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François Morin, qui fut conseiller au cabinet de Jean Le Garrec dans le gouvernement Pierre Mauroy de 1981 a publié un livre intitulé Quand la gauche essayait encore, au sous-titre explicite : « Le récit inédit des nationalisations de 1981 et quelques leçons que l’on peut en tirer » (Montréal : Lux Éditeur 2020).
Bien que les nationalisations françaises furent éphémères, puisque le gouvernement Chirac les défit en 1986, Morin demeure en effet enthousiaste : leur finalité est selon lui toujours présente, mieux encore, celle-ci aurait trouvé un nouvel emploi dans les changements de cap que nous imposent les urgences d’aujourd’hui : assurer la transition énergétique et parer aux menaces pesant sur le vivant sous toutes ses formes.
Qu’est-ce qui explique que l’épisode ait été à ce point éphémère, que les nationalisations aient été ensuite défaites aussi aisément et que leur fin n’ait apparemment causé aucun regret ? D’une part, l’impréparation et l’incompétence, affirme Morin, d’autre part, les dissensions internes entre deux factions au gouvernement : un parti « révolutionnaire », favorable à une nationalisation radicale de la plus grande part de l’économie, avec à sa tête Pierre Mauroy et Jean Le Garrec, soutenus par les ministres communistes, et un parti réformiste dirigé par Jacques Delors et Michel Rocard, pratiquant la résistance passive vis-à-vis des nationalisations, prônant une participation majoritaire minimale dans les entreprises nationalisées, et poussant à ce que leur nombre soit le plus restreint possible.
Or ce qui transparaît du livre est essentiellement que la motivation des acteurs était médiocre, aussi bien du côté des soi-disants enthousiastes que de ceux qui entérinaient les nationalisations à contre-coeur. En fait, on a le sentiment que le « Programme commun de la gauche » des socialistes et des communistes, datant de 1972, soit de neuf ans auparavant, avait très mal vieilli et que la justification de ces nationalisations appartenait à un autre âge : « Pour briser la domination du grand capital et mettre en œuvre une politique économique et sociale nouvelle… ».
« Nouvelle », c’était pour le moins vague. Quant à briser « la domination du grand capital », cela avait déjà eu lieu en 1936 avec la nationalisation de la Banque de France par le Front populaire et l’élimination alors du pouvoir effectivement abusif attribué aux « 200 familles » des actionnaires principaux. Une modernisation alors de la Banque de France, il faut le noter, du même type que celle qui avait déjà eu lieu dans bien des pays européens, en particulier en Belgique l’année précédente, en 1935 : un type de modernisation opéré aussi bien par des gouvernements de droite que de gauche.
Quant aux nationalisations de 1945 à l’initiative du Conseil National de la Résistance, comme celle des automobiles Renault, leur justification à l’époque n’était nullement de « briser la domination du grand capital » mais très explicitement la punition des profiteurs de guerre : « Afin d’exiger la confiscation des biens des traîtres et des trafiquants de marché noir ».
Si Morin demeure attaché personnellement aux nationalisations de 1981, c’est qu’il leur reconnaît deux grands mérites : avoir mis, par le biais de celle des banques, le pouvoir d’accorder le crédit et de brider la spéculation au service de l’intérêt général, et avoir imposé aux entreprises une organisation démocratique là où régnait un pouvoir autocratique des actionnaires et de la direction.
Or il apparaît, avec le recul du temps, qu’il existe de bien meilleurs moyens d’atteindre ces objectifs louables que par le biais de la nationalisation qui apparaît aujourd’hui trop indirect et ratant sa cible de beaucoup.
On peut écarter l’affirmation de Morin qu’une nationalisation des banques commerciales rendrait à la communauté le pouvoir de la création monétaire privée : l’exemple qu’il donne reproduit une confusion commise très souvent par les personnes peu familières avec les mécanismes du crédit. Il décrit en effet l’opération comptable permettant d’établir une ligne de crédit pour un emprunteur et imagine que ce jeu d’écritures « crée » véritablement de l’argent ! Non : une fois que le bénéficiaire de la ligne de crédit tirera effectivement de l’argent sur son compte, la banque devra, véritablement, trouver de l’argent quelque part pour alimenter la ligne et lui prêter l’argent auquel elle ouvre droit.
Pour ce qui est de son regret qu’une part considérable (de l’ordre de la moitié probablement) de l’argent prêté par les banques le soit pour des opérations purement spéculatives générant du risque systémique sans être pour autant d’aucun bénéfice pour l’économie ou pour la communauté, la réponse va de soi par sa simplicité : restaurer les lois qui au XIXe siècle interdisaient la spéculation, au sens technique que donnait alors la finance à ce terme : « les paris à la hausse ou à la baisse sur le prix des titres financiers » : sur leur prix à l’échange ou sur les taux d’intérêt sous-tendant ce prix. Ces lois furent abrogées en Suisse en 1860, en Belgique en 1867 et en France en 1885. La justification de leur abrogation en leur temps était risible : spéculer « allait dans le sens du progrès », et représentait « l’attitude moderne ». La formulation des lois interdisant la spéculation était extrêmement brève et les ressusciter serait d’une simplicité enfantine.
S’en prendre à la propriété privée ne devrait toujours constituer qu’un dernier recours étant donné la levée de boucliers que cela susciterait en raison d’une réprobation unanime. D’autant que, comme le découvrirent à leurs dépens les nationaliseurs de 1981, l’article 17 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme s’y oppose par principe, stipulant : « 1. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. »
Bien entendu, pour distribuer la manne du Plan Marshall de 1948 à 1952 : 2,5 milliards de dollars pour la France, le fait que la quasi totalité des sommes transmises l’aient été à un secteur industriel alors nationalisé facilita les choses.
L’effet recherché de protection de l’environnement et de l’épuisement des ressources pourrait être obtenu par une double mesure : sur le plan juridique, une redéfinition de la dimension abusus du droit de propriété pour ce qui touche aux personnes morales que sont les entreprises : une restriction drastique du droit de détruire des ressources non-renouvelables, et sur le plan comptable, une imputation des coûts réels à l’entreprise responsable des destructions opérées.
Sur un autre plan, aux yeux d’un secteur industriel et financier nationalisé, aucune différence n’existe entre les injonctions incitatives et impératives d’un bureau du Plan national, mais rien n’interdit à l’État dans des cas d’urgence extrême, comme celles qui requerraient la mise en place d’une « économie de guerre » visant à sauver un environnement en péril, de définir certaines recommandations du Plan comme étant pour un temps, impératives.
Il serait sûrement possible d’étoffer les détails. Quoi qu’il en soit, un pays peut aujourd’hui se donner à nouveau une ambition véritablement nationale, et une maîtrise de son destin, sans recourir à des moyens aussi candides et approximatifs que les nationalisations.
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