FINANCER LA PROTECTION DU CLIMAT PAR DE NOUVEAUX DTS (DROITS DE TIRAGE SPÉCIAUX), par Matthias Kroll

Billet invité, suite à la rencontre de Paul Jorion avec Jakob von Uexkull à Zermatt. Merci à Bénédicte pour la traduction

Surmonter le défi climatique aura un coût élevé. La majorité des États actuellement confrontés à d’énormes déficits budgétaires (principalement causés par la crise financière) sont réticents à l’idée de consacrer de l’argent aux problèmes climatiques sur le long terme. Il faudrait au bas mot 100 milliards de dollars pour une politique véritablement efficace visant à réduire les effets du changement climatique, pour autant que cela soit encore possible. Il n’est pas réaliste d’envisager que ces sommes puissent provenir des budgets nationaux.

C’est aussi vrai pour les propositions alternatives, telles que le financement à partir des profits des bourses du carbone ou de taxes sur le carburant aérien et les transactions financières. Toutes les propositions auront à faire face à des lobbies si puissants que le résultat sera toujours le même : trop peu, trop tard.

Par conséquent, nous avons besoin d’une source de financement nouvelle et mondiale, capable de générer au moins 100 milliards de dollars par an immédiatement, sans être soumise à l’impératif de redistribuer des fonds existants. Et nous avons besoin de penser différemment, en dehors des cadres habituels de pensée, parce que la seule organisation internationale qui soit capable de générer ces montants additionnels sur-le-champ est le FMI, du fait qu’il a la capacité de créer de nouveaux fonds de réserve internationaux sous la forme de son unité comptable, les Droits de Tirage Spéciaux (DTS).

Heureusement, le Sommet du G20 en avril 2009 a autorisé le FMI à redonner vie aux DTS et à en émettre de nouveaux pour un montant de 250 milliards de dollars afin de s’attaquer à la crise financière. Si le FMI peut combattre la crise financière à l’aide d’actifs de réserve nouvellement créés, pourquoi ne pourrait-il pas également relever le défi du changement climatique en usant du même procédé ?

Le débat sur le meilleur moyen de renforcer le rôle des DTS au sein du système monétaire international s’est trouvé réanimé récemment (FMI, 2011A ; Eichengreen, 2009 ; Ocampo, 2010 ; Subacchi / Driffill, 2011 ; Williamson, 2009). La création annuelle d’actifs de réserve sous la forme de DTS additionnels pour financer la nécessaire réduction des effets du changement climatique (ainsi que les MDG – les Millenium Development Goals – ou Objectifs du Millénaire pour le Développement) serait une avancée significative vers une réforme du système monétaire international.1 Aussi, l’utilisation des DTS pour financer des objectifs à l’échelle mondiale n’est pas un rêve irréaliste. C’est le point de départ de la proposition du World Future Council.

La proposition d’une nouvelle monnaie par le World Future Council

La pièce maîtresse de la proposition du WFC est la mise en place d’un outil de financement qui utilise la capacité du FMI à créer une nouvelle monnaie de réserve internationale sous la forme de DTS. L’intention étant de soutenir des mécanismes de financement tels que le Green Climate Fund (Fonds vert pour le climat) établi lors de la conférence sur le changement climatique N°16 à Cancun au Mexique en 2010. Les États membres du FMI peuvent décider de l’émission de nouveaux DTS. Ils leur sont généralement attribués en proportion de leur quote-part dans la contribution au budget de l’institution. Conformément à l’accord sur l’établissement du Green Climate Fund, les États membres devront s’engager en amont à consacrer tout ou partie des nouveaux DTS à ce fonds. Une petite partie, par exemple 10 à 20 %, pourrait être réclamée par les États membres pour le financement de projets spécifiques pour la protection du climat.

Le principe de base est que les nouveaux fonds seraient versés uniquement à la lumière des résultats. Le Fonds devrait s’assurer de la création de valeur économique et de nouveaux emplois verts (nouveaux salaires et nouveaux revenus) dans les pays en développement en ne finançant directement, à l’aide des fonds additionnels, que des projets d’infrastructure pour les énergies renouvelables.

Comme les DTS (l’actif de réserve international du FMI) ne sont pas une monnaie utilisable au même sens que les monnaies nationales, ils devront être convertis par le Green Climate Fund auprès des banques centrales dont les devises formeront respectivement la base des paiements destinés aux futurs projets de protection du climat.2

Ces banques centrales incluent dans leur bilan les nouveaux DTS en tant que nouvelles réserves monétaires et fournissent la monnaie centrale correspondante dans leur devise nationale respective au Green Climate Fund. Il en résulte une création monétaire nette, correspondant aux DTS échangés, accroissant le bilan de la banque centrale.

À ce stade, le processus ressemble à celui du refinancement d’une banque commerciale ordinaire obtenant de nouveaux actifs liquides auprès de sa banque centrale. La différence tient toutefois au fait que les banques commerciales doivent acquitter des intérêts sur les fonds empruntés (au taux exigé par la banque centrale) et les fonds doivent être remboursés au terme du prêt. Alors que la monnaie créée pour les projets du Green Climate Fund en échange des nouveaux DTS ne suppose ni le versement d’intérêts, ni le remboursement des sommes allouées.

La création monétaire et le risque inflationnel

Cette proposition de financement de nouveaux projets à énergie renouvelable par l’utilisation de la « planche à billets » va immanquablement faire resurgir le spectre de l’inflation, surtout s’il est question de créer au moins 100 milliards de dollars par an. Cette peur est cependant infondée si l’on considère que le PIB mondial est d’environ 60.000 milliards de dollars et que cette nouvelle demande mondiale est confrontée à un écart de production (« output gap », l’écart entre le niveau réel du PIB et son niveau potentiel) dans les pays industrialisés. L’appareil industriel en Amérique du Nord, comme en Europe, est en moyenne à long terme utilisé à seulement 81 % de sa capacité.3 Cela nous conduit à l’hypothèse selon laquelle les entreprises ajustent leurs capacités avant même qu’elles n’aient atteint leur pleine utilisation.

L’utilisation de la capacité industrielle dans la zone Euro et aux USA (en pourcentage)

L’industrie a habituellement la capacité de réagir à des augmentations soudaines de la demande.

L’expérience montre qu’une augmentation modérée de la demande pourrait être plus que satisfaite par un accroissement de la production. On peut s’attendre à une augmentation des prix uniquement quand les coûts de production sont en augmentation constante et une augmentation des prix devient possible quand il n’y a pas assez de concurrence.

Considérant le chartalisme et l’idée que dans l’économie réelle, l’offre de capitaux est endogène (voir Moore, 1998 ; Meyer, 2001 ; Googhart, 2002 ; Arestis, 2006 ; Minsky, 2008, p271), il peut être aussi démontré que la création de nouveaux DTS ne produira pas un excédent de monnaie, ces DTS ainsi que la création monétaire nette nationale en résultant constituant de la monnaie banque centrale qui sera utilisée – lors du processus de refinancement de notre système bancaire à 2 vitesses (des banques commerciales privées qui prennent des risques importants et rémunèrent leurs clients en conséquence, mais sans aucune garantie gouvernementale en cas de faillite, cohabitant avec des banques publiques finançant des activités non spéculatives et dont les dépôts sont garanties par l’État) – pour remplacer une autre monnaie banque centrale. Les excédents de liquidités ne seront donc pas créés. Après que le processus final d’ajustement ait eu lieu, le montant des capitaux aura augmenté en fonction de l’augmentation de la production.

Conclusion

Les avantages de la proposition de financement des investissements pour la protection du climat à l’aide de DTS du FMI peuvent être résumés de la façon suivante : les ressources d’un montant minimal de 100 milliards de dollars seraient immédiatement disponibles. On ne demanderait à aucun pays de gonfler son budget national ; les budgets nationaux recevraient même une petite partie de la monnaie créée afin de financer leurs propres projets de protection du climat.

Le financement de la lutte contre le changement climatique peut être mené sur une base continue. Parce que la nouvelle monnaie correspond à l’augmentation de la production et qu’elle remplace la monnaie utilisée dans le processus de refinancement des banques, aucun excédent monétaire n’est préservé dans le système.

Étant donné la sous-utilisation actuelle des capacités mondiales de production, aucune poussée inflationniste significative n’est à craindre du fait de la nouvelle demande générée. Sur le long terme, on peut s’attendre à ce que l’économie industrielle – suivant ses propres intérêts – répondra à la demande accrue de biens d’investissement sans CO2 en accroissant ses capacités correspondantes et qu’il n’en résultera aucune demande excédentaire.

Notes de renvoi :
1 Fred Bergsten, Directeur du Peterson Institute for International Economics, a récemment proposé une part annuelle de nouveaux DTS d’environ 200 milliards de dollars sur cinq ans pour permettre aux DTS de jouer de nouveau un rôle plus important (FMI, 2011b).
2 Pour s’assurer que les DTS ne sont pas des « aides inconditionnelles», il pourrait être décidé que le FMI ne crée de DTS que lorsque le Green Climate Fund nécessite des financements pour des investissements concrets de protection du climat. C’est seulement à ce moment que le Green Climate Fund échange les nouveaux DTS auprès de la banque centrale concernée dans la monnaie demandée.
3 Pour les données aux USA, voir: Federal Reserve Statistical Release, G. 17, Industrial Production and Capacity Utilization. Pour l’Europe, voir: ECB, Monthly Bulletin, Capacity Utilisation in manufacturing, May 2010, p. S 5
4 La rationalité économique d’un tel comportement peut être démontrée, non seulement en se basant sur des principes keynésiens mais aussi sur les théories de Hayek. Ici on pourra se référer à la discussion sur les opinions de Hayek par Carl Christian von Weizsäcker (von Weizsäcker, 2005).

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198 réponses à “FINANCER LA PROTECTION DU CLIMAT PAR DE NOUVEAUX DTS (DROITS DE TIRAGE SPÉCIAUX), par Matthias Kroll”

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  1. Ajouter qu’en termes de « faux-jetons » … me semble-t’il…. ceci devrait frôler un record.. : https://www.lalibre.be/international/europe/2025/07/05/un-couple-neerlandais-implique-dans-79-accidents-comparait-pour-fraude-a-lassurance-ce-sont-les-autres-conducteurs-qui-ne-font-pas-attention-4CR4LQWSHBBMHC77BXUG75NR7Q/ … » Autre élément surprenant :…

  2. La vraie question…à nouveau donc , me semble-t’il , reste : https://www.pauljorion.com/blog/2025/07/05/video-les-faux-jetons-sont-au-pouvoir/comment-page-1/#comment-1078536

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