Retranscription de Les plus hautes valeurs, le 24 février 2020.
Bonjour, nous sommes le lundi 24 février 2020 et, aujourd’hui, mon petit exposé s’intitulera : « Les plus hautes valeurs ».
Les raisons pour lesquelles il s’intitule comme ça ne seront peut-être pas apparentes dès le début mais vous allez voir.
En 2012, j’ai été abordé par le Pr Michel Flamée, de la Vrije Universiteit Brussel, l’université néerlandophone de Bruxelles. Le Pr Flamée appartenait à la faculté de Droit mais a pris l’initiative de m’inviter à venir parler des problèmes de la finance, d’ordre éthique et technique. Il venait donc d’une faculté de Droit.
Quelques années plus tard, cette même université a décidé d’entrer dans le secteur privé, au moins partiellement, et a donc lancé un… s’est donc présentée en bourse et il est apparu que ma présence n’était plus compatible avec sa nouvelle destinée. C’est à cette époque là que j’ai rencontré Thérèse Lebrun et Pierre Giorgini de l’Université catholique de Lille, qui m’ont invité à poursuivre ma réflexion dans le cadre de leur institution, ce que je fais toujours maintenant, 5 ans plus tard.
En 2017, notre département, notre chaire d’Éthique, technologies et transhumanisme s’est posé la question d’aller à Bruxelles, à un grand congrès international de transhumanistes et nous étions un peu… Quand nous nous sommes inscrits, nous avons posé la question : « Est-ce que vous nous verrez comme des intrus ? Est-ce que vous nous verrez comme des voyeurs ? et nous comprendrions très bien que vous ne soyez pas enthousiastes à l’idée de nous recevoir. » Et là, j’ai eu la surprise qu’on me réponde, à moi personnellement, qu’on me dise : « Écoutez, M. Jorion, venez faire un exposé. Venez nous dire ce que vous pensez du transhumanisme ». On était là en 2017.
En 2019, j’ai eu une autre surprise. On m’a demandé, en septembre, de faire la séance de rentrée de la Faculté de théologie Saint Serge, c’est-à-dire les chrétiens orthodoxes. Et j’ai fait ma présentation, vous avez dû voir ça. C’était essentiellement une discussion de la parabole des talents dans les Évangiles et de la théorie de la formation des prix que l’on trouve chez Aristote.
Et plus récemment, c’est-à-dire hier et avant-hier, j’ai été invité par les collapsologues, le groupe des collapsologues qui se réunissait pour la première fois, si j’ai bien compris, en invitant tous les gens qui se rattachent à ce courant. J’ai été un peu surpris parce que je les critique parfois avec une certaine virulence mais voilà, on m’invitait. Et donc, je suis allé et j’ai passé deux journées avec eux et j’ai essayé de me montrer le plus constructif, le plus positif, d’apporter mon conseil pour la suite.
Voilà, donc, j’étais très flatté quand j’ai reçu l’invitation de Pablo Servigne, surtout qu’il y avait eu d’autres occasions où des gens qui se disaient collapsologue m’avaient manifestement signifié qu’ils me reconnaissaient plutôt comme un ennemi que comme un ami. Ce n’était donc pas le cas ni de Pablo Servigne, ni de tous les gens que j’ai vus hier et avant-hier.
Je souris parce que je me souviens du moment où j’ai dû partir un peu avant les autres parce que j’avais un train qui me ramenait vers la Bretagne et qu’au moment où je fais un petit signe à l’assemblée qui est là, en train de discuter, pour signifier que je m’en vais et que je ne peux pas faire autrement, au moment où j’atteins la porte, il y a un grand « Merci Paul Jorion d’être venu ! » qui s’élève de l’assemblée, qui s’est interrompue pour me remercier. Alors, je reviens vers eux, je dis : « Ecoutez, vous avez compris : je file à l’anglaise pour ne pas vous déranger mais merci beaucoup de m’avoir invité. C’est la SNCF et ses contraintes qui me ramènent vers la Bretagne ! ».

Beaucoup de discussions très intéressantes. Vous savez ce qui me distingue des collapsologues, c’est que je considère personnellement qu’il est prématuré de dire que l’effondrement a eu lieu et qu’on ne s’intéresse qu’aux choses qui auront lieu après l’effondrement. J’ai entendu des gens hier qui disaient : « Pour moi, l’effondrement est absolument inéluctable et je m’intéresse uniquement à ce qu’il faudra faire une fois que ça aura eu lieu ». Et vous savez que la raison principale pour laquelle je considère que cette manière de penser n’est pas la bonne… – d’abord, il y a un certain égoïsme un peu élitiste dans l’idée de : « Nous ferons partie, nous le petit groupe, de ceux qui survivront. Les bons et les gentils auront survécu et on s’arrangera entre nous ». Mais surtout, je crois que ça n’aura jamais lieu. S’il y a effondrement, avec le surarmement nucléaire que nous avons, moi, je suis persuadé qu’il y aura une ou plusieurs des nations qui possèdent des bombes thermonucléaires (il y en a 9 aujourd’hui) qui sera tentée de les utiliser et provoquera un hiver nucléaire. On sera dans un schéma de type La route, c’est-à-dire que s’il reste des êtres humains, ce seront quelques bandes de plus ou moins pillards survivants qui se battront les uns contre les autres pour essayer de survivre.
Ceci dit, on a vu hier, on nous a présenté un très très beau film : Quand on sait. C’est le parcours un petit peu d’une personne, Emmanuel Cappelin, qui a fait le film, qui explique ses interrogations et puis, il va voir un certain nombre de collapsologues. Il va voir Jean-Marc Jancovici et sa réflexion sur l’énergie et sur le pétrole. Il va voir Pablo Servigne, qui était d’ailleurs parmi nous. Il va voir un Américain que je ne connaissais pas : Richard Heinberg. Il va voir un Bangladais, un professeur bangladais, Saleemul Huq, qui tient de très très beaux propos et qui nous montre que l’effondrement, ce n’est pas quelque chose qui viendra plus tard pour les gens qui habitent au Bangladesh : c’est en train de se passer donc il attire l’attention sur le fait que, pour les gens en Syrie, c’est déjà en train de se passer aussi. Et puis une dame dont je ne connaissais pas le nom non plus, une Allemande, Susanne Moser, qui tient des propos… Gandhi a tenu des propos comme ça, Martin Luther King et puis cette dame dont je ne connaissais pas le nom.
Le film ne sort pas encore. Il va faire une tournée en France. J’ai d’ailleurs dit que le jour où il passait par Vannes, du côté de Vannes, Lorient, etc., je ferais partie des gens qui, très volontiers, en discuteraient. C’est très très beau mais c’est vraiment le message, je dirais, des collapsologues : ça s’articule surtout non pas sur un présent mais sur un après, sur un après qu’on essayerait de rendre le plus aimable possible et peut-être même de corriger un certain nombre de choses que nous faisons en ce moment.
Alors, maintenant, j’arrive à ma conclusion. Ça me fait très très plaisir quand des gens appartenant à des groupes auxquels je ne m’identifie pas entièrement, voire très peu, m’invitent. Et alors que moi je ne les mets pas spontanément parmi le groupe du « nous rapproché » autour de moi, eux ont cette très grande gentillesse et très grande générosité de me mettre moi parmi le « nous » tel qu’ils se définissent. Alors, ce matin (je ne vais pas vous cacher, c’était dans ma baignoire), je me dis : « Comment est-ce qu’on explique ça ? Comment on explique ce phénomène ? Qu’est-ce qui rassemble des professeurs de Droit de l’université, les théologiens orthodoxes, les transhumanistes, les collapsologues ? Qu’est-ce qui les conduit à penser que je suis l’un des leurs ? ». Et là, ma conclusion, elle est très rassurante. Elle est très rassurante pour l’avenir, ce qui est rare dans mes cogitations [rires]. C’est que, pour ce qui est des plus hautes valeurs, nous sommes nombreux à les partager.
Il y a des effets de surface. Il y a des effets sur les « grands principes » auxquels on s’identifie, qui sont très différents les uns des autres. Mais quand on arrive peut-être au noyau absolument dur : sur ce qui fait l’humain, qui le distingue de tout le reste – pas pour qu’il porte nécessairement un regard condescendant sur le reste (on a parlé beaucoup des animaux hier, des autres animaux, nous y compris) – il y a quelque chose : il y a cet amour de l’humain en tant que tel et c’est autour de ça qu’il faut que nous nous rassemblions.
Dans ce livre que Vincent Burnand-Galpin et moi avons écrit, qui paraît dans quelques semaines, Comment sauver le genre humain, nous insistons là-dessus : il y a effondrement (le professeur bangladais le dit bien) et il est trop tard pour dire : « Changeons tous d’une manière ou d’une autre. Changeons nos habitudes. Changeons nos croyances, etc. ». Pour ça, il est en tout cas tout à fait trop tard. Il faut que nous fassions avec comme nous sommes aujourd’hui, avec la variété des cultures, avec l’exclusion des uns vis-à-vis des autres qui existe à certains endroits.
Il faut faire avec sinon ce sera un grand massacre et il ne restera plus rien, plus personne à l’arrivée. Mais il reste quelque chose, il y a quelque chose sans doute. Il y a des brutes sadiques, et on vient de trouver – j’ai lu un article dans The Lancet – que les brutes sadiques du genre de Trump, quand on regarde après, on s’aperçoit qu’ils ont le cerveau beaucoup plus petit que les autres. Ce n’est pas une blague, c’est dans une revue réputée. Il y a des gens irréductibles. Il y a des sociopathes, c’est-à-dire des gens simplement qui ont trouvé qu’on peut surfer sur la générosité générale, sur la solidarité des autres et en tirer un profit personnel. Heureusement, ça ne représente pas une majorité. Ça ne représente même pas un groupe important. Malheureusement, nous avons un peu trop tendance, ces jours-ci, à porter au pouvoir ce genre de personnage déviant mais bon, pour le reste, pour nous tous, pour tous ceux que moi j’appelle « nous tous », nous avons des choses en commun au-delà des effets de surface, au-delà des petites croyances sur ceci ou ça. Il y a quelque chose qui réunit tous ces gens qui ont l’amabilité de me considérer comme partageant leurs valeurs, de l’Université catholique de Lille aux théologiens orthodoxes en passant par les collapsologues et les transhumanistes.
Voilà, comme je vous le disais tout à l’heure, ce n’est pas tous les jours que je vous transmets, communique, un message optimiste mais les deux journées que j’ai passées hier avec les collapsologues – en ne cachant pas mes divergences avec eux, mes désaccords éventuels – tout ça me paraît bien rassurant et nous aurons besoin de cette solidarité qui se trouve là, en filigrane, chez presque chacun d’entre nous. Voilà.
Allez, à bientôt !
Ah, une petite remarque complémentaire : vous parlez de « complétude téléodynamique » et de système « Turing-autocomplétant », mais attention à ne pas…