Billet invité.
L’Irlande prend la présidence tournante de l’Union européenne et les commentaires sur la réussite irlandaise ne vont pas manquer de fleurir. Elle repose, est-il expliqué, sur un redressement financier résultant d’un choc de compétitivité favorisant les exportations. Le modèle même qui est proposé à l’ensemble de l’Union européenne, cela tombe bien !
De quoi s’agit-il, en réalité ? Le gouvernement irlandais a cherché le salut en poursuivant sa stratégie de tête de pont vers la zone euro destinée aux entreprises transnationales. Ce sont ces dernières qui créent les flux financiers comptabilisés comme des exportations, et le choc de compétitivité provient de la baisse des salaires, de la chute des prix de l’immobilier de bureau, et surtout du maintien d’une fiscalité avantageuse. L’État ayant supporté les pertes colossales des banques, suite à l’explosion de la bulle immobilière irlandaise, a vu sa dette exploser et, dans le cadre d’un plan de sauvetage, la rembourse en appliquant des mesures d’austérité ayant plongé le pays dans la récession, généré un chômage de près de 15% et contribué à une nouvelle vague d’émigration.
De quoi demain sera-t-il fait ? Le gouvernement irlandais cherche à transférer aux banques la dette qu’il a contractée en les restructurant et les nationalisant, en application de la stratégie adoptée au dernier sommet européen de juin, mais les Allemands et la BCE y font obstacle. Le succès irlandais, c’est celui tout relatif d’une stratégie de transfert de la dette privée, ni plus ni moins. Et non pas celui d’une relance économique, car le flux des exportations irlandaises diminue au fur et à mesure que la zone euro s’enfonce dans la récession.
Joseph Stiglitz a choisi le quotidien allemand Handelsblatt pour faire entendre sa musique dissonante. Il avertit que « le vrai risque pour l’économie mondiale se trouve en Europe » et rejette à la fois le pacte budgétaire et le « palliatif temporaire » que représenterait l’achat de titres souverains par la BCE. Ajoutant que si celle-ci « fait de la poursuite des politiques d’austérité une condition à ses financements, cela aura pour conséquence d’aggraver l’état du malade ». Il conclut en se déclarant favorable à un « pacte de croissance », sans lui donner de contenu.
Ce thème va rebondir, repris en Italie au sortir de ses prochaine élections de février, soutenu par le président de la république portugaise qui prend ses distances avec son premier ministre, défendu par le gouvernement irlandais qui connait les limites du renouveau de son miracle. Le mot est doté de pouvoirs magiques, comme tant d’autres dès qu’il s’agit d’économie, mais il reste à lui donner de la chair, ce qui n’est pas une petite affaire. Confronté à cette situation, le premier ministre japonais n’hésite pas à pour sa part voir les choses en très grand, ce qui implique, lorsque l’on veut dépenser vite beaucoup de crédits, une politique de grands travaux. Elle aura en l’occurrence comme justification partielle la restauration des dégâts du Tsunami (car pour ceux de Fukushima, l’argent ne peut plus grand chose). Mais un précédent a existé au Japon, dont les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances : la trappe à liquidité est très profonde !
Quels sont les gisements de croissance en Europe ? De quelles productions parle-t-on pour quelles marchés, qui ne peuvent être trouvés qu’en-dehors d’une Union européenne toute entière secouée par la crise ? La course à la dévaluation compétitive qui se généralise ne peut pas faire que des gagnants, elle tend même pour l’instant à ne produire que des perdants. La boîte à outils monétaire est remplie d’instruments devenus inutiles. L’exemple irlandais est là pour montrer la vacuité de politiques reposant sur des calculs de la croissance qui datent du temps où elle ne pouvait que progresser, comme les prix de l’immobilier…
Un pouce pour Vincent T !