CHYPRE, GAZ SOLIDE, par zébu

Billet invité.

Quand on est riche et que l’on souhaite s’évaporer fiscalement, il y a tout lieu de rechercher l’état liquide, qui permet d’atteindre le paradis fiscal plus facilement. Rien de tel que la liquidité pour s’assurer que celle-ci continuera de couler, par tous les canaux possibles : ceux-ci ne manquent pas, y compris (surtout ?) au sein de la grosse turbine à air comprimé de l’Union Européenne.

Mais voilà, il y a Chypre.

Cette île avait tout pour elle. Elle condensait le gaz comme peu en Europe et renvoyait les liquidités dans des volumes impressionnant. Sauf qu’avec la crise, Chypre a eu besoin de l’aide financière de la Troïka et c’est là que les choses se sont gâtées.

En premier lieu, la BCE, le FMI et l’Allemagne ont exigé de taxer les dépôts. Taxer les dépôts, c’est comme rendre partiellement gazeux un liquide mais pour une évaporation cette fois-ci uniquement captée par les créanciers !

Ce précédent, orphelin de paternité, imposa un choix cornélien : ou taxer tous les déposants et affronter une crise morale, sociale et politique, ou ne taxer que les revenus supérieurs à 100 000 € et augmenter le taux de taxation des dépôts au risque de faire fuir les capitaux.

Néanmoins, afin d’éviter un bank run des déposants, les vannes des banques furent fermées et elle ne rouvriront que lorsqu’un accord entre Chypre et la Troïka sera défini, sous peine de fermeture des vannes de liquidités versées par la BCE aux banques chypriotes, sans lesquelles elles s’assècheraient comme des poissons hors de l’eau.

Ce fâcheux précédent d’évaporation des liquidités déposées devait alors inévitablement conduire à une autre mesure, d’un tout autre ordre, qu’un accord intervienne ou non concernant Chypre : le blocage des capitaux.

Car comme dans tout système hydraulique, si l’on permet de laisser ouverte la vanne de liquidités d’entrée mais que l’on laisse plus grande encore la vanne de sortie, le système s’assèche vite, sauf à assurer un débit que la BCE se refuse de fournir, ne serait-ce que par souci d’économie hydraulique : fermons donc le robinet des capitaux.

Pour rationnelle que soit cette mesure, elle créée néanmoins un second précédent, celui-ci plus fâcheux encore que le premier.

Car en supposant qu’un accord intervienne avec Chypre et que ses banques soient remise à flots, il reste qu’un message non subliminal sera alors transmis à tous les océans financiers du monde entier : si vous placez votre liquide à Chypre, non seulement il s’évaporera mais en plus, il se solidifiera.

De sorte qu’avec un tel accord, Chypre se place ainsi dans le nœud coulant de son exécution en tant que paradis fiscal : plus personne n’ira s’y risquer.

On pourrait se réjouir d’un tel résultat. Un paradis fiscal en moins au sein de l’UE, c’est toujours un problème de plomberie en plus pour la finance.

Sauf que le message vaut pour lui-même et qu’il ne s’arrête évidemment pas à la seule Chypre. L’évaporation comme la solidification des liquidités, c’est bien l’UE et la Troïka qui les ont imposées, contre l’avis de Chypre mais aussi contre les propres ‘normes’ que l’UE avait édicté comme fondement de son marché unique.

La liberté de circulation des capitaux n’est donc plus garantie (tout comme les dépôts inférieurs à 100 000 €, mais cela n’intéresse guère les investisseurs).

L’exemple fait sur le dos de Chypre en tant que paradis fiscal vaut aussi pour les autres : les paradis fiscaux de l’UE et surtout de la zone euro ne sont plus sûrs. Plus largement, si l’UE est capable de revenir sur des fondamentaux aussi importants que la garantie de la liquidité des investissements, il y a lieu de s’interroger sur la réorientation des investissements financiers à réaliser ou de faire sortir le liquide avant que l’on ne le solidifie.

Les craintes sur un bank run des déposants sont justifiées : la preuve, puisque l’on ferme les banques et qu’un blocage des capitaux s’instituera lors de leurs réouvertures.

Mais la Troïka a ‘oublié’ que ce second précédent aura de profondes conséquences pour elle, à terme : rendre solide les liquidités évaporées est plus qu’un crime financier, c’est un faute.

Une faute certes à 6 milliards d’euros mais que représentent ces quelques milliards dans un océan de liquidités ?

§

La Troïka n’a pas commis seulement l’erreur d’oublier la Russie dans son bluff monumental : elle vient juste de se mettre à dos l’ensemble de la finance, au pire moment dans une Europe qui a désespérément besoin de ses liquidités.

Chypre l’a bien compris, qui cherche encore à s’assurer les bonnes grâces de cette dernière. Et qui se raccroche à ses espérances comme un condamné qui s’accroche à sa dernière cigarette.

« Encore un moment, M. le bourreau !! »

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