Si vous suivez un peu ce que je dis ici, vous saurez que je suis d’avis qu’il existe plusieurs courants au sein du Parti républicain aux États-Unis et que Trump n’en représente qu’un.
J’ai eu ainsi l’occasion de mentionner l’existence d’un courant de centre-droit que représentait de son vivant John McCain (mort en août 2018), rappelant que c’est un proche du défunt sénateur de l’Arizona qui avait été à l’origine de la diffusion à la presse du rapport Steele dont l’accusation la plus sérieuse est que Trump est la victime d’un chantage qu’exerce sur lui la Russie, qui détiendrait des documents compromettant pour lui, enregistrés à l’occasion de l’un de ses séjours à Moscou. J’ai signalé aussi, lorsque les spéculations abondaient sur l’identité du lanceur d’alerte ayant révélé la conversation marquée du sceau de l’infamie du 25 juillet 2019, quand Trump conditionna le renouvellement de l’aide militaire des États-Unis à l’Ukraine à l’obtention d’informations compromettantes pour Joe Biden, que la rumeur affirmait que cette personne était un ancien proche de McCain.
J’ai pu aussi, chaque fois qu’il a été question de John Bolton au cours des années récentes, rappeler son appartenance au courant néoconservateur du Parti républicain. J’ai dit aussi qu’une des fonctions à mon sens des récents Mémoires de l’ancien conseiller à la défense nationale est de replacer ce courant au centre des débats au sein même du parti, voire même à faire de Bolton lui-même un recours pour le « Grand Old Party ». Son refus de témoigner à la commission d’impeachment contribuait à l’asseoir dans ce rôle, en soulignant son opposition intransigeante au Parti démocrate.
Au temps pour deux courants au sein du Parti républicain qui ne sont pas à l’heure qu’il est en guerre ouverte avec les partisans de Trump. On ne peut pas en dire autant pour le Lincoln Project, un petit groupe de personnalités Républicaines déterminées à empêcher la réélection du Président et dont l’outil de prédilection sont des vidéos décapantes soulignant cruellement ses incohérences et ses ridicules.
Un livre paru au mois d’août propose une autre approche : considérer non pas que Trump ait kidnappé un parti s’identifiant à d’autres valeurs que les siennes, mais que son seul mérite ait été de faire apparaître en surface ce qui sont en réalité les véritables valeurs du Parti républicain depuis ses origines. L’ouvrage est de la plume de Stuart Stevens, stratège de longue date du Parti républicain, il s’intitule It Was All a Lie — How the Republican Party Became Donald Trump : Ce n’était qu’un mensonge. Comment le Parti républicain devint Donald Trump.
Stevens fait débuter son ouvrage par une profession de foi :
« J’avais été attiré par un parti qui s’identifiait à un coeur de valeurs : qu’avoir du caractère compte, la responsabilité personnelle, manifester sa force face à la Russie, la dette de l’État comme une affaire sérieuse, l’immigration comme ce qui a fait des États-Unis une grande nation, un parti sous un grand chapiteau où tous sont accueillis avec bienveillance. […]
Quelle folie ! Chacune de ces vérités immuables s’est avérée n’être qu’un slogan de marketing. Tout cela ne voulait rien dire » (p. 3)
Vient ensuite la démonstration de Stevens : les preuves historiques que Trump ne fait que répéter ce qu’avaient déjà dit certains de ses prédécesseurs au sein du Grand Vieux Parti.
Ainsi de William Schlamm (1904-1978), militant communiste dans son jeune âge, membre à 16 ans d’une délégation qui rencontra Lénine :
« L’espèce américaine […] est, cela va de soi, populiste plutôt que conservatrice – et pour une raison forte : l’Amérique s’est avérée être la seule société de la création bâtie à partir d’une intention humaine consciente et développée par des Européens fatigués des anciens engagements de l’Europe, et déterminés, chacun à sa manière, à « prendre un nouveau départ » (p. 84).
Ainsi aussi pour William Buckley (1925-2008), fondateur en 1955 de la National Review :
« La question centrale qui émerge est si la communauté Blanche du Sud a le droit de prendre toute mesure nécessaire pour prévaloir, politiquement et culturellement, dans des domaines où elle n’est pas la plus nombreuse ? La réponse qui donne matière à réflexion est Oui – la communauté Blanche a ce droit car, jusqu’à nouvel ordre, elle est la race avancée. […]
… il arrive que la minorité en nombre ne puisse prévaloir sinon par la violence : il lui faut alors déterminer si la prévalence de sa volonté justifie le terrible prix de la violence » (p. 85).
Pas de doute en effet : c’est bien là déjà Donald Trump tout craché. Et les exemples convaincants s’enchaînent dans l’ouvrage.
Est-ce que cela prouve pour autant la thèse de Stuart Stevens, que Trump ne trahit pas les valeurs Républicaines mais se contente en réalité de démasquer leur hypocrisie ? Je ne pense pas, et pour la raison suivante, qu’un Européen continental comprend plus aisément.
Dans des pays comme la France, la Belgique ou la Suisse, les opinions extrémistes trouvent à s’exprimer dans des partis extrémistes. Dans les pays bipartis ou pratiquement bipartis comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, les vues extrémistes s’expriment au sein des deux grands partis où elles représentent en général une opinion minoritaire. Il existe dans les deux pays une expression pour renvoyer aux courants extrémistes au sein des grands partis : « the lunatic fringe » : la frange maboul. Et le fait est que, et Schlamm, éditeur du bulletin de la John Birch Society, et Buckley, auteur d’un livre à la gloire de Joseph McCarthy, pourfendeur de « communistes » et apparentés, appartenaient de droit à la frange maboul du Parti républicain.
Est-il justifié d’affirmer que les franges maboul constituent la « vérité soigneusement cachée » des grands partis ? Pourquoi pas, mais alors à des fins polémiques essentiellement. À moins qu’une frange maboul parvienne un jour à remplacer complètement toutes les autres. Les prises de paroles récentes du centre-droit « à la McCain », des néo-conservateurs autour de Bolton, ou du Lincoln Project, justifient me semble-t-il mon scepticisme. Mais ne nous inquiétons pas : nous saurons exactement ce qu’il en est avant la fin du mois de novembre.
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