BFM Radio, lundi 26 avril à 10h46 – Le combat du siècle

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Joe Louis contre Max Schmeling, Marcel Cerdan contre Tony Zale, Sugar Ray Robinson contre Jake LaMotta, nous n’assisterons jamais à ces matchs légendaires mais – réjouissons-nous – il nous sera donné d’assister demain au premier vrai combat du siècle : Lloyd Blankfein contre Carl Levin. En direct à la télévision. Tout y est : le buzz, les déclarations tonitruantes des adversaires, chacun déclarant à la presse qu’il va disposer en deux temps trois mouvements de sa mauviette d’adversaire. À ma gauche donc, Lloyd Blankfein, 55 ans, P-DG de Goldman Sachs, la seule survivante avec Morgan Stanley des grandes banques d’affaires de Wall Street et, à ma droite, Carl Levin, 75 ans, président du Sous-Comité d’Investigations du Sénat américain.

On pense à la boxe bien sûr, on pense aussi à ces westerns où un drame compliqué en forme de tragédie grecque culminera dans un duel au soleil entre le bon et le mauvais. Dans la réalité, c’est le méchant qui a dû gagner le plus souvent mais à Hollywood – comme on le sait – ça a toujours été le bon. On saura donc mercredi matin si le grand combat s’apparentait davantage à Hollywood ou à la réalité. Il se pourrait aussi – et les cyniques le pensent certainement – que Mr. Levin ressuscite pour nous l’Ange Blanc d’antan et Mr. Blankfein, le Bourreau de Béthune, et que l’on se trouve donc ici davantage du côté de ces « sports » comme le catch qui n’échappèrent jamais au soupçon du combat arrangé.

Comment en est-on arrivé là ? qu’une nouvelle régulation de la finance américaine culmine en un grand combat frisant le ridicule ? Eh bien, on le sait : parce que dans sa tentative de mise au pas du milieu financier, l’État américain n’a encore obtenu aucun résultat probant. Au tapis en 2008, la finance s’est relevée grâce à l’assistance publique (c’est le cas de le dire !) et depuis, ne veut rien entendre. Mieux encore : elle a mobilisé sa nouvelle énergie à faire barrage contre tout changement des règles. Et dans cette entreprise, elle a réussi jusqu’ici. L’État américain s’est alors tourné vers une stratégie déjà éprouvée : contourner l’obstacle comme dans le cas du gangster Al Capone qui ne put jamais être inculpé pour extorsion et meurtre mais que l’on parvint à épingler pour fraude fiscale. L’équivalent de la fraude fiscale dans ce cas-ci, c’est cette affaire dont j’ai parlé la semaine dernière, où Goldman Sachs vendait à ses clients un produit dont la dépréciation avait en réalité été programmée à la demande d’un tiers, dépréciation dont elle bénéficiait financièrement elle aussi.

Qui va l’emporter ? C’est difficile à dire en raison de la qualité des équipes de juristes convoquées de part et d’autre. Une chose est sûre en tout cas : le monde financier était parvenu jusqu’ici à cantonner la question sur un terrain où il était en position de force : celui où il décidait lui-même de son propre avenir. Or c’est le pouvoir fédéral qui se trouve désormais en terrain favorable : le comportement du monde financier sera jugé non seulement par l’opinion publique, comme ce sera le cas mardi, mais s’il a gain de cause, devant de simples jurys populaires par la suite. La ligne de défense de Mr. Blankfein ces jours derniers – qu’il s’agisse des coups de téléphone passés à ses clients ou des communiqués de presse émanant de Goldman Sachs – suggère qu’il n’est pas bien préparé pour cette dernière éventualité : ses arguments en termes de stratégie de couverture et de « market making » convaincront certainement les financiers mais – hélas pour lui – personne d’autre.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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28 réponses à “BFM Radio, lundi 26 avril à 10h46 – Le combat du siècle”

  1. Avatar de fujisan

    « Pour un amateur de catch, rien n’est plus beau que la fureur vengeresse d’un combattant trahi qui se jette avec passion… sur l’image cinglante de la déloyauté. » Roland Barthes, Mythologies.

    1. Avatar de Crapaud Rouge

      Excellente citation ! Toutefois, Barthes se plante, à mon humble avis, car ce n’est pas une question de beauté mais de justice, de colère et de défoulement. Sur une foire, quand j’étais gosse, j’ai assisté à un combat de catch qui m’a laissé un souvenir si impressionnant qu’il mérite d’être conté. Le spectacle est précédé d’une mise en condition des spectateurs qui se déroule en public. Il y a le candidat des forains, bardé de muscles et terriblement sûr de lui, et le courageux anonyme, sorti de la foule, qui fait figure de gringalet. Quand vous entrez sous le chapiteau pour assister au combat, vous êtes déjà dans une histoire, mais vous ne le savez pas. Pour vous, l’issue est incertaine, et vous vous dites: que le meilleur gagne ! Oui mais, ces salauds de forains ont truqué le jeu : leur candidat s’en prenant plein la poire, l’arbitre s’en mêle et en vient à immobiliser le candidat du public pour qu’il prenne sa raclée. Le sentiment d’injustice est alors à son comble, et les spectateurs, scandalisés, en arrivent à hurler. Heureusement, à la fin, leur candidat a raison, et de son adversaire et de l’arbitre. Je me rappelle en être sorti avec un incroyable sentiment de bien être, mais, dans ce souvenir, il n’y a rien qui s’apparente de près ou de loin à une quelconque beauté.

    2. Avatar de fujisan

      Mais non, Barthes ne se plante pas!

      Je me suis régalé à relire son texte:
      http://www.scribd.com/doc/6545350/Roland-Barthes-Fragments-de-Mythologies

    3. Avatar de Crapaud Rouge

      @fujisan: j’ai dit que Barthes se plante pour provoquer votre réaction et vous faire mettre un lien. (Je suis terriblement manipulateur…)

      Merci infiniment, donc, j’ai lu avec grand plaisir ce texte d’une formidable précision. Barthes ne se plante pas du tout, effectivement, et du reste, mon souvenir est totalement conforme à son analyse. Le seule truc qui manque, – et que je signale dans mon post car rien ne m’échappe 🙂 -, c’est que l’amateur de catch doit être conditionné avant le spectacle, sinon la magie ne peut pas prendre. Barthes le reconnaît implicitement quand il écrit :  » Dès que les adversaires sont sur le Ring, le public est investi par l’évidence des rôles » . Cela exige de savoir lire les signes, – pour distinguer le salaud du gentil -, mais surtout de connaître leur histoire, sinon on ne voit pas deux personnages mais deux catcheurs sans intérêt.

  2. Avatar de jerome
    jerome

    Du pain et des cirques…

    Vu le cirque, il risque de faire faim…

    http://www.bequilles.ch/2010/04/blankfein-comme-frankenstein.html

    CAPITAL
    Le 26/04/2010 à 11:28
    La pression s’accroît sur Goldman Sachs

    La banque américaine Goldman Sachs sera-t-elle reconnue coupable de fraude ? Des extraits d’e-mails révélés ce week-end par la commission d’enquête du Sénat accentuent la pression sur l’établissement financier, dont plusieurs dirigeants seront auditionnés demain par cette même commission.

    Le président de la commission sénatoriale, Carl Levin, estime que ces messages électroniques mettent en évidence le fait que Goldman Sachs a « gagné beaucoup d’argent en pariant sur la baisse du marché immobilier ». « Bien entendu, nous n’avons pas échappé à la pagaille des crédits immobiliers à risques. Nous avons perdu de l’argent, ensuite nous avons regagné plus que nous n’avons perdu grâce à des positions vendeuses », a ainsi écrit le patron de la banque, Lloyd Blankfein, en novembre 2007.

    « Les banques d’investissement telles que Goldman Sachs n’étaient pas seulement des teneurs de marché, elles étaient aussi des promoteurs intéressés de produits financiers compliqués et risqués qui ont contribué à déclencher la crise », insiste Levin, qui accuse le groupe d’avoir « trop souvent parié contre les instruments qu’elle vendait et d’avoir profité de ces paris aux dépens de ses clients ».

    Des attaques balayées d’un revers de main par Goldman Sachs, qui estime que ses déclarations de pertes et profits pour 2007 et 2008 démontrent « de manière concluante » que la banque n’avait pas « gagné une somme d’argent importante » sur le marché du crédit immobilier.

    Goldman Sachs dénonce aussi l’enquête à charge menée par la commission sénatoriale. Il est « préoccupant que la sous-commission paraisse être parvenue à une conclusion avant même d’avoir tenu une audition », explique un porte-parole. Lloyd Blankfein avait joué la semaine dernière la carte du « procès politique », sous-entendant que ces poursuites étaient liées à la volonté du gouvernement d’imposer une régulation plus stricte du secteur financier.

    Le patron de Goldman pourra faire valoir ses arguments demain. Il sera entendu aux côtés de cinq autres hauts responsables par la Commission sénatoriale.

  3. Avatar de jerome
    jerome

    Détails de qui comparaît demain à quel titre, financial times d’hier, en english

    http://www.ft.com/cms/s/0/988e7c12-508c-11df-bc86-00144feab49a.html

  4. Avatar de jerome
    jerome

    Une perle!

    Mr. B aurait déclaré, voir lien -english-, qu’il était juste un banquier faisant « le travail de dieu », god’s work….

    Doux Jésus!

    http://thinkprogress.org/2010/04/22/blankfein-conspiracy/

  5. Avatar de ALBIN
    ALBIN

    Cher monsieur P. Jorion,
    simplement une question: Qui paye ? Qui a financé et va continuer à financer Obama et son second couteau Carl Levin ?
    Certes ce dernier est âgé de 75 ans ! Son appétit d’argent doit être en berne, ce qui pourrait en partie expliquer la couleur blanche de son cheval.
    Le bon monte toujours un cheval blanc au cinéma de Californie.
    Mais vous savez, une crise cardiaque est vite arrivée, une malencontreuse épidémie de chute de fenêtre pourrait survenir !
    Il y a beaucoup de « perdreaux de la dernière pluie » de part le monde.
    Espérons que ce M Carl Levin sera un brave Elliot Ness parmi les braves et que sa bonne étoile veillera sur lui.
    Mais franchement, après tout ce que j’ai vu et vécu, comment croire encore à l’incroyable dans le milieu des affaires ?

  6. Avatar de yann
    yann

    La crise est finie

    J’ai bien aimé votre intervention ce matin, même si on sent (comme avec Zemmour) que vous lisez un texte.

    Cela dit, sur BFM (et un peu partout ailleurs), il est dit, redit et répété que la crise est finie et que la croissance est de retour avec tellement de force qu’elle risque même de quitter la Terre pour Mars (ou alors qu’elle est très forte en mars 😉

    Ne risquez-vous pas, à court terme, de lasser vos lecteurs?

  7. Avatar de Jean-Luce Morlie

    Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.

    La société du spectacle, chap. 1.3
    Guy-Ernest Debord.

    niveau 0 Lloyd Blankfein contre Carl Levin

    niveau -1 « Wall Street » contre l’Etat »
    .
    .
    .
    niveau-N : au bilan de la Grande Crise, qui sera devenu propriétaire de quoi et qui aura perdu la propriété de quoi ?

  8. Avatar de Pierre
    Pierre

    VOX POPULI, VOX DEI….

    Blankfein à Koh Lanta !!! Maillon faible va !!!!
    Qui va gagner des millions?
    Jocker!

  9. Avatar de c.oyarbide

    Je trouve que toute cette affaire est au fond une bonne nouvelle. Elle bat en brèche les théories libérales classiques selon lesquelles le meilleur régulateur des appétits humains est le marché.
    Mais peut-être suis-je un incorrigible optimiste ?

  10. Avatar de Maître Dong
    Maître Dong

    Comparer le patron de Goldman Sachs à Al Capone : j’adore !

  11. Avatar de Grégory

    @ Maître Dong

    Ah oui. C’était fait avec tellement d’élégance que je n’avais même pas tiqué !

  12. Avatar de frederic lechanu
    frederic lechanu

    bonjour

    Il me semble évident que le monde est guidé par la cupidité , que l’être humain est insatiable , que nos dirigeants aiment énormément l »argent , les yachts et les petites pépés .
    Alors comment peut-on sérieusement penser que le système changera un jour.
    On peut toujours rêver de pendre le dernier chef d’état avec les tripes du dernier banquier , mais je pense plutôt que depuis la nuit des temps , c’est eux qui nous dévorent .
    Voilà , ce n’est pas très original comme analyse , ça manque de finesse et de références érudites , mais ça tient debout .

  13. Avatar de KERJEAN
    KERJEAN

    Merci pour cette touche d’humour sans laquelle on deviendrai fou.

  14. Avatar de Senec
    Senec

    Pensez-vous vraiment que le CEO de Goldman Sachs ait quelque chose à perdre ? Tout est prévu. Pensez-vous vraiment qu’il s’agit d’un vrai combat opposant un représentant des gens spoliés ou des gens qui paient et le funambule qui a toutes les cordes en main. J’ai peine à croire qu’il ne s’agisse pas d’une simple mise en scène. On sait quand même que Obama et ses acolytes ne sont rien et ne font rien sans l’accord des financiers !
    Alors, à quoi rime tout cela. Ce CEO se moque du monde entier. La preuve en est qu’il invoque Dieu pour expliquer son travail ! Voilà qui situe l’enjeu de combat d’opérette !

    1. Avatar de Crapaud Rouge

      @Senec: « J’ai peine à croire qu’il ne s’agisse pas d’une simple mise en scène. » : je suis bien un peu de votre avis, mais l’on ne sait pas comment le vent va tourner. Disons que, dans cette espèce de partie d’échecs engagée entre finance et pouvoir politique, le second joue un coup qui certes n’est pas décisif, mais qui n’en est pas moins significatif. L’important est d’amener les responsables des grandes banques à rendre publiquement compte de leurs activités, histoire de leur rappeler qu’ils ne sont pas seuls au monde. Si un jour les marchés ne sont plus en position de décider de tout, on le devra peut-être à cette première escarmouche.

    2. Avatar de Crapaud Rouge

      Votre doute m’inspire cette idée qu’avec la dérégulation le capitalisme a atteint un extrême, et que désormais il ne peut que faire demi-tour, c’est-à-dire revenir dans le giron politique. On avait supprimé ses digues en croyant qu’il fertiliserait la vallée, mais il n’en a rien été : le fric s’est évaporé à toute vitesse, et n’a laissé derrière lui que des terres desséchées.

  15. Avatar de charles
    charles

    Petit addendum pratique: audience / hearing de GS au Sénat aujourd’hui à 10:00 a.m ( EST )

    sur Bloomberg TV ou sur C-Span: http://www.c-spanvideo.org/program/id/223180

  16. Avatar de Lambert Francis
    Lambert Francis

    « Of AAA-rated subprime-mortgage-backed securities issued in 2006, 93 percent – 93 percent! – have now been downgraded to junk status.  »

    The Senate subcommittee has focused its investigations on the two biggest credit rating agencies, Moody’s and Standard & Poor’s; what it has found confirms our worst suspicions. In one e-mail message, an S.& P. employee explains that a meeting is necessary to “discuss adjusting criteria” for assessing housing-backed securities “because of the ongoing threat of losing deals.” Another message complains of having to use resources “to massage the sub-prime and alt-A numbers to preserve market share.” Clearly, the rating agencies skewed their assessments to please their clients.

    It’s comforting to pretend that the financial crisis was caused by nothing more than honest errors. But it wasn’t; it was, in large part, the result of a corrupt system. And the rating agencies were a big part of that corruption.

    2010/04/25 By PAUL KRUGMAN
    http://www.nytimes.com/2010/04/26/opinion/26krugman.html?src=twt&twt=NytimesKrugman

  17. Avatar de Lou
    Lou

    La Société Générale avait son breton : Jérôme Kerviel.
    Goldman Sachs a son français : Fabrice Tourre.

  18. Avatar de Comme un cheveux sur la soupe...
    Comme un cheveux sur la soupe…

    Alors? Qui est ce qui mène?

    1. Avatar de louise
      louise

      Alors nous avons :

      Les Monty Python

      http://www.youtube.com/watch?v=CH1Dk-rZ1IE

  19. Avatar de Crapaud Rouge

    Face à ce « combat du siècle », trop bref mais passionnant éclairage de Chomsky sur des combats d’autres siècles, où l’on découvre tout plein de choses. Chomsky : L’éducation est ignorance (Extrait du livre « Class Warfare » -1995).

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