Billet invité
La monnaie déconnectée du réel
La banque centrale des États-Unis va lancer sa seconde campagne de quantitative easing intensif que tout le monde traduit désormais par « planche à billet ». Avant la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers, la planche à billet avait été déclarée hérétique par la sagesse politique, économique et financière. L’expérience avait montré que l’émission de signes monétaires par le système bancaire devait être réglée par le crédit et que le crédit devait être réglé par une anticipation réaliste de la valeur économique désirée et engagée. L’alignement du crédit sur l’anticipation de la valeur réelle et de la monnaie sur le crédit était la clé de l’équilibre de la croissance économique entre les deux écueils de l’inflation et de la déflation. L’émission insuffisante de signes monétaires était identifiée comme déflationniste, c’est à dire facteur de contraction non désirée des anticipations économiques et de la production effective. Pour éviter la déflation et contrôler l’inflation, les autorités monétaires ont pris l’habitude de surestimer le plus légèrement possible l’enveloppe des crédits par rapport à leur anticipation de la production réelle. Le choc déflationniste est historiquement plus destructeur que le risque d’inflation. La surproduction de signes monétaires par surestimation du volume de crédits en proportion de l’activité économique réelle était donc nécessaire dans une certaine mesure. La planche à billet était hérétique mais marginalement nécessaire.
Avant la crise de 2007, la planche à billet est l’excès non réellement mesurable a priori de création monétaire issu d’un crédit antérieurement surestimé à la réalité économique présente. A partir de 2009, après le krach de 2008, elle devient « une politique monétaire non conventionnelle ». Au lieu de régler a priori leur création monétaire sur les titres de créances disponibles sur le marché financier en contremesure de leurs crédits au système bancaire, les banques centrales sollicitent directement une titrisation plus large du crédit afin d’allouer davantage de liquidité monétaire aux agents économiques. Elles demandent aux agents publics et privés qui paraissent solvables, donc à la puissance publique et à ses protégés de maintenir leurs budgets de dépense malgré la baisse des anticipations de croissance de la valeur économique. La planche à billet n’est plus discrète et mesurée par la réalité. Elle est explicite et annoncée aussi ample que nécessaire pour soutenir nominalement l’anticipation de la réalité. Le nécessaire n’est plus la solvabilité des emprunteurs ni leur capacité à produire une anticipation réaliste de leur production future. Le nécessaire est d’éviter des faillites inextricables où un emprunteur systémique se déclare dans l’impossibilité de s’engager à poursuivre le remboursement de toutes ses dettes par la production réelle effective de valeur.
Rupture économique radicale entre la réalité et la mesure
La crise des subprimes qui débouche sur la faillite de Lehman et des petites monnaies adossées à des dettes internationales en devises entraîne une mutation mondiale systémique de la monnaie. Cette mutation est encore invisible parce que non théorisée par la science politique, économique et financière. Depuis la première campagne officielle de quantitative easing des grandes banques centrales, le critère de mesure de la création monétaire n’est plus en effet l’anticipation de la réalité par le crédit mais la liquidité du crédit par la monnaie indépendamment de la réalité. Comme la réalité économique est objective par sa matérialité physique observable en objets de valeur produits ou non produits, échangés ou invendus, et comme la réalité économique est aussi subjective par le langage employé pour exprimer sa valeur, la rupture entre la monnaie et la réalité objective s’est opérée par la réalité subjective. La réalité subjective de l’économie et de la finance est déterminée par la politique alors que la réalité objective est déterminée par la matérialité physique visible. Les États existent comme affirmation d’une subjectivité ordonnée à la valeur par la loi. La relance en 2008-2009 des économies par la monnaie rompt le lien formel entre le discours économique sur la réalité et la réalité objective physiquement observable. Les dettes publiques, dont la contre-réalité est l’application de la loi, sont devenues la contrepartie de la masse monétaire sans limite intelligible explicitée.
Les politiques monétaires trouvent un équilibre entre trois plans de la réalité économique. Le plan de la liquidité est celui de la fluidité des transactions qui doivent pouvoir croître en volume sans que les prix ne varient outre mesure ni à la baisse – déflation – ni à la hausse – inflation. Le plan du crédit est celui de l’anticipation du cycle économique de production de valeur en volume et en durée. La masse de tous les crédits doit mesurer la valeur demandée que l’économie peut effectivement offrir dans la durée des crédits effectivement consentis. Le troisième plan est celui de la réalité économique concrète effectivement demandée et offerte qui n’est pas mesurable en tant que telle puisqu’il faut la liquidité et le crédit pour l’étalonner.
L’étalon économique de la réalité correspond aux échanges entre l’offre et la demande futures anticipés à un certain volume et une certaine échéance. L’objet des échanges futurs n’est pas physiquement observable mais supputé par le système bancaire et financier. Le choc des subprimes intervient justement quand il apparaît que les techniques employées d’anticipation par le crédit de la valeur de l’immobilier étatsunien ont dissimulé la réalité et biaisé la production effective de crédits. La titrisation subprime n’a pas servi l’anticipation de la valeur de la réalité mais la mesure d’intérêts privés vendus hors de toute réalité. La faillite de Lehman devient inévitable quand il apparaît que cette banque d’investissement est l’une des plus exposées, parmi des centaines d’autres, aux conséquences réelles de la production forcée de crédit.
Malformation congénitale de l’anticipation capitaliste de la valeur
Entre les trois plans de la liquidité, du crédit et de la réalité, la crise révèle qu’un paramètre n’est pas maîtrisé par le système bancaire et financier. Ni par les États sous l’autorité desquels les règles du crédit et de la monnaie sont élaborées et appliquées. Ni par les banques centrales, dont la Fed assure la liquidité systémique en dernier ressort par la fonction internationale du dollar. Ni par les banques et opérateurs financiers qui se retrouvent brutalement avec des bilans comptables saturés d’actifs toxiques dont les prix sont littéralement incommensurables. Le paramètre non maîtrisé connu pourtant depuis l’origine du crédit est identifié comme « le risque » par le système financier. La théorie et la pratique financières traitent le risque comme un paramètre, c’est à dire comme un élément de la mesure du crédit et de la liquidité. Or <b>le risque constitue un quatrième plan de la réalité de la valeur</b>, une dimension de la réalité indépendante de la liquidité, du crédit et des objets physiquement échangés comme sous-jacents à la valeur. Le risque n’est pas un paramètre d’une épistémologie platonicienne de la valeur mais bien la quatrième dimension de l’épistémologie aristotélicienne de la valeur.
Depuis la naissance au XVèmeet XVIème siècles de l’économie libérale de marché, c’est à dire du capitalisme moderne, la comptabilité de la valeur du capital, du crédit et de la monnaie repose sur l’hypothèse d’un parfait ajustement du langage à la réalité décrite et mesurée par le nombre. Parce qu’on croit exacte la mesure du globe terrestre à l’équateur ou la masse d’un litre d’eau pure, on croit aussi exacte la mesure de la valeur d’un champ de blé, d’une pénalité de justice, d’une automobile ou d’une pension de retraite. Comme on sait qu’une mesure théoriquement exacte est pratiquement inexacte à cause de l’imprécision intrinsèque de l’instrument matériel de mesure, on assimile le risque métaphysique de la mesure au risque de la mesure physique. La mesure d’une distance par un mètre étalon est affectée d’une marge d’imprécision correspondant à une fraction de la réalité physique de l’étalon. Le risque d’imprécision de la mesure est jugé de même nature que l’objet mesuré. Il en résulte qu’en science du physique, le risque est modélisable par la probabilité parce qu’il est enfermé dans la même matérialité que celle de l’objet mesuré.
Spécificité omise de la valeur risquée
Au XVème siècle, bien que faisant partie de la réalité, la métaphysique est sortie du champ de la science. Les premiers économistes qui tentent d’expliquer la formation des prix et la mesure de la valeur échangée ne pensent pas que le nombre en monnaie contienne une incertitude de nature différente entre la matière qui constitue la monnaie et la matière qui constitue la valeur mesurée. L’incertitude du prix est vue comme une imprécision de sa mesure certaine, absolument pas comme une incertitude en soi. Quand la « loi de l’offre et de la demande » émerge comme théorisation juste de la constitution du prix, l’idée s’impose aussi que cette loi est entachée de la même incertitude que la loi de gravitation universelle. Le risque de la mesure par l’effet de la loi est considéré de même nature en science économique et en science du physique. Le risque du sujet observateur qui mesure est exclu du risque de la mesure. Ainsi la science économique et financière au début du XXIème exclut-elle toute liberté humaine de son champ d’étude et d’action. Personne ne peut expliquer comment l’agent économique peut se tromper d’étalon à mesurer la valeur de son offre et de sa demande ; comment il peut se tromper de valeur en mesurant par exemple un nombre qui étalonne la matière d’une masse pour mesurer une longueur ou qui étalonne la matière d’une longueur pour mesurer une puissance électrique.
La crise actuelle révèle que la métaphysique du risque – le risque introduit par la présence de l’homme dans ce qu’il mesure – n’est pas pensée. L’économie libérale de marché, seul système reconnu pertinent à la mesure de la valeur économique dans la réalité historique actuelle, fonctionne sans être capable de mesurer la valeur de la liberté. Comme si la liberté n’avait aucune conséquence dans l’économie alors que le concept de liberté est associé au concept d’économie. Les prix sont calculés dans un univers à trois dimensions, liquidité, crédit et réalité, sans la quatrième dimension qui contient la liberté humaine. La conséquence de la liberté est omise, par quoi un bien économique peut ne pas être acheté alors qu’il a été produit, un prix peut adresser une réalité présente en apparence mais qui n’existera jamais et une demande réelle peut rester non-solvable faute de son identification par l’offre. Le système financier mesure le risque comme fraction matérielle de la réalité, de la liquidité et du crédit alors que le risque financier est la faculté humaine à parler de sa réalité subjective sans se rendre compte d’une absence de réalité objective correspondante.
La quatrième dimension de la finance est passionnément niée par une certaine politique et une certaine finance parce qu’elle permet de priver l’économie réelle d’une partie de sa valeur au profit d’intérêts dissimulés derrière la technique et le discours. La spéculation qui a mis formellement à bas le système financier étatsunien et mondial est la faculté humaine délibérément dissimulée par des opérateurs politiques et financiers de parler pour mesurer ce qui peut ne pas exister dans un futur non observable objectivement. L’ultime campagne de quantitative easing engagée par la Fed est l’hallali de la finance en trois dimensions absorbée dans la réalité subjective. Elle va consommer la rupture de la finance platonicienne entre la monnaie et la réalité par l’explosion non mesurable et non contrôlable du risque de la liberté humaine.
Temps réel et temps de mesure réunis dans la monnaie
La création monétaire est le fait de la banque centrale qui consent des crédits à l’économie réelle par l’intermédiaire des banques et du marché financier. La valeur économique réelle est celle qui répond concrètement aux besoins et aux attentes des agents économiques. Elle est formellement distincte de la valeur financière portée dans les comptes des intermédiaires financiers. Les comptes financiers sont la trace subjective de la mesure de la réalité objectivée d’anticipation. La valeur réelle est celle de l’objet acheté pour être consommé ou bien transformé et revendu. La valeur consommée qui ne peut se revendre en tant que telle est dite finale. La valeur consommée pour être transformée est dite intermédiaire. Elle comprend des biens durables, dont la valeur utile s’étale dans le long terme, et des consommables qui disparaissent dans la transformation économique des biens intermédiaires en biens finaux. Consommable ou durable, la valeur est réelle à condition de répondre à des fins humaines. Si les fins servies par l’économie ne sont plus lisibles, si elles ne contiennent plus l’universalité humaine, la valeur disparaît quand bien même la masse des prix augmente.
Le processus de transformation de la valeur réelle en valeur finale consommable se déroule par des échanges entre les agents économiques. Ils offrent les objets réels – biens durables, biens consommables, travail – à des agents économiques qui les demandent sous forme de mesure de prix. Le prix entre l’offre et la demande matérialise un double équilibre ; d’abord entre la réalité à laquelle le sujet de l’offre renonce pour une valeur réalisable dans le futur et ensuite entre la mesure à laquelle le sujet de la demande cède pour une valeur immédiatement concrétisée dans le bien acheté. La matière qui concrétise le prix pour la demande et qui concrétise la valeur future pour l’offre est la monnaie. La monnaie représente la matière dans la métaphysique du sujet humain. Elle matérialise l’offre et la demande humaine, aussi bien que le temps qui s’écoule entre la manifestation d’une offre et la satisfaction de sa demande et enfin le prix réalisé dans le temps de l’objet échangé entre acheteur et vendeur.
La rationalité économique matérialisée dans la monnaie
Pour le vendeur, la monnaie matérialise formellement une réalité présente et future. Elle fait exister la valeur de la mesure actuelle du futur et forme la preuve pour le sujet économique de la réalité future de la valeur. Pour l’acheteur, la monnaie représente la matérialité passée qui donne formellement accès à l’objet présent de valeur. Sans la monnaie, le vendeur ne peut pas savoir si le bien vendu lui coûte plus ou moins que la valeur acquise dans le paiement. Il ignore s’il a réussi à créer de la valeur dont il n’est pas seul la cause. Sans matérialisation monétaire de sa vente, l’agent économique rationnel ne peut non plus se départir d’un objet sans valeur intrinsèque pour lui mais qui exprime sa demande à terme d’autres objets. Le vendeur cède l’objet concret de la valeur contre une mesure abstraite subjective partagée. Contre la cession de l’objet qui représente la valeur pour un autre, il reçoit de tout autre la valeur de tout objet dont il ne forme pas encore le besoin. Sans la monnaie l’acheteur ne peut pas transformer une mesure passée de la valeur, en objet concret répondant à son besoin. Sans la monnaie, la valeur sociale de l’échange n’est pas représentée.
La monnaie est bien la mesure dans un prix du bénéfice de la réalité potentielle. Elle garantit un certain droit futur à cette réalité en étant l’outil de règlement de cette réalité au moment du transfert d’un objet concret de valeur entre le vendeur et l’acheteur. Dans le référentiel de la réalité objective, la monnaie est subjectivement unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur. En tant que mesure et garantie, la monnaie est une forme qui rend la valeur quantitativement intelligible aux agents économiques. Elle offre l’outil du calcul économique qui permet de produire de la valeur par le temps, c’est à dire l’outil d’évaluation du travail. La production de valeur est le fait du travail qui est information de la matière physique dans le cours du temps. L’accroissement de la valeur en monnaie est matière d’information de la réalité physique. Le travail produit la valeur par l’effet de l’introduction du choix final anticipé de l’acheteur dans la matière formée.
Parce que la monnaie s’inscrit dans la réalité métaphysique par ses trois fonctions matérielles de compte, de règlement et de valeur, elle est la contrepartie du travail métaphysique de l’humain. Seul le travail humain peut produire par une dépense d’énergie physique l’information de la matière par des fins métaphysiques. Entre deux produits constitués de la même matière physique, par exemple deux voitures aux performances comparables, les prix en monnaies viennent comptabiliser une différence de valeur qui tient uniquement à l’imaginaire de l’acheteur final. Le travail a introduit des apparences différentes, des images différentes pour plaire aux personnes différentes qui achètent. Entre le prix d’achat de tous ses intrants et le prix de vente du produit fini, l’agent économique peut anticiper la création de valeur par son travail d’intelligence dans le temps. A la fin du cycle de production, il constate la création effective de valeur dans le prix de vente réel. La monnaie matérialise la valeur individuelle du travail humain par la fin de l’acheteur introduite dans l’objet travaillé.
Synchronisation économique de la production et de la mesure
Le calcul économique se déploie par la forme monétaire dans une double quantification matérielle : l’une est active par la transformation physique de l’objet et l’autre est passive par la mesure de la transformation dans les prix successifs. Les deux processus se rejoignent dans le prix d’équilibre des fins de l’offre à la demande. Chaque prix mesure la quantité consommée de valeur intermédiaire d’objets différents nécessaires à l’objet final. Chaque objet intermédiaire contient le temps de travail des différentes compétences de transformation de ses intrants. Chaque objet intermédiaire de chaque objet final contient la réalisation d’un écart positif ou négatif entre le prix anticipé à l’origine de la production et le prix de vente effectif. Chaque objet final en cours de production contient la potentialité d’un écart entre le prix anticipé qui justifie l’engagement du travail de production et le prix effectif à terme inconnu jusqu’à la vente réelle finale.
Pour être la contrepartie matérielle de l’échange économique, la monnaie doit être le concept – la forme – de quantification de n’importe quel objet dans le prix. Le prix n’a pas de signification économique s’il ne matérialise à la fois la valeur de n’importe quel objet et la permanence de la valeur dans le temps. Le motif de l’échange entre tout agent économique est l’accroissement de la valeur pour l’acheteur et le vendeur. Si l’acheteur ou le vendeur ne voient pas la quantité positive de valeur gagnée dans l’échange, ils ne travaillent pas à l’anticipation et à la production d’objets concrets qui leur reviendraient de ce fait en moins-value. La seule raison de réaliser une moins-value dans l’échange est d’avoir déjà engagé son travail dans un objet qui se révèle finalement ne pas avoir la valeur anticipée dans le prix de vente effectif. Parce que l’acheteur final d’un objet détermine le prix par sa décision et que le travail produit l’existence de l’objet avant qu’il soit vendu, l’écoulement du temps et la liberté de l’acheteur peuvent déjouer les calculs du producteur.
Si la monnaie est émise en proportion du crédit réel anticipé dans la valeur future, c’est pour minimiser le risque de l’anticipation économique. La matière de travail de l’anticipation économique est la définition stable des objets de valeur à terme. Il est nécessaire de supposer la stabilité du langage à définir l’objet de satisfaction future pour anticiper son prix et le juger suffisant pour engager le travail de réalisation. La stabilité du langage à définir l’objet qui détermine le prix anticipé est la valeur matérialisée par le crédit, c’est à dire la valeur supposée stable entre l’origine et l’échéance d’une anticipation de valeur. Ainsi la monnaie issue du crédit est stable par hypothèse ; elle mesure des prix stables supposés invariants dans le temps. Sans la réalisation effective de l’hypothèse de stabilité de la monnaie par le crédit, tout prix est instable. Il contient l’instabilité du langage qui n’est pas une nécessité matérielle mais une indécision humaine, une irrésolution de l’intelligence humaine. Le risque de l’anticipation économique ne peut être réduit que par la décision humaine résolue par l’intelligence de la monnaie stable de crédit. Cette résolution ne supprime pas la liberté de l’acheteur final, ni donc le vrai risque de l’anticipation économique.
Le risque déterminé par la société de crédit
Un crédit indexé sur les ventes à terme de la valeur finale, que ces ventes soient effectivement contractualisées ou estimées, est la condition de stabilité de la monnaie comptablement adossée au crédit. Mais pour qu’en aucun cas la réalité ne vienne contredire la certitude du prix de la valeur à terme dans le crédit, il faut que la réalité du risque soit mesurée dès l’origine du crédit et mis en réserve non pas sous forme de crédit de la valeur future mais sous forme de crédit comptabilisé de la valeur passée. Ce crédit de la valeur passée peut être constaté et vérifié au présent dans les biens intermédiaires réels concrets effectivement engagés dans la production des biens finaux. Mais le capital présenté physiquement en réserve de certification du prix du crédit n’a de valeur future qu’à l’intérieur d’une société de travail constituée pour transformer le capital métaphysique qu’elle recèle. La société de travail est le réseau humain d’intelligence et de force physique constitué entre les fournisseurs, l’entreprise et ses clients pour transformer la matière en satisfaction de besoins finaux. La valeur propre non matérielle de cette société est le capital métaphysique qui produit par le langage collectivement engagé de la valeur la réalité du capital physique.
Le capital n’est pas seulement physique et présent mais métaphysique en contenant le présent et le futur de la valeur anticipée par une société humaine. Le capital est la couverture présente du risque en étant la mesure de la plus-value anticipée dans une société humaine ; une société constituée pour offrir la transformation réelle de la valeur demandée. Par le capital, la métaphysique du langage organise la physique pour travailler la valeur certaine du crédit en assumant la réalité incertaine de la valeur. Le capital métaphysique est véritablement la société politique exprimant ses lois, par laquelle la société d’entreprise transforme l’offre de valeur intermédiaire en satisfaction de la demande finale. Dans la société de valeur vraie, le langage économique reconnaît le travail humain comme cause d’intelligence de la valeur par les formes métaphysiques et comme cause de transformation de la matière par l’énergie physique. Dans la finance à quatre dimensions, tout prix contient une réalité humaine objective en travail physique et subjective en travail métaphysique, une mesure en crédit du futur et une mesure en plus-value incertaine jusqu’à l’échéance du crédit à rembourser par la réalité.
Nier la réalité pour masquer le mensonge
Dans la conception actuelle de l’économie financière en trois dimensions de réalité sans sujet, de crédit et de liquidité, la loi ne structure pas la valeur par la matière objective. La loi s’arrête à une forme juridique non intégrée dans l’effet financier réel. La loi ne distingue pas la métaphysique dans la réalité pour définir le crédit comme obligation de réaliser un prix. Il n’existe pas de forme sociale commune explicite qui oblige à la certitude du crédit, à la certitude en réalité à terme du prix en monnaie. La méconnaissance de la quatrième dimension de la valeur dans le risque, l’indifférenciation de la métaphysique et de la physique dans la législation, laissent les agents de l’autorité publique et les opérateurs financiers libres de modifier par leur verbe personnel invisible l’objet sous-jacent d’un crédit. La science juridique en vigueur n’exige pas que la loi qui dit le droit des personnes soit distincte et séparée de la régulation effective des intérêts financiers publics et privés. L’économie matérielle de l’État de droit n’est pas distinguée de la promulgation du droit des personnes. Et les États de droit nationaux s’autorisent à se faire concurrence dans le champ de l’économie qui n’est pas de leur domaine.
La méconnaissance formelle de la valeur spécifique du risque par l’État de droit permet selon les circonstances et la nature des intérêts individuels, la confusion formelle de la monnaie avec sa cause légale ou avec sa cause matérielle. Autorités publiques et opérateurs financiers se trouvent libres dans la mondialisation de produire du risque invisible en transformant la réalité à terme par la métaphysique de la loi, du contrat et de l’anticipation financière. La métaphysique de la valeur est privatisée pour permettre le prélèvement financier de la réalité hors de toute mesure par le bien commun. Le risque indicible dans sa vérité humaine se trouve partiellement non mesurable et donc réalisable indistinctement en plus-values et moins-values. Comme par hasard, la finance dérégulée dirige les plus-values vers les intérêts financiers de statut public et privé et les moins-values vers l’économie réelle issue du travail.
Négation métaphysique de la réalité
Les politiques monétaires non conventionnelles sont irréversibles dans la transparence des analyses qui en ont été faites. La finance a basculé dans la non-réalité à cause de la généralisation à toutes les dettes publiques et bancaires de la mécanique des subprimes qui a déclenché la crise. La titrisation des crédits subprimes a servi à produire du risque métaphysique pour accroître le crédit par sa virtualité. Les crédits virtuels titrisés en dollar ont été vendus dans le monde entier comme contrepartie de dépôts internationaux en dollar et de dépôts en monnaies nationales. Toute masse monétaire internationale et nationale est adossée à des crédits fictifs détachés de la réalité mesurable. Pour éviter la chute en cascade des banques et des États qui se doivent réciproquement leurs dettes fictives, il est impératif d’allouer à tout opérateur systémique public ou privé la liquidité qui assure le paiement de ses échéances de crédit quelle que soit sa solvabilité réelle.
L’arrêt de la planche à billet en dollar peut provoquer n’importe où une cessation de paiement majeure qui oblige à une compensation généralisée des dettes internationales et nationale empilées les unes sur les autres. Une compensation mondiale des dettes obligerait à ré-étalonner les monnaies sur la réalité, à mesurer les pertes de crédit sur chaque emprunteur et à répartir les pertes entre tous les créanciers nationaux et internationaux, privés et publics, individuels et sociaux. La rationalité politique et économique nous y conduit inéluctablement. Mais la rationalité financière entend rester maîtresse du temps. Une monnaie internationale naîtra nécessairement d’un <a href= »http://www.pauljorion.com/blog/?p=15870″>système de compensation international de la liquidité, du crédit et du risque</a>. Mais il reste des avantages à grappiller et des peurs à surmonter avant d’y consentir.
Aucun pouvoir politique démocratique ne veut assumer la responsabilité de la vérité devant son opinion publique. Quant aux institutions financières, elles joueraient contre elles-mêmes à chercher la transparence de leurs comptes dans une finance intentionnellement opaque. Elles seraient immédiatement mises en faillite par les spéculateurs à la recherche de plus-values sur l’identification des pertes cachées. Face à ce diagnostic clairement établi, la Réserve Fédérale étatsunienne va, comme pour Lehman Brothers, enseigner la réalité par la brutalité des faits. La création monétaire en dollar contient de moins en moins de réalité économique. Les crédits en dollar ne sont plus consentis à des débiteurs certainement solvables. Les prix en dollar sont livrés à la fantaisie spéculative qui recherche une stabilité réelle désormais introuvable. Toutes les monnaies sont instables. Les anticipations économiques sont entachées d’une incertitude indéfiniment croissante. Il n’est plus que d’attendre qu’un grand débiteur public ou privé tombe à cause d’une crise de confiance insurmontable de ses créanciers.
La tentation impérialiste étatsunienne
La finalité réelle délibérée ou non du quantitative easing est le chaos. Tant que les responsables politiques font semblant de ne rien voir ou de ne pas comprendre, le système financier accroît son prélèvement sur la réalité par l’augmentation des primes de risque. Il est obligé de le faire pour accroître ses fonds propres en garantie de ses dettes envers les épargnants réels, pendant que l’épargne de plus en plus liquide et de moins en moins investie finance des débiteurs de plus en plus virtuels. Les opérateurs financiers s’enrichissent indéfiniment pendant que l’économie réelle s’effondre de plus en plus vite. L’absorption de la réalité dans la virtualité financière est pour le moment masquée par la mondialisation économique. Les ruptures seront locales et sociales avant d’être mesurées en monnaie et en faillites financières. Les États-Unis tentent l’effondrement politique et social de la Chine, de l’Europe ou de l’Amérique latine avant qu’on ne pointe l’impérialisme politique et monétaire du dollar comme cause évidente de la déstructuration financière du monde.
La négation de la métaphysique culturelle, légale et cognitive du risque financier permet la création monétaire sur la virtualité irréelle du crédit. Toute la liquidité émise par la Fed va se placer dans l’économie internationale là où les rendements économiques sont plus élevés que dans les pays développés. Mécaniquement, les pays émergents accroissent leurs créances sur les pays développés en fournissant dans leurs exportations la contrevaleur réelle des liquidités qu’ils accumulent en dollar. Les banques et entreprises multinationales s’abstiennent d’investir leurs liquidités dans des pays développés à cause de leur surendettement extérieur et de la surévaluation systémique du prix du travail, en dollar, euro ou yen. D’un coté, la dévaluation à terme des monnaies de réserve est de plus en plus probable, de l’autre, le prix immédiat du travail dans les pays qui offrent leur monnaie comme réserve internationale de valeur est surévalué. Le prix du dollar en monnaie étrangère n’est pas celui qui permet d’employer les chômeurs aux États-Unis mais celui qui protège les réserves de change internationales des créanciers des États-Unis. La situation est pire pour la zone euro et pour la zone yen qui doivent consentir à la réévaluation de leur taux de change pour compenser leur moindre crédibilité internationale en l’absence de puissance militaire et diplomatique comparable à celle des États-Unis.
Systémique mondiale d’inflation déflationniste
La réévaluation du yuan et des monnaies des autres émergents par rapport au dollar restera en deçà de ce que justifierait le rétablissement de la compétitivité extérieure de l’économie étatsunienne. Le marché des changes des pays émergents n’est pas aussi libre et transparent que dans les pays développés. En Chine, la valeur extérieure du yuan est administrée par le gouvernement. Les Chinois de l’intérieur n’ont aucune liberté de négocier leurs achats à l’étranger par un prix de marché international des dépôts en yuan qu’ils possèdent. Leurs salaires resteront plus bas en devise étrangère que ce qu’impliquerait l’équilibre à long terme des échanges de la Chine avec le reste du monde. En revanche, les autorités chinoises vont se retrouver devant le dilemme insoluble d’autoriser le réemploi sur le marché intérieur de la contrevaleur en yuan des liquidités accumulées dans les banques chinoises ou d’accepter la dévaluation à terme des réserves non dépensées. L’arbitraire économique du pouvoir politique exacerbera les rivalités politiques et sociales sur la répartition de la richesse accumulée. Les mêmes tensions sociales apparaîtront dans les autres pays exportateurs nets.
La réalité métaphysique du risque de la valeur établit par la monnaie le lien entre l’ordre politique et social et l’ordre économique. C’est ce qui permet d’expliquer la coexistence actuelle de l’inflation et de la déflation et la déstabilisation réciproque en cours entre économie et société mondiales. La planche à billet en dollar nourrit désormais la déflation dans les pays développés par l’inflation dans les pays émergents. L’accumulation de dettes internationales en dollar accroît le risque financier non mesurable porté par l’économie domestique étatsunienne. Ce risque nourrit la déflation aux États-Unis, dans la zone euro et dans la zone yen à cause de l’effondrement de la rentabilité anticipée des investissements et du travail. Ce même risque nourrit l’inflation dans les pays émergents qui se refusent à réévaluer leur monnaie pour préserver la rentabilité de leur économie domestique et soutenir le rendement du capital et de l’impôt. Capitalistes et autorités publiques s’enrichissent en différant la distribution de la croissance importée par des salaires rognés par l’inflation.
Spéculation contre la démocratie
Plus le temps passe, plus le bien commun perd son sens économique, plus la valeur de la loi disparaît, plus les pouvoirs politiques se corrompent et plus les sociétés politiques se désintègrent. Plus le chaos social s’installe, plus la guerre civile se répand et plus la nécessité de la remise en ordre s’impose. Le pari des autorités politiques et monétaires étatsuniennes convient à la fois aux cupides et aux cyniques. La finance à trois dimensions fondée sur l’utilisation internationale de la légalité monétaire en dollar est en faillite. Pour aborder l’inévitable reconstruction internationale de la monnaie, les États-Unis et les opérateurs financiers préfèrent se mettre en position de force. Il faut que le monde s’affaiblisse face aux États-Unis et que les sociétés politiques se décomposent face au pouvoir financier. En bonne logique platonicienne, il vaut mieux que la démocratie ne s’organise pas trop pour éviter la dilution des privilèges du pouvoir. Il ne faut pas qu’une majorité de citoyens se résolve à se réapproprier son avenir en admettant, imposant et ajoutant la réalité financière du risque au calcul de la valeur. Les trois dimensions de la réalité physique, de la liquidité et du crédit sont monopolisées le plus longtemps possible par le pouvoir ploutocratique.
La quatrième dimension de l’économie de la valeur qui contient l’incertitude du futur a pour contre-réalité la plus-value de la société humaine de liberté. Si les êtres humains veulent bien reconnaître la solidarité matérielle de leurs parents, de leur groupe social et de leur patrie par laquelle ils accèdent à la vie, à la culture et finalement à la valeur de l’humanité, ils conçoivent alors que la circulation économique des biens n’a pas pour finalité l’accumulation de matière mais l’information de leur humanité. La liberté religieuse nécessaire à l’invention de la réalité par la connaissance scientifique et l’innovation technique a nécessité en Occident la rupture épistémologique de la Renaissance entre la métaphysique et la physique. Cette rupture a été mise à profit par des intérêts politiques et financiers pour capter la réalité avec la religion de la matière, des mathématiques sans finalité et de la rationalité sans effet. La loi a perdu sa substance et le marché est devenu virtuel, réduit à un champ de bataille des intérêts individuels non régulables par le bien commun. Le marché de la réalité humaine sans loi est désormais divinisé dans la cupidité qui gouverne le monde au bénéfice des initiés à la finance ésotérique. La guerre civile est-elle toujours un passage obligé de la civilisation ?
205 réponses à “LA GUERRE CIVILE MONDIALE EST DÉCLARÉE PAR LA MONNAIE, par Pierre Sarton du Jonchay”