LE VÉRITABLE ENJEU DU CETA, par François Leclerc

Billet invité.

Comment la petite Wallonie peut-elle bloquer l’adoption d’un traité commercial européen avec le grand Canada ? Les plus hautes autorités n’en reviennent pas d’un tel manque de convenance à leur égard. Il faut donc s’attendre à ce que le parlement wallon soit chargé de tous les péchés, s’il persiste jusqu’au bout dans son refus, afin de se dédouaner. Tout en ayant oublié avoir repoussé la proposition de Jean-Claude Juncker – bien silencieux ces temps derniers – de ne pas faire ratifier le CETA par les parlements nationaux (et régionaux dans le cas de la Belgique).

Jamais un accord n’aurait été aussi documenté, entend-on. Un argument à inscrire à un florilège qui s’annonce fourni. C’est faire peu de cas des conditions quasi clandestines dans lesquelles sa négociation avait débuté et des protestations que cela avait soulevé, à la suite desquelles le voile fut seulement levé.

Une sourde inquiétude se manifeste à propos de l’adoption des accords commerciaux à venir, dont le TTIP avec les États-Unis. L’histoire va-t-elle se répéter, rendant celle-ci toute aussi périlleuse, voire impossible ? Certes, la politique commerciale est une compétence exclusive de l’Union, n’imposant pas formellement la ratification des accords qu’elle négocie et signe. Mais avec l’impopularité croissante des accords de libre-échange, elle est de plus en plus difficile à mettre en œuvre.

D’autant que, comme le souligne le Financial Times, « les accords commerciaux vont désormais bien au-delà des traditionnelles dispositions portant sur des réductions tarifaires : le CETA coordonne les normes réglementaires, égalise les règles de la propriété intellectuelle et abaisse les barrières à l’investissement ». L’accord prévoit également « un mécanisme controversé pour régler les différends entre les investisseurs et leurs pays d’accueil », l’acharnement avec laquelle il a été défendu ayant démontré l’importance qui lui est accordé.

Dans ces conditions, était-il possible de faire l’impasse sur l’étape de la ratification du CETA par les parlements nationaux ? C’est encore moins envisageable quand on lit les réserves exprimées par la Cour constitutionnelle allemande, qui a établi une distinction entre ce qui est de la compétence de la Commission et ce qui ne l’est pas. Mais les hauts dirigeants européens vont faire porter le chapeau à la Wallonie, car c’est plus commode.

L’adoption du TTIP, dont la négociation est déjà mal engagée, pourra-t-elle faire l’économie d’une ratification ? La décision sera désormais délicate à faire passer. Mais c’est avant tout le sort des négociations du Brexit qui est dans toutes les têtes. L’éditorial du Financial Times tire comme conséquence du sort réservé au CETA que les futurs accords de sortie du Royaume-Uni, pour ne pas connaître le même sort, devront se limiter à des accords commerciaux des plus basiques afin de ne pas être soumis à ratification. Complication supplémentaire, toutefois, ils ne concerneront pas seulement les marchandises, comme c’est le cas pour le CETA, mais également les services…

Comment la Wallonie, où vivent 3,5 millions d’habitants peut-elle imposer sa loi à une Europe qui en comporte 550 millions ? Voilà la présentation biaisée que l’on entend, qui escamote totalement la question de fond de l’exercice des droits démocratiques. Faut-il accorder des circonstances atténuantes à ceux qui s’en font les hérauts, ayant pris dans leur monde fermé de très mauvaises habitudes ? Faut-il en déduire que tout sera fait pour ne pas renouveler l’expérience du CETA ? On attend avec intérêt la suite…

Les plus hautes autorités européennes ne sont pas en phase avec le FMI et la Banque mondiale. À l’occasion de leurs assemblées générales annuelles de Washington, elles ont mis l’accent sur la nécessité de mieux distribuer les dividendes de la mondialisation pour la poursuivre. Or, non seulement les traités commerciaux négociés par la Commission ne comportent aucune disposition allant en ce sens, mais ils prétendent instaurer un mécanisme juridique permettant aux investisseurs internationaux de s’opposer aux dispositions réglementaires et normes publiques, lorsqu’elles ne leur conviennent pas. Est poursuivi comme objectif d’acter un dispositif juridique qui revient à donner aux compagnies transnationales la possibilité d’imposer leur point de vue aux États, c’est à dire à l’expression du pouvoir politique. Il fallait un sacré toupet pour de surcroît choisir le mécanisme de la justice arbitrale.

C’était bien joué, cela aurait pu marcher, mais cela a raté. À ne pas en douter, la question est trop importante pour ne pas revenir sur le tapis. L’argument qui se veut de bon sens est qu’il faut être en position de force pour établir les standards commerciaux de demain, et pour cela être partie prenante des négociations, car ils seront demain incontournables. Certes, est-il reconnu, il ne faut pas faire des accords à n’importe quel prix, mais pas non plus laisser nos concurrents occuper le terrain. Peut-être, pour cela, faudrait-il prendre l’initiative et utiliser un cadre international issu d’un processus démocratique.

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