« Les gogos n’imaginent pas à quel point ils sont manipulés », le 3 juillet 2018 – Retranscription

Retranscription de « Les gogos n’imaginent pas à quel point ils sont manipulés », le 3 juillet 2018. Merci à Nicolas Bole et Marianne Oppitz !

Bonjour nous sommes le mardi 3 juillet 2018 et là, je vais commencer par vous faire un peu de la vidéo expérimentale.

D’abord je vous montre : là, derrière moi, vous voyez c’est un tableau. C’est un tableau de « Kukula », de son vrai nom – j’oublie son prénom [Nataly] mais son nom c’est Abramovitch – et ça, c’est de l’art qui ne se prend pas au sérieux. C’est de l’art qui sait qu’il est une blague, qui sait qu’il est une farce et si je vous en parle, c’est parce que j’ai fait un billet hier à propos d’un documentaire qu’on voit sur Arte sur des collectionneurs d’art. Je ne sais pas si Arte est sérieux ou non quand il nous montre ça. Je ne sais pas : je n’ai pas pu me faire une [opinion], je n’ai pas pu déterminer ça.

Là derrière, (montre un tableau) ça c’est aussi, voilà : elle est japonaise, Hikari Shimoda. Elle fait des machins comme ça, c’est bien sûr inspiré par la BD, par les mangas. Elle ne se prend pas au sérieux non plus. Qu’est-ce que je voulais encore vous montrer ? Je voulais vous montrer une autre japonaise qui est très appréciée. Elle est considérée dans la liste des 50 japonais les plus célèbres qui n’habitent pas au Japon, c’est Yuko Shimizu. Le problème c’est que je n’arrive pas à avoir beaucoup de lumière là-dessus. On ne voit pas grand-chose… Ah si ! Vous voyez, c’est grand et c’est tout à l’encre de chine. C’est fait au pinceau, avec un tout [fin] pinceau… Qu’est-ce que je peux encore vous montrer ?

Ah oui ! Il y en a deux autres que je pourrais vous montrer. Il y en a dans l’escalier… Il y a un très beau Glen Barr, à propos [de la série] Twin Peaks.

Là je vais vous montrer.. On a eu l’occasion souvent de le voir dans le fond derrière moi quand je fais des vidéos… Camille Rose Garcia. Voilà ! Là, on le voit plus ou moins. Elle fait aussi bien entendu des livres pour enfants. Des livres qui sont un peu des livres d’horreur pour enfants mais c’est très beau. Tout ça, ça s’appelle Lowbrow. C’est à dire en fait de l’art qui ne se prend pas au sérieux. Je voulais encore vous en montrer un ou deux…

Celui-là vous l’avez sans doute déjà vu : il était souvent en arrière-plan… c’est de Lola Gil. Et là (montre un autre tableau), assez connu parce que ses personnages on les retrouve un peu partout : ça, c’est Gary Baseman et son petit diablotin.

Et puis, qu’est-ce qu’il y a encore là ? Oui, encore deux très jolis petits trucs fantastiques et surréalistes, aussi de Gary Baseman (montre un premier tableau) et la petite fille qui dort, je vais essayer de vous la montrer. (Montre le tableau) La petite fille qui dort avec un petit personnage, sur elle. Voilà ! 

Et ça c’est une sorte de commentaire – si vous voulez – par rapport à ce billet que j’ai fait hier à propos de ces « collectionneurs d’art ». C’est une petite réflexion de ma part sur le fait qu’à mon sens ils savent qu’ils se moquent du monde. Ils savent qu’ils brassent beaucoup d’argent. Ils savent qu’il y a des musées qui vont acheter des trucs parce qu’il y a des tas de gens qui se battent pour acheter ces choses-là à prix d’or et que donc, par conséquent, un marché va se créer pour ça. Mais j’ai l’impression qu’ils sont absolument cyniques.

Si vous voyez ce Monsieur en particulier, à un moment où il essaye de vous convaincre que – ce qui est manifestement les tableaux d’une très, très mauvaise artiste – que ce sont des choses très géniales et en parlant d’une évolution qu’il a dû faire parce que sa première réaction, c’était comme la vôtre : considérer que ces trucs sont nuls ! Mais que voilà… avec une réflexion supplémentaire, il est arrivé à découvrir que tout ça était très important…

Et alors aussi la réflexion à laquelle je n’ai pas fait allusion parce que ça c’est autre chose : c’est sur le prix de ces machins là. Le fait qu’il avait acheté un arbre reconstitué de l’artiste chinois Weiwei et que,par hasard, il l’avait acheté un très bon prix la veille du jour où il a été mis en prison.  Et donc, l’artiste étant en prison bien entendu, sa « toile » ne valait plus dans les cent mille mais qu’elle valait dans les millions. Qu’est-ce que vous voulez ? Voilà, c’est qu’en plus en arrière-plan … (J’essaye de ne pas employer des mots qu’il ne faudrait pas utiliser)… en plus de ça, ils font de l’argent sur le fait qu’on met des artistes en prison et ce type n’hésite pas à le dire une seconde. Il le dit devant la caméra. Il sait que ça va passer à la télévision et il n’hésite pas à le dire. C’est de la manipulation pure et simple. Annie Le Brun a consacré un livre récent : Ce qui n’a pas de prix, sur le marché de l’art.

Là, je voulais insister un peu sur un autre aspect : c’est celui qui caractérise – maintenant – nos systèmes politiques et nos systèmes économiques. C’est que les gens n’y croient pas [à la vérité]. Les gens ordinaires n’y croient pas parce que le canular est tellement gros qu’ils n’imaginent pas qu’il soit même possible à une taille comme celle-là ! Comme le « Brexit », auquel j’ai consacré un article qui a paru hier dans « Le Monde » et qui paraîtra sans doute ce matin dans « l’Écho » en Belgique. Les gens n’imaginent pas à quel point on essaie de les entuber ! Ils n’imaginent pas que ce soit possible. De la même manière qu’ils n’imaginent pas que leur patron puisse gagner quatre mille cinq cents fois autant qu’eux.

Quand on leur demande, les gens se trompent sur les hiérarchies sociales. Les gens ordinaires pensent que c’est beaucoup moins grave que ce n’est le cas. Et les conspirationnistes – là dedans – jouent le jeu de ces gens là parce qu’ils font circuler de l’information qu’on leur procure. Ils la font circuler : c’est des scandales bidons organisés de la même manière.

Ce sont les mêmes principes et je vois que ça déçoit certains d’entre vous sur le blog. C’est que les gens qui vous disent : « Personne ne parle de ceci » ! et qui dénoncent un « grand scandale »… quand je leur dis : « Non, ceux là sont les marionnettes des autres, ils sont manipulés au même titre », alors, ça vous choque. Vous aimeriez au moins qu’il y ait un fond de vérité dans ce que racontent les populistes de droite et de gauche… Et non ! Eux aussi ils écrivent, ils ont le téléscripteur [non], le téléprompteur [oui] (je ne sais pas comment ça s’appelle), ils sont en train de lire ce que les lobbies ont écrit. Alors moi je fais de la « méta-critique », je fais de la critique en survolant tout ça.

Je suis mal barré parce que ce que je voulais faire, c’était juste une petite vidéo de vacances. C’est mal barré parce que je parle de choses très sérieuses. Enfin bon ! On peut parler de choses très sérieuses, on peut parler de choses extrêmement sérieuses, dans les romans en particulier.

Alors je vous expliquais que pour souffler un petit peu, parce que maintenant j’ai écrit 22 livres dont 18 dans les 10 dernières années, des livres super-sérieux qui demandent parfois énormément de recherches comme le dernier : Défense et Illustration du Genre Humain qui m’a demandé quand même de lire beaucoup de choses – pour ne pas dire de bêtises sur ce dont je parle – puisque j’ai voulu faire une fresque sur le savoir que nous avons accumulé sur tout et particulièrement sur la manière dont nous fonctionnons nous-mêmes.

Et, là, si je fais un roman, c‘est parce qu‘il s‘est fait comme ça que Fayard est tombé… je ne sais plus comment ça c‘est fait d‘ailleurs – dans une conversation de dire : « Eh bien, tiens ! regardez donc un peu, voilà, un roman que j‘ai écrit il y a 15 ans » et que ça suscite l‘enthousiasme. Donc, l‘année prochaine, vous verrez Mes Vacances à Morro Bay. On ne le sort pas tout de suite parce qu‘il faut « calculer par rapport aux plages » ! Ça m’amuse !

De quoi je parle dans mon roman? Eh bien, c‘est un grand roman d’amour ! De quoi, voulez-vous qu‘on parle sinon de l‘amour dans un grand roman ? Et, celui-ci aussi, celui que je viens de commencer. Je l’ai appelé d‘ailleurs, avant même de savoir le premier mot que j‘écrirais. Je me suis dit: « Qu’est-ce qu‘on peut prendre comme beau titre ? » Et alors j’ai pensé à cet album de John Coltrane qui s’appelle A Love Supreme et voilà! Alors, ce n’est même pas la peine de le traduire en français, tout le monde comprendra de quoi ça parle.

Alors, je vais quand même – voilà, c‘est mon habitude de vous montrer des couvertures de livre – pour vous montrer qu’on peut dire des choses très, très sérieuses dans les romans (montre les livres). Est-ce qu‘on les voit bien ? Player Piano de Kurt Vonnegut, sur une société envahie par les algorithmes, par les machines, par le fait qu‘on ne fait plus rien nous-mêmes, par les robots, par voilà : tout est automatisé. Et, c‘est un livre qui date – je ne sais plus exactement – c’est 54, je crois, si j’ai bon souvenir, c’est 54 [non, c’est 1952].

Et alors, l‘autre de Ka… Je n‘arrive plus à lire son prénom, Kazuo Ishiguro. Je devrais le savoir quand même! C’est quand même l‘auteur de The Remains of the Day (Les vestiges du jour) , un livre extraordinaire. Moi, je suis épaté, que quelqu’un qui est de culture japonaise, au départ, ai pu comprendre si bien cette Angleterre aristocratique d’Oxford et Cambridge. Bravo! Chapeau! Chapeau! Et là, celui que je viens de vous montrer là, Never Let Me Go“, ça a, sans doute, été traduit en français (Auprès de moi toujours). C‘est sur les gens qui sont… Les gens qui ne se doutent pas qu‘ils sont élevés comme étant des donneurs d‘organes, par destination.

Donc, il y a moyen de dire des choses sérieuses dans des romans. Voilà ! Je ferai ça aussi. C‘est une autre manière de faire passer les choses.

Ceci dit, bien entendu, un grand roman, c’est une belle histoire d‘amour. Pas nécessairement une chose qui s‘arrête tout de suite comme Roméo et Juliette, Paul et Virginie, Tristan et Yseult, Orphée et Eurydice. Évidemment, quand ça s’arrête tout de suite, c’est très, très beau parce qu‘il n’y a pas de mômes à torcher (rires), il n’y a pas de vaisselle à faire, et ainsi de suite… Main, non, non, chez moi, il y a de la distance, il y a quand même…vous verrez, vous verrez !

Et, c’est surtout, je vous le dis, ce n’est pas pour obtenir des médailles, pour avoir le Goncourt (rires), c’est pour … c’est pour faire autre chose ! Faire un peu autre chose parce que ça a quand même été la course sur 10 ans, là, d’écrire 15 livres – ou un peu plus – sur 10 années. C’est du boulot ! Et là, j’ai envie d’écrire un petit peu autre chose. Vous verrez, vous verrez à l’arrivée – si j’arrive au bout – vous verrez à l’arrivée !

Qu‘est-ce que je voulais encore dire ? Quelque chose d‘important que je voulais encore dire dans cette vidéo mais, ça ne me revient pas du tout. Alors, je vais peut-être simplement arrêter ici…

Ah ! Mais oui ! Mais bien sûr ! Ce que je voulais vous dire c‘est que si vous étiez à Sainte-Foy-la-Grande, après-demain, le 5, il faut absolument venir à mon Prix ! Parce que je reçois le Prix des Reclusiennes. Et là, c’est une autre réflexion sur ma carrière : c’est la première fois que je reçois un Prix ! Et, c’est peut-être aussi la première fois qu’on ose me donner un certain Prix (rires) parce qu’il n‘y a aucun risque dans ce cas-ci ! Il n’y avait aucun risque dans ce cas-ci que je dise : « Mais non ! écoutez, les Prix et les médailles, ce n’est pas mon truc à moi ! ». Non, parce que c’est un Prix en l’honneur, non pas d’un inventeur de dynamite, heureusement ! C’est un prix en l’honneur d’un très, très grand géographe français dont on republie les livres, maintenant, qui sont de grands succès de librairie. Ça s’appelle : Les Rivières, La Mer, des choses comme ça. Ce sont de beaux titres et c’est un des grand théoriciens de l‘anarchisme et c‘est un pacifiste. C’est la personne qui a dit : « Je ne veux pas d‘un régime politique qui soit déterminé au hasard des balles perdues ». Voilà, ça c’est une très, très belle citation. Voilà qui est Élisée Reclus.

Une petite note en plus : quand il y a eu les événements de 68 et des années suivantes, en Belgique à l’Université de Bruxelles où j’étais – il y a eu une personne qui s‘appelle Georges Miedzianagora, il était assistant du professeur Perelman : grand logicien, grand spécialiste des mathématiques, un grand critique aussi du 2ème théorème de Gödel. Quand je critique le théorème de Gödel, je marche dans les pas de mes deux grands professeurs : Chaïm Perelman, effectivement, à Bruxelles et aussi de Georges-Théodule Guilbaud qui lui aussi est mort de rire quand – grand mathématicien, prof à l’École Pratique des Hautes Études – qui est mort de rire quand il a vu la démonstration du théorème de Gödel. Alors, moi, quand je démonte ce truc, je marche quand même dans les pas de deux de mes grands prédécesseurs. Mais, si je parle de Perelman, c‘est parce que je voulais parler de Georges Miedzianagora.

Georges Miedzianagora a été la seule personne véritablement sanctionnée à la suite des événements de 68 à 70 à l’Université de Bruxelles : il a perdu son poste. Et quand un petit groupe… moi, je n‘étais pas là à cette époque là – je commençais à être en Angleterre – mais sinon, je serais allé, sûrement, participer aux activités. Un groupe d’amis a créé une « École Élisée Reclus » pour que Georges Miedzianagora puisse donner des cours en dehors de l’Université.

Et ça faisait allusion à une partie de l’histoire de Reclus. C’est-à-dire que Reclus doit quitter la France parce qu’en fait il a quand même soutenu Auguste Vaillant“ qui a fait un attentat à l’Assemblée Nationale. Bien qu’il soit pacifiste, il a quand même soutenu le geste de Vaillant. Il doit quitter la France et on lui offre un poste à l’Université Libre de Bruxelles. C’est le recteur de l‘époque qui lui offre ça mais, aussitôt, la communauté universitaire, « académique » – comme on dit aujourd‘hui – se scinde à Bruxelles autour de cette affaire : peut-on laisser Élisée Reclus donner cours ? Et l’Université finit par fermer : la querelle est telle que l’université finit par fermer et ne reprendra ses activités que quelques années plus tard.

Alors, Élisée Reclus, personnage controversé, ça me fait très plaisir de recevoir… pour la première fois que je reçois un Prix ! Je n’ai aucune médaille (rires) , je n’ai aucune reconnaissance de nulle part – ce qui est quand même assez étonnant pour quelqu’un de ma notoriété. Je suis sans doute la personne la moins citée, la moins nommée, la moins (rires) reconnue par les institutions, mais il faut dire à leur décharge – comme j’y ai fait allusion – ils ont peut-être un peu peur que je ne sois pas très enthousiaste de recevoir leurs sucettes et autres distinctions ! Mais là, j’irai très volontiers. J’essayerai de faire un beau discours, j’espère que ce sera filmé et que vous pourrez voir ça aussi. C’est dans 2 jours [c’était hier], c’est à 17h le 5 juillet. Ça se passe à Sainte-Foy-la-Grande pas très loin de Libourne, pas très loin de Bordeaux non plus, en direction de Bergerac.

Voilà ! J’espère vous y voir !

A bientôt.

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