Lettre adressée à Pierre Moscovici au sujet de la Taxe sur la Valeur pour l’Actionnaire, par Jean-Pierre Aubin

Billet invité.

Monsieur le Ministre,

Sachant que le débat sur la Taxe sur les Transactions Financières sur le « trading » à haute fréquence est à l’ordre du jour au niveau européen, je me permets de vous adresser mes réflexions sur l’instauration d’une « taxe sur la valeur pour l’actionnaire » portant sur les investissements.

L’enrichissement moyen sur une période d’investissement donnée est le profit divisé par sa durée, autrement dit, sa vitesse moyenne. Tout investissement économique doit prendre en compte une multitude de contraintes et, pour cela, déterminer une période d’investissement adéquate, du siècle des cathédrales à la milliseconde du trading à haute fréquence d’actifs financiers. N’étant soumis qu’à très peu de contraintes économiques, autres qu’à l’accès aux serveurs des courtiers et aux frais de courtage, leur intérêt économique pour la société cède la place aux intérêts financiers des spéculateurs. Leur appétence pour le court-terme les incite à minimiser la durée de leur investissement. Si on juge nocive une durée insuffisante d’un investissement, il faut donc l’augmenter si elle est trop courte pour que l’investissement porte à maturité ses fruits économiques.

Il devient dès lors inéluctable de concevoir une Taxe sur la Valeur pour l’Actionnaire, fonction inverse de la durée des investissements et proportionnelle au profit, pour adapter la durée d’un investissement et son coût à son objectif économique.

La Taxe sur la Valeur Ajoutée sur les transactions, comme celle qu’a suggérée en 1972 James Tobin, est conçue pour freiner leur volatilité et pour procurer à un État les moyens financiers d’exercer ses fonctions régaliennes garantissant la sécurité de ses citoyens sous toutes ses formes, de la sécurité militaire à la sécurité sociale. Cette TVA porte sur les conséquences de la volatilité des transactions, et non sur ses causes, des durées trop brèves pour financer des investissements productifs. Elle devrait être supérieure à celles qui portent sur les transactions des biens.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la déréglementation financière entreprise à marche forcée, le transfert de la création monétaire des banques centrales aux banques privées, etc., ont reproduit 1929 en 2008. Au lieu de prendre des leçons de Lincoln, Roosevelt, voire de Schacht, l’article 123 du traité de Lisbonne a privé l’Europe de son droit régalien de battre monnaie en interdisant à la Banque Centrale Européenne de la créer, sauf à la prêter aux banques privées qui la prêtent à leur tour aux États avec intérêts composés. Ceux-ci obligent alors leurs citoyens à rembourser indûment avec leurs impôts les dettes croissant exponentiellement alors que la croissance économique, lorsqu’elle existe, a une croissance plus ou moins linéaire. L’écart est tel que depuis la loi n°73-7 du 3 janvier 1973, dite de Giscard d’Estaing, lorsque la Banque de France a commencé à être privée du droit de créer la monnaie, les intérêts de la dette ont augmenté exponentiellement. Le budget devint de plus en plus déséquilibré, interdisant la possibilité de rembourser les intérêts sauf à restructurer la dette. Plus on retarde cette structuration, plus on appauvrit le pays, plus élevé le risque d’une restructuration violente, sur les plans politique, économique et social, va s’aggraver. On en perçoit les prémisses. C’est en tardant à prendre de telles décisions que les révolutions et les guerres éclatent.

Pourquoi l’État ne peut-Il émettre ses emprunts auprès des citoyens plutôt qu’aux institutions financières privées, pourquoi ne pas véritablement cloisonner les différentes activités des banques dans des institutions différentes pour éviter le risque systémique ? Malgré l’accroissement des coûts, les armateurs se sont résolus à remplacer les pétroliers à coque simple par des pétroliers à coque double : en cas d’avarie ou de naufrage, le pétrole se déverse dans cet espace et non dans la mer. Ce que les armateurs ont su faire, ce que les banquiers refusent de faire, les États n’auraient-ils pas le pouvoir de séparer les activités financières selon leurs fonctions pour protéger leurs citoyens du naufrage quand soufflent les tempêtes boursières ?

Citoyen de base, ma voix ne porte pas loin, et cette lettre est jetée dans un océan de discours. Elle ne vous parviendra certainement pas, mais je me devais de la jeter, dans l’espoir que vous sachiez que nous étions suffisamment nombreux pour croire, même sans illusions, aux promesses du candidat à la Présidence de notre République, qui, elles, allaient dans le bon sens. Appliquées, elles auraient pu sortir notre pays de la crise et expérimenter des solutions utiles à l’Europe. Est-il trop tard ?

Je vous prie d’accepter, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments respectueux.

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