Pourquoi se refuser les moyens de dépasser l’économie capitaliste ?, par Dominique Temple

Billet invité

Nous ne sommes pas à la veille d’une troisième guerre mondiale, qui relancerait le système capitaliste pour un tour comme en 14, mais à la veille d’une implosion sociale, d’une menace de malheur pour tout le monde, et par conséquent devant un impératif politique, celui de la transition de l’économie capitaliste en une économie post-capitaliste.

Aucun mouvement, il est vrai, aucun parti politique ne se déclare aujourd’hui pour une économie post-capitaliste. Les populismes de droite ou de gauche fleurissent qui rêvent de capturer l’énergie des gens désorientés pour accéder provisoirement au pouvoir et en jouir, mais l’heure tourne de plus en plus vite et nul n’a le temps d’y parvenir que déjà il lui faut l’abandonner dans la honte.

Croit-on vraiment que l’on puisse revenir à un capitalisme qui se trouverait aujourd’hui un visage humain ? Que le capitalisme soit une solution d’avenir lorsqu’il aura été amendé pour donner à chacun un emploi en fonction du rapport de force de chacun avec autrui ?

L’inaliénabilité de la propriété est un premier moyen de franchir le seuil de l’exploitation capitaliste.

Inaliénables sont les biens communs de l’humanité : le ciel, la terre, l’eau, la lumière ! Ces biens sont notre corps physique.

La vie, la relation de tous les êtres entre eux, du plancton de l’océan et de la forêt des zones humides jusqu’à nous-mêmes nous appartient aussi de façon inaliénable.

Le mouvement écologique gagnerait sans doute à justifier ses initiatives par cette revendication de base : l’inaliénabilité des biens communs.

Mais ce n’est pas seulement la vie qui est inaliénable, c’est aussi la relation sociale qui nous fait humain, la relation qui depuis le commencement de la société se dit sous le nom de l’alliance et de la filiation, la réciprocité directe et indirecte, dans la terminologie de l’anthropologie qui se réfère à Marcel Mauss, ou l’échange restreint et l’échange généralisé, dans celle qui se réfère à Lévi-Strauss…

Et toute propriété est donc inscrite dans la relation de réciprocité qui lui donne sa raison sociale. Dès l’instant que des particuliers dévoient le sens de la propriété en propriété privée, c’est-à-dire en expropriation d’autrui, et qu’ils la mutilent de sa fonction sociale, il faut définir la propriété par l’antonyme de privé : la propriété sociale.

Il ne suffit pas d’opposer à la propriété privée la propriété sociale. Il est encore nécessaire d’abolir le droit d’abus institué dans le code civil napoléonien, même si l’interdiction d’abuser du droit d’abus en limite la portée, car cet artifice oblige à recourir chaque fois au procès. C’est le droit d’abuser de toute chose qu’il convient d’abolir. La propriété sociale est inaliénable.

C’est à la portée de l’Assemblée politique de déclarer la propriété inaliénable pour les biens de la nature et les moyens de production, et de répudier le droit d’abus, c’est-à-dire de restituer à la propriété sa fonction sociale en la déclarant imprescriptible.

Manifestement le travail appartient à son auteur, mais nous ne savons pas vivre seuls, et les hommes vivent ensemble dès les origines non pour se battre mais pour s’entre-aider sinon pour s’aimer. Tout le monde a droit à cette réciprocité. Le travail est ainsi défini, comme toute propriété, par sa fonction sociale quand bien même on s’en trouve le premier destinataire, “soi-même comme un autre”, comme dit le philosophe, c’est-à-dire un être souverainement libre. Mais de quelle souveraineté ? D’une liberté arbitraire ou responsable ? C’est la responsabilité qui est souveraine ! Et la responsabilité se mesure à l’aune du besoin d’autrui.

Si les moyens de production d’une part, le travail d’autre part, sont protégés de l’abus du pouvoir qu’autorise la privatisation, et par conséquent de toute exploitation, apparaît une territorialité nouvelle, hors système capitaliste, sur laquelle une économie de réciprocité que l’on appelle à présent économie sociale peut se déployer comme économie post-capitaliste.

Il est aussi possible d’instituer une limite systémique au profit (la limite absolue au profit) parce qu’il n’est plus possible de poursuivre indéfiniment l’exploitation des ressources de la planète. La limite systémique oblige toute entreprise qui souhaite produire au-delà du seuil de tolérance à protéger et développer les ressources de la terre au lieu de les détruire. Dès lors, toute entreprise peut s’accroître indéfiniment en se donnant pour but le bien commun.
La Loi doit préciser la part de chacun dans la responsabilité de l’entreprise : de ceux qui en prennent l’initiative, de ceux qui apportent le concours de leurs techniques et compétences, enfin des consommateurs et de l’État.

Quelle autorité peut y prétendre sinon l’assemblée des citoyens ? Jusqu’à présent l’assemblée ne pouvait assumer sa responsabilité que dans les communautés villageoises de petite taille. La démocratie devenait indirecte dès que la cité dépassait quelques centaines de personnes. Aujourd’hui les citoyens peuvent se consulter les uns les autres, s’informer mutuellement, prendre des décisions communes. Le recours à la démocratie directe est possible grâce à la révolution informatique. L’Internet est d’une efficacité décisive.

Le revenu universel d’existence est déjà un acquis conceptuel irréversible. Il met tout le monde à l’abri du chaos. Il autorise chacun à refuser un emploi qui l’enchaîne à une finalité qu’il désapprouve, et à imaginer un travail qui correspond à ses dons : c’est une mesure simple qui met fin à l’exploitation de l’homme par l’homme la plus brutale, celle que dénonçait Karl Marx au XIXe siècle. Il établit une réciprocité généralisée dans l’espace, et entre les générations, qui fonde le sentiment d’humanité entre tous les hommes. Une prochaine initiative pourrait séparer les candidats à la fonction politique qui s’engagent à son application immédiate et ceux qui prétendent s’y opposer.

Alors pourquoi se refuser les outils qui permettent la passation du système capitaliste à un système post-capitaliste ?

Le droit à la réciprocité, l’inaliénabilité des biens communs, la fonction sociale de la propriété, la monnaie de réciprocité (le bancor), la limite du profit, la démocratie directe, le revenu universel d’existence… ne seront sans doute requis que lorsque les avantages procurés par le système capitaliste à ceux qui en bénéficient et qui détiennent le pouvoir seront devenus nocifs pour eux-mêmes, ce qui signifie ‘lorsque le chaos sera imminent’, à moins que la génération Internet qui bénéficie d’une information libérée du contrôle du pouvoir n’en décide autrement !

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