L’actualité de demain : LA PANACÉE DE LA CROISSANCE, par François Leclerc

Billet invité.

La discussion sur l’assouplissement du rythme de l’ajustement monétaire européen, pour parler comme un ministre des finances, progresse lentement mais pas sûrement. A ses partisans reconnus – le FMI et le gouvernement américain – est venu timidement se joindre au G20 de Washington le commissaire européen Olli Rehn, pour qui la consolidation budgétaire doit être « favorable » à la croissance (sans préciser comment). Jeroen Dijsselbloem, en charge de l’Eurogroupe, y a aussi expliqué qu’il fallait tenir compte de la situation dans chaque pays, et que « plus de temps devait être accordé » quand « des revers [étaient rencontrés] dans leurs programmes de relance économique ». Il n’a fait au demeurant qu’entériner ce qui a été obtenu par le Portugal et l’Irlande, mais le doute est permis, ce qui est l’effet recherché. Devant l’évidence, il est parfois nécessaire de se rendre, a dû se dire José Emmanuel Barroso qui a pris le train en marche. Ce dont il n’a pas été question pour Wolfgang Schäuble, qui a voulu clore le débat en déclarant de manière définitive : « Personne ne peut faire l’erreur de croire qu’il y a une alternative à la réduction des déficits ».

La politique du gouvernement allemand mérite toutefois d’être vue sous toutes ses facettes. Notamment lorsque le BaFin (l’autorité des marchés financiers) annonce qu’il va envoyer des missions d’inspection dans les banques du pays afin de connaître leurs activités dans les paradis fiscaux. « C’est là que l’on trouve les personnes les plus riches de ce monde. Mais ce qui se cache exactement derrière tout cela, voilà ce que l’on veut maintenant savoir », a précisé son directeur exécutif, Raimund Röseler.

Après le gouvernement hollandais, c’est au tour de l’espagnol d’annoncer instaurer « un meilleur équilibre entre la croissance et la réduction des déficits » (Luis de Guindos). Quelle va être la portée de cette inflexion ? Faible, car elle consiste surtout à gagner du temps et prier pour que la croissance survienne et arrange tout ; au moins permettra-t-elle de ne pas trop faire empirer les choses ! Il faut toujours un miracle, la croissance ou à défaut l’intervention de la BCE. Les dirigeants européens ne font pas de l’économie, et quand ils font de la politique c’est pour se situer sur le terrain familier de la tactique. L’incroyable feuilleton des élections présidentielles italiennes – et son dénouement qui ne règle rien, la reconduction provisoire de Giorgio Napolitano – exprime l’état du système politique au-delà des frontières italiennes et ce dont il est capable, ou plutôt se révèle incapable. En attendant, les chances de trouver une formule gouvernementale magique ne sont pas plus grandes qu’auparavant en Italie. Le pays s’enfonce dans la récession et, d’après l’Istat (l’institut de statistiques), près d’un million de familles italiennes sont sans revenus, leurs membres en âge de travailler sans emploi. Le secteur informel fait plus ou moins efficacement office de matelas. La crise européenne continue d’être gérée à la petite semaine, quand les problèmes atteignent leur stade terminal.

La situation du système bancaire étant revenue sur le tapis, le dossier de l’union bancaire fait l’objet de négociations qui n’avancent pas. Son premier pilier, la surveillance et le contrôle, ayant fait l’objet de l’un de ces savants montages destinés à masquer les désaccords sans les résoudre, le second reste en plan. Le renflouement à venir des banques dans le besoin a trouvé un début de solution à Chypre, dont le modèle est destiné à faire école. Mais l’ampleur des besoins de financement – qui résulte du volume des engagements et de la taille du bilan des banques – est telle que cela ne suffira pas. Ce ne sont pas les soubresauts de la restructuration du système bancaire espagnol qui démontreront le contraire. Une des conséquences du bail-in est désormais acquise : le marché interbancaire est mort et la BCE installée dans son rôle de substitut. Une pierre de plus pour le capitalisme bancal.

A quelle porte frapper ? A celle d’autorités nationales qui n’en peuvent plus ? Au Mécanisme européen de stabilité (MES) ? A celle d’un fonds ad-hoc qui serait abondé par les banques sur le modèle américain du FDIC et qu’elles ne pourraient qu’amorcer ? Aucune solution n’émerge. Le désendettement privé se révèle être autant une impasse que le public. Le système bancaire ne parvient pas à en faire comme prévu son affaire, car la mutualisation des efforts n’y est pas plus à l’ordre du jour que du côté des États, et la baisse de ses rendements ne lui permet pas d’accumuler les réserves nécessaires. On ne peut pas tout faire en même temps : distribuer dividendes et bonus, prêter à l’économie et renforcer ses fonds propres.

Il reste alors en magasin la croissance, qui arrangerait tout. Dont on ne sait ni comment la financer, ni sur quoi elle pourrait reposer, conjuguée avec la consolidation budgétaire selon une formule d’alchimie que personne ne sait déchiffrer. La recherche de la croissance, c’est comme celle de la panacée, ce remède qui guérit tous les maux à la fois.

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