Penser tout haut l’économie avec Keynes, de Paul Jorion, éd. Odile Jacob, 2015. Une note de lecture (III) : le briseur d’idoles, par Roberto Boulant

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Billet invité.

L’esprit humain peut être considéré comme une machine à « donner du sens » au réel. Pour se faire, il pose des frontières afin d’enfermer arbitrairement vivants et choses dans un cadre. Bien sûr, sauf dans les cas extrêmes de psychorigidité, nous admettons que les limites des dites frontières sont souvent floues et mouvantes. Mais ce que nous ne supportons vraiment pas, c’est ce qui nous apparait comme inclassable. L’inconnu, le non-définissable nous inquiètent. À tel point que nous préférons souvent la certitude de la souffrance, mais dans un cadre connu, plutôt qu’une incertitude porteuse de tous les possibles. Une attitude qui pourrait se traduire brutalement par – la peur de la liberté -.

Or, tout dans la personnalité de John Maynard Keynes, de sa formation à son agilité intellectuelle, concourt à le rendre inclassable et par là-même, plus ou moins inquiétant à nos yeux comme à ceux de ses contemporains. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre, d’écouter Keynes lui-même se définir par rapport aux systèmes politiques de son temps : un libéral d’« extrême gauche », antitravailliste et antirévolutionnaire. Un économiste jugeant aussi sévèrement la théorie marxiste, que les inepties de la ‘main invisible du marché’ ou du ‘laisser-faire’.

Une pensée complexe et subtile donc. Difficile à réduire par la simplification, sans la dénaturer. Bref, le cauchemar des politiciens professionnels et de tout bon journaliste « main stream ».

Dans ces conditions, il était écrit que le briseur d’idole que fut John Maynard Keynes, se retrouverait caricaturé par notre époque manichéenne, où une pensée, une méthode, une théorie, doivent pouvoir tenir en 140 caractères. Ou en 45 secondes, coincées entre les pages sport et les pages people des biens mal nommées ‘informations’. Keynes ? Ah oui, ce gars qui voulait tuer les rentiers et relancer l’économie par des grands travaux d’état…

Alors, bien qu’il fasse plus de 140 caractères – et que sa lecture vous prendra plus de 45 secondes -, il faut lire l’ouvrage de Paul Jorion. Parce que l’auteur a pris la peine de vérifier dans le texte ce qu’a réellement écrit Keynes, et qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage d’économie absconse et truffée d’équations. Pour tout cela et plus encore, mais surtout parce que Paul Jorion nous révèle l’homme Keynes. Un véritable extra-terrestre qui ne fétichisait pas les chiffres d’or et les règles gravées dans le marbre. Un esprit libre qui  n’hésitait pas à démontrer le tragique ridicule des puissants de son époque. Un humaniste soucieux des moyens d’accroitre le bien-vivre ensemble. Un philosophe enfin, pratiquant l’éthique, cette science morale si éloignée de notre époque.

En ce sens Paul Jorion aurait pu donner comme titre à son livre, de revolutionibus orbium coelestium. Car cet ouvrage est celui des nouveaux et des anciens coperniciens. Ceux qui ont toujours su que la société n’orbitait pas autour de l‘étoile de la mort TINA, mais autour du chaud soleil de l’Humanité. Là, sont la véritable démonstration, le véritable message, de John Maynard Keynes. J’y reviendrai dans mon prochain billet.

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