Récupéré ! La vache et la finance folles, par Jean Fosseprez (4/9/09)

Billet invité.

LA VACHE ET LA FINANCE FOLLES

Vétérinaire de mon état, néo-urbain depuis 2 ans, j’ai exercé pendant 15 ans en milieu rural. Durant cette période, j’ai été confronté de très près à la trop fameuse crise dite de la vache folle. Pour tout dire, j’ai été le bras armé d’une législation incohérente qui me conduisit à euthanasier – par injection létale – un troupeau de 70 vaches même pas folles. C’est, entre autre, cette pathétique corrida qui m’a amené à être exhaustif sur le sujet. Par contre, mes connaissances en économie sont beaucoup plus lacunaires. Je ne sais donc si c’est une ânerie ou une lapalissade, mais il me semble que la crise actuelle ressemble d’avantage à une crise sanitaire type vache folle qu’à une crise économique classique. Nous verrons que si cette intuition de profane est correcte, ça peut expliquer pourquoi on est loin d’être sorti du pétrin.

Ce qu’on peut dire d’emblée, c’est qu’avec la vache folle la (dé)raison économique l’a emporté sur la raison sanitaire. Le même processus morbide est à l’œuvre dans la crise actuelle, sauf qu’il s’exprime à un niveau supérieur : c’est la (dé)raison financière qui s’essuie les pieds sur la raison économique.

La Vache Folle, une histoire de la déraison économique.

Au risque de surprendre, je dirais que la crise de la VF trouve son origine dans les accords de Bretton Woods en 1944. En effet, les USA, non contents de se tailler la part du lion dans le système financier mondial, vont aussi s’octroyer un quasi monopole de la culture du soja. Je signale qu’en matière d’alimentation animale le soja est la source de protéines de référence. C’est ainsi que les européens n’auront de cesse de se défaire de cette dépendance phyto-protéique. Leur stratégie en la matière tiendra hélas le plus souvent du système D. Système au sein duquel les – très controversées – farines animales, du fait de leur évidente valeur protidique, trouveront toute leur place.

La deuxième date clé est le choc pétrolier de 1973. L’augmentation du prix des hydrocarbures incite les industriels du Royaume Uni à restreindre – voire à annuler – les ( pourtant nécessaires ) traitements thermiques et/ou chimiques des farines animales. Le maintient des marges…et de l’emploi sont à ce prix. Une pratique pourtant dénoncée comme potentiellement dangereuse dès le milieu des années 1970 par des experts du cru, en vain.

S’en suit une période obscure d’environ 10 ans sur qui voit l’apparition d’une neuropathie bovine inexpliquée dont le nombre de cas augmente avec le temps. Impossible de dire quand le phénomène s’amorce. Les animaux concernés seront régulièrement abattus et finiront en sauce à la menthe dans les assiettes des consommateurs, mais le plus souvent en farine dans les auges de leur congénères. C’est ainsi que s’installe un effet boule de neige qui voit la toxicité des farines animales anglaises s’accroitre de manière démesurée avec le temps. La découverte de l’agent causal en avril 1986, la fameuse protéine prion, ne changera pas vraiment la donne.

Ce n’est qu’en juin 1988 que la culpabilité des farines animales est enfin admise par les autorités britanniques. Elles décident donc derechef d’en interdire l’usage. Mais sans donner plus de directives quant à leur devenir. Les acteurs de cette filière privatisée de nécro-recyclage se retrouvèrent donc livrés à eux-mêmes avec des stocks croissants de produits à haut risque. Qu’à cela ne tienne, en cas de tiédeur législative, force reste à la loi…du marché. Ainsi, confrontés à cette soudaine baisse de la demande intérieure, certains décident de fourguer leurs daube, en douce et à prix réduit, là où on n’a pas encore eu le temps d’en interdire le commerce. La grande braderie prionique, intracommunautaire puis mondiale, peut commencer. Elle durera 10 ans.

« Mais il est bien lent le temps de la loi, il est plus rapide le temps des marchands. »

Pendant ce temps, donc, de l’autre côté de la Manche, les autres pays européens s’apprêtent à légiférer dans le même sens…chacun à son rythme.

Ainsi en France, pays des lignes Maginot et des nuages de Tchernobyl qui passent à côté, l’interdiction de nourrir les vaches avec l’ersatz entrera en vigueur un an plus tard, soit en juillet 1989. Rappelons quand-même que la loi française en la matière était censée nous éviter cet Azincourt spongiforme : les restrictions à l’import sont telles, à l’époque, qu’il est théoriquement impossible que des farines animales anglaises traversent le chanel. En fait, ce commerce discutable est régi par le tandem « Interdiction / Dérogation », un genre de schizophrénie législative qui signifie que c’est rigoureusement interdit, mais pas tout le temps et sous certaines conditions. Les responsables des ministères concernés (agriculture, douanes) ne furent pas plus troublés que ça devant l’accroissement sensible des demandes de dérogations dès la fin de l’année 1987. Les quelles furent accordées avec une parcimonie toute relative et beaucoup de recommandations à l’intention du mandant. A cela il faut ajouter la fameuse tolérance à l’écoulement des stocks existants, qui autorise l’utilisation de tout ce qui a été acheté avant la date de l’interdiction. Le prion bovin britannique n’en demandait pas tant.

C’est dans ce contexte qu’il faut restituer cette allégation des industriels français de l’alimentation animale : « Nous n’avons jamais importé illégalement des farines animales. Nous avons toujours respecté la réglementation en vigueur ! ». C’est malheureusement vrai. Justement, c’est cette absence d’illégalité qui pose problème, que dis-je, qui fut le cœur du problème. On voit bien que c’est par ce vide juridique, doublé d’une aubaine économique, qui va de début 1988 à mi-1989, que le ver va enter dans le fruit. Il est vrai que la chute du mur de Berlin en novembre 1989 ne va pas arranger les choses : elle accréditera cette idée qu’on a le droit de faire tout et n’importe quoi pourvu que ça soit inspiré de la doctrine des « vainqueurs ». Les empêcheurs de libre-échanger à tout crin n’auront plus qu’à raser les murs. L’entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1992 en remettra une couche, le trafic des produits à risque « made in UK » y trouvera un second souffle.

« Quand marché pas contrarié, marché toujours faire ainsi… »

Un ministre français, même pas de droite, lâchera plus tard cet aveu d’impuissance des pouvoirs publics : « En dépit d’une minorité de brebis galeuses, le marché [de l’alimentation animale] finira par s’assainir de lui-même. ». Ah l’indécrottablecouetude du libéral dans l’âme, qui a grandi avec cette idée que les écuries d’Augias sont auto-nettoyantes. La vache folle n’aura été, en définitive, qu’un premier avatar de dimension mondiale de la fameuse « main invisible du marché ». Une crise systémique avec la farine dans le rôle de l’argent…

Déjà Lehmann Brothers perçait sous la vache folle.

En quoi la crise actuelle s’inscrit en filigrane de celle de la vache folle ?

En premier lieu, on remarque que ce sont les mêmes évènements historiques qui président aux destinées des deux crises. Passons vite sur les dates les plus évidentes : Bretton Woods en 1944 ( naissance des FMI, Banque Mondiale, Gatt…) puis son changement de cap en 1971 (fin de la convertibilité du dollar en or) et bien sûr le choc pétrolier de 1973. Mais surtout, il y eut les fabuleuses années 1980, les « dix glorieuses idéologiques », les années Thatcher au Royaume Uni et Reagan aux États Unis. Car de même que la crise de la vache folle est consubstantielle du Thatchérisme, de même les Reaganomics portèrent au maximum le feu sous la marmite de la finance. Décennie qui s’achève en apothéose avec la mort du Soviétisme en 1989. Le vent de l’Histoire a rendu son verdict. Désormais sûr de son fait, le néo-libéralisme peut s’approprier le Monde.

Mais leur similitude est surtout d’ordre sémiologique : les mêmes mots pour les mêmes maux ? Ne parle-ton pas de crédits à risque, d’actifs toxiques à propos de la crise actuelle ? Une histoire de grands corps malades qui se répète, en somme : au commencement est une phase de latence ( très longue, en général ) qui voit la toxicité d’une filière – alimentaire hier ou financière aujourd’hui – s’accroitre avec le temps. Puis arrive le temps où les produits ainsi frelatés voient leur valeur marchande, et la confiance qu’ils inspirent, menacées. On assiste alors à un « reconditionnement » de ces déchets toxiques : de même que les subprimes ont étés adossés à d’autres produits financiers de plus en plus complexes, de même les denrées britanniques à risque furent dissimulées dans des aliments complets. Opérations de détraçabilisation facilitées par l’existence de ces espaces de non-droit où la volonté politique n’ose pas mettre les pieds, avec pour conséquence une diffusion mondiale des produits foireux.

Une dernière question pour la route : quel est, aujourd’hui, le degré d’empoisonnement système financier mondial ? Je ne suis pas économiste, mais j’ai l’impression que depuis un an, la tendance en matière d’actifs toxiques est plutôt au statu-quo. Et je dirais, à cet égard, que la période actuelle est comparable aux années 1988-92 de la vache folle. Période où l’on sait la toxicité des produits, mais où rien d’efficace n’est mis en œuvre pour s’en prémunir de manière globale. Pour reprendre la métaphore de l’eau qui bout dans la marmite, je dirai que la thérapie a surtout consisté à rajouter de l’eau froide pour réduire l’ébullition, sans se préoccuper du feu en dessous. Si c’est le cas, on ne peut que se dire que le pire est devant nous. Et le pire, en équivalent vache folle, c’est la crise de 1996, celle où le grand public découvre que l’ESB est transmissible à l’Homme. C’est là que la crise entre en phase aigüe. La confiance des consommateurs est violemment entamée. Des pans entiers de la filière économique bovine vont disparaître, notamment au Royaume Uni. Je n’ose imaginer le scénario quand la crise actuelle entrera à son tour en phase aigüe. Car la crise de l’ESB ne toucha somme toute qu’un secteur restreint de l’économie. Alors qu’aujourd’hui, tous les secteurs de la finance et de l’économie réelle sont menacés. En outre, quand on pense que, dans le cas de la VF, la raison sanitaire a mis plus de 15 ans pour reprendre des couleurs…

J’en viens à souhaiter, in fine, que l’analyse produite dans cet article soit entièrement à côté de la plaque. Merci de votre attention.

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2 réponses à “Récupéré ! La vache et la finance folles, par Jean Fosseprez (4/9/09)”

  1. Avatar de Didier
    Didier

    Terrifiant.

    Le parallèle est impressionnant. En acceptant cette crise de la vache folle comme métaphore de la crise actuelle, nous sommes dans une phase de déni de réalité. Je tire de mes souvenirs de lecture, que lors du déclenchement de la guerre au Liban, les parents d’un auteur s’attendaient à l’arrêt des combats très vite. Ils ont ensuite été à Chypre dans un hôtel pour « quelques jours ». C’est le même déni en action. Pour revenir à la crise actuelle, ses acteurs ont tant à perdre qu’ils nieront la réalité jusqu’à notre mort à tous.

    Cela me fait trois crises avec des réactions humaines analogues. Cela ne prouve pas qu’elles sont identiques. Par contre, je suis horrifié par les correspondances. Comme dit l’auteur, le pire est à venir.

    Au Liban, le souvenir de l’auteur se plaçait avant le pire de la guerre. Maintenant, je ne vois pas du tout comment « déleverager (?) » les sommes délirantes engagées dans l’histoire sans la moindre casse. J’ai lu des nombres allant de 550 à 1400 milliers de milliards de dollars. Ils sont si grands qu’ils en deviennent identiques. Ils n’ont rigoureusement aucun sens pour moi. Mon esprit les voit et ne peut pas les appréhender. Pour les « déboucler », il faudra payer les contreparties monétaires promises. Je ne vois pas trop ce que cela signifie. Mais même le 10% du total du plus petit de ces nombres représente le PIB mondial. Il faudrait doubler la quantité de monnaie en circulation juste pour cette fraction du problème. L’autre méthode (que je peux imaginer) est de retirer cette argent de l’économie des biens et des services. Dans le premier cas, une inflation, dans le second une déflation, dans les deux cas, bonjour la casse. Cela ne peut que mal se passer.

    En plus, nous n’avons pas d’alternative à cette catastrophe. Nous n’avons pas de logiciel de rechange. La constitution pour l’économie de Jorion est une idée. Elle est un peu solitaire. Je ne vois pas les acteurs mondiaux s’enthousiasmer pour cette idée. La dispute des économistes se fait entre les libéraux (Hayek, Friedmann), les keynésiens (aussi très libéraux). Les Marxistes sont discrédités. Ils pourraient renaître.

    Je pense que mettre du politique dans l’économie pour la réguler est une excellente idée. Elle heurte de front le logiciel en cours. Les algorithmes de pensée des milieux économiques ne peuvent pas accepter cela. Il faudrait avoir, par exemple, une idée de bien commun. Ce concept permettrait de reconnaître que la constitution pour l’économie a un sens positif. Ce concept est totalement contraire à cette idée moderne de liberté personnelle qui veut que j’aie le droit de faire tout ce dont j’ai envie dans ma sphère personnelle. Elle forcerait les individus à se sentir dépassés par quelque chose de positif mais plus grande qu’eux. C’est la fin de la liberté au sens actuel du terme. Une constitution pourrait mettre un terme ou compliquer le déclenchement de crises comme l’actuelle. Je ne vois pas du tout comment cette idée pourra franchir l’obstacle de la liberté, dans le sens de « Je fais ce que je veux quand je veux et comme je veux ».

  2. Avatar de Crapaud Rouge

    Excellent ce : « Ah l’indécrottablecouetude du libéral dans l’âme, qui a grandi avec cette idée que les écuries d’Augias sont auto-nettoyantes. »

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