Retranscription de « Comment éviter la prison », le 10 juillet 2020
Bonjour, nous sommes le vendredi 10 juillet 2020 et aujourd’hui, mon billet s’intitulera : « Comment éviter la prison ».
Je vous ai lu l’autre jour, in extenso, le petit aphorisme bien connu de Hegel disant que la lecture des journaux le matin, c’est la prière du réaliste et, dans mon cas, il m’arrive d’avant même avoir lu les journaux, de me réveiller en me disant : « Ah, il faut que je raconte ceci ou cela ! » et donc, ma prière de réaliste, parfois, ce n’est même pas les journaux. C’est de faire un petit billet.
Alors, si vous avez suivi l’actualité hier – et en particulier, j’en ai fait immédiatement un billet écrit – c’est plusieurs décisions de la Cour Suprême des Etats-Unis qui sont tombées assez rapidement : deux qui portaient sur les déclarations d’impôts de M. Trump et la troisième qui tranchait, dans le cas de l’Oklahoma, en disant que, oui, la réserve des indiens Creek couvrait bien encore toute la partie Est de l’Oklahoma, y compris une part importante de la ville de Tulsa. Et là, évidemment, c’était intéressant parce que, Tulsa, ça a été le siège en 1921 d’un grand pogrom, on dit « lynchage » aux Etats-Unis, une destruction systématique de la partie de la ville occupée par les Afro-américains, ville dans laquelle Trump a fait un rally, un meeting électoral récemment alors que les autorités n’étaient pas très enthousiastes en disant : « Vous allez simplement faire venir des gens à qui, en plus, vous dites de ne pas mettre un masque parce que, s’ils mettent un masque, ça veut dire qu’ils sont un ennemi à vous. Ce n’est pas une bonne idée ». Et, bien entendu 15 jours plus tard, qu’est-ce qu’on voit ? On voit évidemment une flambée, un foyer d’infection à nouveau à Tulsa.
Mais les deux premières décisions de la Cour Suprême portaient sur les déclarations d’impôts de M. Trump. Il y a plusieurs instances aux Etats-Unis qui demandent à les voir. En particulier, il y a la Cour du district sud de Manhattan qui travaille toujours sur cette affaire du prix du silence payé à une actrice du porno et à une playmate. Également, les parlementaires Démocrates dans le cadre d’une commission d’enquête au Congrès, c’est-à-dire à l’Assemblée Nationale. Et là, deux décisions de la Cour Suprême : la première qui permet effectivement à la Cour de Manhattan sud de consulter les déclarations d’impôts et les documents fiscaux de M. Trump mais qui ajoute plusieurs obstacles au fait que le Congrès puisse les voir.
Mais ce qui frappe, c’est que la décision n’était pas évidente et les journaux télévisés et imprimés ont immédiatement titré sur le fait que, curieusement, deux juges sur lesquels compte M. Trump, qu’il a fait nommer d’ailleurs, qui sont de droite voire d’extrême-droite, Kavanaugh et avant lui Gorsuch, que ces deux juges se sont prononcés en défaveur de la position de Trump.
Je vous en ai tout de suite parlé en vous disant quelles sont les implications de ça. Elles ne sont pas immédiates parce que les documents seront présentés devant un grand jury. Et un grand jury, c’est quelque chose qui opère de manière secrète, à huis clos. Les commentateurs soulignaient que, bon, on voit très rarement, même pratiquement jamais, des décisions de grand jury donner lieu à des fuites. Ce serait considéré comme très très grave. Ça ne veut pas dire que ça n’arrivera pas un jour mais c’est considéré comme très grave.
Et je vous avais donc écrit un petit billet là-dessus. Et après, j’ai continué à lire les commentaires qui tombaient. J’en ai lu un en particulier d’un juriste qui, aussitôt, à chaud, faisait une grande réflexion sur le fait de comprendre pourquoi certains juges de la Cour Suprême, qui sont considérés comme membres de la droite conservatrice, pourquoi ils prennent parfois des décisions qui apparaissent être des décisions de gauche alors qu’on ne voit jamais les juges de gauche trahir leurs valeurs de gauche. Et alors, sa démonstration – et c’est pour ça que je n’ai pas retenu son nom parce que, vous verrez, ça ne casse pas des briques – c’était que la Constitution américaine étant essentiellement de gauche, quand un juge ne réfléchit pas vraiment, eh bien, il vote selon l’esprit de la Constitution américaine qui est de gauche.
Vous voyez, je ne sais pas si ça vous convainc vous. Moi, ça ne me convainc pas du tout. Mais il s’est fait que, dans la nuit sans doute, pendant que je dormais – c’est pour ça que j’y ai pensé le matin – j’ai rapproché ça de ma lecture de cet ouvrage dont vous savez que je le lis en ce moment. C’est donc le livre The Room Where it Happened de M. John Bolton. J’ai rapproché ça. Il s’est fait que, voilà, dans mon cerveau s’est allé se connecter avec des choses que je lis chez M. Bolton. Et je vous avais dit, j’en ai parlé déjà quand le livre m’est arrivé, que j’avais lu 10 pages. J’ai dit : « Je vais continuer à lire ça : ça me paraît très intéressant et je vous tiendrai au courant de ma lecture ». Et là, je ne pensais pas ce matin vous parler de ça mais voilà, et sous le thème : « Comment éviter la prison ».
Parce que, qu’est-ce que je vous ai dit ? Je vous ai dit : « Pourquoi est-ce que M. Bolton n’a pas voulu témoigner, a traîné la patte au point que ça ne s’est pas fait, d’aller témoigner à la Commission où des gens proches de lui, comme le Lieutenant Colonel Vindman, Mme Fiona Hill ont témoigné et ont dit des tas de choses ». Je vous disais : « Il aurait pu juste, lui, aller confirmer que oui, que ces gens autour de lui racontaient bien les choses comme elles s’étaient passées ». On a dit essentiellement, du côté Démocrate : « C’est parce qu’il voulait gagner plein d’argent sur les droits de son livre ! ». Moi, je vous ai dit quelque chose qui, sans être faux, n’est probablement pas toute l’explication. Sans être faux, c’est la chose suivante : c’est le fait qu’il veut se présenter en ce moment comme étant un représentant d’un autre courant du Parti républicain que celui de M. Trump, un courant qui a été majoritaire à une certaine époque, en tout cas au niveau du gouvernement. Ça a été le cas sous les présidents Bush père et Bush fils, mais qui ne l’est pas maintenant, qui est le courant néo-conservateur, courant qui s’identifie très fort à celui d’une Amérique, d’Etats-Unis se prenant pour l’Amérique et ayant une politique très agressive vis-à-vis de l’extérieur, très « Nous sommes les meilleurs. Pourquoi est-ce que nous sommes nés ici ? Parce qu’il fallait que moi et vous, nous naissions à l’endroit où se trouvent les meilleurs ! » et ainsi de suite.
Et bon, ce livre fera sans doute apparaître effectivement M. Bolton comme représentant d’un autre courant au sein du Parti républicain que celui de M. Trump. Et je vous ai aussi rapporté le fait qu’on voyait curieusement réapparaître parmi les commentateurs ou les gens que les chaînes de télévision interviewent, qu’on voyait revenir M. William Kristol, fils du fondateur d’ailleurs du courant néo-conservateur, M. Irving Kristol, en lui demandant son avis sur le mode du : « Tiens, ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vus mais on ne sait pas pourquoi ». Si, on sait pourquoi : c’est parce que votre courant, on n’y faisait plus très attention. Mais là, tout à coup, comme M. Bolton est de nouveau au sein de l’actualité, on va se réintéresser aux néo-conservateurs comme étant, un courant de rechange à l’intérieur du Parti républicain. Mais il y a autre chose.
Il y a autre chose. C’est le rapprochement, voilà, avec les évènements d’hier qui me font penser à ça. Pourquoi est-ce que M. Bolton a écrit son livre ? Il a écrit son livre pour éviter la prison. Pourquoi ? Parce qu’en disant les mêmes choses, maintenant, dans son livre – il savait au moment où la question s’est posée à l’automne dernier que le livre serait publié – dire ces choses-là devant une commission où vous paraissez en témoin (mais dans son cas, apparaissant véritablement comme un complice de Trump), les dire dans ce cadre-là ou les dire à sa manière, en expliquant toutes les délibérations par lesquelles on est passé pour se demander si, à tel ou tel moment, les manœuvres délictueuses qu’on avait devant soi justifiaient ou non qu’on donne sa démission, sur 500 pages, ce n’est pas pareil. Il faisait sa plaidoirie.
Il faisait sa plaidoirie en disant : « Voilà, Trump a fait ceci et je me suis posé la question de ‘Qu’est-ce qu’il faut faire ?’ J’ai consulté ses avocats en disant ‘Ecoutez, ce monsieur, en ce moment, sous prétexte que son avocat c’est M. Giuliani, il est en train de couvrir les agissements mafieux de M. Giuliani en Ukraine et en disant que ça tombe sous le secret de la relation entre un avocat et son client’ et là, c’est d’autres clients ». Il pose la question aux avocats de Trump qui lui disent « Oui, c’est slimy. C’est visqueux. Ce n’est pas très catholique mais enfin bon… » et il cite le nom de ces avocats (p. 457). En le faisant, dans son livre, il met ces avocats-là en difficulté pour la suite.
Ou alors : « J’ai parlé à M. Pompeo et j’ai dit : ‘Ecoutez, le patron, vraiment, voilà, il est du mauvais côté de la loi en ce moment. Qu’est-ce qu’on fait ? » et Pompeo dit : « Je suis comme vous, j’hésite ». C’est gentil de la part de Bolton : ça veut dire qu’il le situe dans son livre comme quelqu’un comme lui. Mike Pompeo, qui est donc ministre des Affaires étrangères, Secretary of State, ancien patron, brièvement (1 an et 3 mois), de la CIA. Il dit : « Voilà, c’est un gars qui, comme moi, se posait la question éthique à tout moment en se demandant qu’est-ce qu’on fait ? » [p. 459].
Mais il montre aussi d’autres gens comme M. Giuliani en disant : « Lui, c’est un type qui profite du fait qu’il est l’avocat du président pour faire des affaires tout à fait louches en Ukraine », et qui répond au monde : « Mais en fait, c’est exactement la même chose : c’est parce que j’essaye de trouver des saloperies faites par M. Biden qui est vraiment un salaud, etc., etc. ».
Et là, donc, qu’est-ce qu’il fait Bolton ? Il met une étiquette sur Giuliani en disant : « Prison ? » et là, il met un grand « oui ». Sur Pompeo, il laisse le point d’interrogation sans se prononcer exactement. Sur William Barr, le ministre de la Justice, en-dessous du point d’interrogation, il colle un beau « oui » parce qu’il montre que Barr sait absolument ce que fait Trump et qu’il le soutient en connaissance de cause. C’est-à-dire qu’il vend la mèche. Il dénonce ses complices. Bolton, dans ce livre, il dénonce ses complices.
Il y en a qui me reprochent de dire du bien de Bolton parce qu’il se conduit à certains moments, il se conduit comme un vrai représentant des Etats-Unis : il fait son métier. Il ne prend pas les décisions que je prendrais moi si j’étais un représentant des Etats-Unis mais, ça, je le mets entre parenthèses parce que je fais de l’analyse et pas simplement de la polémique.
M. Bolton, avec son livre, il fait plusieurs choses. Il se situe comme un recours – je ne me suis pas trompé en disant ça – à l’intérieur du Parti républicain. Mais aussi, il est en train de sauver sa peau et il est en train de donner des noms.
Il est en train de donner des noms : il montre qui est complice de Trump et qui ne l’est pas et pas seulement ça, mais il fait la liste détaillée des méfaits de Trump. A qui est-ce qu’il s’adresse ? En tout cas, je ne sais pas s’il s’adresse aux deux juges qui, hier, ont pris une décision dite « de gauche » par certains commentateurs mais qui sont aussi des gens qui veulent montrer que ce n’est pas parce que Trump les a nommés à la Cour Suprême qu’ils sont nécessairement des gens malhonnêtes. Voilà mon avis, ce qu’ont voulu faire MM. Gorsuch et Kavanaugh. Plutôt que de montrer qu’ils ne sont plus exactement au même endroit sur l’échiquier politique. Ce n’est pas ça.
Est-ce que ces juges ont aussi pensé à l’autre livre dont on parle beaucoup et dont moi aussi, je vous ai parlé et qui sort le 14 juillet mais dont on a vu les bonnes feuilles ? Le livre de Mme Mary Lea Trump, nièce de Trump, fille du frère aîné de Donald Trump, qui donne suffisamment d’informations dans son livre en disant : « Ecoutez, c’est moi qui ai apporté tous les dossiers vraiment intéressants à la Cour de Manhattan sud, celle qui demande d’avoir comme compléments d’informations de voir les déclarations d’impôts » et qui fait là aussi la liste des choses dont ces deux juges auraient du mal à prétendre plus tard qu’ils n’avaient aucune idée de quoi ça parlait alors que ça se trouvait à la une des journaux les jours précédant leur décision.
Il y a un certain nombre de personnes qui sont en train de changer de camp ou, en tout cas, de dire : « Je ne l’avais pas fait vraiment exprès. Si je le soutenais, en fait, je réfléchissais quand même bien et j’avais mis une limite » et Bolton l’explique dans le livre : « A tout moment, je réfléchis ‘Est-ce que je démissionne maintenant ou est-ce que je ne démissionne pas’ » et il explique donc : « Je vais voir les avocats de Trump, je leur dis ‘Bon, écoutez, les gars, ça, c’est pas possible’ et ceux-là disent ‘Ouais, enfin, c’est tangent. C’est limite !’ ». Bolton se protège.
On sait, on va savoir tout ce qui est écrit dans le livre de Bolton. Il suffit de le lire, 500 pages. Bon, voilà. Sur une version pdf, on peut faire une recherche sur les mots et donc, on peut aller assez vite aux choses qui intéressent. Par exemple, « Helsinki », on va aller à « Helsinki » et regarder [ce que Bolton dit de] ce qui s’est passé le jour où Trump a eu une entrevue à huis clos avec Poutine.
A ce propos-là, à propos de Poutine, dans le livre de Bolton, il ne le dit pas. Il ne le dit pas carrément mais il le laisse entendre, il y a des phrases. Il y en a une que j’ai lue tout à l’heure. J’aurais dû la noter et vous la lire carrément. Des phrases où il dit : « Est-ce qu’il y aurait autre chose dans les décisions, dans ses décisions aussi favorables à la Russie dans tout ce que fait Trump ? » [« Y avait-il, sous la surface, quelque chose d’encore plus troublant, aucun de nous ne le savait » – p. 458]. Cette question revient de temps à autre. C’est une question purement rhétorique mais il laisse entendre que lui y croit ou, en tout cas, il considère comme une hypothèse, je dirais, plausible à plus de 50 % l’histoire de la compromission, du fait que Trump serait un pantin de Poutine parce que Poutine le fait chanter, sans le lui rappeler tout le temps, mais sachant que Trump sait lui de quoi il s’agit et que ce n’est pas la peine qu’on en discute trop. Hypothèse, voilà, qu’on connait, qu’on connait depuis le rapport Steele qu’on a connu début 2016, au tout début de la présidence.
M. Steele dont le rapport, vous le savez, dans la presse d’extrême-droite, la presse complotiste Alt-right aux Etats-Unis, on vous répète selon la méthode Coué : « Oui, ce rapport a été entièrement discrédité ! ». Ce rapport Steele, je vous le rappelle, n’a jamais été discrédité. La seule partie qui n’a pas été vraiment confirmée par les faits, c’est cette histoire de compromission, de chantage, vis-à-vis de Trump. Et je vous rappelle quand même, à propos de M. Steele, cette chose à propos de laquelle je vous ai fait plusieurs billets et que tout le monde a ignoré, le fait que quand on essaye de découvrir ce que c’est que cette « relation de M. Steele avec quelqu’un », qui lui permet de dire, dans une déposition, que d’autres personnes savent qu’il n’a pas d’hostilité personnelle envers M. Trump et que quand la presse se met à regarder qui est-ce que ça peut être cette personne qui sait si bien que Steele n’a pas une opinion personnelle négative de Trump et qu’on découvre que la personne avec qui il a eu une relation – et ça, moi, je vous ai parlé de ça au moment où c’est apparu dans la presse [le 10 décembre 2019]. Les gens y reviendront en disant : « Mais pourquoi est-ce qu’on n’a pas attaché d’importance à ça ? ». Moi, je l’ai dit. J’y ai consacré aussitôt 2 ou 3 billets mais personne d’autre. Que cette personne avec qui l’espion Steele a eu une relation apparemment très amicale et davantage pendant un certain temps, c’est Mme Ivanka Trump : la fille de M. Trump.
Bon, je vous ai posé la question à l’époque, quand j’en parlais : « Est-ce que M. Steele, qui était encore un espion – il travaillait encore pour le renseignement, pour le contre-espionnage britannique à l’époque – est-ce que M. Steele était en mission quand il a eu une relation avec Mme Ivanka Trump ? » Là aussi, je crois qu’un jour, mon hypothèse sera confirmée par les faits [rires].
Voilà, comment évite-t-on la prison ? A un certain moment, on ne se rend pas à une convocation de la police. On écrit. On met les dernières touches à un gros livre de mémoires. On explique toute la manière dont on a pris certaines décisions. C’est-à-dire qu’on fait le boulot de son avocat si on devait un jour se retrouver devant les tribunaux. Et mieux encore, en écrivant toute votre plaidoirie de manière anticipée, vous évitez peut-être qu’on ne vous fasse même venir un jour devant un tribunal, ou alors comme témoin pour raconter encore des trucs que vous n’auriez pas dit explicitement.
Voilà : comment éviter la prison si vous avez fait partie d’un gouvernement Trump d’une manière ou d’une autre et si, maintenant, vous trouvez que ça sent tellement le roussi qu’il vaut mieux que vous racontiez tout ce que vous savez avant que ça ne tourne encore plus mal.
Allez, à bientôt !

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