Ce qui a déjà été gagné sans retour en arrière possible

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Ce qui a déjà été gagné sans retour en arrière possible, c’est une mise à plat aux yeux du public de la manière dont le système financier s’articule avec le fonctionnement global de nos sociétés.

Huit ans de présidence George Bush ont conforté la validité du « principe de Cheney » : si le Vice-Président affirme une chose, le contraire est certainement vrai. Or il a dit : « Madoff est une pomme pourrie au sein du panier ».

Et c’est bien de cela qu’il s’agit : la chose la plus difficile à établir en ce premier jour de l’année nouvelle, c’est en quoi l’affaire Madoff se distingue du reste de l’actualité financière de l’année écoulée. Le mérite d’avoir qualifié les bulles financières de « processus de cavalerie spontané » revient au professeur Robert J. Shiller, celui dont le nom apparaît dans l’indice Case-Shiller évaluant la santé de l’immobilier résidentiel américain. Il ne faisait lui-même que développer l’idée des trois stades de la dynamique du crédit élaborée par Hyman Minsky et dont le troisième est celui du Ponzi scheme. Ce n’était pas par hasard non plus que je consacrais le chapitre 13 de « Vers la crise du capitalisme américain ? » (La Découverte 2007) aux bulles financières et à leur dynamique : la cavalerie ou pyramide.

Qu’est-ce qui distingue alors Madoff du reste ? Le fait qu’il ait menti systématiquement sur ce qu’il faisait en réalité ? Hmm, continuons de chercher… Le fait qu’il est impossible qu’il ait été entièrement dupe, qu’il ait cru lui-même à ses propres explications ? Il me semble que la seule différence réside là : les bâtisseurs du château de cartes financier savaient en leur for intérieur qu’ils ne manipulaient que du carton mais tous ont cru que leur confiance absolue en son avenir radieux solidifiait l’édifice : que l’unanimité suffisait à transformer en pierre le carton. Les notateurs savaient qu’ils ne faisaient qu’extrapoler le « pire apprivoisé » que constituent les données historiques relatives aux catastrophes passées. Les créateurs de modèles financiers savaient sciemment que l’on ne peut rien dire de ce qui se passera dans vingt ans, ni même d’ailleurs la semaine prochaine. Mais l’existence d’une communauté de croyants confortait le mythe du carton transformé en pierre. Quand les gauches américaine et européenne se convertirent à la nouvelle église, l’unanimité fut coulée dans l’airain. Jusqu’à ce que la réalité joue un très mauvais tour et révèle que l’empereur était tout nu, depuis sa naissance.

La thèse de la pomme pourrie isolée au milieu du panier est morte en 2008 : le public a cessé de croire à la fraude individuelle d’un petit Jérôme Kerviel ici, ou d’un gros Bernard Madoff là, qui ne seraient pas représentatifs des comportements dans leur ensemble et qu’il suffirait de mettre sous les verrous pour que tout s’arrange. La candeur du public s’est évanouie avec l’année écoulée : jusque-là à ses yeux, la finance était si compliquée qu’il valait mieux la laisser à ses seuls experts. Le fait qu’on lui présente aujourd’hui la facture des frais de déblaiement du château de cartes écroulé lui a ouvert les yeux. Ce qui a déjà été gagné sans retour en arrière possible, c’est que ses yeux resteront ouverts.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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62 réponses à “Ce qui a déjà été gagné sans retour en arrière possible”

  1. Avatar de Telga
    Telga

    Rien de nouveau dirait le barbu …

    1867 Le Capital – Livre III K. Marx
    Le procès d’ensemble de la production capitaliste
    § 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d’entreprise. Le capital productif d’intérêts.
    Chapître XXVII : Le rôle du crédit dans la production capitaliste
    « … La transformation de la production capitaliste sous l’influence des sociétés par actions exerce une influence dissolvante sur la production capitaliste elle-même. Elle provoque dans certaines industries le monopole et appelle ainsi l’intervention de l’État. Elle fait surgir une nouvelle aristocratie de la finance et une nouvelle catégorie de parasites sous forme de faiseurs de projets, lanceurs d’affaires et directeurs purement nominaux ; en un mot, tout un système de filouteries et de tromperie ayant pour base le lancement de sociétés, l’émission et le commerce d’actions. C’est la production privée sans le contrôle de la propriété privée. »

    « Le crédit a donc ce double caractère d’être, d’une part, le pivot de la production capitaliste, le facteur qui transforme en un colossal jeu de spéculation l’enrichissement par le travail d’autrui et qui ramène à un nombre de plus en plus restreint ceux qui exploitent la richesse nationale ; d’être, d’autre part, un agent préparant la transition de la production actuelle à une forme nouvelle. C’est ce double aspect qui fait des prêcheurs du crédit, depuis Law jusque Isaac Pereire, à la fois des charlatans et des prophètes. »

  2. Avatar de Lacrise
    Lacrise

    Finalement ce sont des préoccupations un peu mesquines
    j’ai relu la biographie d’Anna marly récemment, compositrice de la musique du Chant des partisans. Franchement ça ouvre plus l’âme.

  3. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    Les yeux du public sont désormais ouverts remarque non sans raison Paul Jorion. Son attention a été éveillée et il n’en pense pas moins. Mais que va-t-il pouvoir dire, comment va-t-il se manifester ?

    Il est en effet temps de s’interroger sur « l’après », même si le « pendant » est en cours. Nous entamons désormais une longue montée vers la réunion londonienne d’avril du G20, dans quatre mois, qui va être l’occasion d’une gigantesque opération de communication. De premiers ballons d’essai sur ce qu’il faudrait y annoncer devraient commencer prochainement à « fuiter » dans la presse. L’objectif principal sera de montrer que les responsables ont les choses en main et qu’ils agissent en connaissance de cause. On peut en douter, en tout cas aujourd’hui. On en jugera sur pièce.

    D’autres échéances nous attendent avant, en premier lieu l’adoption du massif plan de relance de l’administration Obama, dont ce que l’on croit en savoir le laisse penser très structuré. Et sans nul doute de nouveaux accidents de parcours, le Trésor américain venant de faire savoir dans deux notes officielles successives de fin d’année qu’il se donnait toute latitude, « au cas par cas », pour sauver les entreprises du secteur de la finance et de l’automobile dont la faillite menacerait l’économie dans son ensemble. C’est l’Etat Fédéral qui va continuer de tenir à bout de bras la finance et l’économie US, et ce pour un temps indéfini. Le reste du monde est prié de se débrouiller de son côté.

    De ce point de vue, le « retour à la normale » n’est pas pour demain, le capitalisme est assisté tel qu’il n’était même pas possible de le concevoir. Son sauvetage est en cours et nous n’en connaissons pas le coût. Il y en aura un.

    Et le public, c’est à dire les gens, vous et moi, nous tous ? Il s’est sans doute fait sa religion, mais elle semble l’inciter plus à la prière qu’à l’action. Quelle traduction va-t-il pouvoir donner à ce qu’il a enregistré ? Ces mouvements profonds de la conscience collective sont parfois long et toujours déroutants. A regarder un peu arrière, c’est vrai, la situation est plutôt à l’ouverture, mais qu’elle soit mise à profit est une autre histoire.

  4. Avatar de Oppossum
    Oppossum

    Mary,

    – Votre exemple du porc voyageur est bien une conséquence de la régulation et de la réglementation : c’est bien parce qu’il est posé quelque part que le jambon de Parme doit bien être fabriqué à Parme, mais que d’autre part, le porc peut provenir d’ailleurs puisque la spécificité de la fabrication tient au savoir faire plus qu’à l’origine de la viande.
    Bon , il s’agit donc de protéger un savoir-faire et le consommateur. ce n’est donc peut-être pas aussi absurde qu’on veut bien le croire.
    Et même su ça l’était (absurde) … ce n’est tout de même pas un catastrophe qui met en danger l’économie , non ?

    – Si vous ne voulez pas comparer la personnalité de telle ou telle personne du clan Bush (que je ne diabolise pas pour autant) et Lamy, concevez tout de même qu’au niveau des patrimoines , la différence est de taille … et qu’on peut penser que Lamy est bien moins interessé et bien plus libre.

    – Si l’OMC est une telle calamité ultra-libérale et dérégulatrice … Comment se fait-il que les USA préfèrent les accord bilatéraux ? Comment se fait-il que les ultra-libéraux n’aiment et critiquent l’OMC … Comment se fait-il donc que les pays pauvres ou PVD souhaitent y adhérer (ce ne sont pas les USA qui vont les y pousser !) .
    D’aileurs derrière Lamy , c’est toute la gauche socialiste qui serait subitement convertie aux vertus ultra-libérales de l’OMC ? Je sais bien qu’ils ont intégré , nos socialistes bon tein, l’église de l’argent facile et magique , mais j’ai de la peine à croire à un tel aveuglement ou revirement de leur part.

    Ceci étant, si votre généreuse idée de fond est qu’on exploite forcément au travers de l’échange économique, les Pays en Voie de Developpement , je n’ai pas les moyens de vraiment discuter avec vous parce que lorsqu’on commerce avec un pays pauvre, on ne sait pas ce que c’est qu’un prix juste.
    Probablement le prix à partir duquel non seulement ils arrivent à vivre selon leur dignité mais aussi celui à partir duquel ils arrivent à se devolopper ? Nous pourrions être d’accord sur ce point , sauf que certains pays ne se developpent pas pour des raisons internes et surtout parce qu’on a tellement désorganisé leur société et leur économie que tout décollage économique devient un effort trop considérable.

    Le problème n’est donc fondamentalement pas le prix, mais l’échange excessif qui les détruit. Et cet échange démoniaque et structurellement mortifère c’est bien notre société basée sur l’idée que le bonheur c’est la consommation boulimique de biens et services , qui l’ a généré, soutenue par l’idéologie productiviste ET distributive.

    C’est pourquoi je pense qu’un protectionnisme négocié serait restructurateur des sociétés, actuellement. Evidemment il en résultera une baisse de nos niveau de vie, en quantitatif , du moins. Protectionnisme négocié et progressif … sinon on risque de faire mourir dans un premier temps, ceux qui ne survivent -précisemment- que grâce à l’exploitation , au fil de leur bol de riz quotidien.

  5. Avatar de A.
    A.

    @ François Leclerc

    Ce qui est désespérant, c’est qu’il est fort possible que rien ne change en profondeur.
    Je prends un exemple que je connais car je le subis à mon corps défendant : le gouvernement Sarkozy.
    L’opération s’est déroulée de la façon suivante :
    1- les « méchants » sont dénoncés. Pour une fois ce ne sont plus les « fénéants » Rmistes, ce sont des grands patrons
    2- on lance de la poudre aux yeux : le MEDEF (syndicat patronal français) sort un guide éthique concernant la rémunération des patrons. Faire une loi sur ce sujet ? N’y pensons pas
    3- on ne modifie pas le coeur de ce qui constitue l’essence de sa politique : promouvoir les inégalités de revenus en pensant que l’accumulation de richesse au sommet se déversera sur les strates inférieures de la société.
    4- On convoque une réunion à Paris puis à Washington : on brasse de l’air et on ne fait rien si ce n’est que de faire remarquer que le principal parti d’opposition s’embourbe dans des querrelles intestines.
    5- On pique la bonne idée de Brown en la dénaturant. On applique un ridicule plan de relance dont les effets ne se feront sentir que dans un an et dans le montant atteint douloureusement 1,5% du PIB alors qu’il est de 4% au E-U. On espère que les Allemands feront de même, ce qui est loin d’être gagné.
    6- On monte une bonne comm’ en misant sur la connerie des Français pour se faire réélire.

  6. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    D’après l’agence Bloomberg, la SEC viendrait de découvrir, à la faveur de l’enquête qu’elle mène sur la fraude de Madoff, plusieurs autres pyramides du même type. L’une d’entre elles aurait causé un milliard de dollars de perte à des investisseurs (contre cinquante estimées dans le cas Madoff). L’enquête n’étant pas publique, on ne connaît pas d’autres détails.

    Les enquêteurs s’attendent, d’après l’agence, à ce que d’autres cas soient découverts, au fur et à mesure que les investisseurs, incités par la baisse de la bourse, tentent de récupérer leurs avoirs confiés à des fonds d’investissement.

    Il va être de plus en plus difficile de séparer le bon grain de l’ivraie.

  7. Avatar de Oppossum
    Oppossum

    @ Telga
    Le barbu est tout de même bien flou, même s’il sent que tout n’est pas net ! Et le qualificatif de charlatan à Law montre que le barbu , n’est pas le messie !

    @ madar Michael
    Oui, le lien sur Eberhard Hamer. http://www.horizons-et-debats.ch/31/31_21.htm est vraiment super .
    (Il évite les interprétations type complot-névrotiques , ou plus semi-conspirationnistes , type Larouche -même si elles tiennent plus debout-)

    Mais on débouche sur l’ impasse suivante : la nouvelle monnaie qu’il appelle de ses voeux, formelle, neutre et indépendante à la fois des Etats et de toute Entité Privée, comment , dans sa mise en place pourrait-elle échapper aux rapports de force ?

    Une chose m’intrigue Paul, pourquoi Eberhard Hamer, considère-t-il , l’ ex- Banque fédérale d’Allemagne comme un modèle à suivre (Il dit que la B.C.E actuelle serait une B.F.A. émasculée ) ?

  8. Avatar de Une Ville Un Poème

    Dans ce monde de violence, la poésie doit se partager entre tous…

  9. Avatar de JJJ
    JJJ

    Voilà qui me rappelle l’hypothèse de la pomme pourrie au sein des Services secrets anglais, dans le roman « Tinker, Tailor, Soldier, Spy » (La Taupe) de John Le Carré. L’hypothèse s’avère exacte, et il apparaît que tous ceux qui auraient dû être vigilants savaient ou pressentaient la réalité. Après l’éviction de la « pomme pourrie », les Services furent réduits à peu de chose (dans le roman, comme dans la réalité d’où il est tiré)…

  10. Avatar de benoit
    benoit

    Les « Peuples Premiers » pour sauver la planète ?

    Je soupconne un inconscient culturel commun (…tenants et opposants du « systeme » confondus !), dont il nous serait difficile de nous désintoxiquer.
    Un inconscient collectif hérité qui serait à la racine, à l’origine de la Crise.
    Le mettre à jour : une priorité ?

    Pourquoi la Culture des peuples spoliés par l’Occident n’est-elle pas une source de notre Recherche ?

    Pourquoi ne dialoguons-nous pas avec ces peuples pour renverser notre mode de vivre et penser la vie ?
    Ce mode de « penser » à notre insu : de ressentir, de vouloir des choses et pas d’autres, de « faire sens » de ceci et pas de cela, de « faire projets », qui précisemment, nous a mené là où nous en sommes ?

    C’est à dire à l’échec. Et même au delà, puisque nous mettons en péril la petite planète bleue.

    Penser que la solution à l’échec de notre Civilisation réside dans notre Culture, dans notre seule pensée… Cécité ? Prétention ? Inconscience ? Ethno-centrisme incurable ?

    … Ou infériorité intellectuelle de la race blanche ? Boutade bien sûr… cela n’est pas possible ! 😉

  11. Avatar de Oppossum
    Oppossum

    @ JJJ

    Cela me fait penser à l’affaire du sang contaminé. Beaucoup savaient, des mois avant.

    Et cela m’amène à penser cette chose (que soit même « on sait et qu’on pressent » ), à savoir qu’il existe bien une sorte d’auto censure, également, dans le domaine de l’information -mais de façon encore plus subtile car sans culpabilisation aucune-.

    Attention , car cette « intuition » dérive habituellement dans les théories complotistes, qui en fin de compte, font du tort à la vérité.

    Je dirais même plus (et definitivement) : le point ultime et incandescent , logiquement extrême de la théorie complotiste est de devenir son propre objet , c’ est à dire d’être – à son insu- un des élément sdu Grand Complot , puisqu’elle en arrive à se discréditer elle même, dans son infantilisante et aveugle sur-interprétation ! . Quelle fin grandiose qu’être désintégré par sa propre logique, son propre sens : la théorie complotiste contient sa propre négation. Amen.

  12. Avatar de Oufti
    Oufti

    @ Benoît
    http://www.rtbf.be/info/societe/media/prix-de-journalisme-des-radios-francophones-le-canada-laureat-62234
    9’10 » : « On doit revenir à notre passé, pour voir ce qui a permis à notre société de survivre pendant si longtemps »
    J’ai ce désagréable sentiment aussi (désagréable, car produisant un terrible partage intérieur, entre un ressenti (ment ?) et l’éducation – intégration à la société), dans ma campagne …
    Cette espèce de passéisme (mais ce mot biaise déjà l’idée), est-ce de l’intuition ou de la mélancolie ?

  13. Avatar de benoit
    benoit

    @ Oufti

    Je ne sais pas si c’est de l’intuition ou du bon sens :
    Notre Civilisation ne détruit pas seulement la nature, les ressources et l’espoir en nos coeurs, elle a entrepris de détruire l’immense réservoir de connaissance(s) des Cultures et traditions de Peuples entiers qui ne vivaient pas comme le Blanc.

    1 – Cette richesse est un patrimoine immense à l’intérieur duquel se trouve probablement une partie des solutions aux problèmes actuels et à venir de l’humanité.

    Pour le reste :
    2 – Je ne parviens pas à imaginer que nous puissions nous passer de leur enseignement et de leur contribution imaginative (participation aux instances mondiales, aux centres de recherches, aux brain-storming sociaux, regionaux, nationaux) pour nous en sortir.

    Il suffit d’observer comment le blog patine en matière d’innovation (nouveau paradigme, nouvelle organisation, comment penser le monde autrement ? etc…, etc…) pour comprendre à quel point la contribution des « peuples premiers » et des « sociétés autres » nous sont indispensables.

    Nous avons foutu la merde seuls. Nous ne nous en sortirons pas seuls. Telle est mon intuition.
    Si nous persistons à nous penser les cerveaux de l’Humanité, l’Humanité court à la catastrophe.

    Un peu d’humilité ne nous ferait pas de mal.
    Benoit.

  14. Avatar de Stéphane
    Stéphane

    @Benoit

    Tout à fait d’accord.
    Si on regarde l’Histoire, les grandes civilisations se sont toutes effondrées un jour MALGRES leurs supériorités militaires et technologiques.
    Les historiens choisiront une date pour notre Civilisation. Pour ma part, le début de la fin de la Civilisation de la consommation et du tout jetable à commencer en 08/2007.

    Comme on disait dans le film La haine, le plus dur c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. Depuis plusieurs mois, on tombe…
    De la à savoir combien de temps va durer la chute et sur quoi on va tomber, ce sont d’excellentes questions !
    Quel que soit la direction prises ces prochains mois, je pense qu’on n’y verra plus clair fin 2009.

    Stéphane

  15. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ opossum

    je ne pense pas que la gauche, ou plutôt ses élites ne savaient pas ce qu’elle faisait dans les années 80, même si, vous avez raison, l’économie des années 80 était moins immatérielle que celle que nous connaissons aujourd’hui. Les élites, issues du PS pour être exact, ont abdiqué tout un pan de l’héritage des valeurs de gauche, ne gardant que les possibilités redistributrices du capitalisme, au lieu de s’interroger sérieusement sur les fondamentaux du nouveau capitalisme ( dit actionnarial ou patrimonial) qui se mettait en place et surtout les conséquences sociales, écologiques qui en résulteraient.

    Dès les années 80 il y eut des voix dissonantes à gauche pour contester l’aggiornamento social-libéral qui fut prit par la gauche de gouvernement. Evidemment ce n’était pas des énarques ni des poids lourds de la politique, si bien qu’il ne furent pas entendus. Une preuve, du fait que cette gauche savait tout de même ce qu’elle faisait, est qu’une sorte de novlangue politico-économique envahit alors tout les discours politiques. Dans les médias il ne fut plus question alors que de « modernisation » agrémenté à toutes les sauces, quand il fallait licencier, liquider les industries, et, très vite délocaliser les productions suite à des « restructurations ». Modernisations, restructurations, toujours présentées comme « nécessaires », évidemment. C’est de cela dont je parlais lorsque je disais que le politique avait abdiqué devant une soit disant nécessité économique, univoque, un peu le pendant capitaliste du matérialisme dialectique marxiste.

    Les Delors, Lamy, Fabius, Attali, Rocard, Minc et quelques autres hommes politiques ou influents — certes peut-être pas toujours pleinement conscients des conséquences à long terme de leurs politiques — ont, dans le contexte de la fin des années 70, inflationniste, de baisse tendancielle des taux de profit, emboité le pas aux anglo-saxons dont les théories néo-libérales étaient devenues la vulgate de l’économie mondialisée. Avec Friedman ils furent acquis à l’orthodoxie monétaire (Paul a très bien montré comment les banques centrales sous prétexte de lutter contre l’inflation luttent en réalité contre les hausses de salaires). Avec Hayek, ils furent acquis à l’idée de destruction créatrice ( rappelez-vous, en 1984, l’émission de télévision emblématique de ce concept, animée par Bernard Tapie « Vive la crise » parainnée par le journal Libération). Avec Williamson ils furent acquis à la théorie des coûts de transaction qui justifiait la concentration des entreprises, leur délocalisation et, en bout de chaîne la mise en concurrence des sous-traitants. Avec Rawls, ils intégraient la notion d’équité, délaissant quelque peu l’égalité. (Minc écrivit tout un livre sur le thème). Je ne dis pas qu’ils avaient tous lu ces auteurs, ni étaient tous des convertis, mais, en tous cas, leurs idées circulaient alors largement dans les cercles intellectuels, à un moment où le kéynésianisme, pour diverses raisons, bonnes et mauvaises, connaissait quelques difficultés.

    Je n’invente rien, tout cela est connu. Je ne vois aucune malignité dans cette aggiornamento capitaliste. Le rapport de forces sociales était devenu défavorable aux travailleurs du fait du mouvement puissant de financiarisation de l’économie mondiale amorcée par les anglo-saxons, en l’occurence les USA et la le Royaume Uni.
    Une certaine gauche, technocratique, sans doute alors à court d’idées de rechange, mais aussi parce qu’elle avait des intérêts communs avec la bourgeoisie, préféra en effete, comme vous le dites très bien, la facilité. Aux idéaux d’émancipation sociale fut préféré le traitement social des méfaits du capitalisme. Au niveau européen, on épousa franchement les principes libéraux, faisant de l’Union l’organisation la plus favorable au libre-échangisme et le plus encline à lutter contre les distorsions des marchés, jusqu’à mettre en péril nos industries et à prôner l’abandon d’une certaine souveraineté alimentaire, sacrifiant la vie rurale et l’écologie des campagnes (les terres agricoles françaises sont ainsi parmi les plus polluées du monde) pour une industrie mercantile de l’alimentaire.

    Bref, au niveau macro-économique, dans la tripartition investisseurs-entrepreneurs-salariés, un choix fut fait, celui de favoriser une économie beaucoup plus avantageuse pour les investisseurs, à charge, ce que vous rappelez d’aileurs, de redistribuer ensuite une partie des profits générés par la mutation du capitalisme. Et par n’importe quels investisseurs : les investisseurs court-termistes. Dès lors que le marché des capitaux devenait hors de contrôle des états ou d’une forte instance régulatrice. C’est exact que les Etats-Unis n’étaient pas d’authentiques libéraux, au sens classique du terme, c’est bien pourquoi j’ai mentionné le néo-libéralisme, lequel réunit, dans des proportions diverses, les « pensées » des auteurs que j’ai cité plus haut. L’Etat US a toujours été interventionniste, y compris sous Reagan, mais cet interventionnisme ne visait pas à renforcer les droits des travailleurs, ni à augmenter les salaires de base, mais bien plutôt à subventionner, par exemple, les gros céréaliers. Cet interventionnisme faussait la concurrence, principe cardinal de l’économie libérale, mais cela aboutissait, de fait, à rendre la concurrence entre les systèmes économiques et sociaux des Etats-nations, encore plus féroce. Pas vraiment un interventionisme d’esprit keynésien. Rappelons que Keynes ne detestait rien moins que les rentes de situtation. Le néo-libéralisme est une économie de la prédation, de l’accaparement des richesses, au prix de la destruction des ressources naturelles. Ce type d’économie a ajourd’hui sérieusemente du plomb dans l’aile, mais le modèle n’a pas encore été abandonné. Aucun mécanisme régulateur n’a encore été mis en place.

    Je ne suis pas pour autant un nostalgique des trente glorieuses, lesquelles n’eurent pas que des cotés positifs. Ce fut ainsi l’èpoque où l’on croyait fermement à la technocratie, à la planification, version capitaliste. Un Mac Namara, secrétaire à la défense de l’administration Kennedy, à l’aide de super calculateurs, alla jusqu’à calculer les retombées économiques de chacune des bombes qui étaient larguées sur le Vietnam. Plus généralement, un néo-colonialisme fournissait les matières premières bon marché dont avaient besoin des industries du nord.

    IL faut bien sur des idées neuves pour avancer, mais je ne crois pas inutile de faire l’inventaire des erreurs et errances passées, sans quoi nous restons dans le flou de la pensée, ou plus grave encore, dans le non dit, y compris à gauche.

  16. Avatar de 2Casa
    2Casa

    @ Pierre Yves D.

    Bonsoir et Merci !

    Mais pourriez-vous préciser pourquoi la notion d’équité est pour vous problématique ?

    Faut-il le lier avec l’abandon de la notion d’égalité (arithmétique) au profit d’une correction des méfaits du capitalisme (égalité géométrique) ?

    En quoi cela est-il un problème ?

    (Sinon peut-être à le lier avec ce que disait M. Jorion sur les inégalités. Certaines méritant sûrement d’être éradiquées, d’autres, hélas, ne pouvant être que compensées. Quelles sont celles, enfin, que nous pouvons tolérer ?)

    Merci pour ce texte.

  17. Avatar de 2Casa
    2Casa

    Bonjour,

    Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble que l’attachement à « l’égalité stricte » par exemple dans le domaine de l’éducation est le fait de certains républicains, peut-être bien intentionnés, mais qui manquent leur objectif : irréaliste. Ou une manipulation destinée à préserver les privilèges de caste. (Voir les statistiques sur les cursus en fonction des CSP)

    Ne pas confondre les domaines (les champs ?) certains vont exiger cette égalité stricte (arithmétique) : politique par exemple.

    D’autres nécessiteront des corrections, des aménagements : économie par exemple.

    Education aussi, ce, à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui : affaiblissement du service public et dégrèvements fiscaux pour ceux qui ne sont pas que captifs et bien entendu paient des impôts. Déjà le « petit lycée » entre soi pour les CSP supérieures, le CESU pour les classes moyennes, l’accompagnement éducatif (sic) pour les autres ! L’égalité dans ce domaine ne profite toujours qu’aux mêmes.

    Aussi, sinon à percevoir l’équité comme un « coin » enfoncé dans un principe qui n’est pas transposable à tous les domaines, je ne comprends pas bien où est le problème.

    Bien amicalement

  18. Avatar de Jean Christophe Bataille
    Jean Christophe Bataille

    Vous donnez pour certains beaucoup de compétence économique aux journalistes et aux hommes politiques. La réalité est qu’ils n’ont rien vu venir parce qu’ils n’y comprennent rien. Le monde de la finance a été livré à lui-même et même au sein de ce monde beaucoup ont multiplié les leviers de crédit sans en comprendre les conséquences. D’ailleurs si le gotha de la finance avait été plus lucide les marchés ne seraient pas monté si haut. D’ou l’intéret d’un organisme régulateur du monde financier équivalent de l’OMC pour le commerce, comme le réclame Sarkozy. Evitons de mettre Strauss Khan a sa tête car il déclarait mi 2008 : « le pire est derrière nous » …

  19. Avatar de 2Casa
    2Casa

    Encore une remarque : Equité et égalité comme différence entre but et idéal. Ce que l’on peut atteindre et ce que l’on vise, en somme.

  20. Avatar de Di Girolamo
    Di Girolamo

    Ce qui a déjà été perdu sans retour en arrière possible:

    Une grande partie des ressources planétaires.

    Ce qui risque d’être bientôt perdu sans retour en arrière possible :

    Le reste de ces ressources

    Ce qui est stupide :

    Se préoccuper d’autres choses.

    (Voir les ajouts récents du site de Jean Marc Jancovici http://www.manicore.com/index.html )

  21. Avatar de leduc
    leduc

    On a toujours un temps de décalage. Lorsque certaines idées réussissent à percer dans les masses, il y a toujours un gros retard. Toujours trop tard à mon avis, et encore ce qui arrive à percer est toujours une version édulcorée à l’usage des masses et des médias de masses, de la vulgarisation dans tous les sens du terme.
    Certains d’entre nous savent déjà plus ou moins clairement ce qu’il va se passer au printemps, puis au début de l’été et les trimestres suivants, mais comme d’habitude les élites, les leaders, les dirigeants et biensur les masses populaires sont totalement inconsciente ou alors hermétiques à ces prévisions. Lorsqu’ils prendront conscience de l’inévitable, ce sera sous la pression des évènements et l’inéluctable aspect de ce qui est fait, accompli, réalisé.

    Si seulement pour changer on pouvait anticiper et parer au lieu d’attendre passivement et d’acquiescer ensuite lorsque le mal est fait.
    Enfin, c’est un trait de notre époque, scientifique, matérialiste, positiviste, qui ne prend en compte que les faits et observations établies, lorsque ce qui est fait ne peut plus être défait, triste époque….

  22. Avatar de Nikademus
    Nikademus

    On recommande aux rois, aux hommes d’Etat, aux peuples de s’instruire principalement par l’expérience de l’histoire. Mais l’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer. Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, que c’est seulement en fonction de cette situation unique qu’il doit se décider: les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont trouvé la solution appropriée. Dans le tumulte des événements du monde, une maxime générale est d’aussi peu de secours que le souvenir des situations analogues qui ont pu se produire dans le passé, car un pâle souvenir est sans force dans la tempête qui souffle sur le présent; il n’a aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de l’actualité.

    Hegel, La raison dans l’histoire. Introduction aux leçons sur la philosophie de l’histoire

  23. Avatar de mat49
    mat49

    Ce que la Finance m’a appris, c’est de résonner comme elle 😉
    Nous avons eu successivement, une bulle des technos (fin en 2000), une bulle immo (la plus grosse bulle du crédit) (fin en 2006) chevauchée par une spéculation à grande échelle sur les matières premières, (fin été 2008).
    Là, les banques centrales et les états donnent de l’argent gratuit, tout en assurant n’importe quel titre pourri. Question, quelle est la prochain lieu ou s’exercera cette chaîne de Ponzi lié à cet argent gratuit à pertes non sanctionnées?
    Mon petit doigt me dit…que ce seront les actions dans leur globalité qui seront visées, l’objectif étant de faire dégazer le cash présent chez ceux détenteurs de placements sûrs (A.V, bons du trésor aux rendements faiblards…) Vu les sommes allouées, une action au jour le jour sur 6 mois-1 an ne me semble pas impossible….
    Irréaliste????

  24. Avatar de oppossum
    oppossum

    @ Pierre-Yves
    Oui, d’accord avec vous pour l’essentiel.

    Personnellement je ne reproche pas à la gauche d’avoir accepté quelques principes, pour moi de bon sens, concernant le marché par exemple (même si l’idée d’une planification dans l’impulsion ne m’a jamais heurté) , je leur reproche d’avoir , ce faisant, perdu des notions élémentaires de bon sens et d’avoir gaiement accompagné et encouragé la société dans toutes les démagogies faciles.

    Au fond , mon reproche essentiel est que cette gauche se soit situé au même niveau purement matérialiste du système , qui consiste à penser que le bonheur passe nécéssairement par la consommation et le soi-disant temps libre (qui n’est que le temps qu’on nous laisse pour consommer et pour programmer des désirs inutiles de consommation) -Ce qui ne veut pas dire qu’il faille renoncer aux luttes sociales naturelles-
    Et la gauche plus ‘rouge, celle qui a refusé l’ « aggiornamento » libéral, est victime de la même croyance sauf que pour eux ce n’est plus le marché et le libre-échange qui doit-être à la source de cette consommation, mais l’Etat tout puissant, bienfaisant et protecteur (N’ouvrez pas vos livres d’histoire)

    Bon mais je m’emballe …

    En ce qui concerne les 30 glorieuses , je ne suis pas aussi négatif que vous : j’ai même un fond de sympathie pour cet enthousiasme où l’on savait se donner de la peine pour avoir son plaisir et prendre le temps de goûter aux choses même en travaillant plus de 35 h. Tout en sachant que c’est durant cette période que ce sont mis en place les mécanismes, les mythologies et les mentalités qui nous ont gouvernés … ces 30 dernières années.

    Il y a un devoir de résistance au système, à l’argent, au pouvoir mais aussi à la facilité , à la démagogie, à la perte de sens, à la critique systématique.

    Pour revenir au thème de Paul « ce qui a été gagné sans retour en arrière posssible » … je suis assez d’accord avec 2 réserves … :

    -> ne soyons pas naïfs, les puissances de l’argent (sans diaboliser les choses) , sont aussi en train de mettre de place des gardes-fou, ou peut être même de laisser aller le système vers l’etat d’implosion qui leur permettra de conserver un maximum de pouvoir sur le cours des choses. Et il y a des beaucoup d’options qui peuvent permettre ce scénario … qu’on découvrira un peu plus tard.

    -> Et si, peut-être, nous avions là l’occasion d’améliorer un peu le système sur quelques points importants, il faut espérer que les énergies qui vont être libérées par le retrait programmé des USA dans le reste du monde, seront synchrones et de même nature que les nôtres, sinon ça va être le bazar avant qu’on ait pu mettre quoique ce soit en place.

    C’est à dire qu’au fond , je pense que le « cerveau collectif » de Paul doit être lucide , sans quoi on verse, soit dans la cucuterie bien-pensante consensuelle ou bien dans l’aveuglement. (Ok c’est un peu bateau comme remarque , subjectif et peu opérationnel. Et puis c’est pas facile.)

    Bon , j’ai eu beaucoup de plaisir à dialoguer avec quelques uns d’entre vous, même pour dire des conneries -merci-!
    Et sur un blog de qualité, de qualité lalala-la, lalala-la – lalalalaaa – lalalala !

  25. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ 2Casa

    Lorsque je mets en parallèle égalité et équité, c’est pour noter que certains faiseurs d’opinion, dits de gauche, s’emploient à connoter péjorativement l’égalité pour lui substituer la notion d’équité. Alain Minc, économiste médiatique, influent homme d’affaires, qui voit alors dans la société française de l’égalitarisme, introduit la notion d’équité pour justifier les principes de l’économie néo-libérale dans la société française, et en premier lieu au sein des élites auxquelles il fournit de nouvelles justifications à leur domination économique et sociale. Il ne faut donc pas confondre égalité et égalitarisme, ce que précisément tendent à confondre les « modernisateurs » de la gauche française.

    La société politique française issue du compromis social pensé à l’origine dans le Programme du Conseil national de la résistance, n’a jamais prôné un égalitarisme arithmétique. Par contre, la valeur d’égalité inscrite au fronton de nos mairies, a clairement été son idéal et pour le réaliser, l’action collective fut mise en avant. L’économie est pleinement assumée dans sa dimension politique et constructive. Il n’est pas question pour moi ici d’examiner dans les détails la teneur exacte de la théorie rawlsienne de la justice, de dire comment Minc lui est fidèle, mais de noter simplement qu’il en fait un usage idéologique. Minc identifie un égalitarisme structurel français là où en réalité il n’y a que le résultat de rapports de force fluctuants, rarement à l’avantage des travailleurs. Dans son rapport « La France de l’an 2000″ , paru en 1994, Minc écrit : » La France est à la recherche d’un compromis qui se substituera à celui des années de forte croissance. La Commission souhaite qu’il soit fondé sur le principe d’équité, par opposition à l’aspiration égalitaire qui a bercé toute l’histoire sociale d’après-guerre. » Comme si « l’aspiration égalitaire » avait fait de notre pays une commune populaire ! C’est une analyse bien optimiste de l’évolution de la société française. Certes le sort de la classe ouvrière s’est amérliorée pendant les trente glorieuses, mais il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat !

    La théorie de la justice de Rawls introduit la notion d’équité conçue à partir d’un « principe de différence », auquel doit répondre une égalité équitable des chances qui se réalise dès lors que les plus avantagés sont motivés pour contribuer à l’élévation du niveau de vie des moins avantagés. Certains commentateurs objectenteront que ce principe peut très bien justifier de très grandes inégalités puisque les plus avantagés n’auraient qu’à simplement souhaiter l’amélioration de leur propre bien être matériel pour que les moins avantagés en bénéficient, peu importerait en somme que le niveau d’amélioration de la base fût minime. Minc prolonge cette idée et enfonce le clou en subordonant nettement la justice sociale à l’économie, jetant par dessus bord l’égalité que retenait encore Rawls. La cible de Minc c’est évidemment l’économie politique lorsqu’il pourfend l’Etat providence.

  26. Avatar de Alain
    Alain

    -« …Ce qui a déjà été gagné sans retour en arrière possible, c’est que ses yeux resteront ouverts. »

    Voilà une année qui s’achève, et avec elle, mes dernières illusions sur le système. Je ne sais pas, si les yeux resteront ouverts, et si même les yeux se sont ouverts. Les miens étaient mi-clos, et ils sont clos aujourd’hui.
    J’ai toujours exercé mon activité professionnelle dans la finance. Dans la banque dite classique, banque de dépôt, puis dans une banque d’affaires, et depuis plus de 15 ans dans l’univers de la gestion de patrimoine.
    On me dit avisé, et mes clients apprécient mes conseils. Suis-je réellement avisé ? Non, bien évidemment, en tout cas moi je le sais.
    Alors pourquoi cette aveuglement ?
    J’ai rencontré tous types de comportements face à l’argent. Tous ont un point commun: un désir d’achilmie, de transmutation du plomb en or.
    Même les plus méfiants, les plus sécuritaires, veulent voir un jour leur plomb se transformait en or.
    Parmi nous, ceux qui veulent croire gentiment aux promesses les plus folles sont les plus nombreux, reste quelques individus, qui ont décidé que le plomb se transformerait en or, pour eux et uniquement pour eux.
    « La fin justifie les moyens », mentir, falsifier, tricher, voler, rien ne les arrête.
    Comme le doute ne les habite plus depuis longtemps, ils se sont accaparés de toutes les mannettes de contrôle. Ils contrôlent tout. Ils théorisent, ils jouent les gourus, ils mentent en permanence.
    Peut-être voulez vous un exemple ?
    Regardez qui est à la tête du Trésor américain . Croyez vous sérieusement un seul instant que ce M. Paulson est impartial ? Vous pensez sérieusement qu’on peut empocher 500 millions de dollars grâce à son travail ? Peut être etes vous passionné d’alchimie ?
    De ce côté ci de l’Atlantique nous avons, nous aussi, ces mêmes falsificateurs. Je me garderai bien de citer des noms…
    Comme je connais aussi un peu, l’Asie, je peux vous dire que là bas c’est plus simple, pas besoin de professer quoique ce soi d’autre que le karma. Ainsi, la bas ,les mêmes falsificateurs s’en donnent à coeur joie, dans un univers rempli d’yeux fermés.
    Je voudrais, moi aussi, croire que les yeux s’ouvent et qu’ils resteront ouverts. Je crains que la vue de réalité soit par trop éblouissante pour être soutenue trés logntemps.
    Jusqu’à présent l’Expérience m’a montré qu’au delà de cinq années bien des yeux se refermaient.

  27. Avatar de antoine
    antoine

    Sur Rawls:
    Ce n’est pas là une interprétation correcte. C’est déjà une version sérieusement édulcorée.

    1/
    Le principe de différence dit seulement qu’entre deux sociétés A et B il faut choisir, si l’on est équitable (Rawls rattache l’idée d’équité à celle d’impartialité et de désintérêt mutuel, pour des raisons trop compliquées à développer ici), celle qui maximise le sort des plus démunis. Le coeur est la COMPARAISON.
    Par ex, entre une société A ou tout le monde à 1,9 et
    une société B ou chaque groupe a 5 sauf un groupe qui aurait 2 il faudrait choisir la deuxième.
    Mais ce n’est pas tout!!! Si jamais un groupe (pas nécessairement le plus favorisé d’ailleurs) pourrait avoir moins sans que le sort des plus défavorisé en soit affecté il convient de lui accorder moins (car une partie de ce qu’il gagne n’est plus justifiable!!!). Les inégalités ne sont pas intrinsèquement inacceptables, mais elles le deviennent dès lors qu’elles ne sont plus à l’avantage des plus défavorisés. Donc il a des chances pour qu’il existe une société C préférable à A et à B.

    2/
    Le principe de différence ne porte pas sur les revenus. Mais sur des « biens premiers », matériels ET immatériels. Parmi lesquels on peut compter la santé, le temps, l’estime de soi (ce dernier point explique en partie pourquoi le principe de différence pourrait conduire à préférer une société une tout le monde a 1,9 à une société ou le plus démuni a 2 alors que tous les autres ont 8)…

    3/ Le principe de différence n’est que secondaire. Il n’est réalisable que quand les deux autres principes QUI ONT PRIORITE sur lui sont réalisés. Et pas avant!!
    Ces principes sont ceux d’égalité des chances et d’égale liberté qui ont tous deux, poussés jusqu’au bout, ont des implications fortement égalitaires. Qu’on songe à tout ce qu’il faut mettre en place pour garantir ces deux points!
    En particulier la priorité du principe d’égalité équitable des chances permet de justifier certaines pratiques d’affirmative action (« discrimination » positive).

    Ceci dit il y a des tas de versions de l’égalité des chances. Les deux plus radicales sont la « brute luck view » de Dworkin et la version rawlsienne. Chacune est lourde d’implications pratiques distinctes, mais qui se tiennent toutes les deux. Il y a aussi celle, à part, qui relève de la théorie de l’égalité complexe d’un M. Walzer.

    4/ Rawls estime que le capitalisme (comme le marxisme) est incompatible avec sa théorie de la démocratie. De même que l’Etat Providence qui y est adossé (qui se contente de corriger les injustices ex post ante, ce qui est inacceptable puisque la condition de possibilité de l’Etat-Providence est donc que l’organisation de la coopération sociale soit inique, non conformes aux requisit des principes de justice). La tâche de l’Etat n’est pas de corriger des inégalités mais de garantir le maintien de ce qu’il appelle logiquement « la justice procédurale pure du contexte social » de sorte qu’il n’y aiat rien à corriger.

    Bref, non seulement le principe de différence est la plupart du temps mal interprêté (typiquement les interprétations d’Harsanyi ou d’A Sen: quand on n’en fait pas un principe de décision dans des conditions d’incertitude on en fait un analogon du principe d’utilité cher aux économistes). Mais en plus de ça on oublie qu’il se tient dans un contexte normatif ou il n’est absolument pas central ou prioritaire.

    A cela il faudrait ajouter:
    1/ Que l’on est encore dans le cadre de la « théorie idéale ». La hiérarchie lexicographique des principes est plus souple dans un contexte tel que le nôtre.
    2/ Qu’il faudrait aussi prendre en compte tout ce qui relève du « contractualisme du gouvernement », qui impose aussi des limites à ce que les agents peuvent faire. Il s’agit de la partie consacrée à la « déduction des devoirs naturels », systématiquement absente des commentaires en général.
    3/ Les principes ne sont pas aussi important que cela. Tout aussi importants sont la caractérisation de « l’idéal de la coopération sociale » (entre CITOYENS également libres et égaux) et nos « intuitions » sur la justice.
    (Le jeu est tripolaire. La PO réalise seulement l’accord entre un « idéal » et des « principes ». Le reste de TJ s’occupe de garantir l’accord entre ces « principes » et nos « intuitions morales ». La postition originelle n’est nullement un dispositif central. On peut très bien s’en passer.)

    Bref, Rawls est par de nombreux aspects très proche d’Aristote et de la tradition républicaine. Les implications de son libéralisme politique (une théorie radicale de la démocratie, pensée pour ne laisser « aucune excuse ») sont fortement égalitaires. A moins de le défigurer complètement, je ne vois pas comment on peut le rattacher aux idées d’un A. Minc. Ou alors si, de la même façon qu’on peut le rattacher la grandeur d’un Leo Strauss à la petitesse de vue des neo-conservateurs. Ceci dit, il y a des « rawlsiens de gauche » et des « rawlsiens de droite », qui essaient en général de tirer la couverture de leur côté.

  28. Avatar de 2Casa
    2Casa

    @ Antoine

    Merci pour ces précisions.

  29. Avatar de antoine
    antoine

    😉

  30. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ Antoine

    Merci pour ces précisions. Je ne suis pas un spécialiste de Rawls.

    J »avais bien précisé que Minc fait de Rawls un usage idéologique, car pour Minc il est clair que l’efficacité économique doit impliquer plus d’inégalités et que cette accroissement des inégalités se justifie. J’ai précisé aussi que Minc reprend une certaine interprétation de Rawls, ce qui supposait qu’il y avait d’autres interprétations possibles. La votre semble de toute évidence plus probante que celle de Minc.

    Votre réflexion concernant l’Etat providence est intéressante. Cela rejoint d’ailleurs ce que je disais à propos du traitement social des méfaits du capitalisme, voie qui a été choisie par la droite comme la gauche à des degrés divers, la gauche de gouvernement s’en faisant comme une spécialité.
    Il serait préférable, en effet, de faire en sorte que les règles du système soient suffisamment justes pour que l’Etat n’ait pas à intervenir a posteriori. Ceci dit, entre la situation actuelle et celle qui prévalait auparavant, celle de l’Etat providence, ma préférence va vers l’Etat providence, car elle est moins mauvaise que celle qui prévaut quand sont appliqués les principes du libéralisme économique qui font dépendre le sort des plus désavantagés des seules lois de l’économie : la somme des intérêts individuels supposée profiter à tous. C’est la fameuse théorie du ruissellement : quand les riches s’enrichissent cela profite à tout le monde. On a vu deux dernières décennies ce qu’il en était réellement : le nombre des riches s’accroit, mais aussi celui des pauvres et des précaires. Vous vous situez sur un plan théorique, mon propos était historique et politique. Quand Minc villipende l’Etat providence ce n’est pas parce qu’il souhaiterait plus de démocratie, pour substituer à l’Etat providence une démocratie qui garantisse une « justice procédurale pure du contexte social », mais bien pour faire l’inverse. Son rapport était d’ailleurs adressé à Edouard Balladur, adepte du libéralisme pur jus.

    Quant à la discrimination positive, même si elle va dans le sens d’une correction des inégalités ex post ante, elle a ses limites.
    Elle implique un principe de justice qui se rapporte à des groupes sociaux définis négativement, et non pas à des individus qui auraient des droits positifs.
    Un principe de justice fondé sur des droits individuels qui incluraient des droits sociaux mobilisables à tous les stades de la vie d’un individu grace à l’existence de dispositifs permettant à tous d’accéder par exemple à la culture, l’éducation, me semble plus équitable. En faisant appel au principe de la discrimination positive on reste dans l’idée de correction (on retrouve alors un analogue de l’Etat providence correcteur) plutôt que de potentiel social accessible et on prend le risque d’introduire un certain nombre d’effets pervers : maintien de la mauvaise estime de soi d’un groupe social, fixation des préjugés sociaux. Obama n’a d’ailleurs pas repris à son compte l’idée de discrimination positive, il s’y oppose même.
    D’autres part, si l’on considère les avatars historiques de la discrimination positive, on observe que celle-ci s’accomode très bien du libéralisme économique et du conservatisme érigés en valeurs dominantes d’une société.
    En corrigeant les inégalités d’individus en petit nombre – parce qu’ils sont estimés méritants – on s’abtient de corriger des inégalités plus grandes. Ainsi accorder des accès préférentiels à certaines écoles élitaires pour certains jeunes de banlieue ne traite pas les causes des difficultés scolaires — ou d’un rejet du système éducatif — de beaucoup de jeunes des banlieues. Réduire le chômage et la précarité serait beaucoup plus efficace. Je ne dis pas que c’est là l’idée de Rawls, mais que pris isolément, la discrimination positive peut avoir les effest inverses à ceux recherchés.

    A. Minc, quant à lui, justifie l’abandon de l’Etat providence précisément au nom de la discrimination positive, au nom d’un principe de différence par lequel sont octroyés des compensations pour corriger les inégalités de chances. Evidemment, Minc isole un principe de Rawls de ses autres principes pour lui faire servir des objectifs inégalitaires. Car il est bien évident que l’introduction d’une discrimination positive (à supposer qu’elle soit effectivement pertinente, ce dont on peut douter) à dose homéopathique, sert surtout à masquer les phénomènes globaux de domination économique et sociale.

    Rawls vaut beaucoup mieux que la présentation hative que j’en ai faite, mais certains points de la théorie de Rawls me semblent encore problématiques, comme par exemple ses principes de justice établis sous le voile de l’ignorance des postitions effectives de chacun. Comme l’a noté Paul Ricoeur la théorie de la justice de Rawls présuppose une vision coopérative de la société, elle nie que les rapports de domination puissent préexister à la coopération rationnelle.
    C’est Rawls lui-même qui a une vision coopérative où des individus rationnels et de coeur sont capables de choisir le meilleur pour tous. Concernant l’Etat providence, vous en avez une vision, me semble-t-il, un peu restrictive. L’Etat providence, ce n’est pas seulement l’Etat distributeur de revenus. L’Etat providence ce sont aussi des politiques économiques et sociales qui visent un bien commun, via par exemple l’impôt progressif : une inégalité de traitement individuel qui profite aux moins avantagés. L’Etat providence ce sont aussi des services publics qui n’obéissent pas à des critères de rentabilité à court terme. L’Etat providence ce peut donc être de l’économie directement au service du social.
    Une troisième objection que je ferais, c’est que Rawls s’attache à la réalisation d’un ordre juridique procédural. Le risque est qu’il encourage une juridicisation de la vie des citoyens là où des politiques feraient tout aussi bien sinon mieux. Nous avons vu récemment ce qu’il en est sous Sarkozy du droit au logement opposable :
    une manoeuvre de diversion. Quand dans le budjet primitif 2009 le financement du logement social se voit attribuer 30 % de crédits en moins, les choses sont claires.

    Ces dernières réflexions vont peut-être vous paraître non représentatives de la pensée de Rawls, si tel est le cas, je suis tout prêt à entendre vos nouvelles précisions.
    Mais, il n’en demeure pas moins que les notions d’équité, de discrimination positive ont bien été reprises de Rawls, le cas échéant, il est vrai, pour leur faire jouer un rôle, que Rawls n’aurait pas lui-même approuvé. Mais vous l’avez sans doute compris je parlais plus de la gauche que de Rawls lui-même. En tous cas, votre commentaire m’incite à aller voir les écrits de Rawls d’un peu plus près.

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  1. Merci pour la version de Peter Gunn avec Art of noise Incroyable guitariste qui sonne Rock’n’ roll dès qu’il joue…

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