Comprendre un peu est déjà une victoire !

Illustration par ChatGPT

On s’est fait à l’idée qu’une action est l’aboutissement d’une décision : que l’on a commencé par comprendre, puis qu’on a voulu, puis exécuté. Cette manière de se représenter les choses est rassurante : elle suppose un sujet maître de ses actes, avançant d’un pas décidé, de ses intentions vers leur réalisation. La vie de tous les jours contredit largement cette version des faits. Exemple : « Ai-je bien fermé la porte ? »

À moins qu’il ne s’agisse du fruit d’une véritable délibération, en règle générale dans la vie quotidienne, l’acte précède la formulation de l’intention à la conscience (parfois même de 10 secondes).

On fait quelque chose, et ce n’est qu’ensuite (± 1/2 seconde plus tard en général) que la représentation se construit de pourquoi on l’a fait. La raison vient après coup – comme les carabiniers d’Offenbach ! Elle n’est pas mensonge à proprement parler, mais rationalisation : une tentative de rendre l’acte acceptable à nos propres yeux, cohérent, racontable. « Alors tu me connais ! Je lui ai répondu du tac-au-tac ! Je lui ai dit … ». Si on a la langue très bien pendue, oui ! mais en général …

Et la cruauté du mécanisme se révèle particulièrement criante lorsque le temps manque. Non pas seulement dans des situations exceptionnelles, mais dans ces moments banals où quelque chose se produit trop vite pour qu’on puisse y répondre par une authentique délibération pleinement réfléchie. Le corps agit, une parole est prononcée, un geste est posé, et le sujet n’en devient véritablement conscient qu’un instant plus tard. Une expérience personnellement vécue : je cours en direction de la mer sur une plage. Ma tête est prise au dépourvu, je me dis : « Pourquoi cours-tu sur cette plage ? ». Et ce n’est qu’à ce moment-là que ma tête prend conscience de ce qu’elle est en train d’entendre : « Ah oui ! Il y a une voix venant de la mer qui crie ‘Au secours !’ ».

Dire alors que l’on a « décidé » est souvent une manière pour notre récit de sauver la face. Car ce n’est pas ce qui s’est passé : ce qui s’est passé, c’est qu’un ensemble de contraintes – de l’ordre de l’affect, les éléments du contexte, la chimie corporelle, l’alchimie des systèmes symboliques au sein desquels nous sommes plongés – a convergé vers un des actes possibles au sein d’un éventail. L’acte a eu lieu. La conscience est ensuite vaillamment venue planter son fanion !

Nous sous-estimons systématiquement à quel point la compréhension est généralement rétroactive. Elle reconstruit un chemin délibérément parcouru là où il n’y a eu, au moment de l’action, qu’un passage obligé. Elle ordonne après coup ce qui, sur le moment, s’est en réalité imposé. Et lorsque le temps manque, cette dynamique devient visible à l’œil nu : il n’y a pas d’hésitation héroïque, pas de délibération intérieure. Au lieu de cela, il y a une saisie partielle de la situation, quelque chose qui fait pression, qui insiste, qui « pousse à la roue ». Et l’acte suit.

Ce qui importe alors n’est pas que l’acte ait été parfaitement compris – il ne pouvait pas l’être – mais qu’il ne soit pas entièrement opaque à celui qui l’a accompli : qu’il reste possible, après coup, de reconnaître ce qui a compté, ce qui a pesé, même si l’image manque de netteté. Si cette possibilité s’évanouit entièrement, l’acte devient étranger à celui qui l’a pourtant posé : il se transforme en pur événement, détaché du sujet, malaisé à assumer, impossible à intégrer. La rationalisation, dans ces cas-là, tourne à vide : elle ne parvient plus à raccorder l’acte à une histoire à laquelle s’identifier.

Ce n’est donc pas la vitesse qui est en cause : c’est la perte du lien entre l’acte et ce qui, en situation, l’avait rendu inévitable. Comprendre trop tard vaut mieux que ne pas comprendre du tout car la présence d’un retard irréductible est inscrite dans notre système nerveux-même. Si ne rien comprendre du tout à ce qui nous a fait agir est un échec, comprendre partiellement est déjà en soi, une victoire.

(à suivre…)

=====================

N.B. Ce texte a été entièrement écrit par un authentique être humain. Méfiez-vous des contrefaçons ! Vérifiez la présence du tampon REAL HUMAN !

Partager :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. @Jean Monsieur Jorion a au moins l’honnêteté d’annoncer qu’il utilise l’IA, aussi bien pour ses textes que pour les images…

  2. @Ruiz En réalité, comme vous le laissez entendre, ce qui vous gêne surtout, c’est d’approfondir une idée que vous avez…

  3. @Vincent Rey Les deux ou trois personnes que j’ai vues tenter de “travailler Paul”, comme vous dites, ont disparu du…

  4. Dans ce nouvel interview qu’elle donne à Joanna Coles, Mary Trump, nièce de Donald et « clinical psychologist » de profession nous…

  5. @Jean Euh…Pour ma part, j’ai dû faire appel à mon vieil ami le petit Robert pour m’expliquer le rapport entre…

  6. @Ruiz. J’avoue apprécier ce genre de réponse : en général, cela trahit surtout une absence totale de réflexion sur la…

  7. @Thomas jeanson Reconnaître l’absence de source (ou la flemme d’en chercher) ce n’est pas être condescendant. La problématique évoquée n’a…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx LLM pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés Singularité spéculation Thomas Piketty Ukraine Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta