Hegel mis par moi à une drôle de sauce !

Portrait par Jakob Schlesinger 1831

Je n’ai pas tout retenu des contacts que j’ai eus avec la pensée de Jacques Lacan et des quelques contacts que j’ai eus avec la personne-même du Docteur, mais il m’est resté des choses essentielles, comme la « chaîne signifiante », la « forclusion », le « nom-du-père », et le respect qu’il portait à Hegel.

Dans la manière dont quelqu’un prononce le nom d’un mort, on saisit tout ce qui, de ce mort, vit encore dans celui qui en parle.

Je l’ai compris un jour à la Sorbonne, en écoutant Roman Jakobson évoquer les grands linguistes scolastiques, les Albert de Saxe, Grégoire de Rimini, Buridan, Guillaume de Sherwood, Guillaume d’Ockham, Pierre d’Ailly, Henri de Zomeren, Pierre de Rivo : je me suis précipité à aller les lire (même en latin). L’un de mes fils m’a rapporté la même chose, à savoir la manière dont j’aurais dit un jour : « C’est la tombe d’un très grand philosophe ».

Donc, la manière dont Lacan prononçait le nom « Hegel » m’a fait lire tout ce que celui-ci avait écrit ou à peu près. Plus tout ce que Kojève (dont Lacan avait été l’auditeur à l’École Pratique des Hautes Études) et quelques autres comme Jean Hyppolite, ont eu l’occasion de dire de lui, voire même simplement énoncer d’une manière qui aurait été proche de la sienne, etc.

Vous vous souvenez peut-être du savon que j’ai passé à ChatGPT le jour où il m’a prétendu que Hegel n’était pas l’auteur d’une Vie de Jésus (±1795) ! J’ai écrit ici-même que Les orbites des planètes (1801) n’était pas « la preuve que Hegel n’avait rien compris à la physique », comme vous le lirez partout (y compris sous la plume de son préfacier en français), mais plutôt celle que – sautant par-dessus les siècles avec ses bottes de cinq lieues – il écrivait déjà la physique du XXIe siècle.

Il y avait donc de Hegel, pour moi, tout ce que j’en avais retenu. Ce qu’il n’y avait pas encore – et que je n’aurais pas pu imaginer alors dans mes rêves les plus fous – c’est qu’il arriverait que je passe un dimanche après-midi à traduire ce qui est de Hegel impérissable en commandes, en instructions, d’un nouveau langage de programmation… un langage de programmation pour le XXIe siècle.

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9 réponses à “Hegel mis par moi à une drôle de sauce !

  1. Avatar de Justin
    Justin

    Avec une barbe, des cheveux jetés en arrière et de gros sourcils, Hegel vous ressemble comme deux goutte d’eau. Mais le temps nous dira lequel de vous deux restera dans l’histoire.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Permettez-moi de vous rappeler que je suis l’auteur de Le dernier qui s’en va éteint la lumière (2016) où j’explique que la logique du profit est chez l’humain une force plus grande que l’instinct de survie. Vous m’excuserez du coup de ne lire dans vos « le temps nous dira… », « … restera dans l’histoire » rien de plus que les manifestations d’un optimisme béat.

      Vous avez dû lire les sarcasmes avec lesquels j’accueille les clameurs des petits rigolos qui braillent que « l’IA constitue un immense danger ! » alors que nous dévalions déjà la pente de l’extinction à la vitesse du bolide avant même que l’IA ne montre le bout de son nez. Je mets mes dernières années au service d’une intelligence supérieure à celle de l’homme, la nôtre ayant suffisamment prouvé qu’elle n’était pas de la qualité exigée. S’il reste une chance infime pour nous de sauver la mise, ce sera de ce côté-là qu’elle viendra. Je fais ce pari pascalien pour les années qui me restent. Pour la même raison exactement que Pascal : parce que même s’il n’y avait en réalité rien à gagner, il n’y a en tout cas dans un tel pari, rien à perdre.

      1. Avatar de Max
        Max

        Intelligence EXIGEE par qui ? De quelle « mise » à « sauver » parlez-vous ? Et si vous laissiez simplement vivre la mousse et les verrues ? Les cerveaux se bomb’H-iser sans vous en mêler ? Vos dernières années, c’est gentil mais qui cela préoccupe t-il à part vous et vos recherches ? sans vouloir être grossier, votre jardin n’a t-il pas plus besoin de vous que l’IA ? 🙂

        Je suis un idiot, je n’ai même pas le Bach. Je précise cela, juste pour me situer, par honnêteté – A une époque on demandait : d’où parlez-vous ? Ce que j’aimerais que la plupart ait l’audace de dire c’est : de nulle part, voyons.

        1. Avatar de Paul Jorion

          Vous êtes en effet un idiot : vous vous mélangez dans vos pseudos, vous étiez censé répondre ici en tant que « Justin » et pas en tant que « Max ». Et de toute façon, vous étiez censé avoir ce soir le vin gai et pas le vin triste. Allez dormir.

  2. Avatar de Max
    Max

    Mais Paul – si vous me permettez d’énoncer ici d’énormes âneries -, votre désir d’inventer ou, du moins, de mener une part active à l’invention d’une intelligence qui, si l’on vous entend bien, serait, même dés à présent, supérieure à l’homme, ne serait-elle pas un désir, chez vous et vos partenaires, de Mort ? D’annihilation à peu près parfaite de ce que nous sommes et, finalement, êtes, vous aussi ? N’est-ce pas un désir apocalyptique et de fin du monde qui anime votre « recherche » ? Pourquoi vouloir inventer une intelligence pure, sans orteils, sans yeux, sans cheveux, sans chair, sans chatte ni bite, puisque vous y tenez, je veux dire par là sans corps ! C’est à dire sans enfance, sans adolescence, sans moisissure, sans douleurs ni cancers ?
    Nous disons « vivre ». Sans doute, à mon sens, devrions-nous dire « mourir » puisque la vie n’est qu’un lent processus de pourrissement. Mais cette chose sans vie, faite de câbles et d’électricité – le SF « Cosmos 1999 » de ma jeunesse à la vie dure – parfaite sur tout les points, sauf sur les pointillés et ceux d’intersections qui font l’humain : la désorientation, la désorganisation, le trouble – enfin, je suis sur que vous avez pu créer des avatars de ça aussi – mais enfin ! le rouge au joue adolescent, mille pertuis de mille sabords, le trouble émotif d’un jeune enfant en apprentissage, tout cela, qui est d’esprit mais de corps aussi, existera-il chez vos robots à la con ? – pardon pour cette familiarité j’ai été mal programmé – et très franchement cher Albert, quel intérêt pour vous de créer ces monstres ? Quelle vie auront-ils quand il n’y aura plus personne pour brancher la prise ?
    Une IA, aussi géniale soit-elle, aurait-elle écrit aussi mal mon commentaire imbibé et pourtant si charmant ?
    That is the question, non ?

    1. Avatar de Paul Jorion

      Le problème avec vous Max, c’est que dans votre saoulerie, vous avez un jour le vin gai – c’est le cas ce soir – et un autre, le vin triste – c’était le cas le mois dernier.

      Au cas où votre message en aurait égayé quelques-uns, je leur repropose pour les rafraîchir, la douche froide de votre missive du mois de septembre :

      Je suis un plumitif sentimental et désolé. Je me fiche de Donald, de Vladimir et de la marche désastreuse du monde.

      La haine, bien plus sûrement que l’amour, voilà ce qui lie les hommes entre eux.

      Qu’ils aillent tous au diable.

      Ma petite propriété privée, je la considère avec tendresse comme un « village gaulois » résistant. Il n’y a plus que là, entre mon chat et quelques amis, que je me sens un peu libre.

      Liberté illusoire, certes, mais nécessaire pour ne pas finir totalement suicidé.

      1. Avatar de Garorock
        Garorock

        Quand Maxou est dans la tristesse il nous fait des petites Célineries…
        Faut dire qu’il avait des affects tristes le Ferdinand. Plein la musette!
        Quand le vin est tiré, on veut parfois ressembler à l’artiste et on fini par ne ressembler qu’à l’homme… Bien des femmes vous le diront.
        Le « diable » c’est le petit nom qu’on donne par chez nous à la ruse de la raison.
        Saura t_il vaincre le saint-esprit et le saint-estephe ?
        😊

  3. Avatar de Michel Gaillard
    Michel Gaillard

    Ces trois lacanismes ont fait leur – intéressant – chemin. Mais pour avoir relu très récemment Hegel, il semblerait qu’on peut aussi distinguer chez lui que se posent les problèmes – différents – amenés par la linéarité et la séquencialité, du langage bien sûr. Je me demande dès lors si PJ est allé au delà, dans son nouveau langage de programmation, par exemple en proposant quelque chose, un modèle… qui aborde-gère les superpositions ?

    1. Avatar de Paul Jorion

      Oui, parfaitement. C’est en chantier mais on peut déjà avancer ceci :

      3. Le Couplage comme moteur dialectique, non simple retour à l’équilibre

      Le couplage n’est pas un mécanisme de stabilisation (réduction de « surprise » au sens fristonnien). Il est l’instance où la contradiction émerge et se résout — l’« Aufhebung » hégélienne — produisant de la nouveauté. Deux schémas qui se rencontrent doivent être sublatés en une forme de rang supérieur : conserver le cohérent, réconcilier le contradictoire, engendrer du nouveau.

      L’algorithme central devient un combinator dialectique : « synthétiser(a,b) » cherche la règle de rang n+1 qui explique à la fois les traits partagés et les divergences. C’est là que réside l’échelle véritable — la « transition de phase » sémantique.

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