Retranscription de Capitalisme : un implacable acte d’accusation, le 28 septembre 2020 .
Bonjour, nous sommes le lundi 28 septembre 2020 et si j’ai le sourire, ce qui n’est pas évident vu l’actualité assez morose – c’est le moins qu’on puisse dire – qui nous entoure, c’est parce que je viens de lire à toute allure – j’ai peut-être les yeux un peu rouges – les 50 pages environ de l’article du New York Times consacré aux déclarations d’impôts de M. Trump.
Vous verrez qu’il y a des gens qui sont allés très très vite : qui sont allés à l’essentiel, c’est-à-dire qu’ils envoient des messages en disant : « M. Trump ne paye que 750 dollars au fisc par an ». Oui, c’est vrai mais ce que l’article montre, c’est qu’il n’y a pas de tricherie évidente. M. Trump fait les choses … il a des équipes, ce n’est pas lui qui s’en occupe, il a des équipes de comptables et d’avocats, de conseillers juridiques, qui lui disent comment il faut présenter ça, donc le scandale n’est pas là, dans le fait qu’il tricherait. Il y a des choses un peu douteuses comme le fait que, sur des arrangements, des contrats commerciaux qu’il a, il se trouve que le New York Times a trouvé que, curieusement, il y a toujours de l’ordre de 5 % de commission payé pour du conseil et que les sommes, ces sommes de 5 % pour du conseil pour des affaires qui ne requièrent pas nécessairement de conseil du tout comme le renouvellement d’une licence, etc., que ces sommes se retrouvent, je dirais, très légalement mais centime pour centime dans les déclarations d’impôts de Mme Ivanka Trump, fille du précédent.
Bon, voilà. On découvre aussi que les États qui sont en délicatesse avec les Etats-Unis, qui ont des contentieux ici ou là, en général, trouvent le moyen de louer, voilà, des appartements extrêmement coûteux dans des immeubles appartenant à M. Trump, de même pour des compagnies qui ont des problèmes, voilà, de corruption dans l’actualité, des lois anti-trust qui s’appliquent à elles, etc. Curieusement, toutes ces compagnies ont en ce moment, louent des appartements extrêmement cossus et coûteux dans des propriétés de M. Trump. On suppose que c’est pour le mettre dans de bonnes dispositions quand le dossier viendra sur son bureau.
Mais ceci dit, ce document, aussi long qu’il soit, ne constitue pas un « indictment », une inculpation de fait de M. Trump ou une suggestion à ce qu’on l’inculpe pour ceci ou cela. Il y a des affaires qui sont en cours. Apparemment, bon, il a reçu un jour un remboursement d’impôts de 72 millions de dollars qui était dû à des pertes qu’il avait encourues précédemment. Il y a peut-être là une erreur qui a été faite parce que la condition pour que cette somme soit remboursée était que M. Trump abandonne tout intérêt financier dans un casino et, apparemment, il a conservé 5 % des actions dans ce casino et donc, il ne remplit pas véritablement les conditions. Alors, il est possible, il est possible qu’il doive rembourser ces 72 millions. Curieusement, depuis qu’il est président, l’affaire semble plus ou moins gelée au niveau du fisc. Ce n’est probablement pas lui qui a décidé d’intervenir pour une fois. C’est probablement parce que le fisc s’est dit qu’il ne faut pas distraire un président des choses qu’il doit faire, même si c’est un président qui n’y consacre pas beaucoup de temps.
Donc, les 50 pages, ce n’est pas un acte d’accusation. Ça se voulait sans doute. Bon, je ne sais pas. Je ne connais pas les motivations des reporters, des journalistes d’investigation du New York Times qui ont passé tout leur temps à faire ça. Ils voyaient ça peut-être comme une possibilité véritablement, d’un acte d’accusation éventuel de M. Trump et ce n’est pas ça qui apparaît.
Qu’est-ce qui apparaît ? Il apparaît qu’il y a quand même là un acte d’accusation. C’est peut-être pour ça que j’ai un peu un sourire. Il y a là, de manière implicite, un acte d’accusation extrêmement grave, extrêmement grave qui est porté sur quelque chose. Et la chose sur laquelle ce dossier porte une accusation extrêmement grave, c’est, mes chers amis… Je m’y attendais pas. Moi, je m’y attendais pas. Vous savez, j’ai écrit des livres sur le sujet dont je vais vous parler, voilà, des choses un peu défavorables. A priori, je n’avais pas une opinion très positive du système capitaliste – quelle erreur ! – avant qu’on ne m’invite à passer 18 ans au cœur même de la finance, dans la salle du réacteur, dans la soute où on mettait le charbon dans la machine au point que j’ai pu vous révéler des choses que la plupart, quasiment personne, ne sait : comment le crédit fonctionne véritablement. J’étais là.
Tiens, une petite anecdote. Le bâtiment où je travaillais à San Francisco, il est en face d’une des principales propriétés de M. Trump, le 555 California Street à San Francisco. Si vous allez sur Google, vous faites le tour, vous allez au 555 de M. Trump et vous tournez et vous allez voir, sur Google, il y a une photo là et il est mis « Home mortgages » de Wells Fargo. J’étais là, juste en face, à regarder une source de revenus de M. Trump, mais… je m’égare, je m’égare !
Le système capitaliste, il y a là un acte d’accusation, je dirais, avec des détails précis sur la manière dont ça marche, le système capitaliste. Alors, ce n’est pas lui tout seul, c’est pas juste le système qui fait que si vous avez de l’argent, vous pouvez le prêter et gagner de l’argent simplement en le prêtant. La chose a déjà été dénoncée avec véhémence pour une fois – ce n’était pas un homme véhément apparemment – dénoncé avec véhémence par M. Aristote dit « Le Stagirite ».
Il y a ça + la comptabilité + le système fiscal. Alors là, ce que ça vous montre, c’est que quelqu’un qui prétend être riche et qui n’arrête pas de courir – voilà, on appelle ça de la cavalerie – qui n’arrête pas d’emprunter de l’argent, de ne pas le rembourser, d’en acheter, d’en prendre d’autre, de continuer, de faire des pertes considérables sur des opérations absolument risquées et de mettre ça sur sa déclaration d’impôts, à dire : « Eh bien voilà, vous voyez bien que j’ai perdu cette somme ! » : capitalisme + comptabilité qui vous permet de faire ça + le système fiscal qui vous permet, si vous êtes riche, de le devenir davantage parce que toutes les erreurs sont permises et plus l’erreur est grosse, plus, je dirais, la récompense qui vient à la clé est grosse.
Ça fait partie des choses que le New York Times mentionne : M. Trump, qui n’aime pas M. Obama, vous êtes au courant, il a dit qu’il n’était pas né aux Etats-Unis, etc., il n’aime pas les gens, je dirais, de pigmentation foncée de manière générale, M. Trump a bénéficié de manière extraordinaire d’une loi de M. Obama.
Vous vous souvenez en 2009, on a dit : « On va changer le système. On va pas permettre que ça recommence ! ». Et moi j’avais dit à l’époque : « Ils vont peut-être encore en profiter pour fourguer des trucs encore pires ! ». Et là, bon, je n’étais pas au courant mais oui, effectivement : au lieu de pouvoir réclamer des déductions d’impôts sur des pertes encaissées sur 2 ans, on a étendu ça à 4 ans et, en plus, pour ce qui remonte avant 4 ans, on pourra faire déduction sur la moitié de la somme. Et tout ça est comme ça.
Alors, voilà, si vous n’arrêtez pas de faire des pertes mais si c’est des pertes sur des 10 millions, des 100 millions, etc., vous pouvez continuer de courir parce qu’on ne vous rattrapera jamais et, au contraire, on effacera ce que vous devez au fur et à mesure et c’est exactement ce qu’a fait M. Trump.
Le problème, le seul problème, c’est que quand on est dans la cavalerie – et le mot qui renvoie au cheval au galop, implicitement, c’est qu’il ne faut pas s’arrêter, il ne faut pas s’arrêter. Quand M. Michael Cohen, l’avocat de M. Trump, dit que c’était un truc, voilà, c’était du marketing de poser sa candidature à la présidence, c’était pour se faire mousser, c’était pour que les gens aillent dans ses appartements, etc., viennent dans ses hôtels, c’est vrai, c’est vrai. Il était là quand même… Il ne courait plus assez vite.
Il ne courait plus assez vite en 2015 et, du coup, il y avait des trucs… Il était obligé que certaines des dettes qu’il encourait, que ce soit à titre personnel et pas sur ses entreprises, etc., il lui fallait un coup de pub. Il lui fallait un coup de pub. La difficulté de son point de vue, c’est qu’une fois qu’il est président, et même s’il n’a jamais révélé ses déclarations d’impôts et même s’il y a des trucs, que le tiroir caisse continue à marcher parce que, voilà, les gens qui veulent attirer son attention viennent dans ses hôtels, louent ses appartements, d’une certaine manière, ça l’a stoppé. D’une certaine manière, ça l’a stoppé. Il n’a plus pu courir assez vite. Le cheval s’est mis au trot et, là, là, il est en difficulté, c’est-à-dire que s’il arrête, et en particulier s’il n’est pas réélu, là, l’ardoise peut tomber et l’ardoise peut être tout à fait considérable.
Qu’est-ce que ça nous dit ? Ça nous dit que le système est… Je vous le dis : j’avais une opinion sur ce système. J’avais déjà, je dirais, décrit le système capitaliste d’une manière peut-être un peu originale par rapport à d’autres, simplement par rapport à l’expérience que j’avais eue d’être pêcheur en mer et de regarder, de voir véritablement comment ça fonctionne, une unité de production qui sont des pêcheurs, comment rentre l’argent, comment il sort, etc. Je l’ai vu. J’ai eu la chance de pouvoir comparer la manière dont ça fonctionnait en Bretagne, donc le système français de manière générale, système « à la part », et le comparer avec la manière dont ça fonctionnait dans un pays africain, dans plusieurs pays africains dans les sociétés de pêcheurs. Donc, j’avais déjà pu faire des livres pour expliquer comment le système capitaliste fonctionne en arrière-plan, dans les coulisses. On aurait pu appeler ça les coulisses du système capitaliste parce que ça dit des choses qui ne sont pas évidentes et que la plupart des gens ne savent pas. Et quand je suis entré dans la finance, là, j’ai eu la chance d’aller vraiment dans les coulisses, voilà, derrière le rideau et de voir comment ça marche et trouver encore des tas d’autres trucs. Et je savais, je savais que ce système était essentiellement un système qui est biaisé. On nous dit : « Le système fiscal, ça permet de redistribuer l’argent, voilà, des riches vers les pauvres ». Les gens qui prétendraient que c’est au contraire une machinerie de plus avec des tuyaux pour faire venir de l’argent des pauvres et le distribuer aux riches, les gens qui voudraient dire ça, et qui voudraient étayer ça avec des preuves, des preuves très bien étayées, je leur conseille de lire l’article du New York Times parce que là, ils vont trouver de la matière.
Alors, est-ce que les comptables, est-ce que tous les comptables sont complices ? Oui, bien entendu. Voilà, ils gagnent un peu d’argent au passage. Est-ce que tous les avocats d’affaires, etc., dont certains finissent par faire une belle carrière – même s’ils parlent très mal l’anglais -, là aussi, ils sont vraiment complices de ce système. Ils le sont peut-être davantage. Enfin, ils le sont sûrement davantage. Ça, j’ai vu. Ils le sont davantage que les fonctionnaires qui travaillent à l’intérieur des banques pour faire ceci ou cela, qui sont en relation avec le public, qui font des calculs parce qu’on leur demande de les faire. Ceux-là ne sont pas, je dirais, ne sont pas les grands-prêtres.
Les grands-prêtres, ce sont les avocats d’affaires et les experts-comptables qui travaillent à l’intérieur de ce système et qui font, ce n’est pas de la tricherie vous le savez bien, ça s’appelle de l’optimisation fiscale. Et l’optimisation fiscale, dans le cas de M. Trump, si ça ne peut pas vous rendre riche, ça peut vous permettre quand même d’avoir un train de vie comme si vous étiez très très riche. Et qui est-ce qui paye pour ça ? C’est les gens que vous avez grugés, c’est les gens qui, voilà, à l’intérieur de cette grande pompe à finances qui fait monter de l’argent des petits vers les grands, c’est ça. C’est ça !
Alors, je ne m’attendais pas à ça quand j’ai commencé à lire l’article. Bon, on attendait ça depuis un certain temps. Je m’attendais à ce qu’on trouve quelques trucs, voilà, sur l’argent qui vient de la mafia russe. On le trouvera peut-être mais ce n’est pas ça qu’on trouve : on trouve un acte d’accusation extrêmement grave, pas sur M. Trump, mais sur le système dans lequel nous vivons qui pompe l’argent des pauvres vers les riches et là, on a une description extrêmement précise dans un cas précis, par d’excellents journalistes d’investigation du New York Times, de comment ça marche.
Ce n’est peut-être ça qui va apparaître. Bon, il y a des gens qui, comme moi, vont vous dire : « C’est ça qu’on voit à l’intérieur ». J’allais dire : « C’est encore plus grave que ce que je savais ! ». C’est vrai : c’est encore plus grave que ce que je savais. Parce qu’il y a des tas d’astuces que je connaissais : je voyais ça, j’ai fait des feuilles Excel et des systèmes informatiques où on voyait « deferred repayment », remboursement d’impôt différé, etc., etc. mais sans m’intéresser de près à la machinerie. On peut, tout en respectant la loi, faire semblant d’être riche et l’être dans la réalité parce que ce sont les gogos, ce sont les gens qui paient vraiment des impôts qui payent pour ça.
Voilà, allez, je reviendrai sans doute là-dessus mais vous allez trouver plein de choses sur les détails dans la presse. Moi, je fais des analyses en prenant un petit peu de la hauteur ou en descendant véritablement dans la soute à charbon, dans la salle des machines.
Allez, à bientôt !
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