Billet invité.
La fiscalité de l’assurance vie va peut-être changer pour réduire des déficits publics. Il est question de ne plus attendre l’échéance des contrats pour appliquer la fiscalité. L’État pourrait toucher au fil de l’eau sa quote-part des revenus issus des placements d’assurance vie. L’intérêt financier pour l’État d’une telle réforme est d’anticiper des recettes fiscales qui réduisent au présent le déficit budgétaire. A l’inverse, le bénéficiaire potentiel du contrat d’épargne assurantielle règle l’impôt avant de se connaître avec certitude. Le principe de l’assurance vie est en effet d’épargner non pour soi-même mais pour un autre. Le bénéficiaire touche l’épargne si avant l’échéance du contrat l’épargnant décède. L’assurance vie est une épargne sans propriétaire identifiable avant son échéance. C’est ce qui a permis l’application d’une fiscalité avantageuse différée dans le temps par l’attente d’une identification personnelle du contribuable.
L’intérêt de l’assurance vie en France vient de la Loi. Tout actif de valeur mesurable doit avoir un propriétaire redevable de l’impôt relatif a cet actif. Si la propriété est privée, la fiscalité applicable à la propriété doit être acquiescée par le propriétaire qui bénéficie du droit de discussion. L’interprétation française de ses principes de propriété, de citoyenneté et de fiscalité ont conduit à l’élaboration financière d’un produit d’épargne fiscalement avantageux par rapport à d’autres produits de même nature financière. L’inscription de l’épargne dans le cadre légal de l’assurance vie accroît son résultat potentiel au bénéfice de l’épargnant et de l’intermédiaire financier au détriment de la puissance publique. La règle applicable est argument financier qui met en concurrence l’intérêt matériel privé avec l’intérêt matériel public alors même que l’un et l’autre obéissent à la même Loi d’équilibre des droits.
La Loi est une raison de la finance et la finance est une raison de la Loi. L’autorité publique française remet en cause la « niche fiscale » de l’assurance vie non parce que la Loi serait mal interprétée ou injuste mais parce que le financement de la Loi n’est plus suffisamment assuré. L’application publique de la Loi produit un déficit des finances publiques incompatible avec la raison financière. Une raison qui n’est plus nationale mais internationale. Jusqu’à la crise des subprimes, les déficits et dettes publics sont restés dans les pays occidentaux dans des limites acceptées par le marché financier international. Les lois nationales suffisaient à définir et contenir une dépense publique qu’une épargne mondialisée puisse financer.
Désormais non seulement les dettes publiques occidentales sont très largement financées par l’étranger mais l’épargne nationale est invitée à fuir en toute légalité vers l’étranger. L’épargne mondialisée choisit sa Loi – ou la non-loi – par la libre circulation des capitaux qui lui offre les meilleurs rendements calculés par des réglementations ad hoc. La finance est devenue la raison de la Loi pendant que l’assertion inverse disparaît. La mondialisation entre des États seulement nationaux émancipe la finance de la Loi. La Loi nationale définit les conditions du calcul en droit de la production d’épargne mais le recyclage de ces droits dans la production économique est international. L’arbitrage entre le besoin de financement public de la Loi et la Loi qui produit l’épargne nécessaire à son financement est entre des mains financières actuellement sans nationalité. L’équilibre est rompu entre Loi et finance. La décision de la Loi est obligée de se soumettre à la décision de la finance. Les Lois nationales peuvent être opposées entre elles par la finance internationale alors que la logique financière est uniforme dans un monde unifié.
La modification de la fiscalité sur l’assurance vie sera efficace momentanément pour les finances publiques françaises mais pas politiquement efficace à long terme. La fiscalité finance l’application de la Loi en même temps qu’elle est la Loi. La réduction du déficit public imposée par la dépendance financière extérieure promeut une fiscalité originée dans la logique du nombre plus que dans la justice. La réalité s’impose par la quantité plutôt que par la qualité du vivre ensemble. La finalité de l’État de droit à créer la justice recule devant la quantification qui est universelle mais ne contient aucune justice. La crise est profonde parce que la finance n’a plus de raison de ne pas asservir la politique.
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