La démonstration du théorème d’incomplétude de Gödel fait intervenir des phénomènes linguistiques encore très mal compris à ce jour, par Jean-Paul Bentz

Il me semble que la démonstration du théorème d’incomplétude se distingue par une caractéristique tout à fait unique, à savoir celle de faire intervenir des phénomènes linguistiques et sémantiques trop peu étudiés et encore très mal élucidés et compris à ce jour.

Comme l’étude des machines à mouvement perpétuel, l’étude de cette démonstration est typiquement abordée selon deux approches différentes : (1) l’approche synthétique, paresseuse et intuitive qui, tout simplement, « ne parvient pas » à l’accepter, et (2) l’approche analytique, courageuse et rigoureuse, qui consiste à l’étudier en détail mais qui, le plus souvent au moins, n’y décèle aucune faille.

Dans le cas des mouvements perpétuels, l’approche synthétique et paresseuse consiste simplement à brandir le premier principe de la thermodynamique et à déclarer qu’il interdit l’existence de tels mouvements. L’approche analytique et courageuse consiste à étudier chacune des machines proposées et à identifier très précisément la faille conceptuelle qui interdit son fonctionnement. Mais certaines de ces machines sont si sophistiquées que l’approche analytique est un véritable casse-tête, au point qu’on serait presque parfois tenté de les réaliser concrètement pour vérifier plutôt l’absence de toute faille dans le premier principe de la thermodynamique ! Comme cependant ce dernier a été établi voici plusieurs siècles et mille fois vérifié, l’approche synthétique est aujourd’hui facilement acceptée par tous les scientifiques.

Dans le cas du théorème d’incomplétude, les mathématiciens privilégient l’approche analytique et rigoureuse, et les autres – dont je suis – l’approche synthétique et paresseuse.

Comme dans certains exemples de mouvement perpétuel, l’approche analytique de la démonstration du théorème d’incomplétude est très ardue, l’approche synthétique se bornant au contraire à invoquer un principe de haut niveau qui l’interdi(rai)t.

Mais ici, le problème est triple.

D’un côté, les mathématiciens sont très peu enclins à prendre en compte les (prétendus ?) problèmes linguistiques et sémantiques invoqués par les autres, considérant – très légitimement en l’état actuel des mathématiques – qu’ils ne sont pas de leur ressort, mais oubliant de ce fait que les mathématiques, en tant que langage, sont elles-mêmes soumises aux lois encore assez opaques de conservation du sens. De leur côté, les linguistes ne manifestent a priori aucune appétence pour l’étude des problèmes sémantiques que peut poser une assertion logique porteuse d’une autoréférence, étude dont tout semble d’ailleurs indiquer qu’elle s’annonce particulièrement complexe et délicate si l’on en croit les tentatives des logiciens, aussi nombreuses que divergentes, pour expliquer la genèse et l’essence du paradoxe du menteur. Enfin, les convictions personnelles des « paresseux » ne parviennent évidemment pas à contraindre intellectuellement qui que ce soit, hormis ceux qui les possèdent déjà bien sûr.

Par exemple, la conviction, qui est la mienne et selon laquelle le principe de causalité s’applique aussi au langage et notamment aux mathématiques (en interdisant au moins qu’une assertion auto-référente conserve systématiquement son sens et a fortiori sa valeur de vérité lors d’un transcodage) ne fait l’objet d’aucune démonstration ni d’aucune sorte de reconnaissance par la communauté scientifique.

Je peux toutefois donner, par analogie, un exemple du type de problème rencontré, le transcodage étant en l’occurrence illustré par une traduction irréprochable d’une langue dans une autre.

Si je dis « Dans la langue de cette phrase, le nom de l’astre du jour comprend six lettres », j’énonce une vérité. En effet, cette assertion est écrite en français, l’astre du jour est défini en français comme étant le soleil, et le mot « soleil » comprend bien six lettres. Par ailleurs, l’expression « Dans la langue de cette phrase » y joue bien le rôle d’une variable assurant une fonction d’autoréférence puisque, quelle que soit la langue X dans laquelle elle est écrite, cette expression désigne justement la langue X.

Or, cette assertion « transcodée » en anglais, à savoir « In the language of this sentence, the name of the day star is made of six letters », est fausse. En effet, le mot anglais auquel il est implicitement fait référence est le mot « sun », qui ne comporte que 3 lettres. Non seulement cette assertion « transcodée » en mandarin serait fausse, mais elle serait même surréaliste puisque le mot « soleil » se traduit dans cette langue sans le moindre recours à une quelconque lettre.

Je crains que nous ayons encore beaucoup de pain sur la planche !

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63 réponses à “La démonstration du théorème d’incomplétude de Gödel fait intervenir des phénomènes linguistiques encore très mal compris à ce jour, par Jean-Paul Bentz”

  1. Avatar de Paul Jorion

    (Rappel) Ma position sur la question dans Comment la vérité et la réalité furent inventées (2009) :

    1. Les formules qui « parlent d’elles-mêmes »

    Ce à quoi on assiste, c’est donc ceci : je démontre une proposition et je découvre que – message codé à l’intérieur de cette formule – cette proposition dit d’elle-même « je ne suis pas démontrable ». Soit, à l’inverse, je démontre la négation d’une proposition et je découvre que cette proposition dit d’elle-même « en réalité, je suis démontrable – mais sous mon expression positive ». Qu’est-ce que cela signifie ?  

    Le profane en matière de mathématiques notera d’abord qu’une formule arithmétique n’ayant pas de langue, elle ne peut rien dire à propos de quoi que ce soit, et en particulier rien à son propre sujet. Or il n’y a pas eu que des anthropologues et autres philosophes pour faire cette remarque de bon sens, des mathématiciens les ont précédés et précisément à propos du second théorème de Gödel, qui ne fait donc pas nécessairement l’unanimité dans la profession à ce sujet. En effet, en 1945, R. Daval et G.-Th. Guilbaud  que j’ai cités plus haut à propos de la récursion, dans leur remarquable ouvrage, Le raisonnement mathématique, font observer que : « Seul le mathématicien peut dire qu’une proposition est démontrable, une proposition ne peut pas dire cela d’elle-même » (Daval & Guilbaud 1945 : 45). 

    Quand je démontre une proposition mathématique, disons un théorème, et qu’à l’intérieur de ce théorème se trouve caché l’énoncé « Je ne suis pas démontrable », il s’agit en fin de compte de ma parole à moi, mathématicien, contre celle de cette proposition. En ce qui me concerne, je suis un sujet humain et j’ai la capacité d’expliquer par le raisonnement pourquoi j’affirme que cette proposition est démontrable : c’est parce que je disposais au départ d’un ensemble d’axiomes, de théorèmes et de règles d’inférence qui m’ont permis, une fois tracé le chemin qui mène des axiomes et des théorèmes à la proposition à démontrer, de dire que le balisage du parcours équivaut à affirmer qu’elle a effectivement été démontrée. Au contraire, cette proposition quant à elle ne peut rien produire à l’appui de sa déclaration qu’elle est indémontrable : tout énoncé suppose un sujet qui s’engage – par l’expression d’un degré d’adhésion – vis-à-vis de la vérité de ce qu’il énonce (cf. ce que j’en dis dans la deuxième partie ainsi que dans Jorion 1990a, chapitre 20). Une formule est à ce point de vue impuissante : n’étant pas un sujet humain, elle ne dispose d’aucun des outils de la panoplie discursive qui lui permettraient de prouver sa démontrabilité ou sa non-démontrabilité par les moyens habituels d’inculcation de la preuve.  De plus, il m’est impossible de lui assigner aucune des motivations qui pourraient jouer un rôle positif ou négatif vis-à-vis de son engagement, je ne peux pas supposer sans doute qu’elle mente sciemment sur la question, mais à l’inverse je ne suis pas à même de lui assigner une expertise particulière quant à la possibilité ou non de sa démonstration : elle ne dispose ni de la capacité d’être bien ou mal informée sur ses propres caractéristiques, ni de celle de s’exprimer à ce sujet. Ce n’est donc pas parce qu’une formule dit au niveau méta-mathématique qu’elle est démontrable au niveau mathématique, qu’il y a là la moindre garantie de véracité. 

    L’origine du fait que cette proposition affirme sa non-démontrabilité nous la connaissons en fait parfaitement : c’est une conséquence, recherchée par son auteur, du système de codage mis en place. Je peux très bien imaginer – puisque cela dépend uniquement de la subtilité du système d’encryptage utilisé – qu’une proposition puisse « se tromper » quant à la démontrabilité de la proposition arithmétique qu’elle est à un autre titre. Je vais présenter plusieurs paradoxes, de complexité croissante qui permettront de cerner la démarche de Gödel. 

    Premier paradoxe. Arthur ouvre une boîte. Dans celle-ci il y a un billet sur lequel il est écrit « Il n’y a pas de billet dans la boîte ». Arthur se dit, « Tiens, c’est curieux, j’aurais juré qu’il y avait un billet ». Arthur est un niais. Pourquoi ? Parce qu’il a constaté de la seule manière dont on puisse le faire valablement qu’il y avait un message dans la boîte. Le fait qu’il soit écrit sur celui-ci « Il n’y a pas de billet dans la boîte » ne devrait pas influencer Arthur dont la conviction devrait rester inentamée. Le contenu du message inscrit sur le billet nie les faits, il est erroné et devrait être ignoré par Arthur.

    Deuxième paradoxe. À force d’astuce, Isidore arrive à décoder un message. Sa déception est grande cependant quand il constate que le message décrypté dit : « Coucou ! Tu n’es pas arrivé à me déchiffrer ! » On pourrait imaginer bien sûr qu’il existe plusieurs niveaux possibles d’encryptage et que celui qu’Isidore vient de découvrir n’est que le plus simple. S’il n’existe qu’un seul niveau, Isidore a cependant tort d’être déçu. Pourquoi ? Parce qu’en réalité il est parvenu à décoder le message. Ce que celui-ci exprime n’est qu’une tentative dérisoire de la part du codeur de convaincre le déchiffreur qu’il a échoué dans sa tâche. Le message ne dispose d’aucune autorité pour nier l’évidence : qu’Isidore a au contraire réussi. 

    Troisième paradoxe. Eusèbe a inventé un chiffre ingénieux. Á partir d’un texte chinois, le code génère des phrases en français qui disent soit « Ce que dit cette phrase est vrai », soit « Ce que dit cette phrase est faux ». Eusèbe a pu constater que son système fait une analyse irréprochable de l’ensemble des textes chinois qu’il a pu lui soumettre. Un riche éditeur lui fait la proposition suivante : « À chaque phrase commentée avec exactitude je te donne cent euros, mais si ton système se trompe tu auras la tête tranchée ». Eusèbe doit-il accepter l’offre alléchante ? Il y a un rapport entre cette illustration et la question de la récursion dont on a vu qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un mode de preuve mais d’un procédé qui confirme à chaque coup sa réussite, mais sans apporter aucune garantie « quant au fond » qu’il en sera toujours ainsi. À moins qu’Eusèbe ne soit convaincu que son procédé dépasse par ses capacités celles d’un simple système de codage, autrement dit, à moins qu’Eusèbe ne soit certain que son système « comprend » en réalité le chinois, et pose des jugements infaillibles à partir de cette compréhension, nous lui déconseillerions d’accepter l’offre du millionnaire.

    Quatrième paradoxe. Imaginons que Casimir, cryptographe extrêmement habile, ait mis au point le code qui permet de faire la chose suivante, partant du texte de l’Évangile selon Saint Mathieu, le système engendre, phrase après phrase, une version parfaitement correcte des « Trois mousquetaires ». Casimir découvre à sa grande stupéfaction, que – détonnant avec le reste du texte – la phrase qui dit « Je serai assis à la droite de mon Père » est automatiquement traduite par le système d’encryptage en « En réalité, c’est à la droite de son Oncle ». Que faut-il penser de la consternation de Casimir ? Si elle est due au fait qu’il constate ainsi les limites du chiffre qu’il a mis au point, il doit se rassurer : un effort supplémentaire lui permettrait peut-être d’améliorer son système. Si sa stupeur est due au contraire au fait qu’il suppose avoir mis à jour un secret déroutant relatif au christianisme, il est bête : son système fonctionnait jusqu’à la phrase incriminée du texte, et se remet à fonctionner ensuite, mais il fait la preuve de son incapacité à traduire un évangile en un roman d’Alexandre Dumas à cet endroit précis. À voir la perfection avec laquelle l’encodage permet d’établir un lien entre les deux textes, Casimir s’est convaincu que la garantie divine qu’il associe à l’un des deux au moins s’attache aussi au code qu’il a mis au point. C’est lui qui l’a inventé sans doute mais la surréalité qui s’attache à la possibilité même de cette traduction l’a convaincu que seule une inspiration divine expliquait sa genèse. Du coup, la phrase qui seule détonne ne peut manquer d’être significative à ses yeux.

    Qu’ont donc en commun Arthur, Isidore, Eusèbe et Casimir ? Ce qu’ils perdent de vue, c’est que dans chacun des cas, le contenu du message reste en extériorité par rapport à la situation qu’il commente ou exprime. Leur coïncidence apparente n’est pas la conséquence de leur consubstantialité  : elle est le résultat d’un artifice qui révèle en arrière-plan un acteur humain à même d’évaluer la situation en toute connaissance de cause, et qui est alors l’auteur authentique du commentaire. Lorsqu’il s’agit d’un code, comme avec Isidore, Eusèbe et Casimir, quel que soit le talent déployé dans sa mise au point, le message qui résulte du codage et le message codé demeurent étrangers l’un par rapport à l’autre, quel que soit l’effort qui a été consenti pour les lier de manière inextricable. Ils sont bien traduisibles l’un dans l’autre, mais ils n’ont pas acquis pour autant une identité unique qui permettrait d’interroger l’un et d’obtenir de lui une réponse justifiée portant sur l’autre. 

    Il est possible que la confusion qu’on constate ici ait été encouragée par l’interchangeabilité dans l’usage courant des mots codage et traduction. Alors qu’une phrase traduite d’une langue renvoie en principe à la même exacte réalité que la phrase originale, une phrase codée ne le fait pas en général : mieux, c’est la finalité même du codage qu’il n’en soit pas ainsi. Si je dis soit « je coupe cette pomme », soit « I’m cutting this apple », c’est la même pomme qui se trouve séparée en deux à la fin du processus. Mais si je dis « Les sanglots longs des violons », ceci veut dire pour ceux qui savent entendre que « le débarquement en Normandie débutera demain ». La consubstantialité des états-de-choses connotés dans la traduction n’est pas due à une capacité dont disposeraient certaines phrases à « parler de la même chose » dans des langues différentes, elle résulte de l’activité délibérée du traducteur visant ce résultat – celui-ci pouvant être plus ou moins talentueux – exactement de la même manière que la dimension cryptique du message encodé résulte de l’intention du codeur d’en cacher la signification initiale. Pour prendre un exemple historique : « À la recherche du temps perdu », est-il traduit de manière plus heureuse par « In search of lost time » ou par « Remembrance of things past » ?

    Quand Gödel écrit à propos de sa proposition démontrable qui dit d’elle-même qu’elle n’est pas démontrable que « … c’est seulement ensuite (et en quelque sorte par hasard) qu’il s’avère que cette formule est précisément celle par laquelle la proposition était elle-même exprimée » (Gödel 1992 [1962] : 41), on est alors en droit de lui demander quelle est la nature exacte de ce « hasard » qui fait qu’un commentaire méta-mathématique sur la démontrabilité d’une proposition se retrouve codé dans son énoncé. Suggère-t-il sérieusement que cet encodage ne résulte pas de l’effort considérable qu’il a lui, mathématicien, consenti pour l’obtenir ? Suggère-t-il, s’il n’y a pas eu effort, qu’il y a eu simple révélation ? À cette dernière question – et comme nous pouvions déjà nous en douter quand nous nous étions demandé plus haut « D’où viennent les propositions vraies ? » – la réponse est en réalité, « Oui ». 

  2. Avatar de Lagarde Georges
    Lagarde Georges

    Je n’arrive pas à prendre au sérieux le paradoxe du menteur parce qu’il me semble être le résultat d’un simple jeux de mot sur le verbe mentir. Si être menteur consistait à toujours affirmer le contraire de ce qu’on sait être vrai, être menteur ne serait rien d’autre qu’utiliser un langage inversé par rapport au langage habituel, un langage dans lequel « oui » signifierait « non » et « non » signifierait « oui », « lourd » signifierait « léger » et « léger » signifierait « lourd », etc.

    En réalité un menteur est quelqu’un qui ne dit le contraire de qu’il sait être vrai que quand ça l’arrange ou quand ça l’amuse (ou pour toute autre raison.) Quand Épiménide le crétois dit que tous les crétois sont menteur on ne devrait donc absolument rien en conclure et ne pas trop perdre de temps à propos de ce qu’il affirme.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Mon traitement du paradoxe du menteur dans « Comment la vérité et la réalité furent inventées » (Gallimard 2009) :

      « Il est alors permis de traiter dans la perspective de l’adhésion, une aporie classique, le paradoxe du menteur dont on n’ignore pas le rôle qu’il a joué dans la philosophie contemporaine puisqu’il a conduit Russell à mettre au point sa théorie des types logiques (Kneale & Kneale 1986 [1962] : 656-657). Dans une perspective d’adhésion, le paradoxe se dissout de lui-même. Je rappelle sa forme classique. Ses prémisses sont :

      Épiménide dit que les Crétois sont des menteurs,

      Épiménide est lui-même Crétois.

      Une inférence possible en guise de conclusion est « Donc Épiménide est menteur », et l’on est alors tenté de poursuivre : « s’il est menteur, il ment en particulier quand il dit que les Crétois sont des menteurs, donc les Crétois disent la vérité, et Épiménide étant Crétois dit la vérité quand il dit que les Crétois sont des menteurs », etc. créant un cycle où Épiménide doit être successivement envisagé comme disant la vérité en tant qu’autorité sur un sujet et disant le faux en tant que membre d’une communauté. En conséquence de quoi il est à la fois vrai que les Crétois mentent (en tant que catégorie universelle) et qu’ils disent la vérité (en tant que le sujet singulier Épiménide).

      Pourquoi le paradoxe se dissout-il au sein de l’approche développée ici ? En raison de la problématique même de l’adhésion. La première prémisse affirme que « Épiménide dit que les Crétois sont des menteurs », la seconde affirme que « Épiménide est Crétois ». Pour illustrer le fait que l’adhésion exprime le degré d’identification d’un locuteur aux paroles qu’il prononce, j’ai donné tout à l’heure comme exemples, une suite de propositions s’échelonnant de l’adhésion maximale qu’exprime « Je crois en Dieu », à l’adhésion minimale qu’exprime « Il m’a dit “Dieu existe” ». La citation pure et simple renvoie à l’engagement minimal de celui qui la rapporte. Le locuteur qui se contente de citer s’abstient en réalité de tout jugement quant à la vérité ou à la fausseté de ce qu’il rapporte. Or, « Épiménide dit que les Crétois sont des menteurs » est précisément une citation et quiconque relate sous ce mode les propos d’Épiménide comme étant sans plus ceux de cet individu, suggère par là-même qu’il est lui, locuteur, sur cette question, agnostique, autrement dit qu’il la considère comme un « il est possible que… ».

      La deuxième prémisse « Épiménide est Crétois », ne jouit pas du même statut, elle est présentée, telle qu’elle, sans modulation de l’adhésion de celui qui l’énonce. Ce qui veut dire que l’énonciateur y adhère comme quelqu’un qui la tient pour vraie. Le syllogisme sous-jacent à l’aporie a donc pour prémisses deux propositions, la seconde que le locuteur présente comme vraie, et la première pour laquelle il prend soin en réalité de faire savoir qu’il ne s’engage en rien quant à son statut de vérité – se contentant de la rapporter. 

      Les deux prémisses devraient alors se lire,

      (il est possible = faux ou vrai que) les Crétois sont des menteurs

      (il est vrai que) Épiménide est Crétois

      La conclusion d’un syllogisme jouit quant à sa véracité du statut de la plus faible de ses prémisses. Il faut alors formuler celle-ci comme

      (il est possible = faux ou vrai que) Épiménide est un menteur.

      Bien entendu, celui qui refuse de me suivre pourra dire que le statut attribué ici à la citation relève non de considérations logiques (qui seraient ce dont on parle) mais de considérations pragmatiques (qui seraient nécessairement périphériques). J’ai soutenu ailleurs (1990a : 22) que la catégorie de la pragmatique ne renvoie à aucun contenu positif : en tant que catégorie « croupion » de la linguistique, elle se contente d’entériner le fait établi que ni la syntaxe, ni la sémantique, ni la logique, séparément ou prises ensemble, ne parviennent à rendre compte du fonctionnement du langage tel qu’il existe dans sa pratique c’est-à-dire en lui-même. La spécificité à laquelle renvoie la pragmatique est celle dont je rends compte de manière plus satisfaisante en termes d’adhésion du sujet parlant aux phrases qu’il énonce. « 

       

      1. Avatar de CloClo
        CloClo

        Salut,

        J’aime bien l’analyse dans ce cadre là, avec un rapporteur.

        Mais celle que je connaissais moi jeune enfant, était :

        – « Les crétois sont des menteurs, et je suis crétois ». Pas de rapporteur, le sujet agissant et parlant.

        Ma rien à caguer, c’était pour changer de cadre et donc d’analyse.

      2. Avatar de Yu LI
        Yu LI

        Je suis d’accord, la perspective de l’adhésion est très importante pour dissoudre le paradoxe du menteur !

        En ce qui concerne la preuve de Gödel, je donne mon avis :

        1,en tant que catégorie universelle: Épiménide, en tant que Crétois ordinaire, n’a pas de possibilité de porter le jugement que « les Crétois sont des menteurs « , donc la proposition « les Crétois sont des menteurs  » n’existe pas.

        Dans ce cas, il est inutile de dire si la proposition est vraie ou fausse. Mais si nous nous obstinons à juger que « les Crétois sont des menteurs », cela conduit au paradoxe du menteur !

        2,en tant que le sujet singulier Épiménide: Epiménide a la possibilité de juger que « les Crétois sont des menteurs », on peut donc discuter si elle est vraie ou fausse, c’est-à-dire si Epiménide ment ou dit la vérité.

        De même, dans la perspective de l’adhésion, la formule qui « dit » qu’une autre formule n’est pas démontrable produite par la preuve de Godel, n’existe pas.

        Nous pouvons établir une analogie entre la formule qui « dit » et l’Epiménide, l’Epiménide en tant que Crétois ordinaire (catégorie universelle) est incapable de porter le jugement que  » (tous) les Crétois sont des menteurs « , ce qui est équivalent à la formule qui « dit » en tant que formule du système PA qui est incapable de porter le jugement sur la démontrabilité de (toutes) les formules du système PA.

        Nous voyons ainsi la racine du paradoxe du menteur : la confusion entre « non-existence » et « existence ».

        1. Avatar de BasicRabbit
          BasicRabbit

          Merci Yu, merci de m’avoir fait remarquer que Gödel écrit dans la première partie de son papier (p.40) que la racine de la preuve qu’il fera en deuxième partie présente une analogie « which leaps to the eye » avec le paradoxe de Richard.

          Qu’est-ce qu’une antinomie?(1) Le Wiktionnaire nous renseigne: « Contradiction réelle ou apparente entre deux lois, deux principes, deux idées. « .

          Quelle est l’antinomie en jeu dans le théorème d’incomplétude de Gödel? Je pense que si on pose cette question à des matheux ou des épistémologues, ils vous répondront que c’est le paradoxe du menteur (et c’est ce que j’aurais moi-même répondu jusqu’à, disons, la semaine dernière).

          Mais tu précises et rectifies dans son commentaire juste ci-dessus (10/09/18h55): « Nous voyons ainsi la racine du paradoxe du menteur : la confusion entre « non-existence » et « existence ». ». Merci encore, Yu, pour cette remarque de bon sens: la racine de la preuve du théorème d’incomplétude n’est pas le paradoxe du menteur, elle est plus profonde que ça, et c’est bien l’antinomie « to be »/ »not to be » -alias l’opposition démontrable/indémontrable- car, étant donné une formule close P du langage de l’arithmétique la question fondamentale est bien de savoir s’il existe ou non une preuve de P. En conséquence le paradoxe du menteur, eh bien… on s’en fout, et il n’y a qu’à lire la deuxième partie de l’article pour s’en convaincre!

          Quel rapport avec le paradoxe de Richard, rapport qui ne m’a pas sauté aux yeux quand tu m’en as fait la remarque? Il me saute aux yeux maintenant: dans ce cas l’antinomie qui convient est l’opposition définissable/non définissable, et c’est elle que Tarski utilisera pour démontrer que le concept de vérité (à la Tarski…) n’est pas définissable dans le langage de l’arithmétique.

          Une question se pose enfin: pourquoi l’immense majorité des gens -les paresseux comme les rigoureux pour reprendre les termes de JP Bentz- ont-ils retenu le paradoxe du menteur, dont parle Gödel dans cette même page? La raison me semble très simple: parce que Gödel écrit quelques lignes plus loin que sa fameuse formule dit d’elle-même qu’elle n’est pas démontrable, et donc qu’elle parle, comme le menteur, alors que les deux autres antinomies sont muettes.

          Bien à toi,
          BR.

          1: Gödel rajoute en footnote que « any epistological antinomy can likewise be used for a similar undecidability proof. »).

          1. Avatar de Yu LI
            Yu LI

            @BasicRabbit Je suis contente que tu fasse attention de l’article de Godel maintenant. Je pense que c’est absolument nécessaire de lire son article afin de décortiquer le théorème d’incomplétude de Godel !

            Exacte ! Concernant la preuve de Godel, je voulais dire que le paradoxe est la conséquence, mais pas la cause (voir aussi mon commentaire du 11 septembre 2022 23h12).

            1. Avatar de Yu LI
              Yu LI

              Je dois préciser :
              – Exacte ! Concernant la preuve de Godel, je voulais dire que le « paradoxe du menteur » est la conséquence, mais pas la cause (voir aussi mon commentaire du 11 septembre 2022 23h12).

  3. Avatar de Michel
    Michel

    Dans un théorème le sujet et le complément d’objet sont le même être tout simplement

  4. Avatar de Druhh
    Druhh

    « Le profane en matière de mathématiques notera d’abord qu’une formule arithmétique n’ayant pas de langue, elle ne peut rien dire à propos de quoi que ce soit, et en particulier rien à son propre sujet »

    Et une formule qui dit qu’une autre n’est pas démontrable, cela vous poserait il aussi un problème, ou est ce uniquement l’auto référence qui vous dérange ?

    1. Avatar de Paul Jorion

      Rien ne me dérange particulièrement, je me contente de constater que les formules arithmétiques ne parlent pas. Vous êtes d’un avis contraire, je sais. Montrez-moi une seule formule arithmétique qui parle et je serai convaincu.

      L’extrait en question de mon bouquin :

      « Le profane en matière de mathématiques notera d’abord qu’une formule arithmétique n’ayant pas de langue, elle ne peut rien dire à propos de quoi que ce soit, et en particulier rien à son propre sujet. Or il n’y a pas eu que des anthropologues et autres philosophes pour faire cette remarque de bon sens, des mathématiciens les ont précédés et précisément à propos du second théorème de Gödel, qui ne fait donc pas nécessairement l’unanimité dans la profession à ce sujet. En effet, en 1945, R. Daval et G.-Th. Guilbaud  que j’ai cités plus haut à propos de la récursion, dans leur remarquable ouvrage, Le raisonnement mathématique, font observer que : « Seul le mathématicien peut dire qu’une proposition est démontrable, une proposition ne peut pas dire cela d’elle-même » (Daval & Guilbaud 1945 : 45). »

      1. Avatar de Druuh
        Druuh

        Tout depend de ce que l’on entend par « dire » et « demontrable » dans la phrase « une formule qui dit qu’elle n’est pas demontrable ».

        Le coeur de la controverse se situe a ce niveau je crois.

        Si vous prenez ces deux vocables au sens ordinaire intuitif du parlé courant, alors oui vous pouvez legitimement en douter.

        Mais je ne cesse de le repeter, et je le redis encore une fois : le theoreme de Godel est un resultat mathematique qui s’enonce en termes mathematiques et utilise uniquement des methodes mathematiques pour sa preuve.

        Contrairement a ce que vous affirmez, ce n’est pas un hybride batard entre des notions mathematiques et metamathematiques que Godel aurait voulu cacher sous le tapis !

        Voici donc le sens mathematique precis de la phrase « une formule qui dit d’elle meme qu’elle n’est pas demontrable dans Peano » :

        c’est une fomule du premier ordre exprimee dans le langage de l’arithmetique de Peano qui est vraie dans le modele N des entiers naturels (encore une fois, ce n’est pas le seul modele de l’arithmetique de Peano, et ceci est aussi crucial pour comprendre le sujet. Une formule peut etre vraie dans un modele et pas dans un autre) si et seulement si elle n’est pas demontrable a partir des axiomes de Peano.

        Ceci est l’exacte signification mathematiques de la phrase ci dessus, et c’est celle a laquelle se refere Godel bien entendu.

        Je vais maintenant schematiquement expliciter les etapes pour parvenir a une formule qui dit qu’une AUTRE formule n’est pas demontrable. La fameuse formule qui dit d »ELLE MEME qu’elle n’est pas demontrable n’est qu’une variation un peu plus subtile de celle la, mais le principe est le meme.

        1- On part de l’ensemble Dem des couples d’entiers (a,b) tels que a est le code d’une formule close F et b est le code d’une demonstration de F. (demonstration au sens strict de la theorie de la demonstration, pas au sens intuitif et vague).

        2- on demontre que Dem est un ensemble recursif, ce qui exige un certain travail.

        3- on invoque un theoreme (qui exige pas mal de travail aussi) qui dit que tout sous ensemble recursif A de N^p (produit cartesien de N p fois) est representable par une formule du premier ordre du langage de l’arithmetique F(x1,…xp) dans le sens suivant :

        pour tout (a1,…,ap) dans N^p, et tout modele M de la theorie Peano, (a1,…,ap) appartient a A si et seulement si F(a1,…,ap) est vraie dans M.

        4- On applique ce theoreme a l’ensemble recursif A pour garantir l’existence d’une formule DEM(x,y) qui represente Dem. J’insiste sur le fait que cette formule n’est pas une illusion ni une entourloupe qui sort du chapeau : c’est une formule du premier ordre en bonne et due forme exprimee dans le langage de l’arithmetique.

        5- On part alors d’une formule close quelconque G, et on prend son code c qui est un entier.
        On construit la formule

        H = ~ 3 y DEM(c,y) ou ~ est le symbole de negation, et 3 est le symbole « il existe »

        C’est bien une formule car DEM en est une, et par definition de DEM et de Dem, elle est vraie dans N si et seulement si G n’est pas demontrable dans Peano.

        1. Avatar de BasicRabbit
          BasicRabbit

          Bonjour Druuh.

          Je crois qu’il n’y a pour le moment aucun espoir que PJ reçoive vos arguments concernant la preuve du premier théorème d’incomplétude de Gödel (version « Il existe un énoncé vrai dans N et cependant indémontrable dans Peano). La raison, que vous avez subodorée dès l’une de vos premières interventions à propos de ce théorème (1) en lisant les réponses de PJ est que celui-ci ne connaît pas la façon dont les logiciens formels conçoivent les rapports entre vérité et démontrabilité (façon dont j’ai découvert en lisant « Comment la vérité… » qu’elle diffère nettement de celle des épistémologues, philosophes des sciences et philosophes tout court) et que, par conséquent, PJ ne peut connaître « en suffisante profondeur » les théorèmes de complétude, théorèmes qui traitent de ce rapport en logique formelle mathématisée. Je pense que ce qui suit, extrait des pages 130-131 de « Comment la vérité… », dans une section intitulée « La linguistique d’Aristote » (donc pile-poil dans le sujet traité par JP Bentz) va corroborer votre impression première:

          « En fait, la distinction entre syntaxe, sémantique et logique nous est venue à ce point évidente que nous ne sommes même pas sûrs que leur séparation soulève quelque difficulté. Jusqu’à ce que, bien sûr, on rencontre cette séparation comme un obstacle insurmontable, par exemple en intelligence artificielle [tiens, tiens!]. Quoi de plus évident qu’affirmer, en effet, que la distinction entre fond, forme et véracité? Quoi de plus évident que d’affirmer que « Le chat sur est le tapis » est une faute de syntaxe, que « Le néanmoins est sur le tapis parce qu’il y fait chaud » est une faute de sémantique, et que « Le chat est sur le tapis parce que les chats sont des mammifères » est une faute de logique? Mais aussitôt ces distinctions opérées, la linguistique cesse d’être une, et elle se divise en trois (ou quatre) sous-disciplines irréductibles les unes aux autres, c’est-à-dire incommensurables, parce qu’il n’existe aucune articulation connue entre elles, et que si elles se partagent le domaine de la pensée discursive, c’est en étant parfaitement étanches les unes aux autres. Entre la syntaxe et la sémantique, il n’y a en effet rien, et entre la sémantique et la logique, il n’y a rien non plus. ».

          J’ai écrit plu haut « pour le moment » car je pense que PJ sera bien obligé de se plonger dans ces théorèmes (et principalement dans celui du calcul propositionnel) lorsqu’il abordera le problème P vs NP (ce qu’il dit avoir commencé à faire). À mon avis il faut attendre ce moment-là pour ré-intervenir.

          Bien à vous,
          BR.

          1: « Mr Jorion, le simple fait de m’avoir demandé dans le billet précédent des références à propos de « démontrable équivalent à vrai dans tous les modèles » montre votre méconnaissance totale de la logique mathématique, car ce résultat de base est bien connu de tous les étudiants du domaine en 2ème ou 3ème année d’université. Maintenant que vous savez cela, avez vous toujours un problème avec l’existence d’une formule « vraie dans N sans pour autant être démontrable dans Peano » ? » (Commentaire de Druuh du 18 Avril 2022 https://www.pauljorion.com/blog/2022/04/12/unilog-2022-godels-incompleteness-theorem-revisited-par-yu-li/comment-page-1/ )

          1. Avatar de Paul Jorion

            PJ […] celui-ci ne connaît pas la façon dont les logiciens formels conçoivent les rapports entre vérité et démontrabilité

            1° soit mon ignorance / ma stupidité est en effet insondable
            2° soit j’ai raison de répéter à la suite d’Aristote qu’il n’y a (au sein de notre culture blabalabla) que trois manières de renvoyer à la vérité comme

            a) évidence des sens
            b) définition conventionnelle (= axiome en maths)
            c) conclusion d’un syllogisme (= théorème en maths)

            et que quiconque laisse entendre (qu’il soit mathématicien, logicien ou barbier) qu’il existe un autre type de vérité tombé du ciel, importe en réalité comme un passager clandestin (stowaway) soit (a) une constatation empirique (b) une définition (c) la conclusion d’un syllogisme.

            P.S. Je vous accorde volontiers qu’il est plus économique d’affirmer inlassablement mon ignorance / ma stupidité que de réfuter mon argumentation.

            1. Avatar de Druhh
              Druhh

              Ici on ne parlait pas de vérité (nous pouvons en reparler cependant).

              Je souhaite savoir ce que vous pensez de la présentation que j’ai faite de la formule qui « dit » qu’une autre formule n’est pas démontrable.

              Sur les 5 points, y en a t il un ou plusieurs que vous n’acceptez pas ?

  5. Avatar de BasicRabbit
    BasicRabbit

    @JP Bentz

    Bonjour,

    Merci pour ce court article qui résume de façon claire et agréable à lire le problème philosophique fondamental posé par les théorèmes d’incomplétude de Gödel (problème formulé dans votre titre). J’aime beaucoup votre opposition analyse/synthèse -j’y reviendrai en fin de commentaire- et, d’une façon générale, toute forme d’opposition binaire (par exemple syntaxe/sémantique, signifiant/signifié, vérité/démontrabilité pour citer les premières oppositions qui me viennent à l’esprit en rapport avec les théorèmes d’incomplétude -et aussi de complétude- de Gödel).

    Après avoir remarqué -hors sujet!- que j’aurais parlé du deuxième principe de la thermodynamique plutôt que du premier et -remarque cette fois-ci anecdotique- que convaincre aurait été plus approprié que contraindre, je remarque -remarque cette fois-ci au cœur du sujet- que vous opposez la rigueur à la paresse, là où pour moi ce n’est pas de paresse qu’il s’agit mais d’intuition: nombreux parmi les non-spécialistes de la logique formelle mathématisée -et même peut-être aussi quelques uns parmi ceux-ci- sont en effet ceux qui ont l’intuition que quelque chose cloche dans l’idée même de la preuve que Gödel propose (puisqu’il dit dans l’introduction de son papier que le paradoxe du menteur y joue un rôle central).

    Que dit grosso modo le premier théorème d’incomplétude de Gödel? Pour beaucoup, dans le camp des intuitifs comme dans celui des rigoureux, Gödel produit une formule d’arithmétique explicite (mais pas explicitable!) qui est vraie dans le modèle standard de l’arithmétique (celui que tout le monde apprend à connaître dès le CP) mais indémontrable à partir des axiomes et règles de logique classique d’une part et des axiomes spécifiques à l’arithmétique de Peano du premier ordre d’autre part. Mais si on lit attentivement le papier de Gödel on s’aperçoit que ce n’est pas ça qu’il énonce et démontre, c’est que ni la formule qu’il exhibe ni sa négation ne sont démontrables à partir de ces règles et axiomes. J’ai parcouru rapidement les résumés concernant ce théorème trouvés sur votre site internet et j’ai constaté que vous y parlez de l’énoncé original: un bon point de ma part pour vous!

    J’en profite pour faire à ce propos quelques remarques sur l’article de Gödel. Tout d’abord il rompt avec la coutume du milieu mathématique d’énoncer clairement le théorème à démontrer: ce que l’on appelle maintenant théorèmes d’incomplétude de Gödel est camouflé dans une dizaine de propositions (l’énoncé de la proposition VI étant pour moi la plus proche de l’énoncé du premier théorème d’incomplétude, et celui de la XI du second). D’autre part Gödel fait clairement tout son possible pour ne pas utiliser les mots vrai, vérité, etc. (il utilise -dans la traduction anglaise dont je n’imagine pas qu’elle ait pu être publiée sans son accord- des vocables incongrus comme « good » et « correct » là où on aurait attendu simplement « true »). Je pense que c’est parce que Gödel tient absolument à proposer une preuve purement syntaxique de ses théorèmes, sans doute -de mon point de vue- pour une raison qu’il indique dans un brouillon de lettre que Paul Jorion cite dans « Comment la vérité… » (p.298): « En raison des préjugés philosophiques de l’époque […] le concept d’une vérité mathématique […] était reçu avec la plus grande suspicion et le plus souvent rejeté comme sans signification. ».

    Personnellement je pense que non seulement la logique formelle analytique mais aussi la philosophique analytique -dont Wikipédia dit qu’elle prospère surtout dans les milieux anglo-saxons…- ont fait leur temps (dans les Principia de Russell et Whitehead la démonstration en arithmétique de Peano de 2+2=2×2 (ou une autre évidence de ce niveau) occupe une page entière!), et je pense que si cette logique fonde quelque chose en mathématique, c’est une toute petite partie de celle -ci.

    La lecture de votre papier a eu sur moi pour effet bénéfique -dont je vous remercie- de faire parvenir à ma conscience que deux pages nouvelles pratiquement vierges s’offrent à nous: celle de la logique formelle synthétique et celle de la philosophie synthétique. (Pour filer -comme vous…- la métaphore (je paraphrase ici de Gaulle), les analystes on en trouve (actuellement beaucoup!), les synthétistes on en cherche!)

    À quoi pourrait ressembler la logique synthétique? La réponse est pour moi très simple: à la logique inductive puisque la logique analytique est une logique déductive. Paul Jorion parle de cette logique dans son bouquin, en particulier à la page 99 où il cite longuement Aristote à ce sujet. Quel rapport avec la logique analytico-déductive? Il est pour moi très simple -et indiqué par Aristote- et se résume au renversement du sens des flèches (cf. le « invertible » de p.99): en logique analytique P->Q se lit: si P est vrai alors Q est certainement vrai (Q est conséquence certaine de P), en logique synthétique P<-Q se lit: si P est vrai alors Q est possiblement vrai (autrement dit P est seulement possiblement un signe, un indice, de Q). Le fait "sémantique" de la contingence introduite par le "possible" suggère aux intuitifs que la rigueur n'a rien à voir là-dedans. Mais le fait "syntaxique" qu'il n'est formellement question d'un renversement des flèches suggère au contraire qu'une certaine rigueur a son mot à dire. Pour résumer ça nettement : peut-être y a-t-il un théorème de complétude à formuler (liste de règles d'induction…) et démontrer en logique inductive?

    Les lectures de "Principe des systèmes intelligents" et de "Comment la vérité et la réalité furent inventées" montrent -selon moi- une nette préférence de Paul Jorion pour cette logique inductive (et une nette répulsion pour la logique déductive, le chapitre consacré à Gödel en témoignant vigoureusement). C'est aussi le cas de mon gourou Thom comme on le constate dès les premières pages de "Esquisse d'une sémiophysique", en particulier la p.16 (1) et surtout les pages 22-24 dans la section "Formalisation des prégnances subjectives" (au titre suggestif!), et comme on le constate dans l'une des formules à l'emporte-pièce dont il a le secret: "Tout ce qui est rigoureux est insignifiant.". Je n'ai toujours pas compris pourquoi PJ ne suit pas complètement la voie que Thom y ouvre (bien qu'il la suive un peu, comme il l'indique en remarque de bas de page du chapitre IV de PSI).

    Bien à vous,
    BR.

    1: "Le problème important -en matière de philosophie du langage- n'est pas celui de la vérité -affaire d'accident, Sumbebèkos dirait Aristote, mais bien celui de l'acceptabilité sémantique, qui définit le monde des "possibles", lequel contient le sous-ensemble (éminemment variable) du réel.".

    1. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      (suite) Je commente votre: « Par exemple, la conviction, qui est la mienne et selon laquelle le principe de causalité s’applique aussi au langage et notamment aux mathématiques (en interdisant au moins qu’une assertion auto-référente conserve systématiquement son sens et a fortiori sa valeur de vérité lors d’un transcodage) ne fait l’objet d’aucune démonstration ni d’aucune sorte de reconnaissance par la communauté scientifique. ».

      Je ne suis pas d’accord avec ça en ce qui concerne le codage fait par Gödel. Pour moi l’analogie/métaphore qui illustre ma position est celle d’un téléphone portable qui prend une photo, la numérise, transmet ce codage numérique à un autre portable idéalement jumeau qui restitue exactement la photo prise par le portable initial. Car le codage numérique de Gödel est complètement syntaxique (et idéalement mécanisable), il n’y a aucune interprétation des symboles dans tout ça (je pense avoir suffisamment lu sur ce sujet pour être complètement convaincu de ce que j’avance). Mon analogie « syntaxique » diffère donc complètement de l’analogie syntaxico-sémantique de JP Bentz, dont la traduction français-anglais de la phrase qu’il propose est syntaxiquement correcte mais change de sens selon qu’on l’interprète en français ou en anglais.

  6. Avatar de BasicRabbit
    BasicRabbit

    (suite) J’ai écrit précédemment que, pour moi, si la logique déductive formelle fonde quelque chose en mathématique, c’est une toute petite partie de celle -ci. Ce n’est évidemment pas le cas de l’informatique théorique car les liens entre preuve et programme me semblent très profonds (je dis « me semble » car je ne suis pas du tout spécialiste du sujet -et vraiment intéressé par lui, je dirai plus loin pourquoi), aussi profonds que les liens entre structure et fonction. Ces liens sont connus sous l’appellation de correspondance de Curry-Howard dont Wikipédia dit ceci (article « Théorie de la démonstration »):

    « Après une période de calme [entre les années 1930 et 1950], qui a tout de même permis d’établir un certain nombre d’autres résultats de cohérence relative et d’esquisser une classification des théories axiomatiques, la théorie de la démonstration a connu une renaissance spectaculaire au cours des années 1960 avec la découverte de la correspondance de Curry-Howard qui a exhibé un lien structurel nouveau et profond entre logique et informatique : essentiellement, la procédure d’élimination des coupures définie par Gentzen peut être vue comme un processus de calcul, si bien que les démonstrations formelles deviennent alors des programmes dont le type est la proposition à démontrer. ».

    Dès le début (p.117-18) de « Comment la vérité… » PJ écrit quelque chose dont il semble convaincu (mais pas moi, je dirai juste après pourquoi):

    « La philosophie a sans doute atteint aujourd’hui les limites de ce qu’il reviendrait à l’introspection de comprendre sur la pensée humaine, et la psychologie expérimentale a épuisé en deux siècles les potentialités de son apport à la compréhension. Le nouvel outil dont nous disposons pour explorer le mécanisme de la pensée est l’ordinateur. Non parce que la machine ressemblerait nécessairement au cerveau humain dans son architecture (anatomie) ou dans son fonctionnement (physiologie), mais parce que l’ordinateur possède, grâce à sa calculabilité, la capacité de simuler, par l’application d’un algorithme, tout processus d’engendrement de séquences symboliques, dont la pensée humaine est nécessairement l’un des exemplaires -du moins si l’on écarte, comme je le fais ici, la supposition d’une composante surnaturelle dans son fonctionnement. ».

    Mon gourou Thom m’a convaincu que le calcul ne suffisait pas à engendrer toutes les séquences symboliques. Deux citations parmi beaucoup d’autres à ce propos, qu’ll faut évidemment replacer dans leur contexte (ce qui nécessite de se plonger dans l’œuvre de mon gourou):

    1- « L’homme en éveil ne peut, comme le nourrisson de neuf mois, passer son temps à saisir les objets pour les mettre en bouche. Aussi va-til « penser » c’est-à-dire saisir des êtres intermédiaires entre les objets extérieurs et les formes génétiques: les concepts. »;

    2- « (…) notre modèle offre d’intéressantes perspectives sur le psychisme, et sur le mécanisme lui-même de la connaissance. En effet, de notre point de vue, notre vie psychique n’est rien d’autre qu’une suite de catastrophes entre attracteurs de la dynamique constituée des activités stationnaires de nos neurones. La dynamique intrinsèque de notre pensée n’est donc pas fondamentalement différente de la dynamique agissant sur le monde extérieur. On s’expliquera ainsi que des structures simulatrices des forces extérieures puissent par couplage se constituer à l’intérieur même de notre esprit, ce qui est précisément le fait de la connaissance. ».

    J’ai aussi conjecturé l’existence d’un théorème de complétude en logique inductive. Je développe un peu. Comment penser le vrai? Réponse: on se place en logique déductive et on scinde le vrai en deux grâce à un concept A tel que A ou non A soit vrai (tiers exclu). En faisant la même chose pour des concepts (hélas supposés complètement indépendants les uns des autre -hélas parce que ça n’est jamais réalisé en pratique, A, B, C, etc. on scinde le vrai en les tautologies du calcul propositionnel déductif, apprenant ainsi un tout petit « quelque chose » sur le vrai. maintenant que se passe-t-il en logique synthétique? Comment synthétiser A et non-A? La réponse est dans la question: par la proposition A et non-A. autrement dit en logique synthétique la proposition « A et non-A » doit toujours être vraie (tautologie inductive, ici axiome du tiers inclus), ce qui suggère aussitôt: les axiomes et tautologies de la logique inductive sont exactement les négations de ceux de la logique déductive. s’il en va de même pour les règles de déduction on conçoit qu’il y a un espoir d’énoncer et de prouver un théorème de complétude en logique inductive.

    PJ annonce depuis un certain temps qu’il se lance (avec Yu Li) dans l’étude du problème (à un million de dollars!) P vs NP. Il est connu (pas de moi!) que la logique propositionnelle déductive est centrale pour ce problème (le problème SAT est considéré comme NP-complet). Peut-être que les lignes ci-dessus sont imbéciles ou délirantes, peut-être pas. Le seul moyen de le savoir est de jouer avec cette logique propositionnelle inductive, et jouer est la spécialité des mathématiciens -qui, de part le monde, sont même payés pour ça par la collectivité!-. Le problème est de savoir si ce jeu-ci en vaut la chandelle, c’est-à-dire si c’est un jeu insignifiant ou un jeu signifiant.

    Thom: « En permettant la construction de structures mentales qui simulent de plus en plus exactement les structures et les forces du monde extérieur -ainsi que la structure même de l’esprit, l’activité mathématique se place dans le droit fil de l’évolution. C’est le jeu signifiant par excellence, par lequel l’homme se délivre des servitudes biologiques qui pèsent sur son langage et sa pensée et s’assure les meilleures chances de survie pour l’humanité. ».

    Remarque finale. J’ai trouvé tout récemment sur la toile une preuve qui m’a beaucoup plu du théorème de complétude en logique propositionnelle déductive: https://www.qwant.com/?t=videos&q=th%C3%A9or%C3%A8me+de+compl%C3%A9tude&o=0%3ADkYvJrHW4mk

  7. Avatar de Druhh
    Druhh

    @BasicRabbit : « Gödel produit une formule d’arithmétique explicite (mais pas explicitable!) qui est vraie dans le modèle standard de l’arithmétique (celui que tout le monde apprend à connaître dès le CP) mais indémontrable à partir des axiomes et règles de logique classique d’une part et des axiomes spécifiques à l’arithmétique de Peano du premier ordre d’autre part. Mais si on lit attentivement le papier de Gödel on s’aperçoit que ce n’est pas ça qu’il énonce et démontre, c’est que ni la formule qu’il exhibe ni sa négation ne sont démontrables à partir de ces règles et axiomes »

    Cela revient au même, car si cette formule est non demontrable cela signifie que sa negation est vraie dans un modele, et comme elle est par ailleurs vrai dans N, elle n’est donc ni demontrable ni réfutable.

    1. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      @Druhh.

      Bien entendu. Mais ce que je veux signaler c’est qu’il s’agit alors d’une démonstration syntaxico-sémantique (en ce sens qu’elle utilise à la fois des concepts syntaxiques -les preuves- et des concepts sémantiques -la vérité dans certains modèles de Peano, dont le modèle standard N, via le théorème de complétude de Gödel-; en fait un théorème de complétude plus fin -mais plus restrictif- suffit, où la sémantique n’intervient que dans le modèle standard N).

      Je pense que Gödel a fourni dans son papier une preuve exclusivement syntaxique de son théorème: je n’ai en tout cas pas trouvé trace dans son papier de l’utilisation de son théorème de complétude ou même de l’emploi des mots « true » ou « truth ».

  8. Avatar de BasicRabbit
    BasicRabbit

    @Druuh: « Cela revient au même… ».

    Non, pas tout-à-fait. En utilisant le théorème de complétude (de Gödel…) on obtient bien une preuve du théorème d’incomplétude version Gödel comme conséquence de celui que vous donnez. Mais je suis convaincu que Gödel donne une preuve purement syntaxique de son théorème. J’en veux pour « preuve » qu’il n’invoque pas son propre théorème de complétude dans son papier et qu’il n’utilise même pas les mots « true » ou truth ».

  9. Avatar de Yu LI
    Yu LI

    « Il me semble que la démonstration du théorème d’incomplétude se distingue par une caractéristique tout à fait unique, à savoir celle de faire intervenir des phénomènes linguistiques et sémantiques trop peu étudiés et encore très mal élucidés et compris à ce jour. »

    Je suis d’accord. La démonstration du théorème d’incomplétude est la réponse au Entscheidungsproblem proposé par Hilbert.

    Church l’exprime ainsi :
    By the Entscheidungsproblem of a system of symbolic logic is here understood the problem to find an effective method by which, given any expression Q in the notation of the system, it can be determined whether or not Q is provable in the system。

    Ainsi, des sujets philosophiques tels que « l’existence et la non-existence » ont pénétré dans le domaine de la logique formelle et dépasse sa limite, à savoir celle de faire intervenir des phénomènes linguistiques et sémantiques.

  10. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    Si je pose, en accord avec l’évolution chronologique du vivant sur Terre, que le langage est le support des mathématiques au même titre que la pensée en générale et non l’inverse, que les mathématiques, grâce à la puissance de l’Humanité auraient réussi à placer les mathématiques à la source du langage, ce dernier est soumis au principe de l’évolution dont héritent les mathématiques.
    La proposition inverse, soit que les mathématiques sont à la source du langage, implique un monde déterministe, axiomatiques au sens mathématique.
    Pour ma part, je postule que l’évolution est un principe de vérité plus fort que tous ceux que l’Humanité ne pourra jamais inventer, et logiquement je me place humblement comme Paul à demander aux mathématiciens de compléter/affiner/modifier les trois définitions de la vérité d’Aristote avec l’ensemble de la communauté scientifique qui l’utilise comme socle de la méthode qui fait progresser le savoir.
    L’évolution est inscrite dans l’histoire géologique de la Terre, dans la naissance et la mort des corps célestes. Le Big Bang est une autre histoire qui ressemble beaucoup au réductionnisme mathématique qui le caractérise et fait sa force.

    1. Avatar de Paul Jorion

      je me place humblement comme Paul à demander aux mathématiciens de compléter/affiner/modifier les trois définitions de la vérité d’Aristote avec l’ensemble de la communauté scientifique qui l’utilise comme socle de la méthode qui fait progresser le savoir.

      👍

      1. Avatar de Julio
        Julio

        Faut bien comprendre que les mathematiciens n’inventent rien , ils découvrent des choses qui existent de toute eternité , vous saisissez la nuance ?

        1. Avatar de Paul Jorion

          starry-eyed
          /ˌstɑːrɪˈʌɪd/
          adjective
          naively enthusiastic or idealistic.
          « starry-eyed romantics »

        2. Avatar de un lecteur
          un lecteur

          Tout est dans les structures et rien dans le mouvement.
          Tout est mort de toute éternité, la vie est une fiction dont le chaos masque les structures à la source des variations.
          Les physiciens, grand consommateur de mathématique, sont des imbéciles qui confondent le temps avec un paramètre déterministe.
          L’Histoire est une équation.
          Alaouia !

          1. Avatar de un lecteur
            un lecteur

            Le paradoxe, c’est bien évidemment que les mathématiciens sont des explorateurs morts dans un univers mort est immuable..
            Mais alors, comment font-ils pour faire des découvertes. Mais c’est bien sûr, ce sont des zombies habiter par la mort qui les fait bouger comme des automates.

      2. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @PJ.

        Devant votre insistance (ad nauseam?) « à demander aux mathématiciens de compléter/affiner/modifier les trois définitions de la vérité d’Aristote avec l’ensemble de la communauté scientifique qui l’utilise comme socle de la méthode qui fait progresser le savoir », ce qui suit est une réponse sur le mode « Il n’y a pas que l’organon aristotélicien dans la vie », réponse où je me concentre sur la linguistique (qui est le sujet de l’article de JP Bentz).

        Dans « Comment la vérité… » vous consacrez une partie du chapitre « Le miracle grec » à la linguistique aristotélicienne (p.128-139) dans une section au titre quasi éponyme (« La linguistique d’Aristote ») où vous défendez l’idée qu’elle est « une théorie du langage plus adéquate à son sujet que l’ensemble des théories linguistiques qui furent développés depuis lors », et vous développez la section selon trois directions, en abandonnant rapidement la première (« Le premier point ne me retiendra pas d’avantage »). Or, parmi la vingtaine de lignes consacrées à ce premier point, la dernière phrase parle de mon gourou:

        « Il faut aussi, comme le montre l’exemple de René Thom à propos de la physique, que les descendances des sciences aient d’une certaine manière échoué dans leurs objectifs pour que l’on réexamine la manière dont Aristote avait abordé ces questions et que l’on y redécouvre une approche différente, restée, pour sa grande part, inexploitée. ». Et PJ de renvoyer, en une note de bas de page, à Esquisse d’une sémiophysique. Physique aristotélicienne et théorie des catastrophes, 1988.

        Et là, puisque le dernier chapitre de ES est consacré aux perspectives aristotéliciennes en théorie du langage, je me suis dit alors que vous alliez exploiter cette approche différente de la linguistique dont vous parlez en mettant en valeur l’approche thomienne,. J’ai dû déchanter p.135: pour vous les idées d’Aristote sur la linguistique sont contenues dans l’organon aristotélicien et nulle part ailleurs. C’est pour moi d’autant plus étonnant pour moi que les mathématiques sont pour vous une physique virtuelle (1) et que le fait qu’un mathématicien de formation comme Thom s’intéresse à la physique aristotélicienne indique qu’il a peut-être sur ce sujet les mêmes idées que vous (Thom se réclame de la philosophie naturelle);

        Avant de continuer il faut que je fasse une pose à l’attention du lecteur amusé -voire intéressé- par ce commentaire. Si je m’intéresse votre pensée c’est essentiellement parce que vous êtes d’un rares « sciences molles » -avec l’anthropologue Lucien Scubla- à s’intéresser -à ma connaissance- à la pensée thomienne non exclusivement mathématique, c’est-à-dire à sa théorie des catastrophes et, plus généralement à sa pensée philosophique. C’est pour ça que j’ai été pendant environ 5 ans sur ce blog, où vous m’avez traité de mystique, de troll inoffensif, etc., ce qui m’a conduit à le quitter, pour y revenir depuis quelques mois, initialement essentiellement pour les questions qui concernent les mathématiques (théorèmes de Gödel, problème P vs NP), et maintenant essentiellement pour échanger avec une pensée chinoise (celle de Yu Li) qui s’intéresse aux mêmes problèmes.

        Thom ne cache pas son admiration pour Aristote (2) et lui reproche seulement de ne pas être platonicien (3). Quand j’ai lu p.53 que vous avez personnellement constaté que les populations Xwéda regroupaient les phénomènes naturels en catégories reproduisant les sept catastrophes thomiennes, j’en ai déduit que ceux-ci étaient inconsciemment platoniciens et qu’à cette occasion vous l’étiez peut-être également un peu devenu. Il semble que ce n’est jusqu’à présent pas le cas.

        Mon gourou termine ainsi sa conclusion de ES:

        « La Science moderne a eu tort de renoncer à toute ontologie en ramenant tout critère de vérité au succès pragmatique. Certes, le succès pragmatique est une source de prégnance, donc de signification. mais il s’agit alors d’un sens immédiat, purement local. Le pragmatisme -en ce sens- n’est que la forme conceptualisée d’un certain retour à l’animalité. Le positivisme a vécu de la peur de l’engagement ontologique. Mais si on reconnaît aux autres l’existence, qu’on accepte de discuter avec eux, on s’engage ontologiquement. Pourquoi alors ne pas accepter les entités que nous suggère le langage? Quitte à contrôler les hypostases abusives, c’est là la seule manière d’apporter au monde une certaine intelligibilité. Seule une métaphysique réaliste peut donner du sens au monde. » (ES p.225)

        Si vous reconnaissiez aux autres l’existence, et si vous acceptiez de discuter avec eux, je pense que votre blog ne s’en porterait pas plus mal. Ceci dit je conçois tout-à-fait que vous n’ayez pas envie de discuter avec moi parce que vous considérez que je n’ai pas le niveau pour ça (ou toute autre raison). Mais vous mesurer à Thom dans une perspective de synthèse sous l’égide d’Aristote comme esquissé plus haut et comme vous le suggérez (5)? Dans cette hypothèse il me semble difficile de dire que mon gourou n’a pas au moins votre niveau.

        1: Cf. « Comment la vérité… » p.11 et toute la section concernant le calcul différentiel (p.342 à 346).

        2: « Les Livres II et III de la Physique d’Aristote constituent à mes yeux l’un des sommets de l’esprit humain. ».

        3: « Enfin, last not least, Aristote évoque la présence, par analogie [avec la construction d’une maison], de l’idée abstraite d’architecture dans la construction et la programmation des organogénèses. On voit ici ce qu’il y a de contradictoire avec la philosophie fondamentalement matérialiste d’Aristote: les Idées platoniciennes n’existent pas, mais il faut bien quelque chose comme une Idée pour diriger tout cet ensemble. » (ES, p.167)

        4: Gödel : «La position platonicienne est la seule qui soit tenable. Par là, j’entends la position selon laquelle les mathématiques décrivent une réalité non sensible qui existe indépendamment aussi bien des actes que des
        dispositions de l’esprit humain et qui est seulement perçue de façon très incomplète par l’esprit humain.» (Collected Works, 1951, t III, p 323.)

        5: Cf. « Comment la vérité… », p. 192: « Ce n’est pas tellement donc que, comme le dit René Thom, « la physique est une magie contrôlée par la géométrie », mais que « la physique est une religion contrôlée par les mots ». ».

        1. Avatar de BasicRabbit
          BasicRabbit

          Des fautes d’orthographe, j’en fais de plus en plus, je mets ça sur le compte de l’âge car dans ma jeunesse je n’étais pas trop mauvais dans l’exercice, à une époque où le tarif était: cinq fautes zéro (je suis quasi exactement contemporain de PJ). Je relève l’une de celles faites ci-dessus (« pose » au lieu de « pause ») parce que je ne considère pas qu’elle est due à mon assez grand âge mais plutôt à une mode récente (qui m’horripile) de prononcer « o » quand il s’agit « au » ou « ô ». Comme l’écrit mon gourou (cf. ma réponse au commentaire de Yu) nos langues occidentales sont alphabétiques ou syllabiques car ce sont des traductions de langues parlées, si bien qu’il est logique que l’étymologie se perde et qu’on retourne alors aux sources: ça s’écrit comme ça se prononce…

    2. Avatar de Lagarde Georges
      Lagarde Georges

      Le langage de la vie courante est forcément ambiguë parce que s’il fallait éliminer toute trace d’ambiguïté à chaque fois qu’on désire dire quelque chose on ne s’en sortirait jamais (dans le cas présent il me faudrait expliciter ce que j’entends par « langage habituel », « forcément », « ambiguïté » sans jamais y parvenir entièrement.)

      Le langage utilisé en mathématique doit lui être dépourvu de toute ambiguïté. Le fait qu’on y utilise souvent des mots du langage ordinaire peut dissimuler cette nécessité, de même que le fait qu’en règle générale les profs de math négligent de l’expliquer à leurs élèves.

      @Julio – Je dirais au contraire que les mathématiciens inventent des mondes parfaits et de ce fait parfaitement imaginaires. L’avantage est qu’une fois transposées dans ces mondes parfaits des choses qui étaient bien trop compliquées pour être compréhensibles y apparaissent comme par miracle beaucoup plus simples. C’est la raison pour laquelle, quand on arrive à maîtriser l’écart entre la théorie et la pratique, les maths s’avèrent si souvent utiles dans le monde réel.

      1. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @Lagarde Georges

        Tout-à-fait d’accord avec vos deux premiers paragraphes (1): le juge de paix, en science en général et en mathématiques (considérée comme science dure parmi les sciences dures) en particulier, est le langage naturel, ça ne fait aucun doute pour moi (2). Puisque la science prétend à l’universalité cela pose un problème: une langue vernaculaire comme le français ou le chinois peut-elle prétendre à l’universalité? Non, il est au contraire pour moi très clair que la science ne peut tendre à l’universalité que conjointement avec l’existence d’une langue véhiculaire universelle (dont le globish tient lieu actuellement).

        Mon gourou parle de ça entre autres dans un article intitulé « Rôle et limite de la mathématisation en science » que l’on trouve dans son « Apologie du logos (1990). Extraits:

        – « La part de langue naturelle que contient le langage mathématique semble bien de portée universelle, aussi universelle que la mathématique elle-même. »;

        –  » L’emploi du langage naturel en science soulève un problème redoutable: dans quelle mesure les concepts associés au mots du langage naturel ont-ils une portée universelle et sont-ils, de ce fait, susceptibles de scientificité? (…) Si l’on veut que la prétention de la science à l’université et à l’intemporalité (fut-elle relative) ne soit pas vaine, il est nécessaire que ses concepts puissent être définis et traduisibles dans toutes les langues du monde. »; (Dans cette citation on retrouve pour la science en général et les mathématiques en particulier le problème de la traduction évoqué dans l’article, de JP Bentz.);

        – « Le problème de la scientificité du concept ne semble avoir reçu aucune solution satisfaisante. »;

        – « Une réponse partielle est fournie par la mathématisation et la formalisation: dans la mesure où la déduction théorique peut s’effectuer formellement, c’est-à-dire par comparaison locale avec des formes types prises comme axiomes, alors la déduction a une validité universelle. ».

        1: pas le dernier, grâce/à cause de mon gourou Thom qui est platonicien, lamarckien (et j’en passe…).

        2: même quand l’article scientifique est signé par Gödel…

  11. Avatar de Druhh
    Druhh

    Mr Jorion, je regrette de ne pas voir eu de retour sur mon commentaire du 8 septembre a 12h30 car c’etait au coeur du sujet. C’est un peu désobligeant je dois dire, car vous semblez refuser le débat dès que l’on rentre dans les détails. Si vous me considérez comme une personne hostile à votre égard dont il faut se méfier car elle pourrait vous tendre un piège, vous vous trompez.

    Je tente avec un autre aspect du débat, celui de la vérité.

    J’entends vos remarques concernant les 3 catégories d’Aristote qui recouvrent tous les cas possibles de propositions vraies.

    Prenons l’exemple de l’axiome des parallèles d’Euclide. La question de savoir si il peut etre déduit des autres axiomes d’Euclide a hanté les mathématiciens pendant de nombreux siècles, jusqu’au 19eme siècle ou l’on s’est apperçu qu’il n’est ni démontrable, ni réfutable à partir des autres axiomes.

    Question : comment faites vous rentrer dans les 3 catégories d’Aristote un énoncé comme celui là, qui n’est ni démontrable ni réfutable ?

    Même question pour sa négation ?

    Si vous me dites que ni cet énoncé, ni sa négation n’est vraie au sens d’Aristote, n’y a t il pas un problème ?

    Et ne me dites pas qu’il rentre dans la catégorie « évidence des sens », car justement on peut facilement exhiber un espace très concret qui vérifie tous les autres axiomes d’Euclide, et dans lequel il est faux.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Vous connaissez le sens de l’expression « ad nauseam » ?

  12. Avatar de Druuh
    Druuh

    Tres bien.

    Que tout le monde soit temoin ici que vous ne souhaitez en aucun cas discuter honnetement de vos positions sur le sujet.

    Vous ne faites que citer de longs passages de vos livres et vous referer a de soit disants gens tres intelligents qui ont ecrit des livres entiers pour dezinguer le theoreme de Godel (je remarque qu’auncun d’entre eux n’est ou ne fut mathematicien au passage).

    Vous dites a BasicRabbit qu’il est plus economique de vous faire passer pour stupide que de refuter votre argumentation. Je m’efforce de ne pas vous invectiver et de refuter honnetement votre argumentation point par point en restant cordial et poli : je vous montre comment on obtient une formule qui parle d’elle meme, je vous donne un exemple d’enonce pour lequel il n’est pas clair que la categorisation d’Aristote fonctionne.

    Et au lieu d’en profiter pour plonger dans ce debat passionnant, vous dites « au revoir » sans que l’on comprenne pourquoi.

    1. Avatar de Paul Jorion

      J’ai dit ce que j’avais à dire sur la (non-)démonstration par Gödel de son théorème d’incomplétude de l’arithmétique dans les années 1997 à 2000. J’ai rassemblé mon argumentation dans Comment la vérité et la réalité furent inventées (Gallimard 2009). Il y a deux ans, Yu Li m’a contacté pour me demander de m’associer à ses recherches sur P vs NP. À cette occasion, elle s’est intéressée à ce que j’avais dit à propos de Gödel et a voulu reconstituer pas à pas sa démonstration. Cette année, dans une communication intitulée « What makes a demonstration worthy of the name? », j’ai synthétisé en anglais mes vues à ce sujet.

      Vous répétez que vous n’y comprenez strictement rien. Je vous ai répondu à plusieurs reprises sans vous convaincre. Quand j’écris « ad nauseam » je veux dire qu’arrivé à ce stade, votre déclaration que vous n’y comprenez strictement rien me semble dire davantage sur vous que sur moi.

      1. Avatar de Druhh
        Druhh

        Debat définitivement clos en ce qui me concerne. Vous êtes totalement désespérant.

  13. Avatar de Yu LI
    Yu LI

    Aujourd’hui c’est la fête chinoise de la lune, traditionnellement célébrée le 15e jour du 8e mois du calendrier lunaire. 

    Les Chinois considèrent que la pleine lune symbolise la paix, la complétude, et l’union, ce qui fait de la fête de la lune une fête de l’union. 

    Je partage un poème de Su Shi (苏轼 1037-1101) , un célèbre poète de la dynastie Song «J’interroge la lune» :

    On se réunit dans la joie et on se quitte dans la peine
    La lune croît et décroît, voilée et pleine
    Rien ne s’accomplit jamais dans ce monde
    Nous aspirons à une existence éternelle 
    et quelque soit la distance, nous pourrons partager sa beauté.

    Texte d’origine :
    《水调歌头 • 明月几时有》 – 苏轼
    人有悲欢离合,
    月有阴晴圆缺,
    此事古难全。
    但愿人长久,千里共婵娟。

    1. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      Bonjour Yu,

      Très beau poème en effet (à mon goût). Mais comment est traduit ici l’idéogramme 人? Je te pose la question parce que mon gourou écrit ceci en appendice de Stabilité Structurelle et Morphogenèse (dont tu m’as dit qu’il était traduit en chinois):

      « Le signe 人 est un ancien dactylogramme chinois qui signifie entrer, pénétrer, et où il faut sans doute voir une stylisation de l’ombilic elliptique. On ne peut à cet égard qu’admirer l’adéquation du système chinois d’écriture. L’influence dominante de la langue parlée a entraîné, en Occident, une codification syllabique ou alphabétique; le signifiant l’a brutalement emporté sur le signifié. ».

      J’ai envie de commenter la dernière phrase en disant que c’est peut-être en rapport avec le fait que l’Occident s’est inventé la réalité dont parle PJ dans « Comment la vérité… ». Et si la démonstration de Gödel (où je vois une volonté de l’auteur que le syntaxique l’emporte sur le sémantique en l’annihilant) était aussi en rapport avec ça?

      Bien à toi,
      BR.

      1: j’aime la complétude au milieu de

      1. Avatar de Yu LI
        Yu LI

        人 (l’être humain) et 入 (entrer, pénétrer) sont deux caractères différents, et les images de ces deux caractères voir : https://coeur-et-esprit.blogspot.com/2022/09/letre-humain-et-entrer-penetrer.html.

        1, 人 (l’être humain)

        Le caractère symbolise un homme débout.

        L’être humain, la plus précieuse des natures du ciel et de la terre. – Shuowen Jiezi [1]
        人,天地之性最贵者也。- 说文解字

        L’être humain est la vertu du ciel et de la terre, la rencontre du yin et du yang, la rencontre des fantômes et des dieux, et la beauté des cinq éléments. – Classique des rites [2]
        人者,天地之德,阴阳之交,鬼神之会,五行之秀气也。- 《礼·礼运》

        2, 入 (entrer, pénétrer)

        Le caractère symbolise le passage du haut vers le bas. A l’intérieur. – Shuowen Jiezi [1]
        内也。象从上俱下也。- 说文解字

        [1] Shuowen Jiezi (说文解字) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Shuowen_Jiezi
        [2] Classique des rites (礼·礼运): https://fr.wikipedia.org/wiki/Classique_des_rites

        1. Avatar de BasicRabbit
          BasicRabbit

          Merci Yu. Précieuse réponse qui va à l’encontre de ce qu’écrit Thom! Et c’est bien entendu toi que je crois sur ce sujet. Ceci dit Thom associe à ses sept catastrophes élémentaires des formes d’êtres de plus en plus complexes, la moins complexe étant associée à la fonction « parabole » x->x² qui est l’être le plus simple mais aussi le plus stable, et que Thom associe au fameux axiome(?)de Spinoza: « L’être d’un être est de persévérer dans son être ». Thom associe (je dirais plutôt associait car, à partir de 1977 il n’associe que des verbes à ses catastrophes élémentaires) à l’ombilic elliptique l’aiguille, la pique, le poil, ce qui fait que l’être qu’il associerait serait très certainement masculin.

  14. Avatar de En-Passant
    En-Passant

    A lire cette discussion souvent intéressante, on ne peut que penser que les non mathématiciens font dire au théorème de Godel bien plus qu’il veut en dire. oubliant que celui-ci se développe dans le cadre très étroit de la logique formelle du premier ordre et des axiomes de Péano..
    Comme disait amèrement Régis Debray après un tentative de dialogue avec Bricmont : « Chacun regagnera sa galaxie ».

    1. Avatar de Druhh
      Druhh

      C’est ce que je m’efforce en vain de faire comprendre sur ce blog depuis fort longtemps… mais je prêche dans le désert…

    2. Avatar de Yu LI
      Yu LI

      Bien que le théorème d’incomplétude de Godel se développe dans le cadre très étroit de la logique formelle du premier ordre et des axiomes de Péano, le contexte de ce théorème implique des sujets qui dépassent ce cadre, tels que le sujet comme l’essence de la logique formelle, l’ « existence » etc., ce qui explique pourquoi il a suscité une si grande attention.

    3. Avatar de Paul Jorion

      De même que l’argent doit fonctionner partout de la même manière dans un même système économique, des notions comme « vérité » et « preuve » doivent fonctionner de la même manière au sein de toute l’entreprise scientifique.

      « Oui mais quand Trucmuche parle de « vérité » dans la sous-théorie de la fibulation, il veut dire ‘coloquintes jaunes à rayures vertes’ … » NON !

      1. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @PJ: « De même que l’argent doit fonctionner partout de la même manière dans un même système économique, des notions comme « vérité » et « preuve » doivent fonctionner de la même manière au sein de toute l’entreprise scientifique. ».

        Votre « théorème » me semble très aristotélicien si je me réfère à ce que vous écrivez (« Comment la vérité… », p.135) au sujet des rapports entre syntaxe et sémantique, en totale contradiction avec les approches modernes de ces rapports : « Entre la syntaxe et la sémantique, il n’y a en effet rien… » (p.130). Comment vous situez-vous alors par rapport aux théorèmes de complétude (Bernays pour le calcul propositionnel, Gödel pour le calcul des prédicats), théorèmes dont les spécialistes du sujet considèrent qu’ils règlent les rapports entre syntaxe et sémantique? Vous allez nécessairement vous heurter à cette question lorsque vous allez vous attaquer au problème P vs NP puisque le problème de la décision en calcul propositionnel est NP-complet.

        Mon impression est qu’il y a quelque chose qui cloche là-dedans… sauf si le concept de vérité en logique formelle n’est qu’un concept syntaxique déguisé en concept sémantique, ce qui éclairerait le gödelien : « En raison des préjugés philosophiques de l’époque […] le concept d’une vérité mathématique […] était reçu avec la plus grande suspicion et le plus souvent rejeté comme sans signification. »

        Dans ce cas il faudrait alors répondre à la question de savoir si une preuve purement syntaxique du théorème d’incomplétude est « philosophiquement » possible, et dans l’affirmative, de répondre à la question de savoir si la preuve de Gödel est correcte.

        1. Avatar de Paul Jorion

          quelque chose qui cloche là-dedans… sauf si le concept de vérité en logique formelle n’est qu’un concept syntaxique déguisé en concept sémantique

          Vous mettez là le doigt sur quelque chose d’essentiel sur lequel j’ai déjà attiré l’attention et sur lequel je reviendrai : que les mathématiciens ont créé au fil des années un grand dépotoir appelé « méta-mathématiques » dans lequel ils ont mis toutes les considérations qu’il leur a semblé nécessaire de faire mais qui n’étaient manifestement pas des mathématiques selon l’acception courante.

          Et comme les « méta-mathématiques » étaient désormais un grand fouillis, on est allé rechercher en linguistique la distinction entre « syntactique » (effets de structure) et « sémantique » (effets de sens) pour essayer de mettre un peu d’ordre là-dedans.

          Wittgenstein avait déjà fait remarquer qu’une partie de la « méta-mathématique », ce sont des mathématiques d’un nouveau type, avec de nouvelles règles. J’ajouterai qu’une autre partie de la « méta-mathématique », c’est ce que j’appelle « physique virtuelle » : l’injection subreptice – comme « passager clandestin » – de faits empiriques. C’est cette intuition des mathématiciens qu’il y a là quelque chose « qui vient d’ailleurs » que les mathématiques, qui a un « sens », qui n’est pas purement des effets de structure, qui les fait parler alors de « sémantique ». Et puisqu’on parle d’intuition, quand Turing parle d’« intuition », ce qu’il fait, c’est mettre une étiquette sur la source en lui où il va puiser de nouvelles idées, qui n’est autre que sa compréhension « intuitive » du monde autour de nous, du monde physique, qui va lui faire injecter des éléments du monde empirique dans ses constructions théoriques. L’« intuition » de Turing, c’est sa distraction qui l’empêche de noter que le passager clandestin de la « physique virtuelle » vient de monter à bord, à son nez et à sa barbe.

          Et puisque nous avons commencé à le faire, ici sur ce blog, continuons : allons faire le ménage, ou plutôt, le grand nettoyage de printemps ! dans la « méta-mathématique » !

          1. Avatar de BasicRabbit
            BasicRabbit

            1. « Vous mettez là le doigt sur quelque chose d’essentiel sur lequel j’ai déjà attiré l’attention et sur lequel je reviendrai ».

            Quand j’ai écrit « sauf si le concept de vérité en logique formelle n’est qu’un concept syntaxique déguisé en concept sémantique » je pensais à ce qui suit qui est très élémentaire mais peut-être pas exempt d’une certaine profondeur.

            Pour décider en logique propositionnelle si une formule est ou non un théorème on a deux voies (équivalentes par le théorème de complétude de Bernays): d’abord la voie classique, dite syntaxique, où un théorème est obtenu à partir d’axiomes et de règles de déduction, et la voie dite sémantique où l’on utilise la méthode de variation de Bolzano en calculant la valeur de vérité d’une proposition P donnée pour chaque choix de valeur de vérité des n variables propositionnelles qui composent P, et ce en utilisant les classiques tables de vérité connues dès le lycée (voire le collège), pour ne conserver que les tautologies, à savoir les énoncés P qui prennent toujours la valeur vraie en faisant varier de toutes les façons possibles les valeurs de vérité des n variables propositionnelles (soit 2^n calculs de valeur de vérité à effectuer).

            Ce que je veux faire remarquer avec mon « sauf si le concept de vérité en logique formelle n’est qu’un concept syntaxique déguisé en concept sémantique », c’est que le fait de parler de sémantique est très abusif puisque que le vrai se définit ici à partir d’axiomes qui s’obtiennent de manière évidente à partir des règles de déduction choisies, axiomes qui génèrent automatiquement les tables de vérité qui permettront d’effectuer mécaniquement les calculs des valeurs de vérité, justifiant le caractère purement syntaxique d’un concept considéré en général comme sémantique uniquement parce apparaissent les vocables vrai et faux. C’est peut-être grâce à l’élimination de la sémantique par ce genre de remarque « peut-être pas exempte d’une certaine profondeur » que Gödel sauve la mise de son théorème puisque la vérité « aristotélicienne » du métalangage n’y entre pas en ligne de compte. Mais le prix à payer est alors que ce théorème n’a peut-être pas la portée qu’on lui accorde car, comme le dit à mon avis très justement mon gourou Thom, « tout paradigme tend à vivre au-dessus de ses moyens ».

            2. « … j’appelle « physique virtuelle » : l’injection subreptice – comme « passager clandestin » – de faits empiriques. ».

            Vous le remartelez un peu plus loin à propos de Turing: pour vous nos intuitions « méta-mathématiques » nous viennent uniquement du monde empirique. Pour moi, à la suite de Thom et de Grothendieck, elles viennent également -et même surtout- du rêve puisqu’il semble assez naturel que les mathématiques soient une science (et/ou une technologie) beaucoup plus proche de l’imaginaire que du réel (1) (2). Par contre, si à l’analyse la preuve de Gödel s’avère exclusivement syntaxique -ce qui me semble pas déraisonnable, et même le plus raisonnable-, l’intuition « passagère clandestine » n’y a rien à voir, qu’elle soit d’origine empirique ou onirique.

            1: Thom (dernières lignes de SSM): « Une grande partie de mes affirmations relèvent de la pure spéculation; on pourra les traiter de rêveries… J’accepte le qualificatif: la rêverie n’est-elle pas la catastrophe virtuelle en laquelle s’initie la connaissance? Au moment où tant de savants calculent de par le monde, n’est-il pas souhaitable que d’aucuns, qui le peuvent, rêvent? ».

            2: Cf. « La clef des songes ».

          2. Avatar de BasicRabbit
            BasicRabbit

            « Et puisque nous avons commencé à le faire, ici sur ce blog, continuons : allons faire le ménage, ou plutôt, le grand nettoyage de printemps ! dans la « méta-mathématique » ! ».

            Je vous vois venir gros comme une vache dans un couloir: il va falloir, selon vous, que les mathématiques retournent au statut de boîte à outils, ce qui implique une réhabilitation de la démonstration mathématique, qui devra se plier à nouveau aux principes généraux présidant au raisonnement convaincant (1). Exécution les matheux; et que ça saute!

            Eh bien je ne suis pas du tout d’accord avec ça. Parce que la mathématique (qui est pour moi une et non multiple, il n’y a pas pour moi de méta-mathématique qu’il faudrait distinguer de la mathématique) est essentiellement une science/technologie de l’imaginaire, et ensuite/par conséquent fille de la liberté, et peut-être même, ajoute Thom, son plus beau rejeton. Le seul point selon moi vraiment important est celui des rapports entre la mathématique et la réalité, les matheux, ayant naturellement la tête dans les nuages, oubliant souvent de regarder sur quoi reposent leurs pieds. Car si ce qu’ils font n’a pas de rapport avec la réalité, il leur sera un jour ou l’autre reproché de gaspiller l’argent de la collectivité.De ce point de vue je pense qu’il est difficile de faire ce reproche à Thom, au regard des modèles qu’il a proposés en biologie et en linguistique. Thom: « Je verrais bien le mathématicien comme un nouveau-né qui babille devant la nature; seuls ceux qui savent écouter la réponse de Mère Nature arriveront plus tard à ouvrir le dialogue avec elle. Les autres bourdonneront dans le vide, bombinans in vacuo. ». Je ne sais pas si Grothendieck a ou non bombiné dans le vide. L’avenir et la lecture de sa paraît-il imposante œuvre non mathématique le dira peut-être.

            En phase avec le titre de l’article de JP Bentz je pense par contre que ce genre de « grand nettoyage de printemps » est à faire d’urgence dans le méta-langage (pour nous le français) pour tendre vers un langage plus exempt de contradictions que l’actuel où, les mots s’usant quand on s’en sert, le nombre considérable de mots de notre langue joint à la perte du sens étymologique de beaucoup d’entre eux permet aux rhéteurs et aux sophistes de battre le haut du pavé. L’objectif -idéal car inatteignable- est, pour moi la caractéristique universelle de Leibniz. C’est ce qu’essayent d’atteindre les matheux lorsqu’ils étudient leurs langages formels, typiquement le langage de la théorie des ensembles qui ne contient que deux mots non logiques: l’appartenance et l’égalité, où les axiomes sont choisis le plus judicieusement possible pour éliminer les paradoxes (Richard, Russell, Skolem, etc.).

            1: Cf. « Comment la vérité… » p.11.

            1. Avatar de Paul Jorion

              Résumé :

              Je vous vois venir gros comme une vache dans un couloir: il va falloir, selon vous, que les mathématiques retournent au statut de boîte à outils, ce qui implique une réhabilitation de la démonstration mathématique, qui devra se plier à nouveau aux principes généraux présidant au raisonnement convaincant.

              Moi : OUI parce que … cela va de soi !

              Eh bien je ne suis pas du tout d’accord avec ça.

              Moi : Vous êtes donc partisan du raisonnement … non-convaincant.

              Félicitations : vous ne m’avez pas convaincu ! 😉

              1. Avatar de BasicRabbit
                BasicRabbit

                Je ne cherche pas à vous convaincre (l’ai-je jamais fait?). Je dis seulement comment je vois les choses.

      2. Avatar de En_passant
        En_passant

        La notion de vérité est loin de faire l’unanimité chez les mathématiciens. La notion classique introduite par Tarski dans les années 1930 dit qu’il y a vérité syntaxique ssi il y a vérité sémantique. On tourne un peu en rond! Godel ne la connaissait pas. C’est pour cela qu’il n’y fait pas référence.
        Cette notion est devenue insuffisante pour une partie des mathématiques actuelles. Par exemple dans l’équivalence preuves-programmes dans l’isomorphisme de Curry-Howard.
        La notion de vérité est devenue plus subtile. Par exemple au travers des « classificateurs de sous objets » dans les topos. Voir par exemple l’exposé de L. Lafforgue :  » La notion de vérité chez Alexandre Grothendieck » (youtube) ou -plus abordable- un papier d’Alain Connes : « Un topo sur les topos ».
        A mon avis, ces controverses sur le théorème de Godel ne sont plus à l’ordre du jour.

        1. Avatar de BasicRabbit
          BasicRabbit

          – « La notion de vérité est loin de faire l’unanimité chez les mathématiciens. La notion classique introduite par Tarski dans les années 1930 dit qu’il y a vérité syntaxique ssi il y a vérité sémantique. On tourne un peu en rond! Gödel ne la connaissait pas. C’est pour cela qu’il n’y fait pas référence. ». Je ne suis pas certain que Gödel ne la connaissait pas. Contemporain de Tarski et Varsovie et Vienne pas très éloignés rend vraisemblable que Gödel ait échangé avec Tarski à ce sujet en discutant de la complétude (théorèmes de Bernays 1926 et Gödel 1929): ça expliquerait le gödelien « En raison des préjugés philosophiques de l’époque le concept de vérité mathématique était reçu avec la plus grande suspicion et le plus souvent rejeté sans signification » que mentionne PJ p.298 de « Comment la vérité… ». Mais je ne suis pas historien des sciences.

          – « La notion de vérité est devenue plus subtile. Par exemple au travers des « classificateurs de sous objets » dans les topos. ». Le philosophe Alain Badiou a beaucoup étudié le sujet dans ses séminaires et -paraît-il car je ne l’ai pas lu- dans « L’être et l’évènement. ». La correspondance entre logique (au sens des logiciens formels et topo-logique (logique des topos de Grothendieck) a été très étudiée (Lawvere…) et sans doute l’est-elle encore (Laurent Lafforgue, Olivia Caramello…). Cette correspondance est pour moi en rapport étroit avec l’idée récurrente de PJ selon laquelle la mathématique est une physique virtuelle et il n’est donc pas pour moi étonnant que Thom, géomètre avant de virer philosophe, ait son mot à dire à ce sujet. Et il le dit p. 209 de Esquisse d’une Sémiophysique (plusieurs fois cité par PJ dans son bouquin) en soulignant p.246 l’importance du problème sans la résolution duquel « il subsiste un hiatus infranchissable entre le logique et le morphologique ». Jean Petitot traite de ce rapport dans (1) en faisant intervenir les classificateurs dont vous parlez. Il faut noter à ce sujet que l’utilisation des topos de Grothendieck impose(?) de quitter la logique booléenne pour la logique intuitionniste (parce que la notion de topos de Grothendieck prend racine dans le treillis des ouverts topologiques), et je subodore que Grothendieck a fait ce choix parce qu’en logique duale (correspondant au treillis des fermés, on ne peut rien dire logiquement (à cause du principe d’explosion). Jadis j’ai plusieurs fois cité ici un article de deux philosophes belges, Dominique Lambert et Bertrand Hespel, à l’occasion de la commémoration de Jean Ladrière -souvent cité par PJ dans « Comment la vérité… » à charge contre Gödel-, article au titre suggestif « De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction » (2). Il est maintenant pour moi très clair qu’il faut abandonner la logique au profit de la topologie, et que la bonne topologie est la topologie de la conciliation (car c’est le choix de mon gourou, et peut-être aussi le bon choix pour aborder la mécanique quantique (où le principe d’explosion -A et non-A n’est pas systématiquement faux, voire toujours vrai, apparaît constamment (typiquement le chat de Schrödinger, à la fois vivant et mort, cf. l’exposé de Connes que vous citez).

          – « A mon avis, ces controverses sur le théorème de Gödel ne sont plus à l’ordre du jour. ». C’est pour moi très clair si on fait une croix sur la logique pour la remplacer par une topo-logique (comme suggéré ci-dessus) ou une morpho-logique ou encore une embryo-logique (préférée par mon gourou). Mais je suis quand même curieux de savoir si la preuve par Gödel -ou autre- du théorème d’incomplétude est ou non correcte, et surtout, quelque soit l’issue, pourquoi? Je ne vois qu’une possibilité pour y répondre: être à la fois paresseux et rigoureux (pour reprendre les expressions de JP Bentz). Et pour l’instant je suis seulement convaincu d’une chose à la lumière de ce que je découvre à ce sujet: d’une part les paresseux ne sont peut-être pas assez rigoureux -autrement dit ils n’ont pas assez mouillé le maillot pour décortiquer la preuve de Gödel-, pour moi JP Bentz dit ça très bien, et d’autre part les rigoureux n’ont peut-être pas assez pris le nécessaire -mais difficile- recul sur ce qu’ils produisaient.

          1: jeanpetitot.com/ArticlesPDF/Petitot_Thom_Urbino.pdf

          2: https://www.jstor.org/stable/44085191

          1. Avatar de En_passant
            En_passant

            Je suis pour l’essentiel en accord avec vous sauf pour vos développements sur Thom que je ne peux suivre par manque de connaissance.
            Je remarque que cette géométrisation de la logique a été remise au premier plan essentiellement par l’informatique où la syntaxe, le discret et le calcul sont rois alors que les mathématiciens ont mis des décennies à comprendre l’importance de la notion de topos. que Grothendieck lui même tenait comme étant la partie la plus importante de son travail.
            L’approche de Grothendieck aussi bien que celle de Lawvere et Tierney sont basées sur la notion de catégories, cad quelque part sur la notion de fonctions. Ceci privilégie une approche dynamique de la syntaxe orientée vers le calcul plutôt que vers une recherche hypothétique du sens.

            1. Avatar de BasicRabbit
              BasicRabbit

              [Sur le mode: « ce n’est pas parce qu’on a pas grand chose à dire qu’il faut la fermer »]

              Thom dit de lui-même qu’il est un penseur du continu pour qui les mathématiques sont une conquête du continu par le discret, c’est-à-dire -c’est mon interprétation- une conquête de la géométrie-topologie par l’arithmétique:algèbre: « (…) il y a une certaine opposition entre géométrie et algèbre. Le matériau fondamental de la géométrie, de la topologie, c’est le continu géométrique ; étendue pure, instructurée, c’est une notion « mystique » par excellence. L’algèbre, au contraire, témoigne d’une attitude opératoire fondamentalement « diaïrétique ». Les topologues sont les enfants de la nuit ; les algébristes, eux, manient le couteau de la rigueur dans une parfaite clarté. ».

              Je pense, au flair, que c’est l’inverse pour Grothendieck: c’est pour moi fondamentalement un algébriste, algébriste qui a besoin du continu pour arriver à ses fins algébriques (par exemple la résolution de la conjecture de Weil); Mais pour moi les continus qu’il fabrique -les topoï- ne sont que des continus fantasmés, comme l’est la droite réelle comme ensemble de points (Dedekind ou Cauchy). C’est pour ça que la théorie de catégories en général et celle des topoï en particulier a plus de succès -A. Connes et sa géométrie non commutative- en mécanique quantique que la théorie des catastrophes -qui semble jusqu’à présent n’en avoir aucun malgré les efforts réitérés de Thom pour géométriser la MQ-.

              Il est clair pour moi cependant que pour ces deux médaillés Fields collègues à l’IHES ce qui fonde les mathématiques ce n’est pas la logique formelle et la théorie de des ensemble et/o des catégories, c’est l’opposition aporétique discret/continu.

              Remarque: J’ai entendu une chose qui m’a plu en écoutant une conférence de Connes: celle de la fusion du discret et du continu dans l’espace de Hilbert séparable (L² et l² sont isomorphes).

              Je termine à ce propos par l’une des citations de Grothendieck les plus connues, je crois:

              « C’est le thème du topos qui est ce “lit”, ou cette “rivière profonde” où viennent s’épouser la géométrie et l’algèbre, la topologie et l’arithmétique, la logique mathématique et la théorie des catégories, le monde du continu et celui des structures “discontinues” ou “discrètes”. Il est ce que j’ai conçu de plus vaste, pour saisir avec finesse, par un même langage riche en résonances géométriques, une “essence” commune à des situations des plus éloignées les unes des autres provenant de telle région ou de telle autre du vaste univers des choses mathématiques”(Récoltes et semailles).

              1. Avatar de Druhh
                Druhh

                Je dirais plutôt que Grothendieck était fondamentalement un catégoriste plus qu’un algébriste. Ses idées les plus profondes furent inspirées par la théorie des catégories qu’il a enrichi comme aucun autre avant lui.

  15. Avatar de Druhh
    Druhh

    Mr Jorion, je lis votre blog depuis 2009 avec assiduité, et je dois dire que j’ai eu longtemps de l’estime de même de l’admiration pour vous.

    Mais votre comportement lors ces échanges sur Godel m’a beaucoup déçu en laissant entrevoir des aspects très déplaisants de votre personnalité et une mauvaise foi que je ne soupçonnais pas de la part d’un esprit intelligent et ouvert comme vous.

    Rassurez vous, je n’interviendrai plus jamais.

    1. Avatar de Paul Jorion

      À aucun moment vous n’avez critiqué mon argumentation dans « Comment la vérité et la réalité furent inventées », vous vous êtes contenté d’asséner inlassablement le dogme dans une perspective « culte des saints », sans considération ni pour l’histoire des mathématiques, ni pour la question de leurs fondements. Que Gödel puisse s’être trompé et ait été négligent est pour vous tout simplement blasphématoire. Votre lecture « catéchisme » des mathématiques a pour moi autant d’intérêt que la version « catéchisme » du christianisme.

  16. Avatar de Yu LI
    Yu LI

    Je poursuis en analysant où, dans la preuve de Gödel, la non-existence est confondue avec l’existence. En fait, dès la première étape de la preuve de Gödel !

    La preuve donnée par @Duurh reprend l’idée de base de la preuve de Gödel, où la première étape est : (Druuh 08 septembre 2022 12h10)

    1- « On part de l’ensemble Dem des couples d’entiers (a,b) tels que a est le code d’une formule close F et b est le code d’une demonstration de F. (demonstration au sens strict de la theorie de la demonstration, pas au sens intuitif et vague). »

    Au moyen de l’ensemble Dem, vous présupposez l’existence d’une méthode générale, c’est-à-dire, la fonction caractéristique de Dem, pour juger de la validité de toutes preuves, alors qu’une telle fonction caractéristique n’existe pas (voir mon analyse selon dans la perspective de l’adhésion proposé par Paul, Yu LI 10 septembre 2022 18h55).

    Cette erreur conduit à l’un des raisonnements fallacieux les plus profondément cachés : la « présupposition impropre » !

    1. Avatar de Druhh
      Druhh

      Yu, tu continues de faire une confusion a propos des fonctions caracteristiques. Ce que tu veux exprimer n’est pas ce que tu écris. On en reparle par mail.

      1. Avatar de Yu LI
        Yu LI

        @Druuh, j’ai répondu à votre critique sur la fonction caractéristique, et maintenant je me suis permis de partager votre critique et ma réponse ci-dessous afin que d’autres puissent nous critiquer.

        ***
        Ma réponse :

        1. Concernant l’existence d’un ensemble, je cite deux passages du wiki pour montrer que l’existence d’un ensemble ne peut pas être affirmée à la légèreté.

        https://fr.wikipedia.org/wiki/Ensemble

        La formulation générale est :
        {x ∈ E| P(x)}

        Il n’est pas pour autant possible de définir un ensemble par n’importe quelle propriété, et lever entièrement la restriction de la compréhension. Si c’était le cas on pourrait définir l’ensemble {x | x ∉ x}, ce qui conduit à une contradiction (c’est le paradoxe de Russell). La restriction de la compréhension à un ensemble connu protège contre ce genre de paradoxes, elle correspond directement au schéma d’axiomes de compréhension de la théorie de Zermelo. Cette restriction ne peut se lever que dans des cas particuliers précis, qui correspondent à d’autres axiomes de la théorie de Zermelo (axiome de la paire, axiome de la réunion, axiome de l’ensemble des parties).

        On n’a pas dit ce que l’on entendait par « propriété » ou « condition ». Malgré la restriction précédente, on ne peut tout autoriser, sous peine d’autres paradoxes comme le paradoxe de Richard ou le paradoxe de Berry, qui fait intervenir, par exemple, « l’ensemble des entiers naturels définissables en moins de quinze mots français ». Il est nécessaire de préciser le langage dans lequel on peut définir ces conditions. En particulier ce langage doit être défini a priori, et ne peut être étendu qu’à l’aide de définitions qui sont soit de simples abréviations, soit résultent de preuves d’existence et d’unicité.

        2,Analyser tes points de vue

        @Druuh, votre critique est le suivant :
        – « tu fait encore des confusions entre les notions de sous ensemble et de fonction caractéristique. Il faut clarifier cela absolument. En mathématiques, on a la notion de partie (sous ensemble) d’un ensemble quelconque. Et a chaque sous ensemble d’un ensemble on associe sa fonction caractéristique (par définition, c’est la fonction qui vaut 1 sur les éléments du sous ensemble, et 0 ailleurs) . En particulier, le sous ensemble Dem de N^2 a sa fonction caractéristique, comme n’importe quel sous ensemble de n’importe quel ensemble.. Que cette dernière soit récursive ou non est indépendant son existence, c’est un autre problème.

        – Donc, quand tu dis « es-tu d’accord que le rôle de la fonction caractéristique de Dem est de déterminer la validité d’une preuve donnée ? » cela n’a pas de sens : la fonction caractéristique de Dem existe tout comme Dem, et si en plus elle est récursive, alors oui cela signifie qu’il existe un algorithme qui permet de vérifier qu’une prétendue preuve d’une formule donnée en est bien une. C’est exactement l’algorithme que j’ai décrit dans le mail précédent. J’insiste sur le fait que cet algorithme donne toujours un résultat en un temps fini. »

        Si un sous-ensemble de N^2 est un ensemble ordinaire, tu as raison.

        Par exemple, A = { (a,b) ; a et b sont des premiers entre eux} et la fonction caractéristique de A : F(a,b) = (pgcd(a,b) == 1)

        pgcd(12,8) = 4, pgcd(12,8) /= 1, donc F(12, 8) = 0, (12, 8) ne sont pas des premiers entre eux, (12, 8) ∉ A.
        pgcd(12,5) = 1, pgcd(12,5) == 1, donc F(12, 5) = 1, (12, 5) sont des premiers entre eux, (12, 5)∈ A

        Dans ce cas, vous pouvez relier A à sa fonction caractéristique F(a,b).

        Maintenant nous regardons Dem :

        Dem = { (a,b) ; a est le numéro de Gödel d’une formule close F et b est le numéro de Gödel d’une démonstration de F dans Peano }

        Noter la fonction caractéristique de Dem comme G(a,b), et ici, pour simplifier notre discussion, je ne considère que (a,b) où a est connu comme une formule close.

        Soit la fonction caractéristique de Dem G(a,b). Ici, pour simplifier notre discussion, je ne considérerai que (a,b), où a est la formule close, puisque la détermination de la formule close n’est pas compliquée.

        G(a,b) = 1, b est une démonstration de a et (a,b) ∈ Dem.
        G(a,b) = 0, b n’est pas une démonstration de a, (a,b) ∉ Dem.

        En ce sens, je dis que «  le rôle de la fonction caractéristique de Dem est de déterminer la validité d’une preuve donnée ».

        Attention : b est le numéro de Gödel d’une démonstration de F dans Peano, mais pas un entier naturel ordinaire, et il ne faut pas prononcer à la légèreté comme vous dites « la fonction caractéristique de Dem existe tout comme Dem ».

  17. Avatar de Yu LI
    Yu LI

    En ce qui concerne la difficulté de la communication sur la preuve de Godel entre Paul et Druuh, je voudrais dire quelques mots.

    Je cite un extrait de la discussion de Peirce sur la preuve
    (https://personnel.usainteanne.ca/jcrombie/pdf/logsci07.pdf , p.4):
    – Le but du raisonnement est de découvrir par l’examen de ce qu’on sait déjà quelque autre chose qu’on ne sait pas encore. Par conséquent, le raisonnement est bon s’il est tel qu’il puisse donner une conclusion vraie tirée de prémisses vraies ; autrement, il ne vaut rien. Sa validité est donc ainsi purement une question de fait et non d’idée.

    Paul argumente d’un point de vue cognitif que, puisque la preuve de Gödel dérive une proposition paradoxale qui dit d’elle-même qu’elle est indémontrable, et que ce paradoxe n’est pas une conclusion vraie, alors la preuve de Gödel perd sa validité.

    Druuh défend la preuve de Gödel du point de vue de la logique formelle, en ne considérant pas comme un paradoxe une proposition qui dit d’elle-même qu’elle est indémontrable, en affirmant ses prémisses et en soutenant que le processus de raisonnement de la preuve de Gödel répond aux exigences du raisonnement logique rigoureux.

    Paul et Druuh ont donc des positions différentes, des préoccupations différentes, c’est là la source de leur conflit.

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