La décadence

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Hegel attribua la chute de l’empire romain à la prévalence des intérêts particuliers. Préoccupés de poursuivre essentiellement leur intérêts propres, les Romains se seraient désintéressés de la chose publique. L’avènement du christianisme aurait joué un rôle essentiel dans ce désintérêt croissant : en relation privée avec leur dieu – « Le royaume de Dieu est en vous » – les citoyens cessèrent de s’identifier au sort de leur Cité.

La guerre, dit Hegel, rappelle aux citoyens l’existence de l’État comme entité supérieure par rapport à laquelle leur vie s’organise dans un cadre plus large que celui de leurs préoccupations immédiates. Quand la guerre éclate, le bourgeois qui loge au cœur du citoyen se rend compte que seul, il ne pourra pas défendre les possessions dont il est propriétaire et auxquelles il tient par-dessus tout : c’est l’État seul qui pourra organiser la force collective qui permettra de défendre la propriété de chacun.

La décadence résulte de la perte de ce sentiment du bien commun comme seul capable d’assurer le bien individuel. La société civile, comme simple conjugaison d’intérêts particuliers est insuffisante à alimenter la flamme de ce sentiment.

La décadence a lieu de son propre mouvement quand l’individu fait prévaloir sa liberté immédiate par rapport au bonheur de la communauté dans son ensemble. Une idéologie existe qui place cette liberté immédiate au pinacle : l’ultralibéralisme sous ses formes diverses du libertarianisme, de l’anarcho-capitalisme, etc. Notre société contemporaine se singularise par le fait qu’une idéologie porteuse des principes de sa propre décadence s’est formulée explicitement en son sein, prône les valeurs qui la provoquent inéluctablement quand elles sont mises en œuvre, et applique son programme consciencieusement et systématiquement, quelle que soit la puissance des démentis que les faits lui apportent.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

Partager :

315 réponses à “La décadence”

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. @écodouble Je peux comprendre votre colère face à notre impuissance contre les lobbys mercantiles qui nous poussent droit dans le…

  2. @Paul Jorion « Si quelqu’un me fait bêtement du tort, je lui rendrai la protection de mon amour sans limites.…

  3. bb Vous avez déjà lu le Deutéronome ? Bonjour le message d’amour ! Dans ce texte, ça lapide grave ceux…

  4. @bb Toutes les croyances sont nuisibles, et encore plus dans la situation où se trouve l’Humanité : nous sommes en…

  5. @Khanard Ben alors mon vieux… Elle ne vous plaît pas non plus cette histoire ? Décidément… Pourtant, on vous a connu…

  6. Je te laisse tes appréciations culinaires sur la spiritualité et j’attends avec impatience que tu développes ton point de vue…

  7. @Garorock Évidement que je trouve cela débile. 🙂 Toutefois, lorsque j’ai appris que Steve Job avait initialement refusé un traitement…

  8. Oh purée c’est clair, hallucination de ma part, désolé, proximité de l’avatar aussi. Bon ben je m’en cogne de la…

  9. BB Ces derniers temps j’ai surtout été focalisé sur ceux qui pensaient (et on attend les preuves!) que le vaccin…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx LLM pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés Singularité spéculation Thomas Piketty Ukraine Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta