Billet invité.
DES PARADOXES QUI PRENNENT TOUT LEUR SENS
Une nouvelle tenant d’un fort paradoxe attire aujourd’hui particulièrement l’attention, dont l’agence de notation Moody’s est à l’origine.
Elle s’était tout dernièrement fait remarquer en annonçant que les Etats-Unis, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni se « rapprochaient du moment » où elles allaient perdre leur note AAA, en raison de leurs difficultés budgétaires. Osant remettre en cause ce qui était jusqu’alors un tabou, que la baisse de la notation des dettes espagnole, portugaise, grecque et irlandaise – toutes déjà intervenues – n’avait pas encore brisé. L’amenant à être accusée de jeter de l’huile sur le feu.
Dans son étude semestrielle sur l’Europe, elle vient de préciser ce qu’elle entendait dire en tenant de tels propos hétérodoxes. « Compte tenu de la nécessité de s’en tenir à des mesures d’économies strictes pour plusieurs années, Moody’s estime que les craintes sur la croissance économique constituent un risque pour la notation des Etats. Ceci est particulièrement vrai en Europe, où la croissance devrait être moins élevée que dans le reste du monde »
En conclusion de son document, l’agence annonce qu’elle va attentivement surveiller « les voies choisies par les gouvernements et leur potentiel à générer de la croissance ». Une analyse qui peut plonger les analystes dans une certaine perplexité. Car les mesures de rigueur qui sont prises en Europe ont eu pour justification de répondre à l’attente des marchés, afin précisément d’éviter que ceux-ci enchérissent le coût de la dette obligataire. Or ce sont ces mêmes mesures qui sont dorénavant estimées pouvoir y aboutir, conséquence inévitable d’une dégradation de la notation de la dette souveraine si elle devait intervenir. Impliquant de faire en même temps une chose et son contraire, si l’on s’inscrit dans cette logique.
Dans la situation actuelle, les paradoxes s’additionnent, exprimant mieux que tout discours, l’indécision et l’expectative généralisée qui prédomine.
Le reflux massif des capitaux du marché des actions vers le marché obligataire en est un autre. La dette publique, présentée il y a encore peu comme représentant un risque financier majeur – qu’il fallait réduire séance tenante – est devenue en l’espace d’un matin un refuge recherché. Aboutissant à une baisse spectaculaire des taux pour les pays considérés comme les moins risqués, ceux-là même que Moody’s annonce être sur la corde raide. Allant même, dans le cas du Royaume Uni, à accepter des taux obligataires en dessous de l’inflation, ce qui représente un rendement net négatif.
Il n’y a pas grand mystère à ce nouveau paradoxe : la recherche du moindre risque fait préférer aux investisseurs la détention d’obligations, dans le contexte alarmiste actuel du possible retour de la récession aux Etats-Unis et de la poursuite d’une faible et très fragile croissance en Europe et au Japon (le cas marginal de l’Allemagne mis à part). Il est en effet craint une nouvelle chute des marchés boursiers, au vu des perspectives économiques récessives qui se présentent.
Le temps n’est plus où fusaient les injonctions aux banques centrales de stopper leurs programmes d’injections de liquidités dans les systèmes bancaires, ainsi que leurs mesures d’acquisition de valeurs. Le tout au nom d’une inflation dont le retour incessant et menaçant était pronostiqué s’il n’y était pas procédé. A nouveau sans crier gare, le danger a changé de nature : au revoir l’inflation, bonjour la déflation ! Amenant les banques centrales à se préparer à changer leur fusil d’épaule et relancer ces programmes après avoir commencé à les stopper.
A ce sujet, ce ne sont sans doute pas les débats et les divergences exhibés au grand jour au sein de la Fed qui illustrent le mieux l’impressionnant état de confusion qui semble régner dans les plus hautes sphères de la finance. La récente déclaration d’Alex Weber, prétendant allemand à la succession de Jean-Claude Trichet à la présidence de la BCE, a davantage de quoi surprendre.
Porte-parole jusque là d’une orthodoxie monétaire l’amenant à fermement préconiser – au nom du danger de l’inflation – le retour de la BCE à de plus saines pratiques, devant se désengager progressivement, pour les stopper, de ses programmes lancés en toute hâte au début de la crise, il vient d’affirmer tout le contraire. En proposant la poursuite au-delà de la fin de l’année des programmes de prêts illimités à bas taux de capitaux aux établissement financiers, anticipant la décision du prochain conseil des gouverneurs, qui aura lieu le 2 septembre prochain, brûlant la politesse à Jean-Claude Trichet.
Les uns pensent qu’il est en campagne électorale et cherche à gommer l’image d’un trop grand alignement sur les positions du gouvernement allemand, les autres estiment que sa volte-face reflète l’état du système bancaire allemand, qui ne pourrait se passer de ce filet de protection.
La Fed, pour y revenir, n’est pas en reste. Soumise aux Etats-Unis à des critiques contradictoires qui se répercutent dans ses virulents débats internes et se traduisent par la poursuite de ses tergiversations. Que faut-il combattre, l’inflation toujours présentée par certains comme étant la principale menace, ou bien la déflation dont d’autres disent qu’elle pourrait être aux portes et bien plus dangereuse, car plus difficile à combattre ? D’autres encore faisant remarquer que la situation de l’emploi continue de se dégrader, bien que celle-ci soit dans les missions de la Fed, qui faillit donc en ne s’y opposant pas.
Rapportant une rencontre organisée par le Trésor entre Tim Geithner et les principaux blogueurs financiers, l’un de ceux-ci rapportait ensuite que s’il y avait été constaté que la Fed était en mesure de faire des choses spectaculaires, il y était également apparu que la théorie en la matière était incertaine et demandait à être vérifiée….
Si l’on tente de résumer au mieux la situation, à la lumière de ce petit tour d’horizon, on constate que les investisseurs cherchent refuge dans une dette obligataire dont ils dénonçaient hier les dangers, que les banques centrales sont coincées entre deux stratégies antagoniques et que les Etats sont dans l’obligation contradictoire de restreindre leurs déficits et de favoriser la croissance.
Que représente la multiplication de tous ces paradoxes, si ce n’est la poursuite d’une crise qu’aucun des principaux acteurs qu’elle y entraîne se confirme être en mesure de la maîtriser ?
Pour une fois, les banques ne défrayent pas la chronique, toutes occupées à leurs affaires, et notamment à obtenir l’assouplissement des contraintes réglementaires. Elles en peignent en noir l’impact, en défense de ce qu’elles présentent comme pouvant être leur contribution future à la relance de l’économie, une affirmation dont la crédibilité ne convainc que les irréductibles dévots.
165 réponses à “L’actualité de la crise: des paradoxes qui prennent tout leur sens, par François Leclerc”