Personnalisation de la guerre : Le futur vous regarde, souriez-lui !, par Roberto Boulant

Billet invité.

Réduite à sa réalité première, la guerre est avant toute chose une activité de boucherie humaine (d’où la célèbre formule de Sun-Tsu : Le meilleur général est celui qui n’a pas besoin de livrer bataille pour atteindre ses objectifs). Pour échapper à cette évidence insoutenable, les hommes ont de tous temps cherché à se protéger au travers des ‘valeurs’ (Liste non exhaustive : honneur, courage, mise en danger de sa propre vie, sacrifice, etc.) où le bon guerrier est celui qui affronte à armes égales, en duel à visage découvert, son adversaire. Bref, le duel des chevaliers du ciel de la 1ère GM plutôt que la lutte dans la boue entre un soldat de 75kg et un obus de 75. Cet état d’esprit explique en partie la levée de boucliers des pilotes de l’US Air Force contre la remise de médailles aux pilotes de drones (comme si un équipage de B52H orbitant à 30.000 pieds au dessus de l’Afghanistan, risquait d’être abattu par un tir de kalachnikov…). Mais loin du fantasme, qu’est-ce donc qu’un bon outil de boucherie humaine (même si le terme ‘système d’armes’ est autrement plus sexy sur le plan marketing) ?

Il doit en première analyse permettre :

– de voir avant d’être vu,

– de frapper efficacement (précision, létalité),

– tout en restant hors d’atteinte de la riposte adverse (portée supérieure, blindage, mobilité).

Et surtout :

– être facile à fabriquer (la quantité est une qualité, mieux vaut avoir à disposition 1.000 outils moyens que 100 excellents),

– peu cher à la production et à l’utilisation (robuste, simple, sans goulet d’étranglement matériel ou temporel lors du processus de fabrication),

– facile d’emploi et versatile (afin de s’adapter rapidement aux différents environnements et cultures).

Exit donc le Terminator, machine beaucoup trop complexe, hors de portée technologique et au désastreux ratio coûts/efficacité. Mais bienvenue dans le monde merveilleux des mini- et micro-drones militaires, dont certaines utilisations sont dès à présent à portée de main !

Prenons un exemple concret avec les combats ayant lieu en ce moment entre Kurdes et islamistes dans la ville syrienne de Kobané. Les Turcs ne veulent pas intervenir, trop contents de voir leurs ennemis s’entre-tuer et l’opinion publique américaine, après les fiascos afghan et irakien, est hostile à l’envoi des ‘boys’. Situation bloquée donc, où chacun (ré)agit au coup par coup, en fonction d’intérêts contradictoires, sans guère de cohérence stratégique et politique et pour le plus grand malheur des populations locales.

La solution pour débloquer militairement la situation ? Le frisbee !

Une trentaine de centimètres de diamètre, un moteur électrique (silencieux et économique), une soufflante carénée lui permettant de s’élever au dessus du terrain (agile et discret), des micro-capteurs optroniques thermiques et acoustiques et une charge militaire de quelques centaines de grammes d’explosif brisant. Bref, une mine volante, capable de chercher et reconnaître un humain… avant de lui courir après pour exploser au contact (on peut imaginer l’utilisation d’algorithmes de reconnaissance faciale pour cibler préférentiellement la tête.

Comment ? C’est atroce ? Absolument pas. Prenez la peine de vérifier auprès de notre service Moralité&Communication, ils vous confirmeront qu’il est bien plus humain de tuer rapidement, plutôt que de faire un blessé qui va agoniser des heures durant. Et puis de toute manière, rassurez-vous, comme il n’y aura pas d’images disponibles, tout cela n’existera pas aux yeux du public).

Les technologies nécessaires existent, elles sont peu coûteuses, aisément accessibles et pour la plupart duales. Un simple problème d’incrémentation donc, avant réalisation.

Concrètement, dans un futur proche, les États technologiquement avancés (nécessité de disposer de moyens satellitaires et de bande passante) pourraient ‘traiter’ un cas comme Kobané en quelques heures. Il ne s’agit pas là de véritable intelligence artificielle, juste d’automates intelligents qui ont besoin que l’homme reste dans la boucle (ou tout au moins sur la boucle à fins de contrôle). On peut également imaginer faire agir les mini-drones en essaims, avec des charges préformées, afin de traiter une cible plus conséquente (bunkers, blindés, etc.).

En tant qu’industriel fabricant ces ‘petites merveilles’, vous bénéficieriez alors toute l’attention des décideurs politiques. Plus besoin d’autant de soldats tellement coûteux à former, à équiper, à entraîner et qui reviennent traumatisés des théâtres d’opérations. Plus de pensions à payer. Et surtout, plus de problèmes d’opinions publiques ! Car si une opération militaire un tant soit peu conséquente est difficile à cacher (sans parler du problème des pertes, voir, catastrophe des catastrophes, des prisonniers), la ‘dronisation’ d’un objectif, même étendu spatialement, peut se faire en toute discrétion et avec durabilité, sur le temps long. Cerise sur le drone, ces systèmes possédant une empreinte logistique extrêmement faible et nécessitant peu d’opérateurs et de formation en amont, il devient alors possible aux États de sous-traiter les opérations à des structures privées. Cela, en toute discrétion et loin de tout contrôle démocratique.

La mort devenant alors aussi difficile à pister qu’un dollar dans le circuit des paradis fiscaux, il sera extrêmement compliqué de pouvoir remonter jusqu’aux donneurs d’ordres. Bref le meilleur des deux mondes : la naissance d’un hybride entre le capitalisme mafieux et la robotique militaire.

Mais comme je ne veux pas passer pour un pessimiste invétéré, je laisse à chacun, chacune, le soin d’imaginer l’utilisation qu’un état policier pourrait faire de ces petites bêtes…

Le futur vous regarde, souriez-lui !

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12 réponses à “Personnalisation de la guerre : Le futur vous regarde, souriez-lui !, par Roberto Boulant”

  1. Avatar de ThomBilabong
    ThomBilabong

    J’ai une meilleure idée : un drône contre les limaces énormes et tigrées qui pullulent en ce moment vers chez moi. La cause ? La pluie, un peu. L’absence, surtout, d’insectes dévoreurs de limaces et d’oiseaux en nombre suffisant. La cause de cette absence d’insectes et d’oiseaux en nb suffisants ? La Beauce, toute propre de ses tonnes de phytosanitaires polluants et protecteurs de champs plats infinis. La cause de ces phytosanitaires en masse ? Allons, réfléchissez, je ne vous ferai pas l’injure d’aller plus loin.
    Evidemment, un drône pour décimer le barbu enragé, un autre pour égarer le russe chafouin, encore un autre pour affoler le Pékin de Hong-Kong (sic), et tant d’autres pour maintenir un semblant de domination dans un monde toujours davantage multipolaire, c’est plus facile, plus rapide et plus juteux sur le plan électoral.

  2. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
    Stéphane-Samuel Pourtalès

    On pourrait même aller jusqu’à dire que le futur ne nous regarde pas. Si on ne prête attention, il dronise en toute discrétion. Le futur se regarde lui-même. S’auto-entretient et s’auto-contrôle.
    Ceci dit, si les journalistes français ne s’en préoccupent pas, il existe aux Etats-Unis un débat public important sur les drones.
    Ceux que les drones regardent vraiment, ils entendent un petit sifflement et puis tout est fini. Ils n’ont pas de temps pour sourire, ni pour faire la grimace.

  3. Avatar de ALCB
    ALCB

    terrible…
    et pourtant,
    heureusement les roses remontent
    regardons les roses embaumer….
    il en est temps .
    Les limaces en ont laissé.
    Elles font leur travail , les limaces, comme les vers de terre… et bien sûr, elles se moquent de nos efforts. Un canard peut être, si plus de carabe ?
    Ou accepter de ne rien récolter ?
    Ou les nourrir , ces gluantes?
    bref, là aussi, faut partager
    et réfléchir.

  4. Avatar de Pierre Devaux
    Pierre Devaux

    Et a quand ces drones (peu couteux) aux mains de l’EI ou de tout autre joyeu nuisible ?

    1. Avatar de Roberto
      Roberto

      Vous avez raison et c’est bien là le problème des technologies duales. Elles sont accessibles pour un coût modeste (même si dans le cas de Daesh, le financement n’est apparemment pas un souci). Et il ne tient qu’à l’imagination d’inventer de nouvelles formes d’attaques terroristes : il y a quelques jours de cela, un simple match de football entre la Serbie et l’Albanie a dégénéré en bagarre générale à cause d’un drone tractant un drapeau albanais au dessus de la pelouse. Qu’en sera-t-il si un groupe terroriste fait survoler la foule d’un stade, par un drone larguant à intervalle régulier des pétards agricoles ? Le résultat risque de rappeler le Heysel avec quelques dizaines de victimes piétinées par une foule paniquée.
      De quoi s’offrir pour l’équivalent de quelques centaines d’euros, une couverture médiatique sans précédent…

  5. Avatar de xavier37
    xavier37

    Quand l’humanité aura fait le tour des utilisations agressives peut être trouvera t elle des applications pacifiques? Comme avec les avions, les fusées, l’atome…
    Plus inquiétant si c’est possible, est ce que ce seront toujours les états aux commandes?
    Vu évolution des choses, les entités privées ou les organisations mafieuses sont déjà plus puissantes que beaucoup d’états. Le monde est multipolaire: pôles d’états associés et pôles d’entités économiques.
    Mais on peut faire le même raisonnement avec d’autres technologies nano, bio. …
    Un futur plein de promesses si la politique ne reprend pas le dessus.

  6. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
    Stéphane-Samuel Pourtalès

    On peut neutraliser un drone en piratant son pilotage (ce qu’ont fait les iraniens) ou en détruisant son satellite.
    Ceci dit pour donner une idée des guerres futures.
    Les « paysans » du monde sont définitivement hors-jeu. (dans tous les sens du terme)

  7. Avatar de timiota
    timiota

    Vivement des lasers anti-drones, que je puisse jouer à mon nano-starwars !

    1. Avatar de Lucas
      Lucas

      Allé, séance de nano-starwars pour les jeunes de mon quartier !

  8. Avatar de FangioAgostini
    FangioAgostini

    Maurice Dantec en parlait dans « Les racines du mal » en 1995.
    On pourrai armer les radars aux bords de nos routes pour faire rentrer les citoyens dans le droit chemin!

  9. Avatar de Pseudo Cyclique
    Pseudo Cyclique

    le drone est un des symptomes de la décorrélation de l’activité humaine du corps physique :
    on ne tue plus de ses propres mains ou avec un objet lancé manuellement ou mécaniquement on utilise un intermédiaire robotisé .(mais il faut toujoursune énergie de 400 joules pour tuer un etre humain ça c’est une constante ) .
    la finance fait de même avec des algorithmes haut fréquence et des rangées de serveurs ultra rapides ,le « quant » n’est là que pour décider telle action pour telle valeur ou rectifier une boulette -l’algo ne sait pas encore deceler un comportement pas assez humain.
    tous les métiers sont toucher peu ou prou et il n’y a que l’épreuve de la réalité qui démontre si le plombier , l’architecte , le medecin a bien agi .
    l’ére internet tend à robotiser les actions humaines et à diminuer l’implication humaine quand erreur il y a .
    après internet , il y aura peut etre l’explosion du transhumanisme , une distorsion encore plus grande du Réel !

  10. Avatar de corbeau
    corbeau

    A la lecture de ce billet, je m’interroge sur ma complicité avec ce système, car en payant mes impôts je finance cette violence organisée.

    « Mais il ne leur vient pas à l’esprit que leur malheureux sort dépend seulement d’eux-mêmes et que, s’ils cherchent vraiment, non pas la garantie de petits intérêts personnels, mais l’amélioration de leur sort et de celui de leurs frères, ils doivent avant tout cesser de faire ce qu’ils font de mal; c’est à dire ne plus essayer de relever leur condition par les moyens mêmes qui les ont réduits en esclavage, ne plus consentir pour la satisfaction de leurs habitudes à sacrifier leur dignité d’hommes libres, à remplir des fonctions avilissantes ou immorales, à produire par leur travail des objets inutiles ou pernicieux; et surtout ne plus soutenir les gouvernements par le service personnel ou par le payement de l’impôt, en d’autres termes ne plus contribuer à leur propre asservissement ». Tolstoï, l’esclavage moderne.
    Tolstoï pensait que le seul moyen de délivrer les hommes, c’est de détruire les gouvernements.

    Ce billet me donne envie de pousser la chansonnette http://www.youtube.com/watch?v=azjKk0uQhQs

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