Retranscription de Après la démocratie parlementaire, quoi ?, le 6 novembre 2019. Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le mercredi 6 novembre 2019. Aujourd’hui, il y aura plusieurs vidéos. Celle-ci, la première, je vais l’appeler : « Après la démocratie parlementaire, quoi ? ». C’est un titre un peu bizarre mais je sais que Youtube qui ne tolère que les titres extrêmement courts, va charcuter le mien et donc, il faut qu’il soit toujours compréhensible après avoir été tronçonné.
De quoi s’agit-il ? Eh bien, comme vous le savez, nous sommes entrés, dans le monde occidental en tout cas, en Europe, aux États-Unis, en Grande-Bretagne – dans la mesure où elle n’est plus dans l’Europe ou essaye de ne plus l’être, dans des régimes où nous avons le choix entre des gouvernements de droite de type classique ou centre gauche et ce que l’on appelle du populisme, c’est-à-dire des propositions de changer de manière radicale ce qui est fait de manière tout à fait inefficace maintenant par les gouvernements de type classique et, malheureusement, les solutions populistes consistent essentiellement – on le voit en Grande-Bretagne, on le voit aux États-Unis – à ce qu’un démagogue mette à l’avant le profit, la logique pure des entreprises en se prétendant être l’authentique représentant du « Peuple », ce qui n’est même pas le cas de M. Boris Johnson mais c’est le cas de M. Trump, et qui, d’une certaine manière, arrive à berner un certain nombre de personnes, ne serait-ce que par une logique (dans le cas de Trump) suprémaciste blanche, c’est-à-dire : « Vous êtes des ploucs. Vous n’arrivez plus à rien. On vous a laissés tomber. On ne vous aidera pas mais vous appartenez quand même à la race élue par rapport à d’autres misérables autour de vous dont il est évident qu’ils valent beaucoup moins que vous, quel que soit l’état de dénuement dans lequel vous êtes ».
Il y a ce livre dont je vous ai déjà parlé, par un Américain [Jonathan M. Metzl, Dying of Whiteness. How the Politics of Racial Resentment is Killing America !s Heartland, New York : Basic Books, 2019], qui montre que des gens, maintenant, aux États-Unis, une partie importante de la population, 35 à 40 %, sont des gens qui refusent les mesures qui les aideraient de peur que ça ne bénéficie aux super-ploucs immigrés et autres qui sont autour d’eux.
Donc, nous sommes coincés dans un système qui n’arrive pas à traiter les problèmes de l’heure. Quand il est question de l’environnement, de menaces d’extinction, on vous dit « On va prendre une mesure ». En 2050, ceci, en 2075… pourquoi pas en 3400, pourquoi pas en l’an 4000, on résoudra nos problèmes. Le système tel qu’il est, il ne fonctionne plus. Il ne fonctionne plus. Il y a d’une part, donc, des gens qui nous promettent « Demain on rase gratis » et, évidemment, il y aura un certain nombre d’électeurs qui se laisseront prendre en tant que gogos à ce genre de promesses et, d’autre part, des gens qui vous disent : « On va faire la transition énergétique. On va faire ceci. On va faire cela » et puis, comme ils sont soutenus par des majorités de gens qui pensent uniquement, enfin pas uniquement mais dont l’attention est obnubilée par le fait de se faire élire la prochaine fois, ils ne veulent surtout pas faire de vagues, ne veulent surtout pas promettre des choses qui pourraient déranger, des changements radicaux de la société, parce que c’est difficile à expliquer, parce qu’il est tellement plus simple, en tant que parlementaire, de prendre un rapport qui a été fait par tel cabinet d’études – en général payé par une firme ou par plusieurs firmes – et de faire passer ça comme étant des textes de loi.
Il y a un confort qui s’est installé dans la classe parlementaire qui est simplement l’autoreproduction et ce n’est pas ça qui fera changer véritablement les choses, ce n’est pas ça qui nous sortira du cadre comme il faut absolument le faire maintenant. Ça ne veut pas dire qu’il faut éliminer ce qui est à la place d’un parlement, d’un sénat maintenant. On le voit aux États-Unis. C’est ça qui empêche des démagogues de devenir de simples tyrans, d’agir comme un contre-pouvoir, mais il faut réfléchir. Il faut réfléchir à ce qu’il faut mettre à la place.
Il y a cette tentative qui est faite de faire discuter des citoyens à propos des problèmes du climat. On tire des gens au sort. Ce sont des gens de bonne volonté qui vont écouter ce qu’on leur dit, etc. Alors, qu’est-ce qui se passe, là (qui pourrait être considéré comme un exemple par certains) ? Il se passe que, d’une part, on doit les former, c’est-à-dire qu’on doit d’abord demander à des experts de les former aux problèmes, de leur expliquer ce que c’est techniquement. Quand je dis « techniquement », je ne veux pas dire techniquement comme le disent les gouvernements ou comme le disent les entreprises, c’est-à-dire déguiser leurs propres choix de droite ou d’extrême droite comme étant des « solutions purement techniques ». Non, il faut que ces gens qui ont été tirés au sort, qui connaissent les problèmes uniquement vu la compréhension qu’on peut en avoir en regardant le journal ou en regardant la télé, il faut les former. Et une fois qu’ils sont formés par des scientifiques, qui sont des gens en général neutres, qui brandissent toujours leur apolitisme – on ne sait pas trop pourquoi mais enfin, c’est une habitude dans leur milieu [P.J. : une interprétation naïve de la notion d’objectivité] – il faut qu’ils prennent des décisions.
En fonction de quoi vont-ils prendre ces décisions ? C’est parce qu’il y a une 3ème partie qui est cachée un petit peu en arrière plan : ce sont les gens qui font l’articulation entre les scientifiques et les gens qui sont assis là. Ce sont les modérateurs. Comment peut-on les appeler ? [les « facilitateurs »], les gens qui aident au processus, les gens qui donnent les instructions techniques. Et, en fait, qu’est-ce qui va se passer ? Ce ne sont ni les scientifiques qui se cacheront derrière leur apolitisme de principe, ce ne seront pas les gens qui auront été formés par ces scientifiques, ce sera cette nouvelle classe de technocrates qui se trouvera là, à l’articulation, qui prendra les décisions. Donc, on aura remplacé des décideurs d’un certain type par des décideurs d’un autre qui pourraient très bien être, en réalité, exactement les mêmes qu’avant et donc, on n’aurait, de fait – derrière la façade – on n’aurait véritablement rien changé.
Alors, qu’est-ce qui va se passer ? Il va venir un jour ou l’autre où il faudra déclarer l’urgence pour l’environnement, pour la survie de l’espèce en tant que telle, et il faudra partir de la situation dans laquelle on est, c’est-à-dire d’administrations qui ne peuvent que rester à l’intérieur d’un cadre, qui ne peuvent que dire comment résoudre les problèmes d’environnement « en n’impactant pas la productivité des entreprises françaises », les caricatures qu’on a eues dans les questions qui étaient posées lors du « grand débat », c’est-à-dire qu’on vous fourguait déjà la réponse, la chose à laquelle on ne pouvait pas toucher, le cadre auquel il ne fallait surtout pas toucher sous prétexte de « patriotisme », sous prétexte de « souverainisme », etc. On peut vendre… sous le prétexte nationaliste, on peut vendre n’importe quel produit à n’importe qui, n’importe quelle camelote. On peut faire avaler aux gens n’importe quel type de couleuvre.
Il va falloir passer de ce système qu’on a maintenant, c’est-à-dire d’une alternance entre populistes et gens inefficaces. On va devoir passer à autre chose. On va devoir passer à ce que je caractérise d’habitude comme passer d’une logique des moyens à une logique des fins, remplacer le fait de dire… je crois que c’est André Gorz qui avait dit ça une fois, il l’avait formulé de la manière suivante : « Remplacer ce qu’on peut faire par ce qu’il faut faire ». C’est une très bonne formulation. Ça dit la même chose.
Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui s’est passé à partir de la fin du XVIIIe siècle ? On nous a inventé petit à petit – et c’est surtout le tournant des années 1870 avec le marginalisme – on a remplacé la vieille rationalité d’Aristote : faire des choses qui soient rationnelles, faire des raisonnements, arriver à des conclusions. On nous a remplacé ça. On a essayé de nous vendre – et ça a bien marché, on nous l’a vendu – une autre rationalité qui est l’allocation de ressources rares en fonction de l’utilité subjective. Ça n’a aucun rapport avec la rationalité. Si, ça a une logique. C’est une logique d’augmenter les profits en faisant baisser les coûts. C’est à ça que ça a conduit au niveau des entreprises. Et quand on a le malheur d’essayer de régler l’intérêt général en faisant passer ça comme la logique selon laquelle les États devraient fonctionner de la même manière, on voit ce que ça donne. Ah, on nous parle de coûts : « Ça coûte moins cher de faire ceci. Ça, ça coûte trop cher, etc. ».
On a mis entre parenthèses entièrement les objectifs qu’il faudrait atteindre : ce qu’il faut faire », pour faire simplement des calculs d’apothicaire, de comptable, en disant : « Qu’est-ce qui coûte moins cher ? » et on se trouve dans le paradoxe dans lequel on se trouve : on n’a jamais été aussi riches, il n’y a jamais eu autant de milliardaires, il y en a plus tous les jours, et les États nous disent : « On n’a jamais été aussi pauvres. On ne peut rien faire. On doit s’endetter, etc. ».
C’est-à-dire qu’en fait apparaît en surface que le fait d’avoir mis cette logique de boutiquier à la tête des Etats nous a conduits à la catastrophe. On finit par croire qu’on n’a plus de moyens alors qu’on n’a jamais eu autant de moyens mais tout ça est concentré : la richesse est concentrée quelque part. L’État-de-bien-être, on va nous le remplacer par le fait, d’abord, qu’on va nous pomper davantage de sous pour que ce soit nous qui le payons d’une certaine manière et le reste sera laissé à la philanthropie des plus riches qui auront l’occasion de distribuer leur manne d’une manière ou d’une autre pour se rendre sympathiques. On sera revenu au régime de la Rome antique, ce qui n’aura pas été un progrès !
Alors, comment organiser la transition ? Vers quoi faut-il aller ? Comme je viens de le dire, vers une logique des objectifs, vers une logique de… une rationalité où on se donne un but, un objectif, et on va mettre les moyens pour y arriver. Alors, vous savez, ça va tout à fait à l’encontre de l’ultralibéralisme, des choses inventées par M. Von Mises, M. Von Hayek et M. Milton Friedman qui disaient : « Oui, les citoyens sont beaucoup mieux informés sur ce qu’il leur faut. C’est à eux qu’il faut donner la responsabilité de le faire ». Qu’est-ce que ça donne ça ? Ça donne la « main invisible » d’Adam Smith.
La main invisible d’Adam Smith, c’est formidable mais ça veut dire que le jour où tout est cramé pour tout le monde, où il n’y a plus de terre autour de nous, tout a brûlé et ainsi de suite, il sera encore plus intéressant pour quelqu’un de dire : « Tiens, je vais quand même mettre mon intérêt particulier à l’avant ». C’est une logique qui fonctionnait bien, qui a bien fonctionné pendant un certain temps si on veut, dans un monde aux ressources infinies. On était peu nombreux. On était moins d’un milliard à l’époque où ces idées sont apparues et on peut se dire : « Voilà, on vit dans un monde sans limites ». Non, les limites, elles sont là. Nous sommes très nombreux. Nous avons à peu près peuplé la terre partout où on pouvait le faire et ça se termine parce que nous sommes en train de foutre en l’air le climat. Nous sommes en train de faire monter l’eau des océans. Les tempêtes seront de plus en plus fortes. Ça cramera absolument partout comme c’est le cas maintenant en Californie. La Californie, dans le journal que vous lisiez autrefois à cette époque-ci de l’année, il y avait un petit feu quelque part qui était contenu. Maintenant, vous pouvez regarder… Regardez le Los Angeles Times comme je le fais : il y a toujours 7 ou 8 feux en permanence un peu partout et il n’y a pas assez de pompiers, pas assez de techniques, pas assez de moyens pour essayer de contenir tout ça.
Alors, il faudra passer à autre chose. Il faudra définir ce qu’on veut faire et à partir de là, décider de comment on va le faire. Je l’ai dit, il ne faut pas éliminer les parlementaires comme contre-pouvoir mais il ne faut pas les laisser décider de tout parce que la facilité, parce que les problèmes techniques sont compliqués et font qu’ils vont simplement nous fourguer des textes qui ont été écrits par ce qu’on appelle les lobbies – j’appelle ça plutôt le corps diplomatiques des entreprises parce que c’est exactement ça – et c’est une classe qui essaye essentiellement de s’auto-reproduire et, comme j’en ai parlé à l’occasion des élections européennes, ça se fait par coaptation. On permet à des gens qui sont comme ceux qui sont déjà là – ce qu’on appelait autrefois et qu’on peut encore appeler d’un terme un peu classique – qui s’appellent des « arrivistes ». Ce sont ces gens-là qui s’auto-cooptent. Ce n’est pas à ce type de personne véritablement qu’il faut confier le sort de l’humanité maintenant qu’elle est en danger. Alors, il faut trouver autre chose.
Il faut trouver d’autres moyens de faire les choses. Est-ce que c’est ce qu’on appelle maintenant des gouvernements de techniciens, c’est-à-dire de gens qui savent comment il faut faire tourner les rouages d’une administration ? Pas seulement, parce qu’il va falloir modifier la logique entièrement. Il faut démarchandiser le problème du travail. C’est très important. Or, pour le moment, on est en train de rétropédaler de ce côté-là. On est en train de dire que donner des allocations chômage aux personnes quand elles ne travaillent pas, « c’est une honte ! », etc., que « ça encourage la fainéantise ! ». On est en train, voilà, d’aller dans la très très mauvaise direction de ce côté-là. Il faut aller, comme je le recommande, comme on le recommandera avec Vincent Burnand-Galpin dans le livre qu’on est en train d’écrire [Déclarer l’état d’urgence pour le genre humain, à paraître en avril], passer vers une économie de moins en moins « économique », de plus en plus orientée vers les choix qui nous permettront de faire survivre notre espèce à la surface de notre planète et ne pas faire, en plus, comme on le fait en ce moment, c’est-à-dire emmener dans notre catastrophe l’ensemble des animaux et des plantes autour de nous.
Voilà, il faut y réfléchir. Nous, on va mettre quelques chapitres là-dessus dans ce bouquin mais, en attendant, il faut lancer le débat. Je compte sur vous pour en discuter sur le blog.
Voilà, allez, à bientôt !
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