PROJET D’ARTICLE POUR « L’ENCYCLOPÉDIE AU XXIème SIÈCLE » – HAVRE FISCAL, par Bertrand Rouziès-Léonardi

Billet invité

HAVRE FISCAL – Traduction de l’anglais tax haven. Paradis des damnés de « l’enfer » fiscal pour qui le principe même d’une imposition proportionnée au volume des revenus et des rentes a des relents de tenailles de forge rougies au feu et manipulées par des tourmenteurs communistes, barbichus et cornus. Les particuliers en quête d’un régime d’imposition accommodant, c’est-à-dire non « confiscatoire » [1], ne sont pas les seuls à s’y retrouver. Les entreprises bancaires (BNP, Deutsche Bank [2]), énergétiques (Total, BP) et technologiques de pointe (Google, Apple), les mêmes qui, paraît-il, font grimper le PIB et la fierté de leurs pays d’origine, viennent oublier dans ces champs élyséens et lotophagiques le devoir de reconnaissance à l’égard des communautés qui ont permis leur émergence. Sachant que les bénéfices sont imposés à 33,33 % en France, un fleuron du CAC 40 s’arrangera pour transporter les siens, via un pont de holdings, dans un havre où ils ne seront plus imposés qu’à 2 % (millefeuille hollandais). Les démons infernaux eux-mêmes sont trop contents de disposer à leurs portes de paradis qui, bien mieux que le Secret défense, leur permettent de masquer à leur parlement la circulation des commissions et rétro-commissions liées aux contrats militaires [3] ou énergétiques. C’est encore grâce à ces paradis qu’ils peuvent soutenir sans ciller que Lucifer ne verse aucune rançon aux terroristes preneurs d’otages.

Les havres fiscaux, quand ils ne sont pas hébergés par les « enfers » fiscaux (voir la City pour le Royaume-Uni et l’état du Delaware pour les États-Unis), voisinent avec eux. Il n’y a pas bien loin de Plutus à Pluton. Le fait qu’ils soient le plus souvent des confettis territoriaux sous-tutelle, des états fantoches (exception faite des Pays-Bas et de la Suisse), en dit long sur l’impotence réelle des superpuissances qui projettent leurs armées aux antipodes et ne parvienne pas à réduire d’un coup [4] les nids de corsaires qui prospèrent tout contre elles, voire en leur sein. Dans la doxa libérale, amorale, comme chacun sait, Lucifer, Prince du Laisser-faire, s’entend avec saint Pierre, Prince du Laisser-rouler, pour ne laisser faire et ne laisser rouler que le pire de l’homme.

Est-il meilleur symbole de cette entente que la capitale de Guernesey, havre fiscal anglo-normand ? Saint-Pierre-Port peut s’entendre ainsi : Saint-Pierre-Porc. Le porc est bête démoniaque parce qu’il se goinfre. Il y a du gouffre dans le goinfre, disait Hugo.

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[1] La confiscation, à entendre les cris d’orfraie poussés par les détenteurs français de très hauts revenus, commence à 66,66 %. On notera qu’à son arrivée au pouvoir en 1932, le président américain Roosevelt, sans préavis, porta le taux fédéral d’imposition sur les revenus supérieurs à 200 000 dollars de l’époque (1 000 000 de dollars d’aujourd’hui) de 25 % à 63 %, puis, en 1936, de 63 % à 79 %, avant d’oser un insoutenable et dantesque 91 % en 1941… tellement insoutenable et dantesque qu’il resta en vigueur jusqu’en 1964, sans grand dommage pour l’économie.

[2] La Deutsche Bank, parmi les cinquante premières entreprises européennes, bat le record du nombre de filiales « offshore » : 768 (Lien).

[3] Voir Le contrat : Karachi, l’affaire que Sarkozy veut oublier, de Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, Stock, 2010.

[4] La transparence passe d’abord par une longue et interminable phase de translucidité. Dernier plan en date de lutte contre « l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices », celui présenté par l’OCDE le 19 juillet 2013 devant les ministres du G20 (Lien).

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