Les temps qui sont les nôtres : La guerre froide bat son plein, le 16 mars 2018 – Retranscription

Retranscription de Les temps qui sont les nôtres : La guerre froide bat son plein. Merci à Catherine Cappuyns et Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le vendredi 16 mars 2018. Il y a deux jours, avant-hier, je vous ai fait une vidéo qui s’appelait « L’affaire du défecteur Sergueï Skripal », cet ex-espion russe qui a été victime d’une tentative d’assassinat – et sa fille aussi qui se trouvait à ses côtés – et j’évoquais une atmosphère de guerre froide.

Et ce matin, deux jours plus tard, on se réveille et si vous regardez les journaux, si vous regardez la télévision, si vous vous informez un peu, vous vous apercevez que nous sommes non pas au début d’une guerre froide, non pas dans une guerre froide larvée, mais que nous sommes en plein milieu et qu’on vous en informe. On vous en informe en vous expliquant que voilà, on vous informe, voilà, que les services secrets russes ont infiltré entièrement les réseaux d’électricité dans nos pays, qu’il y a des hackers qui sont prêts – au sein des centrales nucléaires américaines – à pousser sur le bouton (sur la gâchette ou sur le bouton) de l’interrupteur. Et on vous explique, voilà, que nous sommes au milieu d’une guerre froide entre la Russie et l’Occident.

Et, si vous vous informez un tout petit peu plus, vous vous apercevez que les choses sont un petit peu plus compliquées que cela. Parce que les mesures qui sont prises aux États-Unis – ce matin et hier soir – sont des mesures qui impliquent que le pays est dans un camp et que le président est dans un autre. Voilà ! Ça se dessinait déjà un petit peu mais c’est une situation un peu inhabituelle. Et comme on sait que c’est un président qui a encore entre 35 et 40 % de l’opinion qui le suit – de l’opinion de son pays qui lui est favorable – c’est d’un pays assez divisé que l’on parle, aux États-Unis. Il y a un affrontement entre le gouvernement des États-Unis et la Russie et, il y a un affrontement au sein du peuple américain entre les partisans de Monsieur… j’allais dire Poutine ! De Monsieur Trump – c’est bien de cela qu’il s’agit – et du reste de la population dans son ensemble. Je vous mettrai une image en dessous de la vidéo et, si vous voyez la vidéo indépendamment de l’image, je vais quand même vous la décrire : c’est une jeune Russe, une égérie « poutinophile » qui brandit un grand portrait – un triple portrait – c’est un triptyque où on représente 3 personnages. Il y a Monsieur Poutine, Monsieur Trump et le troisième personnage, c’est Marine Le Pen.

Alors, ce qui est très intéressant pour nous Occidentaux – je veux dire européens de l’Ouest – c’est la représentation, le type de représentation de ces 3 personnages. C’est ce que nous avions l’habitude d’appeler du réalisme socialiste, en termes d’esthétique d’art – pour autant que l’on puisse encore parler d’art dans un cas comme celui-là : le réalisme socialiste, typique de l’Union soviétique. C’est une représentation très solennelle – les traits des personnages sont extrêmement améliorés par rapport à la réalité. Vous verrez, en particulier, un Monsieur Trump extrêmement svelte dans cette image. Et tout trois, tous trois, regardent dans la même direction, avec le même visage déterminé. Ça vous rappelle, bien entendu, ces anciennes images où on voyait Marx, Engels et Staline regardant dans la même direction, avec le même regard déterminé. C’est une évocation, sans doute involontaire, parce que je ne pense pas que les gens qui ont fait ce tableau, imaginent que nous allons immédiatement penser à Marx, Engels et Staline, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. En Chine, avec Mao Tsé Toung, on a eu des représentations du même type.

Cette jeune femme, Maria, apparaît dans un documentaire qu’on a pu voir sur Arte il y a quelques jours et qu’on peut toujours revoir, je vous mettrai le lien. Et dans ce reportage, il y a des tas de scènes très intéressantes. Je vais vous parler de deux en particulier. La première, c’est quand on interroge la directrice, la grande directrice de la chaîne de télévision russe « RT » qui représente l’opinion du régime en tant que tel : des opinions qui ne sont pas très éloignées de celles de Monsieur Poutine. Et la personne qui fait le reportage, le documentaire, pose à plusieurs reprises la même question sous des formes diverses à cette dame en disant : « Est-ce qu’on est dans une guerre froide ? Est-ce qu’on est dans une guerre entre l’Est et l’Ouest ? ». Et chaque fois la dame lui répond – elle croit être maligne mais en fait elle donne la réponse [rires]. Elle donne la réponse à celui qui pose des questions, elle dit : « Et vous, vous êtes dans quel camp ? ». C’est-à-dire que pour elle, il n’y a pas le moindre doute : il y a une guerre et on est dans un camp ou dans l’autre. Et en posant, au reporter, la question : « Dans quel camp êtes-vous ? », elle lui fait sous-entendre qu’il sait très bien qu’il y a une guerre. Peut-être qu’il le sait très bien, on ne sait jamais. Mais nous – je veux dire Paul Jorion de mon côté et vous qui regardez ça – on est peut-être surpris d’entendre ça. Entendre dire, la représentante de la chaîne RT, dire : « On est dans une guerre et on est d’un côté ou on est de l’autre ».

Alors, quel est ce côté ? Eh bien, je crois que le tableau de l’égérie Maria le montre très clairement, il y a ceux qui aiment Monsieur Poutine, Monsieur Trump et Madame Le Pen, et puis, il y a les autres de l’autre côté. Alors, est-ce que ça recoupe entièrement la division ancienne : États-Unis d’un côté et Russie de l’autre ? Non, puisqu’on a Monsieur Trump au milieu du triptyque. Non, ce n’est pas lui au milieu, il est sur un côté. C’est Madame Le Pen qui est au centre.

Et, une autre scène est très intéressante dans ce reportage, je vous mettrai aussi la photo, c’est que – vous vous souvenez ? Et en particulier sur mon blog – on s’est posé la question pendant la campagne présidentielle en France. Pourquoi était-il si difficile de mettre du même côté, de faire s’accorder le Front de Gauche et des représentants du type Monsieur Hamon du côté socialiste – durant la campagne électorale. Vous étiez nombreux à dire : « Eh bien, on est tous ensemble. Qu’on se mettent tous d’accord ! etc. etc. » Et la photo que vous allez voir, vous montre que les choses sont plus compliquées. Que ce n’était pas possible parce qu’entre ces deux composantes – le Front de Gauche et les partisans de Monsieur Hamon – la division passait au milieu. La division des deux camps qui sont là, maintenant, en présence dans cette nouvelle guerre froide. Il y avait d’un côté et de l’autre, vous allez voir la photo.

La photo, une fois de plus, pour ceux qui ne la verront pas, eh bien, elle est très simple. C’est une réunion de représentants de la France et de la Russie et, il est clair que c’est une réunion qui a réuni du côté francophone, un certains nombre de personnes qui sont des admirateurs de Monsieur Poutine et, à la table, il y a, au milieu, il y a un certain Monsieur Pons qui représente le journal d’extrême-droite « Valeurs Actuelles ». Alors, à sa gauche à lui, il y a Monsieur Asselineau. Vous savez, il y a ce parti d’extrême-droite français qui s’appelle l’UPR et qui travaille en particulier pour le « Frexit », la sortie de la France de l’Union européenne. Oui, je sais, certains d’entre vous vont me dire que Monsieur Asselineau n’est pas d’extrême-droite. Ne recommençons pas cette discussion à l’infini. Je crois que la plupart des gens raisonnables savent exactement où se trouve Monsieur Asselineau et que c’est à l’extrême droite et pas ailleurs. Donc, ce n’est pas la peine de revenir là-dessus.

Ce qui est plus intéressant, c’est la personne qui est à la droite du Monsieur de « Valeurs actuelles » et qui est un représentant de La France insoumise. Alors, vous comprenez du coup qu’il n’y a pas eu seulement une fracture dans la gauche entre les gens qui soutenaient Monsieur Hamon et ceux qui soutenaient Monsieur Mélenchon. Ce n’était pas une fracture, c’étaient les deux camps de la guerre froide dont on parle. Et c’est la même chose qui s’est passée ensuite dans la fracture du Front de gauche lui-même et là il est assez étonnant d’un point de vue historique – et c’est une petite ironie – mais voilà que là aussi la fracture c’est entre les deux camps et paradoxalement le Parti communiste ne se trouve pas du côté de la Russie, alors qu’on pourrait imaginer d’un point de vue historique que ce serait le cas.

Et quand vous voyez tout ça, quand vous voyez ce reportage, quand vous réfléchissez à tout ça, quand vous regardez l’information qu’on a ce matin dans les journaux, vous comprenez aussi ce qui s’est passé récemment dans cette tentative de mise sur pied d’une chaîne télévisée rapprochant les partisans de La France insoumise et du groupe de Monsieur Hamon d’autre part. Là aussi, comment voulez-vous que ce « Le Média » ait pu fonctionner puisque la fracture entre les deux camps passe entre les deux. Et je vous le répète bien : il ne s’agit pas d’une fracture gauche/droite, de type traditionnel. Il ne s’agit pas non plus de la Russie contre les États-Unis, c’est beaucoup plus compliqué, c’est une fracture au niveau du monde entre les partisans de Messieurs Poutine, Trump et Madame Le Pen d’un côté, de manière directe ou apparentée, et de l’autre côté, je dirais, tout le reste.

Curieusement on se demande où la Chine pourrait se placer là-dedans et, à mon sens, si on réfléchit un petit peu à la direction keynésienne dans laquelle s’engage la Chine, à la suite de son abandon d’un stalinisme – je dirais de type classique – il n’est pas évident me semble-t-il de voir de quel côté la Chine se trouve. Il est plus que probable qu’elle représente une troisième voie à l’intérieur de ce tableau et ça ne la dérange peut-être pas que les deux autres s’occupent en ce moment l’un de l’autre essentiellement : ça lui fait un petit peu de place.

C’est intéressant ! Ce que ça me rappelle – d’un point de vue personnel – ce sont des interventions que j’ai faites – on devait être en 2010 ou 2011 – et quand tout à coup sont apparues les fuites WikiLeaks, la personne de Monsieur Assange et cet affrontement que j’ai appelé « La guerre civile numérique » et qui a donné lieu à un petit livre que j’ai publié aux Éditions Textuel à l’époque (2011). C’était avant qu’on ne parle de Monsieur Snowden. Dans le cadre actuel, il faut bien dire que Monsieur Assange apparaît carrément assez aligné du côté de l’axe Poutine-Trump-Marine Le Pen. Il semble ne pas y avoir de très grands doutes de ce côté-là. Il a choisi son camp, ce n’est peut-être pas le meilleur, mais comme je vous dis, moi je ne suis pas là pour distribuer des bons points ce matin. C’est plutôt faire un constat de type journalistique où on se trouve. Nous sommes dans une guerre civile de l’humanité, nous sommes dans une nouvelle guerre froide. Les choses apparaissent comme la Russie contre les États-Unis mais c’est beaucoup plus compliqué. Ce n’est pas non plus la gauche contre la droite : c’est d’un autre ordre ; c’est d’un certain côté, je dirais, les gens qui s’identifient, ou qui considèrent comme un moindre mal l’ultra-libéralisme qui ne nous fait pas beaucoup de bien dans nos pays et de l’autre côté, c’est un populisme de type proto-fasciste – appelons-le par son nom – qui nous propose une alternative ou une pseudo-alternative à cela.

Ma position, vous la connaissez : je ne vais pas employer des mots comme « socialisme » ou « social-démocratie » parce qu’ils ont tellement été galvaudés qu’ils ne sont plus de beaucoup d’usage. Moi j’utilise encore le mot socialiste en le mettant entre guillemets et en disant « à l’ancienne », « selon la tradition » etc. Je préfère le mot de Keynésianisme. J’ai écrit un livre qui s’appelle « Penser tout haut l’économie avec Keynes » (2015), où j’ai dit ce que je pensais de lui : je le critique, je considère qu’il y a un grand défaut chez Keynes, c’est qu’il met trop entre parenthèses l’existence de rapports de force. Si on fait ça, on se laissera berner un jour ou l’autre, donc il ne faut pas le faire.

Mais il y a une autre voie. Malheureusement elle ne représente plus grand-chose dans l’opinion. Il y a chez nous cet affrontement entre ces deux camps dont l’un est pire que l’autre. A mon sens, oui, celui qui est véritablement proto-fasciste est encore plus dangereux à l’heure qu’il est aujourd’hui. L’autre, c’est ce que j’ai appelé souvent « le fascisme en col blanc », il est un moindre mal pour le moment mais il ne faut pas rester là-dedans non plus. Ils s’alimentent l’un l’autre. C’est le fait qu’ils soient médiocres tous les deux qui fait qu’ils s’alimentent l’un l’autre et comme le disait un commentateur – je lisais l’autre jour deux commentateurs américains excellents – la raison pour laquelle le populisme renaît toujours de ses cendres c’est que les gouvernements libéraux, qui reprennent leur place quand les autres se sont effondrés, ne s’attaquent pas véritablement aux problèmes qui avaient conduit à la montée du populisme et du coup on repart chaque fois pour un tour.

Il serait bon qu’on se concentre maintenant sur de véritables solutions. Keynes tout court, ce n’est pas suffisant, mais Keynes amendé, mis – je dirais – avec les problèmes, les trucs qui pendaient encore et qui n’étaient pas attachés ; tout ça réparé, ça fait quand-même un système que je vous recommande, qui est quelque chose qui est davantage vivable pour les populations dans leur ensemble.

Voilà, petite note ce matin. Je ne sais pas quand ça ira en ligne, je ne sais pas si je suis dans un hôtel où il y a une bonne ou une mauvaise connexion, on verra. En tout cas, moi je fais ça, il est neuf heures et demi. À tout à l’heure !

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