Mélenchon ou Hamon ? Le pari irresponsable et dangereux, par Cédric Mas

Billet invité. Ouvert aux commentaires. P.J. : Je publierai bien entendu volontiers comme billet autonome les réponses qui lui seraient faites.

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, se pose pour un certain nombre d’électeurs la question de savoir qui voter entre MM. Mélenchon et Hamon.

Cette question découle directement d’une manipulation claire entretenue des deux côtés par calcul politique : les programmes de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon seraient très proches, et seules les personnalités et les qualités oratoires de l’un expliqueraient la différence importante constatée dans les sondages.

D’aucuns pensent même que leur rapprochement, envisagé à plusieurs reprises, n’aurait échoué que pour des questions d’appareil et d’égos. Or, rien n’est moins vrai.

Ces idées largement répandues passent sous silence un chaînon manquant primordial : le lien idéologique très fort entre Jean-Luc Mélenchon et certains milieux qualifiés péjorativement de « rouge-brun », dont la présence est loin d’être négligeable dans ses équipes et ne sont pas sans liens avec les réseaux d’influence russes.

Ainsi, sur les questions internationales, le programme de M. Mélenchon est bien plus proche de celui de Marine Le Pen (et sur certains points de celui de M. Fillon) que de celui de Benoît Hamon.

Le rapport à la Russie, à ses agissements impardonnables et contraires aux intérêts de la France en Europe de l’Est comme en Syrie, est ainsi un symptôme d’un mal plus profond.

Si l’influence russe sur le Front National est essentiellement matérialisée par des financements importants, l’influence exercée sur Jean-Luc Mélenchon, intimement convaincu aujourd’hui sur ces questions d’avoir raison contre une majorité « intoxiquée » par une « propagande atlantiste », inquiète car elle pourrait révéler un noyautage progressif de ses équipes.

Ainsi, sur les questions internationales, il faut s’interroger sur des personnalités dont la biographie est loin de correspondre à ce que l’on pourrait attendre d’un militant du Front de Gauche. Pensons par exemple à M. Djordje Kuzmanovic, ancien militaire ayant notamment combattu en Afghanistan.

M. Kuzmanovic est la tête d’une société de conseil « pour les affaires », et aujourd’hui secrétaire national du parti de Gauche pour les questions de défense et internationale.

M. Kuzmanovic, élu au sein du Bureau national du Parti de Gauche, est très actif sur les réseaux sociaux.

Comme très bien expliqué ici, les idées qu’il professe font les choux gras des sites complotistes dont (voir ci-dessous) le site de Michel Collon, (dont les fréquentations comptent notamment Thierry Meyssan et Dieudonné).

De telles personnes, au profil pour le moins contestable, entourent Jean-Luc Mélenchon, sont responsables de sa conversion, aujourd’hui solidement ancrée, dans l’existence d’une « vérité alternative » qui serait masquée par une propagande téléguidée par les États-Unis. Cette affirmation constamment déjugée par les faits, est l’un des piliers des médias d’obédience russe comme RT et Sputnik.

Prenons un exemple flagrant : la conviction exprimée à plusieurs reprises par M. Mélenchon que la Russie combat Daech en Syrie, et son refus d’admettre le fait avéré que les frappes russes visent d’abord les rebelles syriens qui luttent contre Assad et contre Daech (ne revenons pas sur la question du gazoduc qatari, enfant chéri de la propagande pro-Assad, déjà décrypté ici).

Voir tout particulièrement à 4m06s M. Mélenchon opposer un silence irrité face à la contradiction citant des chiffres avérés sur les frappes russes.

On notera que lorsqu’il est interrogé à ce sujet, M. Mélenchon se refuse à reconnaître clairement et sans ambiguïté la responsabilité entière et unique d’Assad dans un certain nombre de crimes, à commencer (mais ce ne sont pas les seules) par les attaques chimiques de la Ghouta en 2013 ou celle de Khan Sheykhoun commise le 4 avril 2017. Il préfère prendre la posture d’une condamnation générale des attaques chimiques en restant vague sur les responsabilités pourtant avérées, et appelant à une enquête indépendante de l’ONU (alors que les projets de résolution sur des enquêtes sur les crimes syriens sont systématiquement bloquées par un véto russe).

La vraie raison de l’impossible rapprochement entre MM. Mélenchon et Hamon réside donc dans une différence fondamentale sur les questions internationales.

De manière générale, M. Mélenchon souhaite aujourd’hui se présenter comme le candidat « de la Paix » alors que sa volonté pacifiste est dirigée uniquement contre les États-Unis et l’OTAN et non contre les aventures dangereuses et belliqueuses de la Russie dans différentes régions du monde, ni son soutien à différents dictateurs directement à l’origine de troubles, voire de guerres civiles (Syrie, mais aussi Venezuela).

La posture de M. Mélenchon aboutit à placer une exigence de multilatéralisme comme garde-fou contre les actions qu’il juge par principe « criminelles » des États-Unis, exigence soigneusement mise entre parenthèses lorsque la Russie agit unilatéralement, comme par exemple en septembre 2015 en Syrie.

Cette posture internationale donne une clé pour comprendre à quel point le vote pour M. Mélenchon ne débouchera que sur une impasse politique dangereuse pour le pays.

Elle permet d’abord de découvrir que les équipes du front de Gauche, loin de l’image marketing d’une France insoumise, sont hélas contaminées par des éléments idéologiquement peu compatibles avec les idéaux humanistes et démocratiques qu’ils essaient d’afficher, et dont les connexions vers les réseaux complotistes et fascistes sont trop nombreuses pour être de simples affaires de circonstances.

On rappellera que les congrès du Parti de Gauche sont souvent le lieux de déclarations étonnantes où la dénonciation de la finance internationale alterne avec des propos plus violents, et où l’on n’hésite pas à citer Dzerjinski « Pour ceux qui ne sont pas de notre avis, quatre murs, c’est trois de trop. »

Par-delà même les personnes, la posture choisie par M. Mélenchon pour la politique internationale, si peu soucieuse des intérêts de la France au profit d’une Paix théorique et impossible face à des dictateurs, affaiblit considérablement son projet économique, élément fort de son programme. Le programme économique de M. Mélenchon suppose en effet une action unilatérale et l’instauration d’un rapport de force avec l’Europe, l’Allemagne et les règles régissant la finance internationale. Or, cette action unilatérale, à exercer pour préserver les intérêts économiques de la France face à l’Europe, l’Allemagne, les États-Unis… M. Mélenchon l’écarte pour toutes les questions internationales, se réfugiant dans un refus ab abstracto de toute action unilatérale.

Comment croire un candidat qui affirme refuser de lancer une opération militaire unilatérale afin de préserver les intérêts de la France, alors qu’il s’engage sur un programme économique qui impose un tel unilatéralisme en matière économique ?

Voter Mélenchon dimanche prochain est donc un pari, un pari irresponsable et dangereux du fait que, comme Donald Trump dans le cas de Steve Bannon, confronté à la réalité, il tournera le dos aux conseillers qui l’ont accompagné durant son élection.

Comment être sûr que M. Mélenchon changera d’avis seulement sur les questions internationales, restant ferme par ailleurs sur son programme économique ?

Si la sincérité de l’attachement de M. Mélenchon à la République, à l’état de droit et aux libertés fondamentales ne peut être mise en doute, la même confiance ne peut pas être accordée à certains de ceux qui l’entourent et qui portent un projet dangereux auquel aucun citoyen authentiquement attaché aux valeurs progressistes et humanistes ne peut adhérer.

Enfin, il convient de rappeler cette règle simple : le premier tour d’une élection présidentielle doit être l’expression d’un vote d’adhésion et non celui d’un vote utile fait de calculs manipulés par des sondages dont la fiabilité a montré encore récemment ses limites.

Si le choix au second tour impose de voter M. Mélenchon pour faire barrage à l’extrême-droite, il sera toujours temps de voter utile. Essayons au premier tour de ne pas être contraints à un tel choix entre deux extrêmes.

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  1. Ajouter qu’en termes de « faux-jetons » … me semble-t’il…. ceci devrait frôler un record.. : https://www.lalibre.be/international/europe/2025/07/05/un-couple-neerlandais-implique-dans-79-accidents-comparait-pour-fraude-a-lassurance-ce-sont-les-autres-conducteurs-qui-ne-font-pas-attention-4CR4LQWSHBBMHC77BXUG75NR7Q/ … » Autre élément surprenant :…

  2. La vraie question…à nouveau donc , me semble-t’il , reste : https://www.pauljorion.com/blog/2025/07/05/video-les-faux-jetons-sont-au-pouvoir/comment-page-1/#comment-1078536

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