’on peut s’attendre à « d’autres secousses sur le chemin », a-t-il dit pour tout signe de victoire. Concluant que « les chiffres d’aujourd’hui confirment qu’on ne peut pas de manière réaliste s’engager dans une revue de détail des dépenses publiques ».

Aux Etats-Unis, Barack Obama se prépare à annoncer dans son discours de l’Union qu’il va proposer d’économiser 250 milliards de dollars sur dix ans et, pour commencer, geler pendant les trois ans à venir le budget fédéral, hors dépenses de sécurité intérieure, militaires et en faveur des anciens combattants ! Le Sénat vient de rejeter le principe de la création d’une commission bipartisane à majorité démocrate, qui aurait eu pour tâche officielle de déblayer le terrain et officieuse de construire une majorité aussi large que possible pour décider des coupes budgétaires. A chacun son parapluie, à condition de parvenir à l’ouvrir.

Dans le meilleur des cas, si l’on peut dire, un cadre très général est ou va être donc fixé, mais les mesures qui doivent permettre de le respecter sont encore à l’étude. Jamais, on peut en tout cas s’y attendre, le déploiement d’autant de pédagogie et de savoir faire en matière de communication n’aura été envisagé en vue de l’annonce d’une politique a priori aussi peu populaire.

Le second dilemme concerne plus spécialement le secteur financier, dont les faiblesses générales ont été estompées par les brillants résultats d’une grosse poignée de mégabanques, mais qui sollicite encore beaucoup l’attention. Après que le spectre de l’inflation ait été évoqué avec la même conviction que ne l’est aujourd’hui le danger que représentent celui des déficits publics – pour justifier dans le premier cas une remontée des taux directeurs des banques centrales et l’arrêt de la distribution des liquidités-cadeaux – un autre problème vient occuper le devant de la scène. A nouveau un dilemme, donc, avec d’un côté la nécessité d’un renforcement des fonds propres des établissements bancaires, de l’autre le sentiment qu’il ne faut pas trop précipiter le mouvement en raison de ses conséquences. Car cette mesure pourrait se faire, est-il craint, au détriment de la contribution tant espérée des banques à la relance de l’économie. Une raison plus prosaïque se dissimulant derrière cet argument, les dites banques étant effrayées par l’ampleur des fonds qu’elles risquent de devoir lever, ainsi que par le coût que cela risque de représenter, en raison des tensions sur les marchés qu’une telle demande massive ne manquera pas de susciter. Non compte-tenu de la présence d’autres demandeurs, les Etats et les grandes entreprises.

Dans ces conditions, la manière de procéder à ce renforcement donne lieu à des appréciations pour le moins contrastées en Europe, qui vont devoir être résorbées pour qu’une nouvelle cacophonie ne s’installe pas. Mervyn King, gouverneur de la Banque d’Angleterre, estime ainsi que ce n’est pas le moment de demander aux banques de s’y engager, afin de ne pas faire obstacle au maintien et au développement du crédit. Tandis qu’Alex Weber, président de la Bundesbank (et candidat non déclaré à la succession de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE) accuse celles-ci de ne pas assez y procéder sans tarder, en utilisant leurs bénéfices (au lieu de distribuer des bonus).

La réunion des ministres des finances du G7, tenue hier lundi à Londres sous la présidence de Lord Myner, s’est également penchée sur la question, même si elle n’a pas été particulièrement prolixe sur la teneur de ses travaux et de ses conclusions. Probablement n’en avait-elle pas à annoncer, faute d’accord. Elle était initialement convoquée afin de faire un point sur le projet, défendu par Gordon Brown, de taxation des transactions financières (ou alternativement d’assurance anti-crise), au pied levé elle a été l’occasion d’obtenir des Américains des éclaircissements sur le plan Obama de « réglementation Volcker », mais elle s’est également penchée sur la problématique du renforcement des fonds propres des établissements financiers. Le remède miracle des Cocos (les obligations convertibles contingentes qui pourraient être admissibles dans des conditions encore inconnues au Tier one des fonds propres, comptant pour le calcul du ratio de solvabilité) aurait été évoqué, ainsi que les mesures qui pourraient inciter les banques à les émettre, afin de répondre aux futures exigences du Comité de Bâle. Leur admissibilité par ce dernier étant par ailleurs en question, pour rajouter à la clarté de la situation.

Or, les banques renâclent fortement aux exigences qui sont proposées à leur discussion, les estimations qui circulent faisant état de montants très élevés pour les sortir d’eau et leur permettre, très hypothétiquement d’ailleurs, de faire face à une prochaine crise. « Bien que des fonds propres aient été levés jusqu’à présent, les banques pourraient être amenées à en mobiliser beaucoup plus pour contribuer à la reprise du crédit et entretenir la croissance économique », vient d’affirmer le FMI dans son dernier « Rapport sur la stabilité financière mondiale » rendu public mardi. Les banques souhaitent quant à elles vivement que la barre ne soit pas placée trop haut, précisément au prétexte de leur contribution à la reprise de l’économie. Elles attendent des politiques, là encore mis à contribution, qu’ils jouent leur rôle dans la partie. En l’occurrence qu’ils se fassent les interprètes des banques auprès des organismes régulateurs, et qu’ils obtiennent que le bouclier de fonds propres dont elles vont devoir se doter soit aminci, et que les délais qui vont leur être donnés pour s’en doter soient allongés.

Mais ce dossier déjà complexe vient d’être encore compliqué par la venue du plan Obama, venant se surajouter aux discussions en cours sur une liste de différents projets de taxes et d’assurances déjà longue. Car tous ces projets ont un coût pour les banques, dont le seul objectif est bien entendu d’éviter qu’ils s’additionnent, et de les minorer. La motion de synthèse qui devra être effectuée, officiellement par le FMI pour le chapitre taxes et assurances, ne s’annonce pas comme un exercice de tout repos. Le FMI vient d’ailleurs de réclamer, toujours dans le même rapport, que le débat soit « dépolitisé », manière de dire aux gouvernements qu’il faut lui laisser de l’espace ! D’autant que travaillistes et conservateurs britanniques sont partagés, les premiers en faveur d’une taxe (ou d’une assurance) et contre l’application du plan Obama, les seconds (ainsi que Mervyn King, à la tête de la Banque d’Angleterre) ayant la position opposée. Les élections devant les départager risquant fort d’intervenir après que la réunion du FMI qui doit statuer sur la question ait eu lieu.

La décision finale du Comité de Bâle sur les modalités du renforcement des fonds propres, quant à elle, risque de ne pas être plus facile à prendre, les banquiers centraux tenaillés entre des impératifs eux aussi contradictoires: régulation renforcée contre relance de l’économie est un choix douloureux, quand les politiques multiplient les prières pour que la relance se précise et se confirme, facilitant d’autant la réduction des déficits publics. Tout est lié, ce qui ne simplifie pas les décisions.

Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, vient d’apporter sa pierre à cet édifice construit sans architecte et promis à une construction laborieuse, en déclarant que le plan Obama « peut aider à éviter une nouvelle crise financière » (on a connu soutien plus enthousiaste). Pour lui, le principal problème « n’est pas tellement la taille des banques mais la nature de ce qu’elle font », validant ainsi à moitié le plan Obama. La séparation entre les activités commerciales et celles d’investissement est la question essentielle. Adoptant une formule également à inscrire au livre d’or, il considère que celle-ci pourrait réduite « les risques de contagion », «favoriser une croissance soutenable » et permettre que les banques commerciales ce concentrent sur les besoins de leurs clients, « sans distractions » (voilà la cerise sur le gâteau). Mais il ajoute que le calendrier de toute réforme devra être établi avec précaution, alors que « les pertes des banques commerciales sur les crédits non remboursés commencent à augmenter », occasionnées par la crise. Nous y revoilà.

Demain sera un autre jour.

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  1. Les élections de mi-mandat seront truquées : comme chez Poutine. Faut suivre Gaston! 😊

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