L’actualité (Dépressifs s’abstenir), le 20 octobre 2020 – Retranscription

Retranscription de L’actualité (Dépressifs s’abstenir), le 20 octobre 2020.

Bonjour, nous sommes le mardi 20 octobre 2020 et je vais appeler ma vidéo, je vais l’appeler : « L’actualité du jour » et je vais lui donner un sous-titre et ce sous-titre, c’est : « Dépressifs s’abstenir », voilà, parce que les choses qu’il y a à dire ne sont pas particulièrement réjouissantes. Il y a des vérités à rappeler, des choses à simplifier : à mettre sous forme, comment dire ? de choses plus faciles à digérer que la manière dont on vous les présente d’habitude.

Et de quoi je vais parler ? Je vais parler de la Covid-19. Je vais vous parler des élections aux États-Unis et je vais vous parler de la France dans une perspective particulière qui est le rapport entre la France et le monde de l’Islam. Vous avez compris pourquoi tout cela est assez déprimant, parce qu’il n’y a pas de choses très réjouissantes. Il n’y a pas de grandes solutions. Il y a pas beaucoup de lumière au bout du tunnel et, en fait, nous sommes au début ou au milieu de l’automne et il y a encore l’hiver à passer avant de voir revenir le printemps. Il y a des tas d’évènements auxquels j’avais décidé de participer et ils basculent tous un par un dans le virtuel, dans le distanciel. Je ne suis pas prêt de reprendre le train ! Bon, vous êtes peut-être obligés de le faire mais ce n’est pas recommandé. 

Qu’est-ce qu’on a eu ? Il est difficile de dire première vague, seconde vague, troisième vague. Quand vous regardez le nombre de cas déclarés à la surface du monde, on a atteint un plateau vers le mois de mai pour le monde entier et, depuis, ça ondule. Il y a un plateau, ça baisse un petit peu, ça remonte, etc. Si on parle de cas cumulés bien entendu, eh bien ça continue à monter vers le ciel. Il n’y a pas d’infléchissement. La situation se détériore à peu près partout. Pourquoi ? Parce qu’on a utilisé des méthodes plus ou moins radicales dans nos pays. Il y a des pays où on a utilisé des méthodes vraiment radicales et ça a marché, je vais y revenir. Et puis nous, on a fait 3 pas en avant, 2 pas en arrière et on est de nouveau dans le… malheureusement, on n’a pas tiré les leçons qui étaient pourtant claires de ce qu’il fallait faire si ça revenait. Si ça revenait, il fallait mettre entre parenthèses la protection de l’économie qui est de toute façon dans les choux et essayer de sauver les gens pour que, dans un deuxième stade, les gens puissent recommencer à travailler puisque nous sommes malheureusement dans un monde où nous sommes obligés de travailler. Et comme j’ai déjà expliqué, ce n’est pas tellement qu’on ait besoin de travail, c’est qu’on essaye de trouver un truc pour que les gens qui ont fait du profit en vendant les choses plus cher que ce qu’elles ont coûté, pour que cet argent-là se retrouve sous forme de pouvoir d’achat dans la population. Ce n’est pas tant qu’on soit tellement soucieux que les gens travaillent mais c’est parce que l’autre moyen de faire que les gens aient du pouvoir d’achat, ce serait essentiellement de le confisquer aux gens qui font du profit et de le redistribuer aux autres. Alors, on en arrivera peut-être là quand ça deviendra de plus en plus une fiction que les gens travaillent et que ça sert à quelque chose pour faire de la « valeur ajoutée ». On en sera peut-être venus là. Et c’est intéressant, par exemple, que le Fonds monétaire international en soit venu là, qu’il n’y ait pas d’austérité. Alors, vous vous souvenez il y a 12 ans ? Enfin bon, je reviendrai là-dessus, c’est un problème un peu distinct.

Donc, une épidémie qui fait que, tant qu’on n’a pas de vaccin et que ce soit un vaccin efficace… On me dit : « Oui, les vaccinations, il faudra peut-être les refaire de temps en temps ». Oui, évidemment, pour la grippe aussi il faut les refaire tous les ans. Pour des tas d’autres maladies, il faut faire des rappels de vaccin. L’immunité ne dure pas toujours mais enfin bon, quand on aura un vaccin, ce sera quand même mieux que de ne pas en avoir. Ça permettra d’avoir une certaine protection qui aura été calculée et qui sera plus efficace que simplement sortir en espérant que ça passe ou ça casse.

Il y a des choses qui marchent. Le masque, ça marche, la distanciation sociale, ça marche, le confinement, c’est encore plus efficace. Ça a des inconvénients. Et puis, surtout, on avait dit aux gens : « Le confinement, c’est un mauvais moment à passer. Vous retenez votre respiration et puis, à la sortie, le problème sera réglé une fois pour toutes » et là, j’avais dit casse-cou comme d’habitude quand je me trouve face à un problème où les causes étant les mêmes, les effets seront les mêmes. Je l’ai répété à plusieurs reprises. On m’a dit (toujours la même chose) : » « Oiseau de mauvais augure, etc. ».

En face de ça, qu’est-ce qu’on trouve ? On trouve des gens qui vous disent : « On a trouvé le médicament miracle ! En fait, ça n’a jamais eu lieu ! Et si ça a eu lieu, ça ne reviendra de toute manière pas une seconde fois ! etc. ». Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est ce qu’on appelle la pensée positive ou la méthode Coué, c’est dire qu’il n’y a pas de problème ou bien que tout s’arrangera nécessairement. Pourquoi est-ce qu’on dit ça ? On dit que c’est bon pour le moral, c’est bon pour le moral, voilà : il faut que les gens gardent l’impression que ça va s’arrêter bientôt, etc.

Mais je voudrais quand même dire une chose à propos de ces oiseaux de bon augure systématiques ». Qu’est-ce qu’ils font ? Il font que les gens vont de déception en déception. La déception ne porte pas tellement sur eux parce que tant qu’ils continueront à dire : « Oui, mais demain, ça va s’arranger ! », les gens continueront à les écouter mais ils obligent quand même les gens à se dire : « Ça va aller mieux » et à voir que ça ne va pas mieux. On leur dit à nouveau : « Oui, mais ça va mieux de nouveau ! », etc., etc. Je ne suis pas sûr que ce soit meilleur pour le moral que de mordre sur sa chique en se disant : « Quand ce sera terminé, ce sera terminé et ça ira mieux. En attendant, je fais ce qu’il faut ». C’est des questions de… c’est peut-être lié au christianisme où une fois par semaine, on allait se confesser et tous les péchés étaient rachetés. On disait quelques Avé et quelques Pater, « Je vous salue Marie » et « Notre père, qui êtes aux cieux » et l’affaire était réglée et on repartait pour un tour. Je crois que c’est peut-être ça, c’est peut-être ça qui fait qu’on redécouvre aussi facilement le Professeur Machin, le Docteur Machin, voilà, les « saints populaires » comme je les appelle, saints d’un cule populaire, qui réapparaissent. C’est un truc qui est sans doute propre à notre culture. On aime bien ça. On préfère les montagnes russes de l’espoir et de la déception au fait de mordre sur sa chique probablement.

Enfin, voilà, donc, la difficulté est que les gens qui étaient sûrs que ça allait s’arrêter pour une raison X ou Y qui était de l’ordre de la croyance, ceux-là, pour eux, c’est plus dur que ceux qui, comme moi, comme les lecteurs de mon blog, se disaient quand on leur disait : « En mai, ce sera terminé ou en juin, ce sera terminé », de dire : « On jugera sur pièce. On jugera sur pièce : on verra quand ce sera terminé ». Ce n’était pas une mauvaise chose de se rappeler qu’on employait des mots comme « calamité », « plaie », « fléau », pour ce genre de choses. Même si ce n’est pas une pandémie avec une mortalité très très élevée, on n’a pas encore fait le tour exactement des séquelles que ça laisse chez les gens, même chez les gens qui ont été asymptomatiques, même chez les gens qui ont juste eu « un petit rhume ». On les voit après, avec l’enveloppe des vaisseaux sanguins abimée, avec les conséquences que ça peut avoir, que ce soit dans le cerveau, que ce soit dans le reste du corps ici et là et ainsi de suite.

Bon, alors, qu’est-ce qu’il faut dire ? Le Blog de Paul Jorion va continuer son œuvre salutaire d’essayer de dire ce qu’on comprend et de ne surtout pas – ce n’est pas ce que vend la boutique – de faux espoirs. Ce n’est pas ça qu’on vend : on vend de la lucidité et même si ça demande à ce qu’on morde sur sa chique. Alors, on continue, on continue de ce côté-là. On va voir.

Est-ce que c’est bon pour l’économie qu’il y ait une seconde vague ? Non, ce n’est pas bon pour l’économie mais ça, la leçon est là. La Chine avait déjà des chiffres positifs pour son PIB. Je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas un grand prêtre du PIB. Je ne suis pas un croyant du PIB. Je vous ai expliqué ce que c’était : c’est des bénéfices qui doivent être déplacés par la suite mais enfin bon, c’est quand même une mesure de l’activité économique. La Chine a une croissance positive au deuxième trimestre. Elle en a aussi une au troisième trimestre. Ça va être pratiquement le seul… bon, il y aura des pays du même genre : la Corée du Sud, le Vietnam, peut-être le Japon dans une certaine mesure.

Il faut bien le dire : on peut ne pas être content du tout de la conclusion mais c’est le seul pays qui a trouvé la méthode qu’il fallait. Il faut éradiquer ce truc le plus rapidement possible, empêcher que ça circule, dès que ça réapparaît, reconfiner, refermer parce que les demi-mesures – et c’est une règle générale – les demi-mesures, ça ne marche pas. Et vous pouvez le voir : les pays qui ont le plus grand nombre de morts, ce sont aussi, en général, ceux qui ont les pires résultats économiques. Essayer de relancer l’économie dans une situation où ça ne marche pas, où ça ne peut pas marcher, c’est pire que de la fermer provisoirement. Et là aussi, ce n’est pas mal que le Fonds monétaire international dise exactement ce que je viens de dire là. Ce n’est pas là que je l’ai recopié : je le disais longtemps avant que lui ne le dise mais ce n’est pas mal non plus que des institutions internationales arrivent enfin à l’âge de raison. Ils auraient pu tirer cette leçon-là en 2008. Ils ne l’ont pas fait. Il leur a fallu 12 ans supplémentaires mais enfin bon, moi, je ne suis pas du genre à dire : « Ah, c’est pas bien, vous auriez dû le faire avant !». Mieux vaut tard que jamais et qu’on aille de l’avant. 

Bon, ça, c’est pour la première chose. 

Deuxième chose où c’est aussi… je ne vais pas vous remonter le moral en vous parlant des Etats-Unis ! C’est un pays qui s’est arrangé dans sa manière de… En fait, c’est parce que ce pays est une fédération et que cette fédération n’est pas le résultat du fait qu’on ait, d’en haut, divisé un État en différentes régions qui, après, seront fédérées les unes par rapport aux autres. Non, non, ce sont des états un par un qui se sont fédérés chacun avec ses mesures particulières, définition particulière de ce qu’est qu’élire des gens avec un niveau, deux niveaux, de délégation entre des délégués ou bien un suffrage direct, etc. [En 1776, 13 « colonies » britanniques, créent une « Union » déclarant son indépendance ; il y a aujourd’hui 50 états dans l’Union]. Mais donc, quand vous élisez un président de la République ou une présidente de la République, c’est une combinaison de différents systèmes qui font que, quand on regarde qui décide finalement des choses, de qui sera un président, je crois que c’est une fraction qui fait qu’il y a 1/5ème de la population, 20 % de la population à vue de nez, 1/5ème de la population qui décide, qui détermine qui sera le président [ensemble, la Floride, la Pennsylvanie, le Wisconsin, la Caroline du Nord, le Michigan et l’Arizona représentent 68 millions d’habitants sur 382 M pour les États-Unis, soit 18% de la population totale]. Pourquoi ? Parce que dans tous les autres états, le problème est réglé d’avance parce qu’il y a des majorités importantes soit de Républicains, soit de Démocrates. Et donc, on a ce qu’on appelle les swing states, les états susceptibles de basculer d’un côté à l’autre et là aussi, les situations peuvent être plus ou moins claires en fonction de ces niveaux de délégation et donc, il y a un 1/5ème de la population en réalité des Etats-Unis qui, par son vote, peut faire une différence. Tous les autres ne font qu’entériner les choses qui sont inscrites d’avance dans un équilibre délicat qui a été fait entre… il y a des états où il n’y avait personne : c’étaient de grandes plaines vides, enfin vides parce qu’on avait essentiellement éliminé les gens qui habitaient là auparavant mais enfin bon, ça, c’est une affaire ancienne du XIXe siècle (j’allais dire, qui se poursuit quand même en sous-main) et on voulait quand même leur donner une voix par rapport à des états qui sont des états côtiers où il y a des villes avec des millions d’habitants si pas des dizaines de millions d’habitants, moi, j’ai habité dans le comté de Los Angeles qui a davantage d’habitants que le pays où je suis né, la Belgique [faux : Los Angeles 10M, Belgique 11,4M].

Alors, on essaye de concilier tout ça et, du coup, il y a des tas de gens dont la voix ne compte pas puisqu’ils font partie d’une grande masse de gens qui votent exactement de la même manière [que leurs voisins]. Et donc, on se retrouve, à chaque élection, à essayer de déterminer, à partir d’1/5e de la population, ce qui va se passer et encore, une demi-douzaine de swing states qui ont chacun leur système particulier de vote et où le gouverneur peut être d’une obédience politique différente des électeurs, du sénat local, et ainsi de suite, un cauchemar.

Il y a quelques voix qui se sont élevées pour dire : « On va peut-être essayer d’arranger, de faire les choses autrement la prochaine fois » parce qu’on se retrouve souvent avec la situation où le « vote populaire », c’est-à-dire ce qu’aurait donné le suffrage universel, donne le résultat inverse du président qui est élu (je peux dire le président parce que, jusqu’ici, on n’a eu que des présidents) . Ça a été le cas en particulier pour M. Al Gore qui a perdu et pour Mme Hillary Clinton qui a perdu alors qu’ils avaient gagné le vote populaire, alors qu’au suffrage universel, ils auraient été président des Etats-Unis. Je dis pas que ça aurait été… enfin si, dans le cas de Trump, on peut dire que n’importe qui d’autre [rires] , n’importe quel autre citoyen américain qui aurait été nommé, qui aurait été élu à sa place, le résultat aurait été probablement moins grave que ce qu’on observe aujourd’hui.

Mais enfin bon, donc le 3 novembre, on ne saura pas qui est élu mais on aura une indication. Pourquoi est-ce qu’on ne saura pas ? Parce qu’il y aura encore des tas de votes par correspondance à dépouiller mais ce qu’on voit en tout cas, c’est une grande mobilisation du côté des Démocrates ou des gens dont les Démocrates jugent qu’ils pourraient être dans leur camp. Les votes par correspondance, on le voit, sont très élevés. Il y a une mobilisation de terrain.

Aux États-Unis, ça compte quand même, pour ce qui est des dépenses au niveau des états, et en particulier de ces swing states, de ces états qui font la différence, les sommes réunies par les gens qui peuvent mettre de l’argent dans les campagnes électorales, les sommes, pour le moment – cela date au moins d’un mois, deux mois -du côté Démocrate, les sommes à dépenser [pour les frais de campagne] sont des sommes beaucoup plus considérables.

Et d’autre part, il y a le fameux Lincoln Project, c’est-à-dire un groupe très actif de Républicains en faveur de Biden contre Trump et qui, eux aussi, semblent… ils sont même un peu ennuyés quand on les interroge à ce sujet, ils sont un peu ennuyés de la hauteur de leur budget. Ce n’est pas des gens qui quémandent. Si, si vous allez sur leur site, vous verrez, un peu par habitude, ils disent : « Si vous voulez mettre un peu d’argent, pourquoi pas » mais ils ne manquent pas de fonds non plus.

Donc, du côté des adversaires de Trump…ou alors, il pourrait en tirer un argument : « Vous voyez, ce sont les riches qui sont contre moi ! ». Et c’est vrai que quand on regarde ce qu’il lui reste comme base d’électeurs, ce sont essentiellement des gens à bas revenus. C’est essentiellement, effectivement, les hommes blancs sans diplôme universitaire.

Il y a cette fois-ci, et ça, il faut attirer l’attention là-dessus : on avait dit à propos de 2016, on a dit : « Vous voyez, c’est bizarre, les femmes sont aussi enthousiastes pour Trump que les hommes malgré la manière dont il les traite ! » et là, cette fois-ci, non. Il y a un différentiel entre les intentions de vote des femmes et des hommes. Pour le dire autrement, il y a peu de femmes qui manifestent l’intention de voter pour Trump.

On me dit : « Oui, mais les gens mentent, en particulier les électeurs de Trump qui ont l’habitude de mentir comme leur patron. Ils mentent aussi quand on leur pose des questions pour un sondage ! ». Oui, sans doute, c’est vrai, c’est constaté, mais ça ne porte pas sur des nombres considérables non plus [quand même de l’ordre de 1% des répondants, selon les instituts de sondage eux-mêmes]. Il y a quand même des électeurs de Trump qui sont fiers de le dire [qu’ils voteront pour lui].

Enfin voilà, donc, c’est quoi ? le 3 novembre, dans 2 semaines. Dans 2 semaines [30/10 : dans 4 jours], on aura au moins une indication autre que les sondages sur qui va être le prochain président des États-Unis. Comme le disent beaucoup de commentateurs et même – là, je le souligne – du côté Républicain, la femme de McCain  qui représentait quand même un courant significatif dans le Parti républicain [John McCain a été candidat à la présidence contre Obama en 2008], la femme de McCain [Cindy McCain] appelle à voter pour Biden, la nièce de Trump, Mary Lea Trump, demande à ce qu’on vote pour Biden et dernière recrue, une femme là aussi qui dit des choses très intéressante, Caroline Giuliani qui dit : « Mon père a perdu les pédales ! ». Je vous rappelle, c’est l’homme qui s’est fait manipuler et qui continue sans doute à se faire manipuler par la propagande russe en Ukraine et qui est sous surveillance (apparemment, maintenant, ça se révèle petit à petit), il est sous surveillance permanente du FBI pour les affaires extérieures, de la CIA & Cie et sa fille dit elle aussi : « Mon père a été roulé dans la farine. Surtout, ne faites pas comme lui, ne vous apprêtez pas à voter pour Trump ! ». 

Alors, dernière partie et non la moindre : c’est un sujet sur lequel je me prononce rarement parce que c’est un sujet très très grave et quand je dis grave, il est grave à la fois parce qu’il y a des implications très très sérieuses et il est grave parce que, quand on parle de religion, il faut en parler avec gravité.

Si vous voulez mon sentiment personnel, je ne suis pas quelqu’un qui trouve que ce soit une bonne idée de faire des caricatures des dieux des autres. Mon argument essentiel est que je crois qu’il y a des choses plus intéressantes à faire dans la vie et surtout, on joue avec le feu. On joue avec le feu : on risque de mettre à tout instant le feu à une poudrière. On peut dire – et ça, il faut le souligner – « Ce n’est pas moi qui ait mis la poudre ! Ce n’est pas moi qui ait inventé les allumettes ! », etc. Oui, mais il y a quand même un machin qu’on appelle, voilà, c’est une vertu – une vertu au sens classique – qu’on appelle la prudence. Alors, sachant que le monde est comme il est, sachant que si vous allez vous promener sur le bord d’un volcan dont on dit qu’il est actif, sachez que vous courez plus de risques que si vous restez sur les pentes (encore qu’un volcan, ça peut exploser très rapidement et puis, l’effet peut être instantané), mais sachez à quoi vous avez affaire.

Je vais dire un certain nombre de choses sur la religion, sur l’Islam, sur la religion musulmane. Je vais rester essentiellement – parce que j’aurai quand même une opinion, je dirais, d’ordre éthique qui sera probablement une opinion personnelle – mais je vais essayer de rester, de me cantonner dans mon rôle d’anthropologue, de sociologue, voilà, de personne qui réfléchit sur les rapports entre les êtres humains et je vais dire, quand même, un certain nombre de choses. J’ai un cours en préparation, d’ailleurs, sur ces choses-là et je relis mes notes (ce qui est une bonne chose dans le climat contemporain).

Il y a des religions et ces religions ne disent pas toutes la même chose. J’ai publié un article intéressant d’un philosophe chinois [Zhou JianMing] qui nous dit, par exemple, que « les religions monothéistes disent que… », oui les religions monothéistes sont différentes des religions polythéistes et ainsi de suite mais, dans les grandes qu’on connaît, elles ne disent pas la même chose : le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam ne disent pas la même chose. Elles ne parlent pas des êtres humains dans des termes identiques et chacune le fait d’une manière plus ou moins antagoniste envers ceux qui ne sont pas les croyants, les fidèles de cette religion-là. Les textes ne disent pas la même chose, les textes fondateurs : l’Ancien Testament, le Nouveau Testament, le Coran ne disent pas la même chose sur la manière dont il faut traiter les autres et ce que les autres sont aux yeux de Dieu et doivent être aux yeux des croyants de cette religion-là.

Donc, les religions, dans leurs textes sacrés, sont plus ou moins antagonistes vis-à-vis de celui qui n’est pas un fidèle de cette religion-là. Les religions aussi ont une attitude plus ou moins militante contre celui qui voudrait quitter cette religion-là, qui affirmerait qu’il n’est plus chrétien, qu’il n’est plus juif, qu’il n’est plus musulman et là, vous le savez aussi, il suffit de le dire pour savoir que l’attitude de ces trois religions, bien qu’elles soient monothéistes, n’est pas du tout la même vis-à-vis de ça. Il y a des religions, une en particulier, qui parlent de l’apostasie, c’est-à-dire que celui qui quitte cette religion-là est désigné à des poursuites au moins par ceux qui continuent à être les fidèles de cette religion-là. J’allais dire « est désigné à la mort ». D’une certaine manière, oui, oui [Wikipédia en anglais : « Until the late 19th century, the vast majority of Sunni and Shia jurists held that for adult men, apostasy from Islam was a crime as well as a sin, an act of treason punishable with the death penalty »]. L’apostasie est punie de mort, ce qui rend déjà très difficile un processus, je dirais, de sécularisation. Je ne dis pas que ça a été facile dans le cadre du christianisme. Je ne dis pas que le christianisme a toujours été extrêmement poli vis-à-vis de ses ennemis : je ne vous parlerai pas de l’Inquisition et ainsi de suite, mais au fil des siècles, il est devenu de plus en plus facile pour un chrétien de cesser de l’être, de ne plus aller à l’église, de pouvoir même dire de manière, je dirais « ouverte » : « J’ai cessé d’être Catholique » ou « J’ai cessé d’être Protestant » sans risquer sa vie pour autant. C’est une première chose.

La réciprocité aussi, à l’intérieur des textes : l’autre en face. Et ça a été un grand débat entre Paul et Pierre, au tout début : est-ce que le message s’adresse aux Juifs uniquement (version Pierre) ? Est-ce que le message s’adresse absolument à tout le monde (version Paul) ? Est-ce que quelqu’un qui devient Chrétien est chrétien exactement au même titre que tous les autres mais aussi celui qui refuserait de le faire : est-ce que c’est quelqu’un qui, du coup, perd d’une certaine manière son statut d’être humain ? Et là, je crois quand même que les Évangiles et les épitres de Saint Paul sont clairs : il n’y a pas d’exclusion définitive, on ne vous rejette pas, on ne vous traite pas automatiquement, je dirais, comme quelqu’un d’une race un peu inférieure. Tandis que, dans d’autres textes, il y a quand même la suggestion que celui qui n’est pas croyant n’est pas d’un degré égal à vous en termes d’humanité. Pourquoi ? Parce que vous êtes un méchant. Pourquoi est-ce que vous êtes méchant ? Parce que vous savez où est la vraie religion et vous refusez de la rejoindre. Il y a une perversité chez vous si vous n’êtes pas Musulman. Vous avez la possibilité de voir le vrai dieu et vous ne la saisissez pas donc vous êtes stigmatisé.

Cela ne veut pas dire non plus qu’il est dit qu’on ne peut pas vivre dans un monde qui soit un autre monde [qui ne soit pas musulman], dans le monde chrétien en particulier. La loi de nécessité vous permet de vivre entouré de gens qui ne sont pas comme vous, des Musulmans. Mais selon cette loi de nécessité, il y a quand même en arrière-plan – et si je me trompe, dites-le moi mais enfin, je crois avoir bien suivi avec beaucoup d’attention les cours d’Islam qu’on m’a donnés [ceux de « Civilisation musulmane » et « Lecture du Coran » d’Armand Abel (1903-1973)] – il y a quand même cette idée que c’est un statut provisoire : qu’il faut essayer de cesser d’être entouré de non-croyants, qu’il faut d’une certaine manière exploiter ceux-ci pour votre avantage et qu’il faut essayer de les convertir. Mais ce dernier point, le prosélytisme, cela existe aussi dans le Christianisme. Mais donc, c’est une situation qui, par définition, devrait être provisoire. C’est une situation où on vous dit que l’autre n’est pas de la même qualité que vous parce qu’il est un méchant parce qu’il refuse de voir la vérité et que la seule chose qu’on peut faire, c’est de l’exploiter au maximum.

Bon, poser le problème dans ces termes-là, ça rend très difficile la coexistence. D’abord parce que c’est défini comme une situation devant être provisoire, parce qu’on n’est bien qu’entouré des mêmes parce qu’eux ne sont pas méchants. Je mets « méchant » entre guillemets, je peux dire « pécheur », « coupable ». Les autres sont coupables, ils sont coupables qu’on leur propose le vrai dieu et qu’ils refusent de le reconnaître. Donc, déjà, il y a une situation, je dirais, instable : il y a une instabilité. La présence de communautés musulmanes à l’intérieur d’un monde qui n’est pas musulman crée des situations d’instabilité.

Aussi – j’y ai fait allusion tout à l’heure quand j’ai dit : « Bon, ce n’est pas ma tasse de thé de faire de la caricature », d’abord, je ne sais pas assez bien dessiner mais même si je savais, je ne crois pas que je passerais mon temps à ça – sachant qu’on est dans une situation d’instabilité, il n’est pas – je vais utiliser le mot, je crois que c’est le bon mot – il n’est pas « prudent » de le faire si l’on sait que cette situation ne va pas s’arrêter du jour au lendemain. Elle ne va pas s’arrêter du jour au lendemain, ne serait-ce que parce que, il faut bien le dire, nous sommes allés coloniser les pays musulmans où on ne nous avait rien demandé, on ne nous avait pas demandé de venir. Alors, ça peut partir de bons sentiments comme on l’a dit, parce que « Oui, mais ces gens étaient en train de se massacrer entre eux. Il s’agissait d’aller les séparer ! ». Oui, bon, d’accord mais on a quand même fait tourner le tiroir-caisse au passage. La Belgique est devenue très riche en ayant une colonie comme le Congo. Les pays colonisateurs n’avaient pas colonisé les autres pays uniquement par philanthropie [rires]. Bon, je vais présenter ça comme ça : « Ils n’y allaient pas uniquement par philanthropie ».

Alors après, qu’il y ait un héritage, qu’on fasse venir les gens avec qui les relations ne sont pas faciles par définition, qu’on les fasse venir parce qu’on a besoin de main d’œuvre bon marché. Et en plus, qu’après, quand il n’y a pas de travail, on essaye de mettre le problème entre parenthèses, qu’on parque plus ou moins dans des réserves les gens dont on n’a pas besoin dans l’immédiat, tout ça n’arrange pas les choses. Alors, quand on me dit : « Est-ce que c’est un problème essentiellement économique ? Est-ce que c’est un problème essentiellement social ? Est-ce que c’est un problème essentiellement d’ordre religieux ? ». Non ! J’emploie cette image de soliton pour les problèmes dans lesquels on est : des vagues différentes peuvent se combiner en une vague énorme et là aussi, dans le rapport, dans la présence de grandes communautés au sein de pays qui sont allés coloniser d’autres pays, la présence dans ces pays qui sont encore chrétiens ou qui ne le sont plus, qui sont des « chrétiens zombies » comme dit l’ami Todd, c’est-à-dire en fait où les gens disent : « Non, non, je ne crois plus du tout à rien du tout, ni au Ciel, ni à quoi que ce soit ! » mais dont tous les comportements sont encore imprégnés par l’éthique qui est celle de la religion qu’ils ont complètement oubliée, on a quand même affaire à deux mondes en présence dans une combinaison instable. 

Une combinaison instable qui fait que, oui, il y a toujours, en permanence, une poudrière, que, oui, il y a un texte qui est un texte qui a une dimension incendiaire. Il a été fait pour ça : tous les commentateurs sont d’accord pour dire que le Coran est à la fois un texte religieux mais aussi un texte fondateur, de fondation même d’un nationalisme arabe. Je ne vais pas parler d’« intention » puisque, selon le prophète Mahomet, c’est un message qui lui est venu du Ciel mais il s’est fait que, dans ce message venu du Ciel ou qu’il a écrit lui-même de sa propre initiative, je ne me prononce pas, il y a une dimension nationaliste tout à fait évidente, qu’il y a aussi des revirements. Il y a des revirements, quand les gens s’intéressent à mettre les sourates non pas par ordre de longueur, qui est l’ordre qui a été retenu, mais dans un ordre historique d’après ce qu’on peut comprendre, c’est un texte qui a aussi un revirement, où il y a revirement jusqu’à un certain endroit, une représentation, je dirais, amicale des héritiers d’Abraham, c’est-à-dire les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans et puis, il y a un basculement [surate du Retour à Dieu (al Tawbat, N°9)].

Il y a un basculement. Je reviendrai là-dessus parce que, voilà, je vais m’intéresser au texte en tant que tel pour donner des leçons. Il y a un basculement qui vous dit : « Non, ce sont des infidèles. Ce sont des incroyants alors qu’ils pourraient savoir »,  ils savent ce qu’il faudrait faire, en fait, pour s’amender, pour ne plus être coupable, pour ne plus être méchant et ils ne le font pas d’intention délibérée [« Ceux qui ne croient pas en Dieu, ni au jour dernier, qui ne tiennent pas pour interdit ce que Dieu et son Prophète ont interdit, et qui ne suivent pas la vraie religion, combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient la capitation de leur propre main, et qu’ils soient humbles » (« verset du Glaive » N°29)]. 

Alors, pourquoi est-ce que j’ai appelé ça « Dépressifs s’abstenir » ? Vous le voyez bien, c’est parce que les solutions ne sont pas évidentes. Il n’y a pas de solution évidente. On peut aller vers la solution. On peut prôner une fiscalité plus agressive envers les riches plutôt que l’austérité, comme le fait maintenant le Fonds monétaire international et comme un certain nombre de personnes – je n’étais pas le seul à le dire – le disent depuis un certain nombre d’années. Il y a moyen de poser le problème de l’Islam en France à partir d’une grille de lecture qui dit « poudrière », « situation instable », « texte incendiaire ». Il y a moyen de poser quand même les problèmes dans ces termes-là et d’avancer quand même plus rapidement vers, sinon une solution définitive parce que je vous l’ai souligné sous différents aspects, une solution définitive ne se profile pas à l’horizon, on peut au moins gérer la situation de fait, telle qu’elle est, à mon sens, mieux qu’on ne le fait. Bon, je ne vais pas entrer dans les détails mais le fait est que nous oublions nos histoires, nous oublions que la notion de blasphème existait dans nos religions. Nous oublions que c’est une loi de 1905, c’est-à-dire il n’y a pas un million d’années, qui a réglé le problème entre la religion catholique et l’État en France et ainsi de suite. Bon, mais là, je ne vais pas entrer maintenant dans un débat historique. Je crois avoir dit ce que j’avais envie de dire pour ce matin. Voilà. 

Donc, l’état de l’actualité. Lucidité, le message est toujours le même et c’est mon message sur la Covid-19. Si vous êtes du genre à raconter des bobards en disant : « Il n’y a pas vraiment de seconde vague. Oui, mais, vous voyez, il n’y a pas autant de morts. Oui, mais les tests de positivité, ça veut rien dire. Oui, mais regardez, si on teste davantage, il y aura plus de cas… », cessez de dire ça. Je ne crois pas que ça fasse du bien aux gens. D’abord, vous serez pris à contrepied de manière permanente et je ne crois pas que l’alternance en montagnes russes d’un espoir sans justification, injustifié, et des déceptions qui les suivent, je ne crois pas que ce soit meilleur pour le moral que le fait de regarder en face la situation et de se dire : « C’est une situation compliquée. L’histoire humaine en est pleine. On y est entré. On en est sorti mais on ne pouvait pas dire d’avance combien de temps ça allait durer. Ça n’a pas été fait pour rendre les gens heureux. Ça a des inconvénients ! » Oui, ça a des inconvénients. « On ne peut pas dire aux gosses que ça a des inconvénients ! ». Mais si, on peut dire aux gosses que ça a des inconvénients. On finit par leur dire aussi qu’on mourra un jour et voilà, ils continuent à vivre et ils vivent, si possible, de manière heureuse malgré le fait de savoir que ça s’arrêtera un jour. Donc le fait que la fête doit parfois s’arrêter, on peut le dire aux gens. Je crois que chacun peut prendre ça. On le prend à sa manière, mais c’est nécessaire : nous vivons ensemble, dans un système social, des collectivités et le fait de dire : « Oui, mais moi, ça m’arrange pas ! », parfois, il faut le taire, ou si la personne ne décide pas de se taire de soi-même, de trouver un moyen non pas de la faire taire mais peut-être de la mettre dans une situation où ça ne fera pas trop de dégâts le fait qu’elle continue à blablater. 

Bon, allez, à bientôt !

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