L’IMPUISSANCE ÉRIGÉE EN RÈGLE DE CONDUITE, par François Leclerc

Billet invité

Pas un mot n’a été prononcé à voix haute à Bruxelles sur la sortie des clous de la France et de l’Italie, mais on n’y a parlé que de cela, tout se passant derrière le rideau. Pas tout à fait d’ailleurs, car Matteo Renzi a rompu tous les usages en rendant publique sur le site du ministre des finances une lettre « strictement confidentielle » du commissaire européen Jyrki Katainen relevant des prévisions budgétaires 2015-2017 s’écartant des objectifs et demandant des clarifications.

Le président du Conseil italien a mené une opération politique : « le temps d’une totale transparence est venu, je pense que les lettres secrètes appartiennent au passé. Avec l’Italie, les données seront intégralement publiques : nous voulons que tout soit clair avec Bruxelles, car c’est seulement de cette manière que les citoyens pourront tout comprendre ». François Hollande a refusé d’en faire autant, arguant du caractère « banal » du courrier qu’il a également reçu, le résumant à un acte de procédure.

De la politique, la BCE ne répugne pas non plus d’en faire. Quelle crédibilité va-t-on en effet pouvoir accorder aux résultats des stress-tests des banques et à l’examen de leurs bilans (Asset Quality Review) si, comme des fuites le laissent présager, un nombre limité de victimes expiatoires est déjà prévu pour tomber au champ du déshonneur ? Yves Mersch, membre du directoire de la BCE, clame déjà victoire : même avant l’annonce des résultats, « l’évaluation globale » (le nom officiel de l’exercice) a rempli ses objectifs, les banques ayant renforcé leurs bilans. On serait tenté de lui dire qu’il est inutile, dans ces conditions, d’en publier les résultats, et qu’il vaudrait peut-être mieux ne pas lever l’incertitude en décrochant l’épée de Damoclès !

La tentation est grande de penser que, si la BCE a pu se faire une idée plus construite de la situation effective des banques, le doute sur ses résultats officiels reste légitime. Mais la question est d’un certain point de vue devenue secondaire, car le retour de la confiance qui est espéré de ces bonnes nouvelles en supposerait d’autres qui ne viennent pas : la santé des banques est devenue un problème parmi d’autres devant l’atonie de la croissance et ses conséquences et l’absence de politique de relance effective. Alors que le schéma d’une relance reposant sur des investissements allemands destinés à relancer la croissance du pays, et par ricochet celle de l’Europe, est mis en question en raison de la faiblesse de ses effets potentiels – encore une idée fausse ! – un nouveau mécano financier est avancé.

Les spéculations et les pressions des marchés en faveur de l’ouverture des vannes monétaires de la BCE – l’arme nucléaire – s’étant révélées pour le moment vaines, une autre issue est recherchée. Après avoir fait rouler les prêts du LTRO (Long term refinancing operations) aux banques avec le nouveau programme TLTRO (’T’ pour targeted = ciblé), et tenté une relance du marché de la titrisation dont les titres atterriront à son bilan, mais dont il est raisonnablement peu attendu, la BCE pourrait acheter sur le marché secondaire des titres émis par la Banque européenne d’investissement (BEI). Celle-ci deviendrait alors le fer de lance financier de la relance par l’investissement.

Les yeux des investisseurs brillent déjà à l’idée que la BCE pourrait ainsi gonfler son bilan, exercice qui est d’ailleurs de plus en plus présenté comme un objectif en soi ! Tout est bon pour accroître une masse monétaire qui enfle pourtant si dangereusement. Sur le papier tout du moins, l’accouplement de la BEI et de la BCE pourrait tirer une épine du pied à Jean-Claude Juncker, qui a annoncé pour la fin de l’année des précisions sur son plan de financement pluriannuel de l’investissement qui sonne creux. Mais c’est sans compter avec le blocage des autorités allemandes qui s’obstinent à présenter les réformes structurelles comme la clé de la situation et ne veulent entendre parler que d’investissement privé.

Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, a utilisé une formule choc pour signifier son refus catégorique de toute relance par l’investissement public : « nous ne voulons pas de croissance à crédit ». Dans ces conditions, il n’y a plus qu’à tirer un trait sur le principe même de l’investissement public et consacrer le budget de l’État à son fonctionnement au ralenti… et au remboursement de sa dette ! Il a été relayé par Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, pour qui « tout ce qui retarde ce mouvement de réforme est dangereux pour nous », n’hésitant pas à ajouter pour le démontrer que « les pays qui on fait un ajustement très vigoureux et des réformes structurelles très fortes ont renoué avec la croissance ». Peut-on le dire autrement ? Ce sont eux qui avec ces idées fixes sont dangereux !

Des rumeurs circulent à propos de la réaction officielle de la Commission aux dérapages budgétaires français et italien, mais rien de définitif : comment marquer le coup et ne pas se déjuger sans pour autant affoler les marchés, ou bien mettre des gouvernements en total porte-à-faux serait une question pas totalement tranchée, exprimant une préoccupation partagée par la BCE à propos des tests et examens bancaires. D’autres rumeurs encore – elles ne manquent pas dans ce contexte de forte incertitude – font état de la détérioration masquée des relations entre le gouvernement allemand et la BCE, en raison d’analyses diamétralement opposées de la situation européenne et de ce qu’elle réclame. Mario Draghi prend en compte la faiblesse de la demande agrégée de la zone euro et cherche à y remédier avec ses moyens, tandis que Jens Weidmann considère que le problème n’est que structurel et implique les réponses que l’on connait.

Dans les deux cas, c’est mal parti, car d’autres problèmes structurels sont à affronter ! À commencer par ceux qui relèvent de la croissance, dernière en date des solutions miracle recherchée, dont les raisons de l’atonie ainsi que la nature même méritent d’être interrogées.

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