ENRON REVISITÉ (III) « TOUT IRA TOUJOURS POUR LE MIEUX ! »

Post-Enron WorldENRON REVISITÉ (I) « IL Y A NOUS, D’UN CÔTÉ… ET PUIS TOUS LES AUTRES… »

ENRON REVISITÉ (II) L’ARROGANCE, MÈRE DE LA FRAGILITÉ

Enron ne fut pas, loin de là, le seule firme à considérer que tout irait toujours pour le mieux, quoi qu’il advienne.

Sans parler même d’éventuels effondrements du système financier (comme celui que nous vivons en ce moment), chacun sait que l’économie capitaliste est sujette à des crises cycliques, où les périodes de vaches maigres succèdent aux périodes de vaches grasses. Ceci n’empêche pas que l’existence de secteurs entiers de nos économies repose sur le postulat que de tels cycles n’existent pas et que tout ira toujours pour le mieux. C’est le cas en particulier de l’économie des ménages sous tous ses aspects.

Les SICAV ou les FCP n’ont de sens que si tout va toujours bien : que le prix des valeurs mobilières ne peut que grimper inexorablement. L’assurance-vie repose sur le même principe : l’immobilier dans le portefeuille des assureurs ne peut que grimper, tandis que les États émetteurs des obligations qu’ils détiennent ne feront eux jamais défaut sur leur dette souveraine. De même encore pour le système de retraites 401(k) aux États-Unis, financé conjointement par l’employé et par son employeur, où l’employeur fait correspondre, dollar pour dollar, sa contribution à celle de l’employé, contribution qu’il verse sous la forme… d’actions de la compagnie, dont la valeur ne peut que…, etc.

Quand les choses vont mal ou, comme on dit pudiquement : quand l’économie se trouve « dans la phase basse du cycle », le cours des actions baisse et les SICAV avec elles, le portefeuille des assureurs se déprécie, les États émetteurs de dette perdent leur notation « AAA » et la valeur de leurs obligations baisse, la cote des actions des entreprises baisse, et le montant de la retraite de leurs employés libellée dans leurs termes, s’effondre : l’employé d’Enron convaincu d’avoir accumulé une retraite d’un montant de 330.000 dollars, se retrouve à la tête de 1.700 dollars seulement.

Partant du principe que l’avenir ne pouvait être que rose, Enron s’était engagée à compenser en argent liquide les pertes qui découleraient pour ses partenaires commerciaux d’une dégradation de sa notation de crédit. Et ceci comme si le moment où les agences de notation s’inquiètent du risque de crédit que présente une compagnie pouvait être celui où ses réserves en cash seraient particulièrement abondantes !

Non, le problème ne se poserait jamais : si des créanciers devaient jamais perdre confiance dans la firme, ce serait sans justification aucune et c’est pourquoi Enron avait inscrit dans sa fonctionnalité ce que le notateur Standard & Poor’s qualifierait de « falaises de crédit », qui seraient automatiquement autant de « falaises de notation » : des engagements irréfléchis de la part de la firme qu’en cas de pépin, elle sortirait son chéquier et réglerait rubis sur l’ongle tout regrettable malentendu qui serait apparu. L’arrogance et l’hybris régnaient en maître !

Il est prohibé à une compagnie, et ceci pour des raisons qui paraissent évidentes à quiconque n’est pas financier, de lier son sort au cours de son action sur le marché boursier. Mais la tentation est souvent irrésistible : « Si tout le monde considère que nous valons une fortune, pourquoi serions-nous, nous, dirigeants de l’entreprise, les seuls à devoir l’ignorer ? »

Souvenons-nous que nous parlons ici d’un monde où si la lettre de la loi, du code fiscal et des règles comptables, est prise très au sérieux, de son esprit, on se contre-fiche allégrement. « La loi interdit donc à une compagnie de traiter ses propres actions comme une marchandise, soit, mais interdit-elle de traiter les produits dérivés dont ses actions seraient le sous-jacent comme des marchandises ? » Je vous le demande !

Vivendi – compagnie française de grande renommée – révéla en avril 2002 qu’elle avait financé le programme de stock-options de ses dirigeants à l’aide des primes collectées lors de la vente de « puts » sur des dizaines de millions de ses actions, contrats qui la mettaient dans l’obligation de verser aux acheteurs de ces options le montant de la dépréciation qui résulterait de la baisse éventuelle du cours de l’action. Mais pourquoi diable ce cours aurait-il jamais baissé ?

De la même manière, Enron avait adossé dans l’un de ses « partenariats », les actions au destin incertain de la compagnie Rhythms qu’elle avait acquise, à des warrants, des paris à la hausse sur le prix de ses propres actions, paris « in-the-money », c’est-à-dire gagnants, au moment de la création du partenariat. Les choses n’auraient pu mal tourner que dans le cas tout à fait improbable où les actions d’Enron elles-mêmes, se seraient dépréciées. Or devinez ce qui se passa ?

Ces paris que je viens d’évoquer, sur le fait que tout ira toujours bien, découlent-ils uniquement de la naïveté humaine, dont les dirigeants des grosses entreprises seraient les victimes au même titre que quiconque ? Si c’était le cas, pourquoi prennent-ils tant de soin à se construire des canots de sauvetage, à mettre en place des mécanismes permettant de vider la caisse avant liquidation totale, et à entreprendre même le pillage de la firme de manière anticipée, comme ce fut le cas d’Enron ? C’est la question importante à laquelle je répondrai dans la quatrième partie du présent feuilleton.

(… à suivre)

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