LE ‘PRIX DEMOCRATIQUE’ DE MON VOTE, par zébu

Billet invité

Regardant nonchalamment l’émission de ce lundi soir ‘Mots croisés’ concernant, notamment, les retraites, plus par désœuvrement que par réel intérêt, j’ai eu l’étrange impression d’avoir trouvé la confirmation de ce que je pressentais un peu mais aussi un sentiment plus diffus, comme une promesse qui refuserait de celer encore ce qu’elle promettait hier mais dont on sait pertinemment que passée la nuit, plus rien ne s’opposerait à ce qu’elle s’offre à son promis.
Oui, bon …

Quatre intervenants y étaient présents, représentant chacun les différents ‘ordres’ de la société française actuelle, que l’on pourrait résumer ainsi : le capitalisme via le MEDEF, les salariés via les deux organisations syndicales de salariés (CGT et CFDT) et le gouvernement via le ministre de l’industrie.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans l’organisation spatiale du débat, le journaliste (‘les médias’) se trouvait au milieu, entre deux tables, où les ‘salariés faisaient face au ‘capitalisme’ et au ‘gouvernement’, côte à côte, tant il est vrai qu’en ce qui concerne le sujet des retraites, le projet gouvernemental est le projet du MEDEF peu ou prou et que le MEDEF défend le projet du gouvernement. Représentation médiatique donc très schématique et manichéenne de la société mais instructive, quant au parallèle fait entre le pouvoir économique et le pouvoir politique, face au pouvoir du ‘peuple salarié’.

Et ce qui devait donc advenir advint, tant cette opposition médiatique ‘organisée’ tint ses promesses, en termes d’affrontements, parfois violents, entre les deux tables : ‘nous ne céderons pas’, ‘nous non plus’. Les acteurs performaient donc à rejouer la même scène tenue depuis des mois, sans que rien ne doive modifier ce bel agencement des rôles et du cours de la pièce.

La situation évolua cependant. Car la ‘jeune’ entra en scène sur le ‘plateau médiatique’.

Et pas n’importe où. Au milieu, en face des ‘médias’, dans un étrange rôle de composition, fait de médiation, d’impartial, de neutre, de position centrale. Ce qui fit naître cette étrange impression de malaise : au nom de quoi le fait que la jeune lycéenne soit ‘jeune’ puisse lui donner légitimité pour asseoir sa position (centrale) ? Aux vues des réponses, forts déférentes, ou absentes des uns ou des autres, il apparaissait clairement que la peur guidait leurs paroles. Peur du ‘jeune’. Peur de sa parole, ointe de sa sainte innocence que tout ‘jeune’ porte sur lui, comme l’auréole consacre le saint. Peur de laisser transparaître qu’ils en avaient peur. Ce fut patent pour la personne représentant le gouvernement, dégoulinant d’obséquiosité, face pourtant à des accusations sévères et à un ton comminatoire, ‘exigeant’ que les promesses du ministre du travail soient enfin tenues quant à la tenue de négociations sur l’emploi des ‘jeunes’. Et là, hosanna, sur cette scène improvisée où ‘médias’ et ‘jeunes’ arbitraient et donnaient des leçons, un des ‘salariés’ osa proposer au ‘capitalisme’ une chose incroyable : réfléchissons, ensemble, à l’emploi des ‘jeunes’ et des ‘vieux’ (car l’autre ‘salarié’ rappelait, opportunément, précédemment, que la retraite décalée des uns risquait fortement de compromettre l’avenir professionnel d’autres, ce en quoi la ‘jeune’ opina fortement).

Tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais !

Sauf que, pour le coup, le malaise devint surdité et qu’il me fallut me frotter les oreilles pour vérifier ce que mes yeux avaient bien vu : un ‘salarié’ tendait la main au ‘capitalisme’, pour que tout bonnement la question ‘jeune’ et ‘vieux’ puisse être abordée, car, il faut bien l’admettre, « ceci n’est plus tenable » (entre autres parce que les dits partenaires sociaux ont passé pendant des dizaines d’années des accords sur les préretraites, le tout avalisé par les gouvernements successifs).

A ce moment là, je me dis que nous atteignons tout simplement le summum de l’art théâtral consommé. Et que nous sortons de la tragédie (économique et sociale) pour entrer dans la (grosse) farce. Car dans le couple de ‘salarié’, l’un des deux fait la tronche, quand il s’aperçoit que finalement les (grosses) colères véhémentes de son conjoint débouchent finalement sur une main tendue, après des mois de ‘on ne cèdera pas’ et du ‘tous ensemble’, à l’ennemi de la minute passée.

Tartuffe pas mort donc. Mais aussi la scène, immanquable dans un vaudeville, du mari trompé et le tout en direct, s’il vous plait, magie des ‘médias’ et de la ‘jeune’ interposés, sous le regard bienveillant du gouvernement qui tient absolument à baptiser cette nouvelle union sur les fonds baptismaux de la ‘sortie de crise’, qu’il s’évertuera dès le lendemain à proclamer, dans tous les médias.

Ceci dit, farce dont nous sommes les dindons, nous qui croyions, comme de pauvres benêts (que nous sommes), que les syndicats avaient justement pour fonction de ‘réfléchir’ et de proposer sur des sujets aussi divers et variés que l’emploi des ‘jeunes’ ou l’emploi des ‘vieux’, et même que nos cotisations syndicales servaient à cela. Et on avouera volontiers que ne pas avoir ‘réfléchi’ à l’emploi des ‘jeunes’ et des ‘vieux’, pour une réforme des retraites, c’est quand même embêtant, n’est-ce pas ?

Mais il est vrai, surtout, que cette réflexion est une porte de sortie pour le capitalisme, qui avait effectivement refusé pendant de très longs mois d’envisager ce type de ‘réflexion’ mais qui, pour sortir de la crise, s’empressa d’être ‘responsable’ et accepta, dans une emphase médiatique soulignée (par le ‘média’), la main offerte, qu’hier encore et depuis lurette, il dédaignait.

Miracle du ‘jeune’, sa simple présence dénoue toutes les crises !! Alléluia.

Car le véritable sujet était bien non pas ‘quelles solutions de financement pour la réforme de la retraite’ mais bien de savoir si oui ou non les ‘partenaires’ sociaux allaient enfin être ‘responsables’, si le pays allait ou non être bloqué et si, oui ou merde, il y aurait de l’essence à Noël ?!!

D’ailleurs, quand un des ‘salariés’ osa suggérer qu’il avait, en réponse à la question du ‘capitalisme’ qui s’interrogeait sur les solutions ‘alternatives’ dont il parlait, la possibilité de les expliciter, le ‘média’ le rembarra bien vite car ‘ce n’était pas le sujet de l’émission’ : Français, sachez qu’on a réfléchi et qu’on a même des solutions ‘alternatives’ pour financer vos retraites, mais vous n’en saurez rien, bande d’abrutis, car finalement, avouez, ce qui vous intéresse, c’est bien de savoir si vous pourrez ou non sortir de la porte de Lyon (qu’est-ce que tu fais) pour les vacances, avec suffisamment de carburant.

En dehors de cet aspect franchement navrant mais somme toute à niveau de la représentation médiatique donné, il reste un autre aspect particulier à cette pièce qui rendait le spectateur mal assis sur son siège.

Car, que disait la ‘jeune’, pendant que certains pensaient déjà à convoler en justes noces ?

Rien. Parce qu’elle acquiesçait silencieusement. Parce que son objectif était atteint : négocier une place pour le ‘jeune’ à la table ‘des acteurs’, ce qui d’ailleurs fut explicitement fait par le ‘gouvernement’, afin de ‘réformer’ la démocratie sociale.

Dès lors, nous nous retrouvions ‘tous ensemble’ (ouais), au sein d’une vaste famille, enfin recomposée, malgré ses chamailleries qui commençaient à inquiéter et à déraper, et somme toute, c’est bien là l’essentiel : que tout soit sous ‘under control’, rien n’étant pire in fine que des solutions ‘alternatives’ puissent voir le jour.

Sauf que la ‘jeune’, ce qui fut remarqué par le ‘média’, utilisa des mots très spécifiques, notamment envers le ‘gouvernement’, comme le mot ‘responsable’. Quoi, un ‘jeune’ qui utilise le mot de ‘responsable’ ? Mais qui est ce jeune, qui parle si bien et si précisément, sans bafouiller de colère, tandis que les autres ‘jeunes’ s’époumonent et brulent les poubelles à qui mieux mieux ?

Un ‘adulte’ dans un corps de ‘jeune’, est-ce possible ?

En mai 68, les ‘jeunes’ s’écriaient ‘il est interdit d’interdire’.

En octobre 2010, les ‘jeunes’ s’écrient : ‘soyez responsables, laissez nous une place !’.

Malaise donc mais malaise diffus cependant, car on ne peut reprocher aux ‘jeunes’ d’être un coup ‘irresponsables’ en manifestant contre la réforme de la retraite et à la fois d’être trop ‘responsable’, en lieu et place des ‘adultes’, dont c’est la fonction.

Décidément, le ‘jeune’ est insaisissable …

Malaise parce qu’y compris le ‘jeune’, tous semblent donc tomber d’accord (certains mal, d’autres de muette façon, d’autres tournant et virevoltant en couple) pour que finalement, en fin de compte, ce qui compte, c’est bien que le même système continue à tourner. Que certains partenaires sociaux puissent avoir ce discours et cette attitude relève d’un grand ‘classique’ du théâtre social. Mais que les ‘jeunes’ puissent le tenir, on ressent, bien malgré soit, un terrible coup de vieux, en son for intérieur.

Et c’est ce que j’appelle le ‘péril vieux’.

Ce ‘péril’ se caractérise par un discours ‘conservatiste’ : ‘nous devons sauver notre système’ (‘par répartition’, ajoute-t-on, presque subrepticement). Pour quoi faire, qui, comment, quels objectifs … ?

‘Pour sauver notre système’. Ah oui, je me disais bien aussi qu’il fallait …

Dans ce cadre de ‘réflexion’ (puisque le terme a été employé par certains), on s’aperçoit d’ailleurs, ce qui ne fait que renforcer le malaise existant, que lorsque l’on pose la question de savoir si les français soutiennent la réforme gouvernementale, une majorité de français (environ les deux tiers) soutiennent … le refus syndical de cette même réforme. Pas de majorité ‘silencieuse’, donc, chère aux discours traditionnels de certains partis politiques (de droite, faut-il le préciser). Mais quand on entre dans les détails de ces ‘en quêtes d’opinions’, on s’aperçoit que la réforme gouvernementale est majoritairement soutenue par … les plus de 65 ans, soit ceux qui sont déjà à la retraite !

Actifs, pauvres blaireaux, ne profitez pas des ‘avantages’ dont nous avons profité, vous allez morfler, pour nous. Où la solidarité intergénérationnelle n’est pas forcément là où on l’attend …

A front renversé donc, les actifs (ou futurs actifs, les ‘jeunes’) soutiennent l’opposition à cette réforme, opposant à ‘l’égoïsme’ des ‘vieux’ (retraités) des valeurs positives de solidarité.

Sauf que le discours, qui commence à être convenu, ne correspond pas à la réalité, car le ‘jeune’, de fait, si l’on suit le discours de la représentante des ‘jeunes’ sur le dit plateau médiatique de la dite émission théâtrale (ou l’inverse) ne veut rien tant, non pas changer ou réformer le système, tout le système, mais bien plutôt y garantir … sa place. Inversion des ‘rôles’ sociaux, encore une fois.

Le ‘péril vieux’ n’est pas donc pas propre aux ‘vieux’ (retraités). Il ‘gagne’ aussi des acteurs qui en étaient jusqu’alors ‘épargnés’, par définition, par ontologie : les ‘jeunes’, qui avaient jusque là la fonction de remettre le système à l’ouvrage, de manière récurrente, comme il devrait en être dans ‘l’ordre des choses’ sociales, dans toute société.

Ce ‘péril’ fait que vous devenez, à plus ou moins long terme, et quelles que soient les actions menées, qui ne servent finalement qu’à négocier les répartitions des places au sein du même système, un ‘conservateur’, au sens où vous placez la nécessité de conserver ce qui existe, tout en le modifiant si nécessaire, comme prioritaire, y compris contre les intérêts ‘bien compris’ de votre ‘rôle’ social : l’important est de continuer à jouer la pièce, les acteurs jouent des rôles de composition, modifiables, interchangeables. ‘The show must go on’.

Et quels sont-ils, ces ‘intérêts bien compris’, des acteurs et notamment des ‘jeunes’ ?

En premier lieu, concernant les ‘salariés’, la ‘réforme’ des retraites censée être financée ne l’est pas, du moins structurellement, puisque la ‘réforme’ prédit par avance qu’elle devra elle-même être … ‘réformée’ en 2018, voir même avant, avec le fumeux amendement sur la réforme ‘systémique’ portant sur les retraites ‘notionnelles’. Fumeux car il certifie ainsi bien que la dite ‘réforme’ des retraites en cours est tellement insuffisante qu’une autre ‘réforme’ interviendra dès 2013.

Dès lors, pourquoi ne pas le faire dès maintenant ?

Mais il reste que même cette réforme ‘systémique’ proposée pour 2013 ne permettra pas d’atteindre en régime long l’équilibre financier tant recherché, comme l’indique le rapport du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) du 27 janvier 2010 : « Toutefois, ces conditions propres aux comptes notionnels ne suffisent pas à assurer l’équilibre du régime en répartition à court terme. En particulier, face au papy boom, un régime en comptes notionnels pourrait présenter des déséquilibres significatifs pendant une période relativement longue, car l’égalité par génération entre la masse des cotisations et la masse des pensions ne signifie pas l’égalité instantanée (à une date donnée) entre la masse des cotisations et la masse des pensions, qui est la condition d’équilibre d’un régime en répartition. » (p.15).

Et comment le serait-il ? que ce soit sous forme de régime notionnel, à points ou par annuités, quand le système est lui-même très largement (mais pas que, puisque la fiscalité y contribue via la CSG) fondé via les cotisations sur les revenus du travail, revenus dont, faut-il le rappeler, la part dans la création de richesse n’a fait que décroitre depuis 30 ans et où les revenus du capital, qui eux sont en pleine expansion, sont faiblement soumis à cotisations, en tout cas bien plus faiblement que ne le sont les revenus du travail, quand ils le sont ?

La Cour des Comptes vient de rappeler dans son rapport d’octobre 2010 combien ces dispositifs se sont multipliés notamment pour les entreprises, pour une efficacité très ‘relative’ et pour des coûts exorbitants (172 milliards d’euros).

Et comment pourrait-il en être autrement, quand depuis 30 ans, la société ‘accepte’ un chômage qu’elle qualifie de ‘masse’ et très récemment dans les médias, de ‘structurel’, soit environ 10% de la population active, sans compter évidemment le sous-emploi et le non emploi ? Et que pour toute solution, on en vienne de manière rédhibitoire à implorer le retour de la croissance comme une secte millénariste, offrant au Moloch croissantiste des sacrifices sociaux sans fins, que ce soit en termes de nombres d’emplois supprimés ou en termes ‘d’avantages compétitifs incontournables pour faire face à la compétition mondiale’ (exonérations de cotisations sociales et patronales, régimes d’imposition fiscale ‘allégés’ ou ‘forfaitisés’, exonérations fiscales de tout poil vivant dans différentes niches du même nom, …) ?

Enfin, et quand bien même des solutions alternatives fiscales pourraient être envisagées, comment envisager une réforme des retraites dès lors sans envisager aussi une réforme globale de la fiscalité, sans laquelle toute réforme des retraites assises sur des financements fiscaux serait condamnée à n’être ni viable, ni juste et ni pérenne ?

D’autant que pour le coup, on atteint alors très rapidement les limites des dits ‘partenaires sociaux’ de la ‘démocratie sociale’ quant il s’agit de fait de parler du rôle des pouvoirs publics et donc de la démocratie tout court. On s’aperçoit ainsi qu’une ‘démocratie sociale’ n’existe que quand la démocratie, tout court, fonctionne, soit la définition de la répartition des richesses par le pouvoir politique régulé par les institutions politiques démocratiquement élues.

La ‘démocratie sociale’ est intimement liée à la démocratie politique et n’a pu fonctionner dans nos sociétés contemporaines que tant que la régulation politique pouvait s’exercer. Dès lors que la régulation politique s’affaiblit ou est affaiblie, la ‘démocratie sociale’ ne peut que s’affaiblir, quand la régulation politique ne s’en attaque pas parfois directement à celle-ci.

Les changements ‘systémiques’ proposés pour les retraites, qu’ils soient à points, par annuités ou notionnels, resteront donc insuffisants ou non pérennes, tant qu’ils resteront assis sur les mêmes bases, à savoir le travail et la répartition des richesses tels que conçus actuellement.

La pièce de théâtre ainsi jouée par les différents acteurs n’a donc aucune chance de modifier la vie des spectateurs, qui le resteront, mais avec un nombre de sièges de plus en plus réduit pour s’asseoir pendant le spectacle.

Et les ‘jeunes’ alors, quid de leurs intérêts bien compris ?

Quand on écoute les discours des ‘leaders’ des jeunes, ils nous parlent donc dorénavant de ‘responsabilité’ mais aussi du sentiment de malaise parmi les ‘jeunes’ qui règne. Pour autant, s’ils parlent de ce malaise, c’est aussitôt pour fonder un droit à revendiquer une place parmi les ‘acteurs’ du système actuel que ces leaders, absence de place qui serait la cause de ce malaise selon eux. A y regarder de plus près, on s’aperçoit que les choses sont sans doute différentes et que ce discours d’intégration, pour être généralisé auprès des médias, masque mal un profond désarroi des ‘jeunes’ quant à cette intégration, justement, dans cette société dont ils ont tout lieu de pressentir qu’elle risque fort de les écraser ou de les contraindre à écraser.

Une société où les valeurs qui leur sont enseignées, et ce depuis leur enfance, sont compétition et individualisme, où il leur faudra soit écraser les autres pour parvenir au Saint Graal de ‘l’autonomie’, valeur référence d’un libéralisme décomplexé, soit être écrasé.

Où le positionnement social futur ne s’obtiendra que par une compétition scolaire acharnée afin d’obtenir la meilleure place, tant il est vrai qu’ils analysent l’absence de possibilités d’évoluer au sein de cette société sclérosée et fossilisée comme une de ses caractéristiques.

Où il faudra ‘faire ses preuves’, pendant des années, à prouver combien ils sont compétitifs quand bien même ils ne croiraient pas ou refuseraient de le croire, à accepter des ‘stages’, multiples et variés, à passer par des CDD et de l’intérim, quand pour certains l’horizon ne se résume qu’à des ‘contrats aidés’ pour seul viatique.

Où quand ils auront enfin obtenu le ‘droit’ de vivre en paix au sein du monde du travail, soit en sécurité, au travers notamment de qualifications et compétences enfin reconnues, validées par exemple par un CDI, ils devront alors faire face à la pression croissante de la hiérarchie pour donner toujours plus pour le même salaire, à moins de faire des heures sup’ ou d’effectuer plusieurs boulots pour pouvoir accéder au septième ciel de la consommation, stade ultime de la reconnaissance sociale.

Il n’est donc pas étonnant que de plus en plus de ‘jeunes’ entrent en addiction comme on entre en religion, que ce soit pour l’alcool, les drogues mais aussi les jeux vidéos, les ‘réseaux sociaux virtuels’ (qui, eux, peuvent parfois véhiculer d’autres valeurs que les réseaux sociaux ‘réels’) mais aussi l’isolement par le travail comme unique planche de salut, afin de ‘réussir aux examens’, comme on pourrait ‘réussir sa vie’.

La violence, que l’on qualifie géographiquement ‘d’urbaine’, inquiète, surtout lors d’émeutes mais la société retombe vite dans sa léthargie et les ‘jeunes’ sont alors tentés de retourner cette violence contre eux-mêmes, entre bandes de ‘jeunes’ par exemple mais aussi contre les ‘institutions’ qui représentent ce monde violent qui les agresse : les ‘casseurs’, ce dit en passant, sont parfois aussi des adultes ‘intégrés’, qui travaillent et ont fondé une famille mais qui refusent en leur for intérieur d’intégrer cette société et encore moins de la cautionner. La croissance du taux de suicide chez les ‘jeunes’ n’interroge d’ailleurs plus grand monde, sauf quand il devient collectif.

Ces ‘fuites’ ne sont pas des fuites de la réalité ou même de leurs responsabilités, dont on entend maintenant paradoxalement qu’ils souhaitent prendre leur part, afin d’être enfin intégrés dans la société. Ils le sont déjà. Car de fait, ils font partie de la société mais pas celle du ‘travail’, telle que défini actuellement.

Et force est de constater qu’au vu des valeurs véhiculées par nos sociétés ‘occidentales’ (consumérisme, individualisme, compétition à outrance, …), il serait très surprenant d’être surpris que les ‘jeunes’ veuillent adhérer à cette société d’intégration par le travail où les actifs actuels se bâtent pour justement … en sortir au plus vite et non pas plus tard !

Au vu de tout cela, on doit donc constater que si réforme ‘systémique’ il doit y avoir, c’est bien d’une réforme ‘systémique’ du travail et au travers de lui, de la société.

Et qu’il ne sert à rien de rejouer, encore et encore, cette pièce qui tourne depuis des décennies, juste pour qu’elle puisse tourner encore.

Que cela pose effectivement la question de la responsabilité, celle que les ‘jeunes’ veulent revendiquer (du moins une partie, la mieux ‘intégrée’) et celles des autres acteurs.

Car au vu de la crise en cours, dont on prévoyait depuis plusieurs mois qu’elle ne pourrait pas continuer de continuer, on s’aperçoit finalement que le capitalisme, sur lequel ce type de société est fondé, continue non seulement de se perpétuer mais aussi parfois de se régénérer. A moins qu’un évènement ‘indépendant de notre volonté’ comme on dit à la télé ne vienne mettre fin, à tout instant, à un système qui fera tout pour perdurer.

Car les causes ne manquent pas, entre les défaillances de banques, de pays, les dettes publiques et privées, il reste un ‘espoir’, pour peu que nous soyons patients, pour voir le système s’effondrer demain, ou le jour d’après, ou un autre jour, tel un bidendum énorme dont la peau serait tellement tendue par son propre poids qu’une simple égratignure suffirait à le faire s’effondrer.

Pour autant, outre le fait que cela commence à faire long en termes d’attente, nous resterons toujours dépendants ‘d’évènements indépendants de notre volonté’ et qu’en République et en démocratie, cela signifie ne pas être libre.

Reste alors le recours aux traditions républicaines, pour modifier le cours des choses et redevenir maître de notre histoire.

La première d’entre elles est l’insurrection. Historiquement, en France du moins, elle reste une de ses caractéristiques les plus partagées et les plus acceptées socialement car nous sommes aussi un peuple de la révolution. C’est un dernier recours mais un recours régulièrement utilisé par le peuple pour parvenir à transformer la société. Nonobstant les conséquences qu’une telle tradition ne manquerait pas de faire naître, il semble peu probable que cette tradition soit actuellement choisie, tant par le peuple que par les représentants du peuple, quels qu’ils soient, pour différentes raisons. D’abord parce que l’on ne ressent que confusément actuellement la nécessité d’une réforme globale et non pas seulement des retraites. Ensuite, parce que les représentants (syndicats de salariés, de ‘jeunes’, patronat, élus, …) font preuve d’une belle ‘responsabilité’, quant à sauver ce système. Ce qui ne signifie pas non plus que cette tradition ne soit pas utilisée, à un moment donné, pour une raison particulière et inconnue, mais là encore pour des ‘raisons indépendantes de notre volonté’ (collective).

La seconde est la tradition républicaine par excellence, à savoir que le citoyen participe à sa propre émancipation en participant à l’élaboration, par des processus démocratiques institutionnels ou directs, d’un projet de société alternatif. Ce fut le cas, par exemple, avec le CNR (Conseil National de la Résistance), qui regroupa toutes les tendances de la société française (hors la droite de la Révolution Nationale) pour proposer un projet de société sur lequel notre société a jusqu’à maintenant vécu, bien que de moins en moins ces 30 dernières années. Cette tradition nécessite l’exercice du pouvoir démocratique par le peuple, y compris en dehors de l’expression régulière des choix démocratiques par le vote car la démocratie (et à fortiori la République) ne peut se résumer à l’exercice tous les 5 ans par exemple de la participation aux élections des représentants, représentants politiques (mais aussi syndicaux, de ‘jeunes’, …) dont tout concourt actuellement à ce qu’ils ‘conservent’ le même système.

Cet exercice est difficile. Il est même parfois périlleux. Et il est exigeant.

Pour autant, si l’on ne souhaite pas rester esclave ou ne pas être dominé, soit par les évènements, soit par sa propre colère, elle reste la seule voie démocratique et républicaine possible, dans l’attente par exemple des prochaines élections présidentielles et législatives. Mais cet exercice doit néanmoins être fait maintenant. Car ces futures élections se préparent d’ors et déjà, la réforme des retraites étant une préfiguration de cette préparation. D’abord parce que de nombreux partis politiques choisiront, l’année prochaine, leur candidats puis leurs programmes politiques et que pour peser sur ceux-ci, il est donc nécessaire d’exercer ce ‘pouvoir’ bien en amont de ces élections. Ensuite parce qu’en cas ‘d’évènements indépendants de notre volonté’, les citoyens auront ainsi un projet alternatif auquel ils pourront se référer en cas de besoin et (probablement) d’urgence.

De quel pouvoir suis-je donc en train de parler ?

Du seul, dans ce type de tradition, que la démocratie me reconnaît formellement, la seule légitimité incontestable : mon vote.

Mon vote, en toute objectivité, ne vaut rien, ou quasiment. Car je suis un seul citoyen.

Pourtant, si, à ce vote solitaire, j’agrège plusieurs autres votes, son ‘statut social’ devient plus important et sa ‘valeur’ augmente.

Pour paraphraser Paul Jorion, le ‘prix démocratique’ de mon vote augmente.

Maintenant, imaginons non pas plusieurs milliers mais plusieurs dizaines de milliers, centaines de milliers de votes, que croyez-vous que feront les partis politiques ?

Ils commenceront à écouter ce à quoi ils ne donnaient jusqu’alors que peu de ‘crédit’. Car ils le devront.

Tout simplement parce qu’en tant que citoyen, j’affirme que mon vote à un ‘prix démocratique’ et que celui-ci n’est pas nul. Et que ce vote n’ira non pas ‘au plus offrant’, contrairement à la fumeuse ‘loi’ de l’offre et de la demande (a fortiori, en politique) mais bien à celle ou à celui dont le programme politique correspondra le plus à mes exigences.

Dans le cas contraire, en l’absence d’un ‘quorum minimal’ quant à la correspondance entre mes exigences (mon ‘prix démocratique’) et les propositions des partis politiques, j’affirme mon absence de domination en ne votant pas ou en votant blanc.

J’ai maintenant suffisamment pu déconstruire mes expériences électorales pour pouvoir agir ainsi. Et que s’il advient alors une majorité d’abstentionnistes ou de votes blancs, ou même un ou une aventurière qui adviendrait au pouvoir pour enchainer la République, j’ai confiance : nous nous en sommes toujours collectivement sortis. Nous nous en sortirons donc, avec ou sans représentants dignes de confiance.

Et s’il faut revoter, alors nous revoterons.

Toute la difficulté provient en fait de pouvoir agréger un nombre suffisant de votes pour que le ‘prix démocratique’ de ceux-ci devienne ainsi important aux yeux de nos futurs représentants.

C’est pourquoi ce blog est important.

Car il permet aux citoyens en premier lieu de se saisir des informations pertinentes pour expliquer et comprendre leurs réalités et les causalités, qui leur permettent ensuite de définir ce qui pourrait relever de propositions politiques (et non politiciennes), qui permettront de réaliser cette réforme radicale de notre société.

L’interdiction des paris sur les fluctuations des prix en est une, à mon sens.

Si l’on veut donner du poids à cette proposition, alors il faut que chaque citoyen, en capacité de voter, déclare publiquement : ‘oui, je soutiens cette proposition et tout parti politique qui la proposera dans son programme pourra obtenir mon vote’. Et au bout du bout, quand on aura aligné l’ensemble des déclarations de tous les citoyens sur cette proposition, le ‘prix démocratique’ s’en sera élevé d’une manière considérable. Il deviendra alors envisageable … de l’envisager politiquement.

Certes, il ne faut pas être dupe : certains partis politiques peuvent promettre et ne pas réaliser. Je suis cependant confiant qu’une mesure du type de l’interdiction des paris ne sera intégrable que par une partie des partis politiques, son efficacité restreignant fortement son attractivité pour les autres dont le fond de commerce politique peut être à l’envers de cette proposition.

De même, certaines propositions devraient faciliter l’effectivité d’une application de ces mesures si les partis politiques devaient les intégrer, ne serait-ce par exemple que par la proposition d’un référendum d’initiative réellement populaire et la révocation possible des représentants élus.

J’ai évoqué tout à l’heure la responsabilité (et l’éthique qui va avec) des représentants de la société actuelle : syndicats, ‘jeunes’, partis politiques, …

Mais je n’ai pas parlé de notre responsabilité, celle de chaque citoyen.

Car il est par trop facile de se contenter de décrier contre nos ‘zélites’ et nos représentants, que nous avons pourtant élu, sans que nous ne nous accusions pas non plus d’irresponsabilité.

Il relève à chacun de définir le ‘prix démocratique’ de son vote, qui n’est jamais nul. Et collectivement, par ce blog par exemple, d’identifier les propositions qui permettraient de transformer notre réalité et de les soumettre à nos futurs représentants, avec un ‘prix démocratique’ dès lors croissant.

Car il est évident que nous sommes ‘en responsabilités’, en lieu et place de nos enfants, ces ‘jeunes’ qui ne peuvent pas (encore) participer démocratiquement à l’élaboration d’une future société que les ‘conservatismes’ divers leur refusent actuellement, tant qu’ils seront ‘mineurs’.

Ainsi, il n’y a et il n’y aura que nous et nous seuls pour faire ce que doit, nos ainés ayant par ailleurs très majoritairement ‘choisi’ de soutenir un voie qui nous mène droit dans le mur, pendant que nos ‘jeunes’ deviennent ‘responsables’.

Ces propositions peuvent se résumer à environ une dizaine, pour plus de clarté, à mon sens.

Chaque citoyen restera néanmoins libre, in fine, de voter ‘en conscience’ (en son for intérieur, où l’équité, selon Aristote, devient alors plus forte et plus pertinente que la justice, comme une ‘plus grande’ justice en quelque sorte), selon ce que les partis politiques auront ou non proposé.

Pour ma part, je pense que mon ‘prix démocratique’ est celui-ci, sans qu’il soit définitif :

– interdiction des paris sur les fluctuations des prix,
– interdiction de toute transaction avec des paradis fiscaux,
– mandat représentatif, quel qu’il soit (politique, syndical, associatif, …) unique et renouvelable une fois,
– référendum d’initiative populaire et révocation sous conditions des représentants élus,
– réforme de la fiscalité devant permettre de financer un revenu citoyen à vie (complété lors de la retraite par des revenus différés),
– droit à faire reconnaître toute compétence ou connaissance cognitive comme compétence professionnelle,
– définition de la propriété commune (res communis) et d’un droit qui en relèverait,
– monnaie internationale de type ‘bancor’.

Voici mon ‘prix’.

Quel est le vôtre ?

Quel sera le nôtre ?

P. S. : je suis conscient que le terme de ‘conservateur’ pour les syndicats de salariés est intolérable, surtout pour ceux qui ont ‘réfléchi’ et proposé des sources et des modes de financements alternatifs concernant les retraites, surtout pour ceux qui subissent déjà les coups redoublés du chômage. Je précise donc le sens du mot ‘conservateur’: « Celui, celle qui conserve. Le prince est le conservateur des biens et de la liberté de ses sujets. Cette mère a été soigneuse, vigilante, conservatrice du bien de ses enfants. »

En ce sens, le ‘conservateur’ a aussi un rôle positif puisqu’il préserve, protège. Pour autant, cette conservation peut aussi s’apparenter à la défense d’un ordre social établi, au détriment donc de certains acteurs et parfois de ceux-là même qui souhaitent protéger ‘l’ordre’ contre d’éventuels ‘désordres’ (préserver le système par répartition contre l’introduction totale ou partielle d’un système par capitalisation par exemple, selon les opposants à la réforme du gouvernement), en figeant un système social par nature ouvert et en ne lui permettant pas d’évoluer.

De même, parler de ‘prix’ pour un vote évoque forcément la concussion alors que dans mon propos, il n’est question en fait que de statut social du vote : le rapport de force entre celui qui émet un vote et celui qui souhaite le ‘recevoir’, de la même manière qu’il existe un rapport de force entre le producteur et son acheteur, basé sur les statuts sociaux réciproques.

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