L’Après-Covid et le Monde d’Après, le 27 avril 2020 – Retranscription

Retranscription de L’Après-Covid et le Monde d’Après, le 27 avril 2020. Ouvert aux commentaires.

Bonjour, nous sommes lundi 27 avril 2020 et cette vidéo-ci va s’appeler « L’Après-Covid et le Monde d’Après ». C’est à peu près tout ce que je sais sur ce que je vais dire : cette vidéo sera du genre de ce que je vous annonce souvent sous la forme « Ça ne va pas être un exposé : je n’ai pas fait un plan en 3 points de ce que je voulais vous dire, Paul Jorion réfléchit tout haut ».

Mais, il y a un évènement de départ : un élément de type psychanalytique et, du coup, ça me fait penser que, quand je fais ces vidéos qui s’appellent « Paul Jorion pense tout haut », c’est un peu un exercice que quelqu’un qui a fait une analyse (une analyse de type freudien), appelle de l’auto-analyse, c’est-à-dire la capacité qu’on a, par la suite – on a ou on n’a pas – de faire le dialogue avec un psychanalyste ou une psychanalyste dans sa propre tête. Et le mieux, c’est de le dire tout haut parce que, là, comme ça, il y a quand même deux instances : il y a celle qui parle et puis il y a celle qui écoute, qui s’entend dire. 

Et c’est le principe même d’ailleurs de l’analyse puisque, vous le savez, quand il se passe quelque chose en psychanalyse, il y a le moi qui est là, couché sur le divan, qui a entendu l’autre moi, la personne qui parlait, qui l’a entendu dire quelque chose qui l’a estomaqué, et alors, c’est le rôle du psychanalyste ou de la psychanalyste de dire : « Vous vous êtes entendu dire cela ? » et vous répondez : « Oui : je ne suis pas sûr que je sois vraiment la personne qui se reconnaisse dans ce qui a été dit là par la personne dont je ne peux pas nier que… ce soit moi ! »

Voilà. Et donc, là, il se passe quelque chose : il y a ce décalage entre le sujet énonçant et le sujet qui écoute. Et là, je vais vous dire quel a été le point de départ tout en ne sachant pas… quel sera le point d’arrivée.

Le point de départ, c’est le suivant : c’est que je suis en train de… – je vous ai parlé de ces cours accompagnés de conférences que je vais faire à l’Université catholique de Lille l’année prochaine, l’année académique prochaine, sur le thème « L’après-Covid ». Et, de manière assez significative quand même déjà, au moment où je vous parle de ce projet, je l’appelle – dans ma petite vidéo – je l’appelle « L’après-Covid-19… n’est pas pour demain ». C’est-à-dire que je prends déjà un petit peu mes distances par rapport à l’idée que voilà, le 14 juin ou que le 12 septembre, on sera dans L’après-Covid et qu’on pourra en parler avec du recul et qu’il y aura eu une transition bien nette, un seuil aura été franchi et on sera dans l’après. Donc, voilà, déjà un petit doute de ma part.

Et je vous l’avais dit, la 6ème leçon dans ce projet, je voulais la consacrer à des utopies, et j’avais fait une petite liste donc « Zardoz », « L’an 01 », « La belle verte » et « Les enfants d’Icare » (Childhood’s End).

Et, en y repensant tout à l’heure, parce que je peaufine, je rédige le texte qui sera celui du prospectus qu’on diffusera, je me dis : « Je devrais ajouter ‘Melancholia’, ce film de 2011 de Lars Von Trier avec Charlotte Gainsbourg, Kirsten Dunst, si j’ai bon souvenir John Hurt, Kiefer Sutherland, Charlotte Rampling : il y a du beau monde là-dedans.

Et, si vous ne l’avez pas vu, je vais quand même vous dire en deux mots pourquoi ce n’est peut-être pas exactement une utopie.

C’est l’histoire d’une planète [Melancholia] qui va heurter la Terre et les terriens se rendent compte de ce qu’il se passe. Ce n’est pas un film catastrophe : tout ça se passe en fait dans une propriété où il y a un nombre tout à fait restreint de personnes, c’est un petit groupe.

On va nous montrer la dynamique d’un petit groupe qui réagit à ça, dont on comprend qu’il est assez isolé quelque part et donc, on ne voit pas des foules en délire, on ne voit pas des gens qui se précipitent dans leurs bagnoles [si, on en voit un], non, non, tout ça se passe dans un univers relativement clos avec un ensemble de personnages qu’on nous a présentés. Mais alors, ce qui est intéressant ou important en tout cas : c’est un film de Lars von Trier.

Vous connaissez peut-être Lars von Trier pour avoir vu plusieurs « horreurs » qu’il a produites. C’est un monsieur dont le message est toujours le même, c’est : « Je suis un dépressif et j’en suis fier ! Il n’y a que les dépressifs qui comprennent vraiment comment ça marche. On appelle ça la dépression mais il faudrait appeler ça plutôt la lucidité. Être classé comme dépressif, ça veut dire être classé dans les personnes qui ont compris en particulier ce que c’est que le sort d’être un être humain sur cette planète ».

Et au moment où je me rends compte que je vais mettre ce film dans la série des utopies, je me dis là : « Tu dis  ‘Je vais faire des leçons sur l’après-Covid’ et puis, tu dis ‘L’après-Covid n’est pas pour demain’ et là, tu te dis ‘L’après-Covid, ça se passe peut-être dans un autre monde, dans le Monde d’Après’-  », d’où le titre que je donne à ça.

C’est-à-dire que, pour être sérieux sur le sujet – non pas que je n’aie pas été sérieux jusqu’ici – mais je veux dire pour le traiter comme il faut, la question que je me pose, la question, voilà, que je me suis posée ces jours-derniers – et un certain nombre d’autres personnes – de dire « Comment, une fois qu’on sera sorti de cette épreuve du Covid, comment faire pour que les gens n’oublient pas qu’il y a une menace d’extinction de l’humanité qui est liée essentiellement au réchauffement climatique, comment garder le fil conducteur, qu’ils se rendent compte que, maintenant, il faut qu’on parle sérieusement de ce risque d’extinction ? ».

Et ce que mon inconscient me dit, voilà, en mettant « Melancholia » dans la liste des films qui représentent une utopie, c’est la chose suivante : est-ce qu’il ne faut pas d’ores et déjà mettre la question de cette pandémie et peut-être des pandémies en général dans la mesure où, dans un monde qui se dégrade du point de vue écologique, ce n’est peut-être pas la dernière, et que celle-ci, on ne sait pas encore trop comment la traiter, et que plus on comprend comment ça marche, plus on se rend compte d’une chose importante : c’est que c’est une véritable saloperie et que les gens qui ont l’air guéri ne le sont peut-être pas, que les gens qui ont l’impression qu’ils en sont sortis en sortent parfois extrêmement diminués, qu’il y a des choses auxquelles on ne pensait pas au départ (on a dit : « Oui, c’est une pneumonie ! ») et que beaucoup de voix se sont élevées rapidement dans les milieux médicaux (je vous le dis : je ne suis pas virologue, je ne suis pas biologiste mais je peux lire ce que je lis), beaucoup de gens nous disent : c’est un truc qui parvient… Et là, pour rigoler un peu l’autre jour, je reprenais le titre d’un article qui était quand même sérieux mais qui attribuait une sorte de volonté à ce virus, qu’il avait envie de faire ceci ou cela. Non, bien entendu que non : c’est un ensemble de molécules mais qui ont la capacité d’entrer dans notre système et celui-ci en particulier, ce Covid-19, il a la capacité de détourner véritablement notre système immunitaire. Il le prend par derrière. Il arrive à le contourner et il arrive même à pire que le contourner, il arrive à l’utiliser comme un véhicule pour se répandre davantage. Tout ça, sans volonté particulière, simplement parce que ses acides nucléiques sont de telle manière et pas autrement. C’est-à-dire que ce n’est pas un truc… (je n’extrapole pas là), c’est pas un truc où on va dire : « Voilà, on va trouver un remède demain et puis, on va trouver un vaccin et l’affaire sera réglée. C’est une question de temps ». C’est plus compliqué. C’est beaucoup plus insidieux. C’est une saloperie au carré par rapport à ce que serait un virus comme celui de la grippe ou du rhume ou des machins comme ça, c’est-à-dire que c’est un truc qui peut, qui va avoir des conséquences sur une très très longue durée.

C’est pour ça que, voilà, la question, je commence à arriver à la poser clairement, c’est : Est-ce qu’il ne faut pas laisser tomber entièrement cette idée d’Après-Covid et est-ce qu’il ne faut pas simplement dire « Nous sommes entrés dans un processus où nous savions déjà qu’il y avait le réchauffement climatique comme une menace d’extinction et nous sommes en train d’entrer dans un autre processus mais qu’il faudrait classer au même endroit, qu’il faudrait classer aussi comme étant quelque chose qui a une capacité éventuelle, sous sa forme telle qu’il est maintenant, sous la forme avec des mutations qui peuvent venir, sous la forme d’un autre Covid qui va peut-être apparaître rapidement, est-ce qu’il ne faut pas ajouter ça simplement dans la catégorie de la menace d’extinction dans laquelle on avait déjà le réchauffement climatique, voilà, la montée des eaux, des choses qui sont liées à ça ? Est-ce qu’il ne faut pas mettre entre parenthèses cette question que je me posais encore il y a 3-4 jours : comment convaincre les gens qu’il faudra faire une transition d’une réflexion sur le Covid à une réflexion sur le réchauffement climatique comme étant le symbole d’une menace pour l’espèce en tant que telle ?

Voilà. Ce que je propose, c’est donc pas grand-chose : c’est un reclassement.

C’est un reclassement. C’est un petit peu dans ce qu’on appelle la catégorie des paradigmes, le cadre conceptuel général dans lequel poser le problème. Est-ce que, au lieu de dire « Nous pourrons revenir à cette question d’extinction éventuelle une fois que le Covid sera réglé » – ce qui est une question de mois – de se dire : « Non, on est dans un processus général ! ».

D’une certaine manière, et là, je suis un peu surpris que les collapsologues aient pu être pris à contrepied comme certains d’entre eux l’ont été, être interviewés par quelqu’un disant « Qu’est-ce que c’est que ce truc-là par rapport à votre idée d’effondrement ? » et de répondre… (j’ai vu une telle réponse) : « Il faut que je réfléchisse encore un peu ». La réponse est peut-être plus évidente que ça.

Si j’étais collapsologue, ce que je ne suis pas exactement, je ne me serais peut-être pas interrogé autant sur le fait de savoir comment connecter intellectuellement ce Covid-19 avec l’idée d’effondrement. Je n’aurais peut-être pas hésité, carrément, à dire : « Voilà, c’est un épisode ! ». Et je vous dis, là, je cite, je mets entre guillemets ce que je dis-là parce que, vous savez, ce n’est pas exactement ma position. Ma position est : « Je ne sais pas s’il y aura un effondrement. Je ne sais pas s’il y en aura plusieurs. Je sais qu’en tout cas, une chose est claire, c’est que je me bats par tous les moyens que je peux (vidéos, textes, etc.) pour alerter les gens mais il est important – conceptuellement – de savoir ce que l’on fait… pour pouvoir le dire correctement… pour pouvoir formuler des objectifs qui soient adaptés à la situation ». Alors, j’hésite un peu mais je vous avais prévenu : c’est du « Paul Jorion réfléchit tout haut ». J’espère quand même qu’on va pouvoir lancer un débat là-dessus.

Voilà, allez, à bientôt !

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