Billet invité.
Christine Lagarde a critiqué en début de semaine la politique économique allemande. La ministre reproche à l’Allemagne sa stratégie fondée sur la compétitivité de sa production de biens et services à l’export. Les Allemands ont gagné de nombreuses parts de marché en modérant leurs coûts salariaux ces dernières années. Ce dumping social, que les Européens critiquent tout bas, a été remis en cause de façon judicieuse par C. Lagarde.
Cette attaque en règle a fait la une du Financial Times en début de semaine. En France, le premier réflexe a été d’incendier la ministre. Au lieu de critiquer et jalouser nous dit-on, notre pays ferait mieux de s’inspirer du modèle allemand et d’améliorer sa compétitivité afin d’en finir avec une balance commerciale déficitaire. Alors oui, les Allemands déposent plus de brevets que nous, consacrent une plus grande part de leur PIB à la recherche, dépensent plus pour l’éducation et disposent d’un tissu industriel de PME solides et innovantes. Mais alors pourquoi les écarts se sont-ils creusés à partir de 2002 quand l’Allemagne a clairement modifié sa politique en comprimant les salaires ? Soyons honnêtes, il n’est pas contestable que l’Allemagne bénéficie d’avantages structurels, mais ces atouts n’expliquent en aucune façon l’écart considérable, qui se creuse sans cesse, entre les déficits de la balance commerciale de la grande majorité des pays de la zone euro et l’excédent de notre voisin d’outre Rhin.
La critique est d’autant plus ardue que les salaires allemands ne sont pas spécialement faibles dans l’industrie. Mais ils stagnent depuis longtemps alors que les coûts salariaux ont augmenté de plusieurs dizaines de points de % dans les autres pays de la zone euro depuis 1995. De plus, les Allemands, en exportant massivement, ont aujourd’hui l’économie probablement la plus solide du monde, même si comme partout ailleurs l’endettement public s’envole. Cette stratégie s’est donc révélée payante pour l’Allemagne, jusqu’à maintenant, et au prix de l’affaiblissement des autres pays de la zone euro. Certains ont compensé, comme la Grèce et l’Espagne, en ouvrant les bras à l’endettement et à une croissance artificielle dopée par l’envolée des prix immobiliers. Certes, ces pays n’ont pas fait preuve de la plus grande rigueur budgétaire. L’écart croissant entre la France et l’Allemagne au sujet des déséquilibres de la balance commerciale est plus révélateur. Selon une étude de Natixis, au moins 30% de cet écart vient du « dumping social » provoqué par l’Allemagne. Il faut également mentionner qu’en délocalisant dans les pays à bas coûts, les Allemands ont accru leur compétitivité au détriment de l’emploi domestique, aussi faible qu’en France. Pour un pays aussi fortement exportateur, on aurait pu penser que le taux de chômage serait mieux orienté qu’il ne l’est, à l’instar du Japon ou de la Chine qui ont peu de chômeurs grâce à la vigueur de leurs exportations.
De plus, la politique de l’euro fort, encouragée par l’Allemagne, a l’avantage de rendre peu coûteux les achats de matières et de biens intermédiaires dont l’industrie allemande a besoin. Oui mais voilà, cette politique est néfaste aux autres pays européens qui perdent alors en compétitivité quand il s’agit d’exporter hors de la zone euro.
Si nous suivons les détracteurs de C. Lagarde, la France doit donc réduire ses coûts salariaux et devenir aussi vertueuse que l’Allemagne en réduisant les charges qui pèsent sur ses entreprises afin de redresser sa compétitivité. Quel argument dangereux !
Faisons cela, et les autres pays de la zone euro aussi, et nous exporterons plus vers l’Asie mais nos salaires seront plus faibles et les inégalités salariales continueront de croître. Cette course aux débouchés extérieurs est néfaste économiquement en raison de la pression exercée sur le niveau des salaires. Peu à peu, la mondialisation encourage à modérer les salaires, ce qui limite l’inflation mais accroit surtout les écarts entre part des profits et des salaires dans la valeur ajoutée. Et des pays qui ne souffraient pas d’un recul du pouvoir d’achat de ses citoyens sont désormais confrontés à cette difficulté.
Le problème, et j’espère que plusieurs médias feront la même analyse, vient de l’idéologie en vigueur depuis 30 ans et qui consiste à libéraliser tous les échanges, de biens et services, mais aussi à réduire au maximum les contraintes qui pèsent sur la circulation des flux de capitaux. Résultat des courses : un nivellement par le bas des conditions salariales partout sur la planète et une fragilisation d’un grand nombre de pays à l’avantage d’un ou 2 autres (essentiellement la Chine et l’Allemagne).
Or, aujourd’hui, des voix s’élèvent. Celle de C. Lagarde comme nous venons de le voir mais aussi celles de sénateurs américains qui viennent de déposer un projet de loi visant à pénaliser l’excessive compétitivité des pays ne laissant pas leur monnaie s’apprécier et qui tirent donc profit de la faiblesse des coûts salariaux. La Chine est bien sûr visée par ce projet de loi, que T. Geithner a immédiatement critiqué. Paul Krugman va même jusqu’à réclamer une taxation de 25% sur tous les produits chinois importés. C’est la seule solution dit-il car la Chine refuse toujours de réévaluer le yuan.
Si demain, de telles mesures voient le jour (il ne faut cependant pas trop y compter), il ne fera pas bon être Allemand ou Chinois. La faiblesse de leur marché intérieur sera un frein à l’absorption des produits qui ne seront plus exportés, sans compter le fort risque de déflation avec les capacités inutilisées qui ne manqueraient pas d’apparaître dans l’industrie. Contrairement aux idées reçues, la Chine ne fera pas le poids face à Washington. L’empire du milieu brandit régulièrement la menace d’une vente des tombereaux d’obligations américaines qu’il détient, ce qui provoquerait une hausse des taux aux Etats-Unis, mais aussi et surtout une réévaluation violente du yuan et de lourdes pertes sur les investissements libellés en dollars que possèdent les Chinois. Or, si les exportations chinoises plongent alors même que de nombreuses entreprises sont déjà en perte actuellement en Chine malgré les subventions étatiques, le perdant ne sera pas celui qu’on croit.
Cette constatation que les pays exportateurs sont plus faibles qu’on ne veut bien l’admettre a fait dire à Moody’s, mardi 16 mars, que l’économie française était plus solide que celle de l’Allemagne.
Résumons la situation : des pays à consommation élevée comme les USA et la France critiquent ouvertement la politique exportatrice des pays à demande intérieure faible que sont la Chine et l’Allemagne. En toile de fond, le débat porte donc sur la pertinence des politiques de libre-échange implémentées ces dernières décennies.
Conséquence logiques : les pays « victimes » de ces politiques vont réfléchir à la mise en place de taxes, puisque la compétitivité ne peut être redressée via la baisse des taux de change (zone euro oblige et entêtement chinois). Le mot protectionnisme sera sur toutes les lèvres et on criera au scandale. Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’un contrôle des flux de capitaux et la mise en place de certaines barrières à l’importation ont des vertus, notamment celles de rééquilibrer les balances commerciales et au final de réduire les inégalités. Le gros inconvénient, c’est que les pays émergents devront changer de modèle et risquent une transition bien difficile.
Il faut noter que, dans une note publiée en février, le FMI a, pour la première fois depuis plus de 20 ans, admis que le contrôle des flux de capitaux n’a pas que des désavantages et permettrait d’éviter que les pays émergents ne coulent si demain les pays à consommation intérieure élevée se décident à changer les règles du jeu. La crise asiatique de 1997 est là pour nous le rappeler, les capitaux injectés en Asie avant cet épisode douloureux ont été rapatriés très rapidement, plongeant ces nations dans le désarroi.
N’a-t-on donc rien appris de la crise ? Aucune réforme sérieuse n’est passée (l’Europe vient d’abdiquer sur la question de la réforme du cadre réglementaire des hedge funds, pour faire plaisir à Londres et il y a fort à parier que les discussions en cours sur le contrôle des CDS souverains ne tournent court). Rien n’est fait pour réduire les inégalités (les Grecs vont payer un lourd tribut au plan d’austérité imposé par l’Europe) et les mêmes recettes sont appliquées comme avant.
Des solutions existent pourtant. En France, il suffirait de supprimer toutes les niches fiscales, ainsi que le bouclier fiscal et introduire de nouveau une taxation croissante pour les plus hauts revenus (qui ont des excédents qui peuvent dormir des décennies). Et en second lieu, il conviendrait de partager de façon plus équitable la valeur ajoutée. Les profits sont trop élevés comparés aux salaires. Ces mesures ne sont même pas discutées. La remise en question du fonctionnement de nos économies mondialisées est l’occasion d’en parler de nouveau. Ce qui nécessite un retour du courage politique.
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