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Le déni de la réalité débute par une grande méconnaissance des scénarios à venir. Certes, le moment de la publication des rapports du GIEC ou des « COP » (conférences des parties), sont des grandes messes internationales, mais il s’agit là en fin de compte de conclusions qui restent confinées dans des discussions entre experts. Les COP sont des débats hors-sol à huis clos où l’on débat avant tout la forme en négligeant le fond. Les négociateurs ne sont pas des climatologues mais des juristes et des diplomates.
Mais même en ayant une certaine idée des enjeux, la tendance naturelle d’un individu de l’espèce humaine est le déni de la réalité : « C’est trop gros pour être vrai ! ». Pour prendre un exemple historique, dès le début des opérations d’extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale par le nazisme, le gouvernement britannique et la presse britannique étaient bien au courant. Dans son numéro du 25 juin 1942, le Daily Telegraph de Londres écrit déjà : « Plus de 700.000 Juifs polonais ont été exterminés par les Allemands dans le plus grand massacre de tous les temps ». Même Anne Frank, 13 ans à l’époque, savait, cachée dans un appartement à Amsterdam. Elle écrit dans son Journal le 9 octobre 1942 : « Nous n’ignorons pas que ces pauvres gens [les Juifs capturés par les nazis] seront massacrés. La radio anglaise parle de chambre à gaz. Peut-être est-ce encore le meilleur moyen de mourir rapidement. J’en suis malade… ». Mais la population ne pouvant pas y croire, longtemps après la guerre, ce crime sans commune mesure fut effacé des mémoires collectives. Jean-Paul Sartre, dans son essai Réflexions sur la question juive, publié en 1946, ne cite pas une seule fois la Shoah. Il faudra attendre le procès d’Adolf Eichmann, un des principaux responsables de la logistique de la « solution finale », à Tel Aviv en 1961, pour que la vérité refasse progressivement surface.
Nous sommes aujourd’hui dans un processus de déni similaire. C’est celui de la « dissonance cognitive ». Natacha Calestrémé, dans Ouvrir les yeux devant les évidences, note que « lorsque nous apprenons une très mauvaise nouvelle, et que nos certitudes s’effondrent devant l’inimaginable, nous entrons dans un phénomène que [le psychologue Léon Festinger] a appelé la dissonance cognitive. Nous ne voyons de la réalité que les détails qui sont acceptables, ceux qui renforcent nos convictions. Tous les autres éléments sont occultés. Nous côtoyons uniquement les personnes qui pensent comme nous, et rejetons les autres. […] Parce que la situation est si grave qu’elle devient impensable. En termes de réchauffement climatique, nous sommes aujourd’hui dans cette situation où l’impensable se produit ».
L’impréparation des pouvoirs publics aujourd’hui en est symptomatique. Sans parler de la lutte contre le réchauffement climatique, les politiques publiques sont en retard dans l’adaptation des territoires aux conséquences déjà perceptibles du changement climatique. Un rapport de la délégation à la prospective du Sénat en France datant du 16 mai 2019, Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée, s’alarme de l’impréparation manifeste du législateur au choc climatique inévitable en France.
D’autre part, l’acharnement contre la jeune militante écologiste, Greta Thunberg, est aussi un exemple de cette dénégation devant les enjeux climatique d’une part importante de l’opinion publique. Un certain nombre d’auto-proclamés « intellectuels » assènent une violence verbale inouïe contre la jeune Suédoise de 16 ans. Nombreux sont ceux s’attaquant à son âge (« tyran de 16 ans »), d’autres s’en prennent à son intelligence atypique due à son syndrome d’Asperger : elle souffrirait de « troubles obsessionnels compulsifs et d’une dépression infantile » selon docteur Laurent Alexandre… Michel Onfray la compare à un « cyborg » qui « ignore l’émotion ». Certains l’accusent d’être manipulée par les agents du capitalisme, et d’autres… par les anticapitalistes ! Enfin, on la traite de « charlatan de l’écologie » en Une de Valeurs Actuelles, faisant partie du « totalitarisme vert ». C’est bien connu : on s’attaque plus facilement au messager qu’au message lui-même.
Pour expliquer le fait que nous nions la réalité, on peut également concevoir notre psyché en deux cerveaux : le cerveau « rationnel » et le cerveau « émotionnel ». Les risques du changement climatique ne sont perçus uniquement par notre rationalité : on nous expose de nombreux chiffres et tableaux allant dans ce sens. Mais le risque se perçoit également par l’émotionnel. Par exemple, les risques liés au terrorisme, ou aux accidents d’avion, sont avant tout ressentis par les individus avant d’être véritablement calculés. Nous l’avons déjà dit, nous aurions 4.000 fois plus de chance, à titre individuel, de mourir d’une extinction de masse que d’un accident d’avion, c’est le même ordre de grandeur pour les attaques terroristes. Et pourtant, nous sommes psychologiquement plus affectés par le risque d’attaque terroriste car le danger est tangible, local et imminent. Des images claires sont rattachées au terrorisme, tout comme des groupes d’individus aux intentions claires. On ne rattache en revanche aucune image, aucun individu identifiable, aucune intention aux risques existentiels comme le dérèglement climatique en cours.
Même chez ceux revendiquant une conscience des enjeux, demeure un certain détachement émotionnel avec la réalité à venir : nous continuons à vivre normalement, nous continuons à mener nos activités quotidiennes comme si de rien n’était alors que nous devrions être en panique et préoccupés uniquement par l’effondrement imminent si nous étions vraiment conscients de la menace. C’est Greta Thunberg qui fait remarquer ce paradoxe dans un de ses textes les plus partagés sur internet :
« Comment suis-je censée me sentir en sécurité alors que nous affrontons la plus grave crise de l’histoire de l’humanité ? Quand je sais que si nous n’agissons pas maintenant, tout sera bientôt trop tard ? La première fois que j’ai entendu parler du réchauffement climatique, j’ai pensé que ça ne pouvait pas être exact, qu’il ne pouvait pas y avoir quelque chose d’aussi grave qui menace notre existence. Parce que sinon, nous ne parlerions pas d’autre chose. Aussitôt que nous allumerions la télé, tout serait consacré à ce sujet. La radio, les journaux, nous ne pourrions rien lire ou entendre qui ne soit pas consacré à ce phénomène. Comme si une guerre faisait rage. » (Greta Thunberg)
C’est peut-être une des raisons qui explique le déversement de haine contre Greta Thunberg. Greta semble, elle, bien consciente des enjeux, que ce soit rationnellement (elle ne cesse de citer les conclusions du GIEC) et émotionnellement (« vous avez volé mes rêves »). Les commentateurs font souvent remarquer qu’elle ne sourit pas, qu’elle pleure en faisant ses discours de manière « infantile » devant la communauté internationale. Ce déversement de haine serait-il dû au fait que cette prise de conscience réelle des enjeux chez Greta Thunberg nous fait peur ? Avons-nous peur d’être aussi conscients qu’elle des enjeux ? Craignons-nous de ne pas pouvoir en dormir la nuit ? On cherche alors tous les prétextes pour décrédibiliser sa parole, l’étiqueter comme « anormale » pour ne pas à avoir de l’écouter sérieusement.
Une des implications de cette conscience à deux dimensions est donc que pour faire des enjeux climatiques une préoccupation première des populations et des politiques publiques, il est nécessaire d’avoir un débat passionné sur le sujet. Comment faire pour « donner à voir » la crise climatique ? Comment faire pour que nous nous rendions compte des dangers véritablement à l’œuvre ? Attendre que l’effondrement débute ? Non, il sera déjà trop tard. Nous proposons une autre approche : celle de la visualisation par la cinématographie, et l’art plus généralement.
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