ILS SE TROMPENT DE CROISSANCE ! par François Leclerc

Billet invité.

La relance européenne est décidément mission difficile. Du côté de la BCE – qui se prépare à acheter mensuellement 60 milliards de titres obligataires pour la plupart souverains et injecter autant de liquidités dans les circuits financiers – on apprend dans le Wall Street Journal qu’elle craint de rencontrer des difficultés pour trouver un nombre suffisant de vendeurs ! C’est que ni les compagnies d’assurance, ni les banques ne se délestent facilement de ces titres, aussi bien pour des raisons réglementaires qu’afin d’assurer leur assise financière et de ne pas leur substituer d’autres actifs risqués à leur bilan.

Second volet, la mise en place du plan Juncker d’investissement se poursuit à vitesse d’escargot. Les moyens financiers publics étant très limités, un effet levier très important est requis pour atteindre les 315 milliards d’euros annoncés. D’où le projet d’une « Union des marchés des capitaux » (UMC) de Lord Hill, qui a pris la succession de Michel Barnier. Selon sa belle formule, il est destiné à « lever les barrières qui se dressent entre l’argent des investisseurs et les opportunités d’investissement », dont la Banque européenne d’investissement (BEI) dresse un catalogue fort de 2.000 projets. Les chiffres sont généralement d’autant plus impressionnants que les plans d’action sont inconsistants. La question à cent sous est celle des garanties qui seront données aux investisseurs afin de réduire leur part de risque pour les appâter. Un fonds est annoncé, dont les modalités seront examinées à la loupe.

Les grands projets qui se réduisent ensuite à peu de chose ne manquent pas quand vient le moment de les concrétiser. Que se cache-t-il derrière ce nouvel acronyme d’UMC ? La volonté de développer la désintermédiation – le financement direct de projets d’investissement sans impliquer les banques – dont on a compris qu’il ne faut plus compter sur elles comme avant pour financer l’économie. Le chantier est périlleux et a peu de chances d’arriver à sa fin, impliquant aussi bien une convergence fiscale et une harmonisation comptable qu’une unification des lois sur les faillites, un vaste programme.

L’UMC n’est pas née qu’elle ressemble déjà à l’Union bancaire, tout aussi imparfaite et inachevée. Aussi, pour avoir de premiers résultats sans attendre, l’accent est prioritairement mis sur une valeur si l’on peut dire sûre : la titrisation. Mais attention ! celle-ci sera dorénavant pourvue d’un label de qualité, afin de répondre à la suspicion des investisseurs ! Pour aider la chance, Lord Hill a aussi annoncé qu’il entendait assouplir les règles, par exemple en réduisant l’obligation pour les banques émettrices de conserver dans leurs livres 5% des titres émis afin de partager le risque, mais cela fait tiquer. Relancer la titrisation implique de satisfaire les intérêts contradictoires des émetteurs et des investisseurs, l’affaire n’est donc pas de tout repos.

Le retour prioritaire de la croissance – que l’on s’imagine volontiers piaffer d’impatience dans l’attente de la suppression des contraintes qui la brident – représente un changement de priorité pour la Commission. Le tournant est déjà pris, Lord Hill a trouvé les mots pour le dire : « Pour que la confiance revienne et que le flux des investissements reprenne, il faut éviter une situation où l’industrie des services financiers serait constamment mise à l’index ». Cela n’est plus le cas à Bruxelles, où le message des banques et des assureurs est désormais entendu : la rédaction des centaines de textes d’application de la réglementation financière nouvellement adoptée va être l’occasion d’en assouplir discrètement la portée. Et les réformes en chantier, comme la taxe sur les transactions financières, sont encalminées.

Goldman Sachs voit en conséquence de nouvelles opportunités se présenter. Le message de l’un de ses dirigeants à l’international dans les colonnes du Financial Times est simple : les PME européennes, si importantes dans le tissu industriel, sont laissées pour compte par les banques, mais des outils financiers éprouvés peuvent y suppléer. En vrac; le capital-risque, les fonds d’investissement privé, ou les Asset-backed Securities (ABS), avec promesse prononcée de ne pas abuser cette fois-ci.

Tout se met progressivement en place pour accroître la vulnérabilité du système financier. Le développement du crédit dans le secteur privé est redevenu la grande affaire, dans la logique de la politique de l’offre. Les financements publics limités pour cause d’ajustements budgétaires – les banques ayant entre-temps beaucoup déçu – il est dorénavant envisagé de faire appel directement au marché pour enclencher une nouvelle phase d’endettement. En Europe, les banques dispensent 80% du crédit, tandis qu’aux États-Unis elles n’y contribuent que pour 20%. Voilà le modèle à suivre…

L’idée ne viendrait à personne que distribuer du pouvoir d’achat serait un excellent ferment pour une économie dont la croissance repose au premier chef sur la consommation, priorité étant donnée à la compétitivité. Entre la concurrence fiscale, de désendettement et la baisse du coût du travail, il reste alors peu de place pour loger la promesse d’un avenir radieux. La place prédominante prise par les activités financières, ainsi que les inégalités qui en résultent, sont les deux principaux obstacles à surmonter.

Le volume grandissant des actifs financiers en circulation est un problème en soi, un facteur d’instabilité financière endémique. Ce ne sont pas seulement les banques qui sont « too big to fail » (trop grosses pour s’écrouler), ce sont aussi les marchés, alors que tout se conjugue pour en accroître encore la taille… Si l’on veut parler de croissance, il ne faut pas chercher bien loin pour en trouver une, qui est vertigineuse : celle de l’économie financière, par opposition à l’économie réelle. La première regroupe les marchés des changes, des dérivés et des instruments de dette et la seconde s’exprime faute de mieux par le PIB mondial. Bien que difficiles à cerner et faisant l’objet d’estimations variées, les chiffrages disponibles démontent tous que l’économie financière connait une croissance beaucoup plus rapide que l’économie réelle.

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