LE TEMPS QU’IL FAIT LE 4 AOÛT 2017 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 4 août 2017. Merci à Pascale Duclaud et à Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le vendredi 4 août 2017 et si on veut faire un speech un petit peu programmatique, eh bien le faire un 4 août ce n’est jamais une mauvaise idée parce que, comme vous le savez, le 4 août 1789 un monde est tombé : le monde féodal, en France, et un nouveau monde est apparu.

Alors je reçois des messages ; il y en a un l’autre jour, quelqu’un qui m’engueule pour avoir dit du bien de Robespierre. J’ai même fait un livre récemment où il y avait des remarques de la part de l’éditeur disant : « Quoi ! Vous mentionnez même ce monstre sanguinaire ?! ». Et j’ai dit « Madame, excusez-moi mais on ne parle peut-être pas de la même personne ! » : il y a des gens qui changent l’Histoire.

C’est Hegel qui a dit que… – il a appelé cela « les grands hommes » – que les grands hommes qui avaient changé l’Histoire avaient effectivement parfois écrasé quelques pâquerettes sur le bord du chemin et que ça faisait partie du « dommage collatéral », comme on dit, du fait qu’ils avaient été des « grands hommes » qui avaient changé la manière dont les hommes vivent. Et quand il parlait de ça, quand il parlait des personnages qui avaient changé l’Histoire, c’était – il faut se souvenir ! – il disait : « Ce sont les personnes qui ont changé le système juridique autour d’eux ». Qui ont changé le cadre dans lequel on réfléchit aux choses.

Et ça, ça me fait penser que je lisais – c’était hier ou avant-hier – la conclusion du livre de Max Weber qui s’appelle Confucianisme et taoïsme, et je ne m’étais jamais rendu compte à quel point Max Weber était peu un sociologue et beaucoup un simple propagandiste. Quand on lit cette conclusion, on s’aperçoit que ce monsieur avait mis tout son talent de sociologue au fait d’être simplement le propagandiste du système capitaliste. Il est dommage – bon, ce livre a été écrit en 1915 et 1916 – il est dommage qu’il ne soit plus parmi nous pour qu’on lui pose quand même quelques questions sur ce capitalisme et sur ce qu’il est capable de faire et de ne pas faire. Et hum… à l’époque (sourire), à l’époque où Weber écrit son livre, il aurait été de très mauvais goût d’écrire un livre dont le titre serait : « Se débarrasser du capitalisme est une question de SURVIE ». Euh, maintenant c’est… maintenant c’est l’éditeur qui vous suggère de faire ça. Et hum… et il y a ce paradoxe que je me trouve invité par les économistes à venir parler parmi eux alors que j’ai un livre qui est sorti avec un titre comme celui là ! Et pas seulement être invité à parler chez eux mais – en sachant que je ne vais pas dire des choses qui leur feront plaisir, ça c’est évident – mais aussi, j’ai entendu dans la bouche du grand patron de cet événement là – il est grand patron depuis pas mal de temps ! – j’ai entendu des mots que j’ai d’abord pris pour une plaisanterie et c’est en réfléchissant un peu plus tard à la manière dont il l’avait dit devant tout le monde, qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie. Mais il s’agit de paroles que je ne peux même pas vous répéter.

Alors ça, ça nous amène à la question dont je voulais vous parler : c’est cette discussion qui a commencé hier sur le blog – j’avais fait… déjà fait allusion, il y a quelques semaines, au fait que Cédric Chevalier m’avait envoyé un texte. C’est une sorte d’autocritique du blog et du petit groupe de réflexion qui s’appelle « Les Amis du Blog de Paul Jorion ». Et là, il m’a envoyé son texte, je l’ai publié, et c’est un texte d’autocritique au nom du blog. Il pose des questions, non seulement sur ça, mais aussi sur le rôle des intellectuels en général. Et là il fait une remarque excellente, une chose à laquelle je n’avais pas pensé. Je me demandais pourquoi on appelait « intellectuels », dans la presse française, des gens qui, euh… dont le statut « d’intellectuels » (rires) est quand même difficile à établir. Et il dit qu’en fait, ce que l’on veut dire, c’est ce qu’on appelait un « pamphlétaire » autrefois : ce sont des pamphlétaires plus que des intellectuels dont il est question là. Donc le mot a évolué.

Mais très bon exercice que cette autocritique. Évidemment, si vous faites une autocritique parce qu’il y a un revolver pointé sur vous, hors du champ de la caméra comme c’est arrivé dans certains pays et comme ça arrive sûrement en ce moment même, ce n’est pas une bonne chose. Si c’est un truc où on va simplement manquer de sincérité, où ce sera une manière déguisée de se lancer des fleurs, ce n’est pas une bonne idée non plus. Mais comme un exercice pour voir qu’est-ce qui se passe : pourquoi est-ce qu’il y a beaucoup moins de gens qui regardent le Blog de Paul Jorion ? À une époque – c’était un pic, un point culminant – c’était en 2012, au moment où il était bien possible que la zone euro s’effondre. Il y avait de l’ordre de 150 000 personnes par mois qui regardaient le blog. Pour le moment – j’ai regardé les chiffres hier ; oui évidemment on est en été, on est à l’articulation entre le mois de juillet et le mois d’août ; ce n’est pas le moment où il y a le plus de monde sur le blog – mais on est à 36 000. Par rapport à 150 000 donc c’est beaucoup moins.

Alors on peut faire une analyse dans le cadre général, de voir que la plupart des blogs ont disparu et que c’est déjà peut-être pas mal d’être un survivant ! Mais à l’époque où on est, il faut quand même se poser la question de pourquoi est-ce qu’il y avait 150 000 personnes qui regardaient ça, euh, il y a 5 ans, et pourquoi il y en a 36 000 seulement qui le regardent maintenant ?

Alors, il y a pas mal d’explications : d’abord il y a une dérive ; on s’est lassé un petit peu de ce style-là, de la même manière que les gens… c’était une très bonne idée de faire « Nuits Debout » et puis finalement les gens ne sont plus venus ; qu’il y a eu un engouement pour la France Insoumise et puis on ne sait pas trop où ça en est pour le moment : il y a de l’usure. La forme n‘est peut-être plus adaptée à notre époque. Mais il y a… vous pouvez le voir, il y a des vidéos où il y a 200 000 personnes qui regardent des trucs dont le type de présentation ou le contenu me paraît un petit peu, comment dire… j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi pour certains trucs, pourquoi il y a 200 000 personnes qui vont quand même voir ça : le ton est hystérique, la valeur du contenu est très inégale pour ne pas dire plus. [P.J. : j’ai depuis tiré des leçons générales de la discussion].

Qu’est-ce qui ne marche pas ? Alors, dans les analyses qui ont été faites hier, il y a pas mal de gens qui sont venus en disant : « Oui, mais vous n’avez pas soutenu Mélenchon, c’est une trahison ! », et ainsi de suite, « Il aurait fallu le faire ! ». Alors là, j’ai engagé la discussion à ce propos-là, et là j’ai rappelé (je suis en train de me le rappeler mais je voudrais le rappeler peut-être ici aussi) : j’avais un candidat ! J’avais un candidat, moi, que j’ai soutenu tant que ça a été possible. Et puis quand ça n’a plus été possible et que les gens m’ont dit « Oui mais alors si on veut protester, qu’est-ce qu’il faut faire ? », à ce moment-là j’ai dit : « Eh bien il faut voter Poutou ! Il faut voter Poutou si on veut protester !». Parce que finalement, pour moi, la personne qui disait les choses qui étaient le plus proche de ce que j’avais envie de dire, c’était M. Poutou ».

Alors, pour la question du candidat que j’ai soutenu : si vous avez un tout petit peu de mémoire (rires), si vous savez que je n’ai pas simplement essayé de combattre un autre candidat : non, j’ai essayé de soutenir un candidat particulier. À partir d’une analyse, à partir d’une réflexion – ce n’était pas de l’ordre de l’émotionnel – je me suis posé la question (parce que, le problème ne s’est pas posé… ne peut pas se poser pour moi de devenir Président de la république en France. Si le problème s’était posé – je ne me suis jamais posé la question à ce sujet-là ! (rires) – euh… j’aurais peut-être réfléchi à la question. Mais, le problème ne se posait pas). Alors je me disais : « Qui, pourrait être un bon candidat ? » Et en y repensant dans la soirée hier, et en me réveillant ce matin, je me suis dit : ton calcul était bon et tu as bien fait de soutenir Thomas Piketty tant qu’il a été possible de le faire.

Je continue de le penser : je continue de penser que si Piketty s’était présenté à la présidentielle, on aurait eu un excellent candidat. Et non seulement un excellent candidat mais on aurait maintenant un excellent président.

Alors, le discours qu’on m’a toujours tenu c’est : « Oui mais personne ne sait qui c’est ! ». Il me l’a d’ailleurs dit lui-même quand on s’est rencontré, il m’a dit : « Mais je ne suis pas connu ! » et pour quelqu’un qui a vendu des millions de livres, pour quelqu’un qui a fait la Une du Washington Post, du New York Times, dont on a parlé dans le Quotidien du peuple à Pékin et ainsi de suite, de dire « Je ne suis pas connu » c’est quand même quelque chose de paradoxal. C’est vrai, c’est vrai que le livre Le capital au XXIème siècle, s’est vendu bien davantage dans des traductions qu’il ne s’est vendu en français, mais justement ! Justement… ! Et cela je l’ai dit à l’époque ; j’ai essayé de le convaincre là-dessus : il y aurait eu un engouement INTERNATIONAL ! Parce que le fait que Mme Merkel aurait dit « M. Piketty est un excellent candidat, j’espère qu’il va gagner », le fait que M. Obama aurait dit ça, le fait qu’on aurait peut-être dit ça en Chine et peut-être même en Russie, le fait qu’il y aurait eu un accord général dans l’opinion publique INTERNATIONALE disant : M. Piketty ferait un excellent candidat.

Il aurait fait un candidat qui aurait été un candidat de gauche. Ce n’est peut-être pas la gauche à laquelle vous tous ici qui me regardez vous identifiez entièrement, mais ça, ça n’a pas d’importance ! Il y aurait, Président de la république, maintenant en France, quelqu’un qui représenterait les idées de gauche et que les marchés financiers n’essaieraient pas de descendre systématiquement, parce qu’il est considéré, il est respecté – il est respecté, figurez-vous, dans les milieux financiers ! (parce que… on lui a bien reproché effectivement d’avoir fait quelques erreurs statistiques ici ou là, d’avoir confondu certains chiffres ou d’avoir agrégé certains chiffres ; je l’ai fait moi-même en disant qu’il y a certains chiffres que moi, si j’avais été Piketty, je n’aurais pas agrégés parce que ça introduisait plus de confusion qu’autre chose) mais bon ! : c’est quelqu’un qui aurait été respecté. C’est quelqu’un qui n’aurait pas été descendu en flammes – bien qu’il défende des idées de gauche – par les marchés, ce qui est quelque chose de tout à fait appréciable. M. Mitterrand n’est plus là pour nous dire – ni M. Bérégovoy – pour nous dire que ce que je dis a beaucoup de signification et beaucoup de sens, mais je suis sûr qu’ils l’auraient pensé s’ils avaient été encore là, à la lumière de certaines expériences. M. Jospin est à ajouter à un certain nombre de personnes de gauche qui ont essayé de faire des choses et qui n’y sont pas arrivées parce que, quand on a la mobilisation des marchés contre soi, c’est très difficile, même quand on est un bon technicien : même quand on est M. Varoufakis, ce n’est pas évident. Ce n’est pas évident…

Alors voilà ! s’il est vrai qu’un certain nombre de gens qui ne regardent plus le blog, ou qui ne lisent plus, ou qui ne participent plus aux travaux des Amis du blog de Paul Jorion parce que j’ai soutenu jusqu’au bout une candidature Piketty, eh bien je ne regrette absolument rien. Je continue de penser que c’est ce que j’aurais dû faire, et je continue à penser qu’il serait aujourd’hui Président de la république, et que je me féliciterais de l’avoir fait.

Alors, comme je vous l’ai dit, j’ai l’impression qu’il y a une érosion du style blog et que donc ce n’est peut-être pas le moyen de parler en ce moment. Ceci dit, on m’invite à la radio, on m’invite à la télévision, on me demande de faire des conférences – plus que je ne peux d’ailleurs accepter tellement il y en a (je ne me vante pas, c’est vrai (rires), certaines personnes à qui je viens de parler récemment le savent), j’écris des livres, qui se lisent, dont on parle. J’aimerais bien qu’on les traduise un peu plus en allemand, en anglais, et pas simplement en chinois parce qu’il me paraîtrait important qu’il y ait des personnes en Allemagne ou des personnes dans le monde anglo-saxon qui les lisent. Je pourrais – quand on me pose la question – oui, je pourrais traduire moi-même mes livres en anglais mais je préfère quand même – excusez-moi – je préfère écrire du neuf ! Et puis écrire une traduction en ne sachant pas si un éditeur en voudra, ça ne sert pas à grand-chose. Il faut que les éditeurs disent : « On veut publier vos bouquins ». Bon, en France ça marche, c’est très bien.

Vous le savez, au mois d’octobre – c’est dans pas très longtemps – mon bouquin Le dernier qui s’en va éteint la lumière paraît dans la traduction chinoise. Et là, vous le savez bien parce que je vous le dis souvent, je suis très curieux de voir ce que cela va donner. Parce que la Chine, c’est un pays qui fait plein d’erreurs, c’est un pays – voilà – qu’on ne peut pas louer de manière non critique, mais c’est un pays qui essaye de faire des choses en ce moment. Et quand les gens vous disent qu’à l’échelle historique, il y a plus de chances que la Chine survive sur le très long terme que les pays occidentaux, oui, là, les preuves sont là. Et les preuves sont là, ne serait-ce que, je dirais, dans la conclusion du bouquin de Weber Confucianisme et taoïsme quand il montre qu’il y a dans la pensée chinoise une grande résistance à « un capitalisme fondé sur un prophétisme » dont lui considère que vraiment c’est le nec plus ultra : que heureusement nous, on a eu « un capitalisme fondé sur un prophétisme » !

Mais, mais ! Messieurs-dames, le titre de mon bouquin « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », il décrit le sentiment que j’ai : nous allons droit au précipice si nous ne changeons pas ce système. Ce système a pu effectivement faire un certain nombre de choses : il est dommage que ce soit la cupidité qui ait produit un certain nombre de progrès dans notre monde. Je ne crois pas que sur le long terme ce soit une bonne idée et de toute façon, ce système maintenant, il produit une concentration de la richesse qui nous envoie droit au précipice. Il faut en changer le plus rapidement possible.

Depuis hier ou avant-hier, mon véritable ennemi, je le sais, c’est M. Max Weber qui n’a utilisé la sociologie que pour faire de la propagande en faveur du capitalisme. Tout ce qu’il dit – il faudra que je cite certains passages – tout ce qu’il dit comme étant à la gloire du capitalisme, nous savons maintenant que c’est ce qui rend ce système – j’employais le mot « satanique » l’autre jour (rires) – qui le rend satanique et en tous cas qui conduit à notre perte et qui fera que l’espèce va à l’extinction si elle reste sur ces rails-là.

Voilà ! Euh, un petit point à partir de cette excellente initiative de Cédric Chevalier de proposer une autocritique à mon blog et au groupe des Amis du blog de Paul Jorion : ça me permet de mettre les choses au point ; ça m’a permis aussi tout à l’heure d’aller, vous allez le voir (rires)… de me poser la question moi-même sur la question de savoir si j’avais été banquier ou non. Et en regardant – j’ai pris un extrait, comme ça, voilà, je ne sais plus, entre 1998 et [2004] – je l’ai collé sur le blog en disant : eh bien voilà, à vous de décider si j’ai été… si j’étais banquier. Et alors paradoxalement – et on retombe sur le 4 août – en regardant cette liste je m’aperçois que – même si je n’arriverai jamais à changer quoi que ce soit dans le monde de manière générale – alors que… eh bien j’essaie quand même de pousser les choses importantes dans mon sens – en lisant ça, je m’aperçois que j’ai quand même changé des choses dans la manière dont fonctionne la banque, aux États-Unis en tout cas ! (rires). J’espère que vous aurez le même sentiment en lisant ça !

Je n’ai pas été dirigeant de banque, comme je le dis, parce qu’on m’a proposé… non, on ne m’a pas « proposé » : on m’a fait passer un test, et ce test, en fait, a confirmé peut-être un soupçon que j’avais déjà : qu’il faut une certaine tolérance à la malhonnêteté pour qu’on vous accepte dans le cercle des dirigeants de banques. Et de ce point de vue là, eh bien je suis très content de ne jamais avoir été un dirigeant de banque, d’avoir été une petite main, d’avoir été un technicien, un technicien mais qui a fait avancer les choses dans la manière dont on comprend la finance. Finalement, ce n’est pas si mal que ça !

Mais, vous le savez, j’essaye de faire d’autres choses. J’essaye de rassembler – en particulier dans ce livre qui s’appelle Qui étions-nous ? que j’essaye de terminer – j’essaye de mettre sous forme un peu de boîte à outils, tout ce que nous avons peut-être compris sur nous-mêmes et qu’il faudrait rassembler, mettre vraiment tout ça ensemble si on veut avoir une chance de s’en sortir en tant qu’espèce.

Voilà ! Allez, à bientôt !

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