L’actualité de la crise : LA GRANDE PERDITION, par François Leclerc

Billet invité

Omniprésent, le mot crise est devenu galvaudé et on évite en conséquence de l’utiliser. C’est à partir de ce constat – modestement partagé par l’auteur – qu’Alphaville, le blog phare du Financial Times, a engagé une consultation de ses lecteurs pour lui trouver un remplaçant. La liste est longue des propositions qui ont été faites, mais autant dire tout de suite que le vainqueur est… La Grande Perdition, en référence transparente à la Grande Dépression.

Comment, à ce propos, se porte le plan A des autorités européennes ?

Ce serait tomber dans le piège de l’arrogance que de commencer ce survol par l’appel de 16 riches Français à être mis à contribution, appel publié la veille de l’annonce du plan d’austérité gouvernemental et au lendemain d’une déclaration de Jean-François Copé, patron du parti gouvernemental UMP, favorable à « une contribution exceptionnelle » (souligné par moi), qui reprenait la balle au bond suite à une tribune de Maurice Lévy, PDG de Publicis, qui avait utilisé le même mot.

Appel éminemment louable bien entendu dans son esprit, mais à condition sans doute d’en ignorer les termes : la contrepartie exigée, si l’on comprend bien, par Maurice Lévy, au nom de ces 16 riches Français : « une vraie, une sérieuse, une profonde réforme de nos structures administratives et de nos systèmes sociaux, pour pouvoir à l’avenir réduire drastiquement nos coûts… ». Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, il ajoutait : « Osons nous attaquer aux vaches sacrées ». Décidément, les grands gestes généreux et désintéressés ne sont plus ce qu’ils étaient !

Dans le même ordre d’idée, Umberto Bossi, le chef de la Ligue du Nord et par ailleurs membre de la coalition gouvernementale, annonçait que le système italien était « condamné à mort ». Il n’entendait pas par là le système financier, mais la redistribution au Sud de la richesse du Nord du pays, via Rome, pour lui opposer la création de la Padanie. Les riches préfèrent vivre entre eux, dans leurs aises et en sécurité, et abandonner les autres à leur déshérence. C’est un phénomène appelé à trouver d’autres illustrations par chez nous, que l’on rencontre fréquemment dans les pays émergents.

Sur le départ, en Espagne, José Luis Rodriguez Zapatero a trouvé son cadeau d’adieu. Il propose une réforme de la Constitution afin d’y inscrire « une règle pour garantir la stabilité budgétaire », une mesure destinée à « renforcer la confiance à moyen et long terme dans l’économie espagnole ». A court terme non ?

Laurence Parisot, présidente du Medef, a d’autres plans. Déterminée à aller chercher des points de croissance, selon cette absurde expression, elle est dans son rôle en affirmant qu’il ne faut pas « pénaliser les entreprises », concédant toutefois qu’il y a peut-être des marges de manœuvre pour les grandes entreprises (dont on connaît les résultats), à condition de ne pas entraver leur compétitivité. Vient la suite, qui annonce les intentions. Des délégations de service public au secteur privé pourraient être envisagées, car « cela permettrait à l’État de moins dépenser ». Qu’elle ne cherche pas plus loin, elle a trouvé ses points de croissance !

Ces louables intentions ne doivent toutefois pas faire oublier la poursuite de La Grande Perdition. Claquée, la porte des Euro-obligations est depuis cadenassée par Angela Merkel, la Bundesbank et les libéraux allemands, entraînant Wolfgang Schaüble, le ministre des finances – qui n’y serait pas opposé à titre personnel – à en repousser l’éventuelle création à la Saint Glinglin.

La solidité du Fonds de stabilité financière européen (FESF) lui-même – seul canot de sauvetage de disponible dans la tempête – est menacée par Moody’s, qui prévient que les garanties consenties par la Grèce à la Finlande pour qu’elle participe à son sauvetage, ainsi que la demande identique d’autres pays, fissurent l’union des États de la zone euro et « suscitent des préoccupations supplémentaires à propos de la nature et de l’évolution du mécanisme actuel de soutien financier ». A la clé, le FSFE pourrait perdre sa note AAA, le montage financier monté à grand peine risquant alors de ne plus fonctionner.

Maria Fekter, la ministre autrichienne des finances, vient de mettre à ce sujet de l’huile sur le feu, en déclarant que « L’Autriche a toujours été claire sur ce point: s’il y a des garanties pour un pays, alors tous les autres doivent être traités de la même façon »…

La ratification par les Parlements européens des décisions du sommet des chefs d’État et de gouvernement du 21 juillet dernier reste par ailleurs à accomplir, notamment en Allemagne, dans des délais qui sont partis pour s’allonger. Cela ne fait pas l’affaire de la BCE qui, en attendant le relais du FESF, est coincée et doit continuer à soutenir le marché obligataire. Le cap des 100 milliards d’achats sur le marché secondaire a été dépassé. Ewald Nowotny, le gouverneur autrichien de la banque centrale, a ainsi déjà reconnu que l’échéance convenue de la fin octobre risquait de ne pas pouvoir être respectée.

Et les banques, comment se portent-elles ? Elles se remettent péniblement de leurs émotions et les plus atteintes survivent grâce aux liquidités de la BCE. L’une d’entre elles a failli chuter en Grèce, que ses consœurs ont sauvée. La Société Générale a demandé le soutien de la banque Rotschild. Il se confirme que les fonds monétaires américains prennent leurs précautions et assèchent les liquidités des mégabanques européennes. La première qui craquera aura une tapette !

En réalité, en guise de plan A, les autorités naviguent totalement à vue.

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