NOUS, LES MÉDUSÉS DÉSABUSÉS, par Bertrand Rouziès-Leonardi

Billet invité

Brice Couturier a entendu l’appel du Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel à se mobiliser contre le projet de loi N° 1011 portant sur les moyens de combattre la fraude fiscale. Peut-être même a-t-il lu l’argumentaire bancal de Rémy Mahoudeaux publié sur le blog. On ne s’étonnera pas qu’il voie dans cette loi l’étincelle qui fera renaître de ses cendres le Phénix du Grand Inquisiteur Torquemada. Cela, c’était la fin de sa chronique matinale sur France Culture. Mais, comme dans la figure de l’ouroboros, cette fin, par une contorsion malicieuse et sans doute délectable, rejoignait le début.

Que disait-il au début ? Qu’Edward Snowden n’est pas un chevalier blanc comme neige. En fouillant un peu, on découvre un rebelle plus libertarien (soutien à Ron Paul durant la campagne présidentielle) que libertaire, plus soucieux de donner du champ au libre exercice de sa puissance individuelle que de rejoindre l’Internationale des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, ce qui vaut bien, en gravité, les accusations d’espionnage pour le compte de pays hostiles aux États-Unis. Cela n’ôte rien, bien entendu, à la portée de ses révélations (nous apprenons en cette occasion que la Commission européenne est assiégée au-dehors et au-dedans par les multinationales américaines, au-dehors par les lobbyistes, au-dedans par les agents de la NSA chargés de vérifier que les commissaires ont bien compris ce qu’on leur demandait), mais je me garderai, pour ma part, d’élever sur le pavois un homme dont le rêve, pour autant qu’il persévère dans ses convictions libertariennes, est l’abolition pure et simple de toute forme de gouvernement, au prétexte qu’une administration déshonore l’état de droit et le service du peuple. Même un libertarien est bien obligé de reconnaître qu’un État, qu’un Big Government with big guts, c’est pratique, quand on est persécuté par la première puissance mondiale et qu’on cherche un refuge sûr. Quant à Brice Couturier, je vois bien où il veut en venir par un tel bricolage. J’écris bricolage parce que la queue de sa chronique ne s’emboîte pas exactement dans la tête. Ce n’est pas qu’il ait des sympathies pour les libertariens, il est plutôt libéral, comme chacun sait, mais l’appareil d’État, cela l’embête bien. Il le voudrait au régime sec, et pas seulement dans ses missions discrétionnaires.

« L’administration » Ayrault est en train d’exaucer ses voeux sur ce point. Alors qu’un scandale de la « déraison d’État » (pour reprendre le titre d’un roman de Fabrice Tassel) nous dévoile une Amérique gouvernée par les multinationales, macrocéphale et tentaculaire, la publication des orientations budgétaires de la France pour 2014 nous révèle un État valétudinaire, honteux de sa force, microcéphale et arthritique. L’impression qui se dégage de ce télescopage évènementiel est que la contraction politique d’un pays ou d’un ensemble de pays étend et consolide l’emprise des multinationales. Celles-ci forment une Internationale opportuniste qui se fixe sur la puissance dominante (surpuissance) du moment, profite de ses outils symboliques et concrets d’ensemencement culturel, puis s’en détache aux premiers signes de débilité pour s’accrocher à la puissance émergente rivale. La surpuissance et l’impuissance servent pareillement les desseins de cette Internationale.

La baisse de 7 % des crédits alloués au Ministère français de l’Écologie et les mille postes qui y sont supprimés sont des signaux à l’adresse de qui ? La réponse dans un article au vitriol publié par Corinne Lepage sur Rue89 où elle explique comment le gouvernement, par une mollesse calculée, favorise la relance de l’exploitation du gaz de schiste en France. Il serait intéressant de réécrire le scénario de ce dévoiement planifié de la chose publique en imaginant, pour chaque étape, un contrefeu « néodémocratique » (Francis Arness), histoire de faire trébucher l’inéluctable. À vos plumes, à vos cris, messieurs-dames ! Travaux pratiques pour une reprise en main du levier qui soulève le monde. Pointer du doigt Big Brother et son Big Government ne doit pas nous faire oublier que pour un Snowden, il y a 499999 collaborateurs actifs, comme le rappelait Paul, et que le deuxième cercle des collaborateurs, c’est nous, les médusés désabusés.

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