L’actualité de la crise: bricolages en tous genres, par François Leclerc

Billet invité

BRICOLAGES EN TOUS GENRES

Combien de temps les dirigeants de la zone euro vont-ils parvenir à tenir fermé le couvercle de la crise ? Tout tourne toujours autour des stress tests des 91 banques retenues. D’un côté, on nous affirme qu’ils sont menés en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, alors que l’on reconnait de l’autre que les ministres de l’Ecofin actuellement réunis à Bruxelles vont mettre au point leurs ultimes réglages.

Les déclarations les plus contradictoires continuent d’être recueillies à propos des paramètres d’effort qui ont été ou vont être choisis – on ne sait plus – à propos de la décote que pourraient subir les obligations souveraines des pays attaqués par les marchés.

Que cette question soit au centre des débats est en soi significatif de l’importance qui lui est accordée, des risques de défaut qui sont en réalité redoutés, à défaut d’être publiquement reconnus. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, a rejeté dans ces termes l’idée selon laquelle les critères auraient été arrondis : « D’abord on a dit qu’ils étaient trop durs, qu’ils allaient conduire toutes les banques à la faillite, le lendemain on dit qu’ils sont trop faibles et que l’exercice ne sert à rien. Généralement, la vérité se situe au milieu ». On ne peut pas mieux avouer qu’un compromis politique est recherché.

Un article du Spiegel retient l’attention. Selon l’hebdomadaire, qui bénéficie souvent de fuites organisées, le gouvernement allemand mettrait au point un plan permettant de gérer des processus de restructuration de la dette souveraine en zone euro. Il faut dire que s’il devait être activé, le gouvernement Allemand serait aux première loges, en tant que premier contributeur du plan de stabilité financière européen. L’idée serait que le secteur privé (les banques) seraient également mises à contribution, une décote consentie par ses soins. En contrepartie, le reste de l’investissement serait garanti suivant un montage pouvant faire appel au FMI et qui serait géré – suivant le modèle du Club de Paris – par un nouveau club qui pourrait prendre le nom de Club de Berlin. Le mécanisme serait à double détente, prévoyant qu’au cas où la décote de la dette ne réglerait pas le problème, le pays qui en aurait bénéficié passerait sous le contrôle financier de la structure.

Parallèlement, des tests continuent d’être menés par des mégabanques européennes, dont les résultats sont distillés dans les médias bien informés. Après le Crédit Suisse, c’est la Royal Bank of Scotland (RBS) qui a publié aujourd’hui une étude limitée au secteur bancaire espagnol, un secteur clé. Il en ressort que les banques auraient besoin d’être recapitalisées à hauteur de 50 milliards d’euros, alors qu’on estime que les tests ne feront état que de 20 milliards d’euros. Si la décote qui devait intervenir sur les portefeuilles de dette obligataire des banques devait atteindre 30% au lieu des 5% étudiés, la perte enregistrée serait alors de 400 milliards d’euros. Les milliards volent de tous côtés, c’est désormais la routine.

On se doute en tout état de cause que les résultats qui seront finalement annoncés – le 23 juillet prochain – ne correspondront pas au pire de ce qui pourrait advenir, dans la logique même de ce que devraient être des stress tests ; mais, plus prosaïquement, à ce qui pourra être financé en faveur des banques qui seront déclarées dans le besoin. Par quel moyen, c’est toute la question.

Les « mesures nécessaires » seront prises à déclaré Didier Reynders, le ministre belge des finances – l’Union européenne étant désormais sous présidence Belge – tout en reconnaissant que les modalités détaillées des tests seraient déterminées lors de la réunion de l’Ecofin en cours. Charilaos Stavrakis, son homologue chypriote, précisant qu’ «il y a plusieurs options à disposition des responsables politiques pour aider une banque en difficulté », y compris « l’injection de fonds publics ».

Il faudra attendre pour en savoir plus, mais des rumeurs insistantes font état de la possibilité de transformer l’European Financial Stability Facility (EFSF), qui est en phase finale de montage, et dont la mission est actuellement de venir à la rescousse des Etats de la zone euro qui ne parviendraient plus à se financer sur les marchés. Il lui serait demandé d’accorder ses aides aux banques qui en auraient besoin. Cela n’ira pas sans mal pour y parvenir, si nécessaire, mais il faudra bien trouver une solution financière.

En attendant la chute de l’histoire, nous assistons à la suite de son déroulement, selon une distribution déjà rodée. L’oracle de la BCE continue d’essayer d’influer sur le cours des événements et de calmer le jeu, tout pénétré du poids supposé de ses propres mots, tandis que le FMI fait toujours entendre sa petite musique discordante, dont les Allemands, toujours aussi crispés et soumis à de fortes tensions internes, soupçonnent les Américains d’écrire la partition. Le sentiment prévaut que l’accalmie enregistrée pourrait être de courte durée, même si personne n’a de tout côté intérêt à précipiter les événements. Car rien n’est réglé, tous les problèmes sont repoussés devant.

Les banques, puisqu’il s’agit une fois de plus d’elles, porteuses du masque de la tragédie et de la comédie suivant la face qu’elles présentent, dans leur double rôle d’émetteur et d’investisseur, mettent les bouchées doubles sur le marché obligataire afin de se présenter sous leur meilleur jour au moment de leur audition, quand les petits comptes des stress tests seront arrêtés. Tout du moins celles qui sont en mesure de le faire.

Tout porte donc à croire qu’un replâtrage est en cours, qui permettra au mieux de passer l’été. Des portes de sortie sont recherchées, des mécanismes sont étudiés afin de donner au désendettement la souplesse qui lui a fait brutalement défaut. Afin de l’étaler dans le temps, sans savoir combien il en faudra.

Dans cette attente, il est avec bien du retard tenté ici et là de reprendre l’initiative dans le domaine laissé à l’initiative des Américains de la régulation financière. Y aurait-il une voie européenne de possible, qui triomphe des divisions politiques internes et du barrage des mégabanques ? Des intentions continuent d’être affichées, à propos de la taxation des transactions financières, de la réglementation des hedge funds ainsi que des produits dérivés. Deux informations permettent de relativiser ce qui apparaît plus relever d’opérations politiques que d’effectives volontés réformatrices. Seul le gouvernement allemand peut avoir une certaine crédibilité, confronté à un secteur bancaire particulièrement touché ou très actif, s’agissant de la Deutsche Bank, dans le petit monde des mégabanques.

A l’instigation d’Unicredit, la mégabanque italienne, il est actuellement tenté de mettre sur pied un fonds européen dont l’objectif serait d’éviter une taxation des banques, au prétexte qu’il permettrait de renflouer les banques en difficulté, si nécessaire. Il serait abondé par des contributions volontaires des grandes banques qui en soutiendraient la création et pourrait réunir quelques 20 milliards d’euros, ce qui ne dépassera donc pas le niveau symbolique vu les montants qui sont par ailleurs évoqués.

Alors que la Commission de Bruxelles est en train de finaliser les mesures qu’elle va proposer afin de réguler le marché des produits dérivés, dix grandes entreprises européennes viennent de rendre public un avertissement, demandant à ce qu’elles soient rééxaminées et adoucies, afin d’éviter, disent-elles, une nouvelle crise financière, contrairement à l’intention affichée de la prévenir. Parmi celles-ci, on trouve Daimler, BMW, Volkwagen, EADS, Rolls-Royce, Lufthansa, Man Group, Eon, RWE et Bayer. Un ultimatum est même sous-entendu, faisant état de possibles délocalisations d’activités de production, au cas où elles ne seraient pas entendues.

Cela rappelle très exactement ce qui s’est passé aux Etats-Unis, où ce sont des entreprises non financières qui ont été mises en avant pour réclamer une réglementation complaisante du marché des produits dérivés, au nom de leurs besoins financiers propres. Alors que ceux-ci ne seraient pas effectivement menacés par les nouvelles règles envisagées.

Entre une crise dont il faut à tout prix prolonger l’accalmie et une régulation financière qui s’annonce très incertaine, reste un petit détail à régler, qui ne suscite pas tant d’assauts d’éloquence : la relance de l’économie.

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257 réponses à “L’actualité de la crise: bricolages en tous genres, par François Leclerc”

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  1. Ajouter qu’en termes de « faux-jetons » … me semble-t’il…. ceci devrait frôler un record.. : https://www.lalibre.be/international/europe/2025/07/05/un-couple-neerlandais-implique-dans-79-accidents-comparait-pour-fraude-a-lassurance-ce-sont-les-autres-conducteurs-qui-ne-font-pas-attention-4CR4LQWSHBBMHC77BXUG75NR7Q/ … » Autre élément surprenant :…

  2. La vraie question…à nouveau donc , me semble-t’il , reste : https://www.pauljorion.com/blog/2025/07/05/video-les-faux-jetons-sont-au-pouvoir/comment-page-1/#comment-1078536

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