« Toutes affaires cessantes »

J’ai vu se profiler une crise financière et économique gigantesque, et j’ai dit : « Il faut s’occuper de cela, toutes affaires cessantes ! » J’ai regardé autour de moi, et je n’ai vu que des yeux ronds. À une exception près, qui est aussi celui qui m’a dit un jour il y a dix ans à propos d’une personne dont j’entendais le nom prononcé pour la première fois : « Attention, il est présidentiable ! »

J’ai vu se profiler l’extinction de l’humanité. J’ai dit : « Il faut s’occuper de cela, toutes affaires cessantes ! » Là aussi, je n’ai vu que des yeux ronds, sauf dans un pays très lointain mais qui se sait au milieu.

J’ai vu la Bête de l’Apocalypse, et son nom était Trump, et j’ai dit : « Il faut s’occuper de cela, toutes affaires cessantes ! » Je le répète ici tous les jours, mais j’entends dire : « Ça n’intéresse pas grand-monde, ce n’est pas vendeur ! Vous n’avez pas plutôt écrit quelque chose d’optimiste ? »

Une explication possible serait que je ferais partie d’un groupe de personnes de taille infime à qui les choses dangereuses font peur. J’ignore en effet quelle est la proportion de mes contemporains qui prennent des calmants tous les jours, ou se biturent du matin du soir, et sont du coup dans une sorte d’anesthésie constante par rapport au monde d’autour d’eux et, tout simplement, n’entendent rien de ce que je leur raconte. Si je leur dis « Ouvre la fenêtre ! », ils le feront parce que leur corps m’aura entendu, mais leur tête est en permanence dans les vaps : très loin en tout cas de la peur, de l’angoisse et des anxiétés (pouah !). Si ça se trouve, ils constituent une majorité absolue, ce qui expliquerait les yeux ronds observés autour de moi.

Mais la raison me semble-t-il est ailleurs : elle est dans ce « toutes affaires cessantes ! » que j’emploie. Ce n’est pas que l’expression leur soit incompréhensible, c’est qu’elle est inapplicable parce qu’il y a les enfants à aller chercher à l’école, la patronne ou le patron qui serait contrarié, les traites à payer, la belle-mère à aller voir dimanche.

« Toutes affaires cessantes, Monsieur Jorion ? Allez voir Mme Michu au fond du couloir : elle est à trois semaines de la retraite, elle pourra peut-être vous consacrer dix minutes. »

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