Trends-Tendances, Pourquoi le cours des actions est-il si haut ?, le 17 décembre 2020

Pourquoi le cours des actions est-il si haut ?

La Bourse a cessé d’être le baromètre de l’économie. Du coup on a du mal à savoir le temps qu’il fait.

Quand la Bourse allait bien, c’était parce que les entreprises allaient bien : elles faisaient des bénéfices et ceux-ci se reflétaient dans les dividendes qu’elles distribuaient. Le cours de l’action grimpait quand la firme était en bonne santé, et baissait quand elle était malade. 

Ce à quoi on ne prêtait pas attention, c’est que le calcul d’un cours « juste » a comme l’une de ses variables cachées, les taux d’intérêt. Cela n’avait pas d’importance tant que ceux-ci, qu’ils soient hauts ou bas, étaient positifs.

Pourquoi cela joue-t-il ? En raison d’un principe évident à tous, les enfants y compris : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».

Comment un analyste financier « valorise »-t-il, calcule-t-il le juste cours, d’une action ? À partir des recettes de la firme ou à partir des dividendes dont on prévoit qu’ils seront versés à l’avenir. En temps ordinaire, les deux calculs aboutissent à peu près au même résultat, les chiffres étant corrélés. Mais seulement dans un environnement de taux positifs, ce qui est le cas habituellement, non quand les taux sont négatifs car la valorisation des actions à partir des dividendes se dérègle parce qu’un « tu l’auras » vaut alors davantage qu’un « tiens ». Comment est-ce possible ? Quand les taux sont négatifs, une somme mise à la banque se déprécie et du coup, entre recevoir 100€ aujourd’hui et 100€ dans un an, il faut choisir le 100€ dans un an, parce qu’arrivé-là, le 100€ d’aujourd’hui vaudra moins que 100€, il se sera érodé du fait des taux d’intérêt négatifs.

Pour valoriser une action, on en calcule la « valeur actualisée », en faisant la somme des valeurs escomptées de chacun des dividendes qui seront versés dans les années à venir. Or escompter, c’est faire un calcul d’intérêts inversé. Au lieu de dire de combien aura grossi une somme de 100€ dans un an (elle sera devenue par exemple 103€ si le taux est de 3%), on se demande quelle est la somme à investir pour qu’elle vale 100€ dans un an : 97,09€ au même taux de 3%, et 97,09€ est donc aussi le « juste prix » pour une reconnaissance de dette de 100€ à valoir dans un an.

Dans un environnement habituel de taux d’intérêt positifs, quand on valorise une action en faisant la somme des valeurs escomptées des dividendes à venir, on a, je simplifie, 9€ pour celui de 10€ compté l’année prochaine, 8€ pour celui de l’année suivante, 7€ pour celui de dans trois ans, etc. jusqu’à ne plus devoir ajouter que des montants négligeables. 

Mais quand les taux sont négatifs, avec le même calcul, on a 12€ pour celui de l’année prochaine, 13€ pour celui de l’année suivante, 14€ pour celui de dans trois ans, et on n’aboutit pas à des centimes, mais à des sommes de plus en plus importantes.

La question de l’espérance de vie des entreprises, c’est-à-dire de leur bonne santé sur le long terme, ne se posait pas dans le cas des taux positifs puisque la valeur escomptée des dividendes à venir devenait rapidement négligeable dans le cours théorique. Maintenant oui, parce que la valeur actualisée de la somme des dividendes à venir n’arrête pas de grimper. 

On l’a compris : la valorisation des actions comme valeur actualisée de somme de dividendes a cessé de fonctionner, le calcul est faussé par le taux d’intérêt négatif qui produit un chiffre fallacieux. 

La Bourse continue de s’aligner sur la valorisation fondée sur les dividendes, si bien que l’écart se creuse avec celle faite à partir des recettes, jusqu’à atteindre aujourd’hui les niveaux de 1929 ou de décembre 1999. Attention : casse-cou !

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3 réponses à “Trends-Tendances, Pourquoi le cours des actions est-il si haut ?, le 17 décembre 2020”

  1. Avatar de Marfaing François
    Marfaing François

    La planche à billet sert aujourd’hui à soutenir la consommation en soutenant les budgets dits de « relance », aides aux trésoreries des entreprises, financement du chômage partiel, etc pour éviter une déflation. L’inverse de l’inflation. Ce n’est pas gagné ! Dans le PIB des pays industrialisés la consommation des ménages représente plus de 50 % du PIB. Si ça tousse trop fort le moteur économique s’arrête. D’autant que le consommateur Lambda a tendance à faire des économies de précaution et que les entreprises ont gelé leurs investissements, faute de visibilité et suite à la baisse significative des chiffres d’affaires.

    Les taux à 10 ans du Bund allemand ou l’emprunt d’état français OAT sont négatifs.

    La dette publique de nos pays est devenue aussi haute en rapport au PIB (+ de 100% du PIB) que celle contractée au moment de la seconde guerre mondiale lors de l’effort de guerre.

    Est-ce grave Docteur ? Oui et non.
    Non, pour le moment car toutes les dettes montent en même temps et que les liquidités (de la planche à billet) doivent bien atterrir quelques parts même sur des rendements négatifs mais jugés sans risque. Donc les épargnants perdent déjà de l’argent sans inflation ! De plus c’est le Dollar qui est sous pression ! America First ! 1.22 USD pour 1 EURO. Donc pas de risque d’importer de l’inflation des USA via nos importations libellées en Dollar. Par contre cela plombe les exportations allemandes !
    Oui, car avec une telle hauteur de dette publique toute augmentation des taux d’intérêt mettrait immédiatement beaucoup de pays en difficulté. Défaut de paiement.

    L’Allemagne est prête à rallonger ce qu’il faudra pour soutenir la consommation. On est très loin de l’équilibre budgétaire inscrit dans l’équivalent de notre constitution. « Die schwarze Null » C’est ça aussi le pragmatisme anglo-saxon. Et le consensus est pratiquement unanime sur l’échiquier politique. Maintenant pour éviter un scénario 1929, déflationniste, qui me semble plus proche de la réalité, il est très intéressant de voir la position américaine sur le renouvellement des aides aux familles qui arrivent en fin de droit ! Et on a tout vu avec Trump qui refuse de prolonger les aides aux citoyens américains.

    Quoiqu’il en soit cette politique des taux bas a un effet pervers sur les entreprises peu ou pas performantes en les maintenant la tête hors de l’eau. On parle d’entreprises zombies ! Car même si les intérêts sont négatifs, un jour il faut rembourser au moins le capital et donc créer les richesses suffisantes permettant d’honorer les échéances. Mais, les licenciements sont un risque politique non négligeable donc les politiques reculent le plus loin possible l’heure de vérité en espérant des temps meilleurs !

    Combien de temps cela peut-il durer ? Je n’en sais rien.
    Donc aujourd’hui comme le consommateur et les entreprises n’ont pas de grands besoins financiers, l’argent s’investit dans le grand casino de la bourse. D’où les supers résultats de Blackrock. C’est là que se trouve l’inflation ! C’est l’inflation des cours de bourses par un excès de liquidités disponibles qu’il faut bien investir quelque part ! Les bourses mondiales étant régulées par les banques centrales qui émettent elles-mêmes des obligations souveraines en très, très grandes quantités, je ne vois pas aujourd’hui comment les bourses pourraient s’effondrer ! L’ingénierie de la tuyauterie financière est bien rodée. Par contre si les défauts de paiement des entreprises prenaient un tour dramatique dans les semaines et les mois à venir alors…

    Comment cela va-t-il finir ? Je n’en sais rien.
    Goethe faisait déjà remarquer que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel.

  2. Avatar de juannessy
    juannessy

    – Si on prend le raisonnement au pied de la lettre , ne devrait on pas conclure que toutes les  » valeurs  » devraient augmenter et qu’il faut vraiment se poser des questions pour celles qui baissent.? Et encore plus quand toutes se mettent à baisser . Globalement ça confirme bien cependant que les paris stupides , déconnectés de la réalité, sont devenus la norme du système économique dominant . Même au casino , en général ça finit mal .

    – s’agissant du plan de relance franco français ( que le PLF 2021 annonce à 22 milliards d’euros) , j’ai aussi lu qu’il était escompté qu’il participe à 1% du PIB escompté pour cette même année 2021 . Comme 22 milliards c’est précisément 1 % du PIB environ , je me demande en quoi on peut appeler ça de la  » relance » , puisque , si mes notions assez sommaires d’économie sont exactes , la manip consisterait à simplement retrouver dans le PIB le pognon que j’y ai injecté . Résolution du mystère par les effets de levier espérés , ou par la prudence de sioux mise dans l’affaire ?

  3. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    Oublions « la science économique » et son artefact « la valeur » et contentons-nous du modèle aristotélicien de la répartition de la richesse en fonction du statut social. La bourse nous dit que les GAFAM ont le pouvoir, planche à billets ou pas, grand trésorier devant l’éternelle des banques centrales ou pas, Casino Royale ou pas. C’est assez logique, puisqu’ils sont en première ligne pour manipuler les masses, ce que les Russes ont parfaitement compris.
    Pendant ce temps, les politiciens jouent dans leur bac à sable en construisant des châteaux tendis que les lobbys en mission commandée distribuent les biberons.
    C’est le moment GAFAM ou pas.

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